Journal (Eugène Delacroix)/6 septembre 1858

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 349-350).

6 septembre. — J'écris à M. Berryer :

« En fin de compte, je me suis réfugié ici, où j’ai retrouvé du mieux ; mais ce n’est pas tout ; voici ce qui m’attendait à Champrosay : l’homme qui me louait mon petit pied-à-terre m’apprend au déballé qu’il va vendre sa maison, et que j’avise d ici à peu. Me voilà troublé dans mes habitudes, quoique j’y fusse médiocrement ; mais enfin j’y suis, et il y a quinze ans que je viens dans le pays, que j’y vois les mêmes gens, les mêmes bois, les mêmes collines. Qu’eussiez-vous fait à ma place, cher cousin, vous qui vous êtes laissé murer dans l’appartement que vous occupez depuis quarante ans, plutôt que d’en chercher un autre ? Probablement ce que j’ai fait ; c’est-à-dire que j’ai acheté la maison, qui n’est pas chère et qui, avec quelques petits changements en sus du prix d’achat, me composera un petit refuge approprié à mon humble fortune. Il me faut donc, à l’heure qu’il est, retourner sous deux jours à Paris, faire un mois de ce travail ajourne sans cesse et venir encore de temps en temps ici, voir ce qui s’y fait pour les arrangements que je vous ai dits.
Vous aurez bien vu, en ouvrant ma lettre, mon cher cousin, que je ne vous en disais tant que parce que je n’avais rien de bon à vous dire, au moins pour ce qui me concerne. Tout ce bavardage que je vous fais ici de mes petites affaires, j’aurais voulu vous en étourdir sous les ombrages d’Augerville et au bord de l’Essonne. Vous voyez que je ne le puis malheureusement pas, et vous pensez bien, je l’espère, que c’est contre ma plus chère volonté. »