Journal (Eugène Delacroix)/6 août 1860

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 411-412).

6 août. — Je dois rendre justice à Dumas et à Balzac. Il y a, dans la peinture des remords de son maître de poste (c’est dans la dernière partie d’Ursule Mirouet), des traits d’une grande vérité. J'écris ceci à Champrosay après la mort de la mère Bertin. L’agitation que j’ai remarquée dans un de ses héritiers m’a rappelé certains mouvements du Mirouet de Balzac, et, chose singulière, m’a fait faire plus que jamais des réflexions sur l’avantage d'être honnête, quand cet avantage, qui consiste dans la paix de la conscience, ne viendrait qu’après cette nécessité pour une âme noble de ne pas se dégrader par des bassesses intéressées. Ces sentiments m’ont rappelé ce que j’ai lu ces jours-ci dans Voltaire, et dont il faut que je recherche les termes précis, à savoir, quand un livre vous élève, inspire des sentiments d’honneur et de vertu, ce livre est jugé, il est bon, etc.

Il y aurait pourtant des restrictions : celui de Balzac, faux dans une foule de parties, est mauvais par là ; il est bon par la peinture vraie de cette grossière nature qui, toute dépourvue quelle est de délicatesse native, ne peut porter le poids du remords.

Dumas ma plu aussi avec ses Mémoires d’Horace insérés dans le Siècle[1]. C’est une idée heureuse, et le peu que j’en ai lu m’a paru finement et singulièrement arrangé.

  1. Le Siècle publiait alors en feuilleton cette fantaisie sur Rome ancienne, soi-disant tirée d’un manuscrit trouvé à la bibliothèque du Vatican.