Journal (Eugène Delacroix)/5 octobre 1854

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 473-474).

5 octobre. — Redemander à Riesener une gravure de Clélie que je lui ai prêtée il y a plusieurs années. Passé la journée sans sortir qu’après dîner et après avoir dormi.

Se sentir enseveli dans les papiers qui parlent, je veux dire les dessins, les ébauches, les souvenirs ; lire deux actes de Britannicus, en s’étonnant chaque fois davantage de ce comble de perfection ; l’espoir, je n’ose dire la certitude, de n’être pas dérangé ; un peu ou beaucoup de travail, mais surtout la sécurité dans la solitude, voilà un bonheur qui, dans beaucoup de moments, paraît supérieur à tous les autres. On jouit alors complètement de soi ; rien ne vous presse, rien ne vous sollicite de tout ce qui est en dehors d’un cercle studieux où, satisfait de peu, je veux dire peu de ce qui plaît à la foule, mais aspirant, au contraire, à ce qu’il y a de plus grand par la contemplation intérieure ou par la vue des chefs-d’œuvre de tous les temps, je ne me sens ni accablé du poids des heures, ni effrayé de leur rapidité. C’est une volupté de l’esprit, un mélange délicieux de calme et d’ardeur que les passions ne peuvent donner.

(Rapporter ceci à ce que je dis à Ems sur la nécessité de jouir de soi avant tout.)