Journal (Eugène Delacroix)/4 janvier 1824

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 50-51).

Dimanche 4 janvier. — Malheureux ! que peut-on faire de grand, au milieu de ces accointances éternelles avec tout ce qui est vulgaire ? Penser au grand Michel-Ange.

Nourris-toi des grandes et sévères beautés qui nourrissent l’âme.

Je suis toujours détourné de leur étude par les folles distractions[1]. Cherche la solitude. Si ta vie est réglée, ta santé ne souffrira point de ta retraite.

Voici ce que le grand Michel-Ange écrivait au bord du tombeau : « Porté sur une barque fragile au milieu d’une mer orageuse, je termine le cours de ma vie ; je touche au port commun où chacun vient rendre compte du bien et du mal qu’il a fait. Ah ! je reconnais bien que cet art qui était l’idole, le tyran de mon imagination, la plongeait dans l’erreur : tout est erreur ici-bas. Pensers amoureux, imaginations vaines et douces, que deviendrez-vous, maintenant que je m’approche de deux morts, l’une qui est certaine, l’autre qui me menace… ? Non, la sculpture, la peinture ne peuvent suffire pour tranquilliser une âme qui s’est tournée vers l’amour divin et que le feu sacré embrase. » (Vers qui ferment le recueil de ses poésies.)

  1. « Au milieu de mes occupations dissipantes quand je me rappelle quelques beaux vers, quand je me rappelle quelque sublime peinture, mon esprit s’indigne et foule aux pieds la vaine pâture du commun des hommes. » (Corresp., t. I, p. 19.)