Journal (Eugène Delacroix)/3 novembre 1850

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 41-42).

3 novembre. — Rubens met franchement la demi-teinte grise du bord de l’ombre entre son ton local de chair et son frottis transparent. Ce ton chez lui règne tout du long. Paul Véronèse met à plat la demi-teinte de clair et celle de l’ombre. (J’ai remarqué par ma propre expérience que ce procédé donne déjà une illusion étonnante.) Il se contente de lier l’un à l’autre par un ton plus gris mis par places et à sec par-dessus. De même, il met, en frôlant, le ton vigoureux et transparent qui borde l’ombre du côté du ton gris.

Titien probablement ne savait pas comment il finirait un tableau… Rembrandt devait être souvent dans ce cas ; ses emportements excessifs sont moins un effet de son intention que celui de tâtonnements successifs.

— Nous avons, dans notre promenade, observé des effets étonnants. C’était un soleil couchant : les tons de chrome, de laque les plus éclatants du côté du clair, et les ombres bleues et froides outre mesure. Ainsi l’ombre portée des arbres sur l’herbe naissante, laquelle était au soleil l’émeraude la plus chaude, était toute froide dans l’ombre portée des arbres tout jaunes, terre d’Italie, brun rouge et éclairés en face par le soleil, se détachant sur une partie de nuages gris qui allaient jusqu’au bleu. Il semble que plus les tons du clair sont chauds, plus la nature exagère l’opposition grise : témoin les demi-teintes dans les Arabes et natures cuivrées. Ce qui faisait que cet effet paraissait si vif dans le paysage, c’était précisément cette loi d’opposition.

Hier, je remarquais le même phénomène au soleil couchant : il n’est plus éclatant, plus frappant que le midi, que parce que les oppositions sont plus tranchées. Le gris des nuages, le soir, va jusqu’au bleu ; la partie du ciel qui est pure est jaune vif ou orangé. Loi générale : plus d’opposition, plus d’éclat.