Journal (Eugène Delacroix)/2 février 1852

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 74-75).

Lundi 2 février. — Mme Sand[1] arrivée vers quatre heures… Je me reprochais, depuis qu’elle est ici, de n’avoir pas été la voir. Elle est fort souffrante, outre sa maladie de foie, d’une espèce d’asthme analogue à celui du pauvre Chopin.

— Le soir chez Mme de Forget.

— J’ai à peu près terminé, dans la journée, le petit Samaritain pour Beugniet[2]. Le matin, trouvé à peu près sur la toile la composition du plafond de l’Hôtel de ville.

Je parlais à Mme Sand de l’accord tacite d’aplatissement et de bassesse de tout ce monde qui était si fier il y a peu de temps : l’étourderie, la forfanterie générale, suivie en un clin d’œil de la lâcheté la plus grande et la plus consentie. Nous n’en sommes pas encore cependant au trait des maréchaux, en 1814, avec Napoléon ; mais c’est uniquement parce que l’occasion ne s’en présente pas. C’est la plus grande bassesse de l’histoire.

  1. Il semble que, dans les relations très assidues de George Sand avec Delacroix, celle-ci ait fait toutes les avances ; non que Delacroix ne ressentit pour elle une réelle sympathie, il ne pouvait demeurer insensible à la franchise et à la bonhomie de sa nature ; ce qu’il prisait infiniment moins, c’était son talent et surtout ses théories humanitaires, qui avaient le don de l’exaspérer. Nous avons longuement insisté sur les convictions philosophiques du maître touchant la question du progrès : George Sand demeurait toujours à ses yeux la vivante incarnation de ces théories. Quant à George Sand, son admiration pour Delacroix fut toujours sans réserve, comme son amitié.
  2. Marchand de tableaux.