Journal (Eugène Delacroix)/2 août 1858

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 344-345).

2 août. — Après dîner, une des plus délicieuses promenades que j’aie faites ici : j’étais dispos, l’esprit tranquille, tout me charmait. J’ai fait un croquis de la ferme Jacquot et, plus haut sur la route près de la table ronde de pierre, une vue générale de la vallée[1]. Admiré encore le fond sauvage avec bouleaux, sources et rochers.

Je ne pouvais m’arracher à tout cela : quel charme grandiose ! Et personne près de moi n’y prenait garde. Je rencontrais à chaque instant des groupes : les hommes ne s’entretenaient que d’argent ; je l’ai remarqué.

Revenu lentement achever la soirée à l’établissement. J’y trouve Mme Marbouty[2] ; conversation jusqu’à dix heures passées. Elle a des révélations : un esprit lui parle et lui dicte des choses merveilleuses. Cet esprit lui a appris à guérir sa mère qui a quatre-vingt-deux ans et qui était dans un état désespéré. Je lui ai demandé pourquoi elle ne profitait pas du même moyen pour se guérir elle-même ; je ne sais ce qu’elle m’a répondu. J’ai rendez-vous avec elle après déjeuner demain pour savoir ce que lui a dicté son génie. Elle est tout étonnée que je n’aie pas aussi des révélations.

  1. Le Val d’Ajol, vu de la Feuillée Dorothée.
  2. Mme Marbouty, plus connue en littérature sous le nom de Claire Brunne, auteur de nombreux romans et de pièces de théâtre.