Journal (Eugène Delacroix)/29 janvier 1847

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 253-254).

29 janvier. — Fatigué de ma soirée d’hier. Leleux et Hédouin[1] sont venus me voir.

Il est probable qu’en faisant souvent sans modèle, quelque heureuse que soit la conception, on n’arrive pas à ces effets frappants qui sont obtenus simplement dans les grands maîtres, uniquement parce qu’ils ont rendu naïvement un effet de la nature, même ordinaire. Au reste, ce sera toujours l’écueil ; les effets à la Prudhon, à la Corrège, ne seront jamais ceux à la Rubens, par exemple. Dans le petit saint Martin, de Van Dyck, copié par Géricault, la composition est très ordinaire, cependant l’effet de ce cheval et de ce cavalier est immense. Il est très probable que cet effet est dû à ce que le motif a été vu sur nature par l’artiste. Mon petit Grec (le Comte Palatiano) a le même accent[2].

On pourrait dire que, par le procédé contraire, on arrive à des effets plus tendres et plus pénétrants, s’ils n’ont pas cet air frappant et magistral qui emporte tout de suite l’admiration. Le cheval blanc de saint Benoît, de Rubens, semble une chose tout à fait idéale et fait un effet bien puissant.

— Dîné chez Mme de Forget.

  1. Edmond Hédouin, peintre et graveur, élève de Célestin Nanteuil et de Paul Delaroche. Il s’est surtout consacré au paysage et aux sujets de genre. Il fut chargé d’exécuter les peintures décoratives dans la galerie des fêtes au Palais-Royal.
  2. Voir le Catalogue Robaut, no 170.