Journal (Eugène Delacroix)/29 avril 1853

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 174-175).

Vendredi 29 avril. — Au conseil de bonne heure, pour la sotte affaire du bois de Boulogne. Le préfet me demande de faire tout de suite le rapport. Je l’ai lu à la fin de la séance, et il a été adopté.

Revenu à l’Exposition avec E. Lamy[1] pour informations ; de là chez Decamps, que j’ai trouvé dans un atelier bouleversé ; il m’a montré des choses admirables.

Il y avait là la répétition plus grande de son Job pour le ministère, aussi beau que le petit, et, je crois, plus avancé. Il m’a fait voir un Samaritain dans l’auberge : le malade est porté pour être introduit dans l’hôtellerie ; on emmène sur le devant les chevaux qui ont porté le malade et son bienfaiteur ; les gens de la maison mettent la tête à la fenêtre, enfin tous les détails caractéristiques. Effet de soleil toujours le même et toujours séduisant. Cette force constante d’impression dans la monotonie est un des grands privilèges du talent.

Autre tableau ébauché dans ce genre : Intérieur d’un potier en Italie.

Sur le chevalet, une grande Fuite de Loth, que je n’approuve pas autant. Puis, petite esquisse charmante de l’Agonie du Christ, millier de figures, effet charmant.

Mais ce qui passe tout pour moi, aujourd’hui, c’est son David en déroute fuyant devant Saül et rencontré par un partisan de ce dernier égaré dans des solitudes, et qui, de l’autre côté d’un torrent, l’injurie et lui jette des pierres : le site, la composition admirables ; la description s’arrête devant mon souvenir.

  1. Il s’agit du peintre Eugène Lamy, connu surtout comme dessinateur et aquarelliste. Il paraît avoir été très cher à Delacroix, à cause de l’analogie que présentait son talent délicat et distingué avec celui de Bonington, qui avait été le camarade de jeunesse du maître.