Journal (Eugène Delacroix)/27 avril 1858

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 327-329).

27 avril. — De l'éloge de Magendie par M. Flourens[1] : « À l’ardeur de jeunes praticiens vantant le succès de leurs prescriptions il opposait son expérience, et leur disait avec une douce ironie : « On voit bien que vous n’avez jamais essayé de rien faire. » Si la simplicité extrême de ce mode de traitement amenait d’assez justes objections : « Soyez convaincus, ajoutait-il, que la plupart du temps, lorsque le trouble se produit, nous ne pouvons en découvrir les causes ; tout au plus en saisissons-nous les effets ; notre seule utilité en assistant au travail de la nature, qui en général tend vers son état normal, est de ne point l’interrompre ; nous ne devons aspirer qu'à être quelquefois assez habiles pour l’aider. »

« Qu’on lui fasse absolument tout ce qu’il voudra : je ne prescris que cela », disait-il en quittant un jeune garçon dont l'état présentait des symptômes alarmants. Ordinairement avare de son temps, il prodigue les visites à cet enfant, mais n’ajoute rien à la médication. Le soir du troisième jour, tout à coup son front s’obscurcit, et tirant l’oreille à son malade : « Petit drôle, tu ne m’as pas laissé un instant de repos. Va te promener maintenant. » Le père lui demande alors ce qu’était la maladie de l’enfant : « Ce que c’était ? Ma foi, je n’en sais rien, ni moi ni la Faculté tout entière ; si elle pouvait être sincère, elle vous le dirait ; ce qu’il y a de certain, c’est que tout est rentré dans l’état normal. »

Le résultat de ce travail est que les substances qui ne contiennent point d’azote (sucre, gomme, etc.) sont impropres à la nutrition. En effet, bien que les animaux soumis à l’expérience aient de ces substances à discrétion, ils n’en périssent pas moins d’inanition au bout de quelques jours. Il y a plus, c’est que, quels que soient les aliments employés, azotés ou non, il est nécessaire de les varier. Un lapin et un cochon d’Inde, nourris avec une seule substance, telle que froment, avoine, orge, choux, carottes, etc., meurent, dit M. Magendie, avec toutes les apparences de l’inanition, ordinairement dès la première quinzaine, quelquefois beaucoup plus tôt. Nourris avec les mêmes substances, données concurremment ou successivement à de petits intervalles, les animaux vivent et se portent très bien ; la conséquence la plus générale et la plus essentielle à déduire de ces faits, c’est que la diversité et la multiplicité des aliments sont une règle d’hygiène très importante. (C’était le principe du docteur Bailly.)

Recherches physiologiques et médicales sur les causes, les symptômes et le traitement de la gravelle[2]. « Les personnes atteintes de la goutte et de la gravelle, dit Magendie, sont ordinairement de grands mangeurs de viande, de poisson, de fromage et autres substances abondantes en azote. La plupart des graviers, une partie des calculs urinaires, les tophus arthritiques sont formés par l’acide urique, principe qui contient beaucoup d’azote. En diminuant dans le régime la proportion des aliments azotés, on parvient à prévenir, et même à guérir la gravelle. »

  1. François Magendie, le célèbre physiologiste, membre de l’Académie des sciences, était mort le 7 octobre 1865. Son éloge fut prononcé à l’Académie des sciences par le secrétaire perpétuel Flourens, qui excellait dans le genre, et dont les Éloges historiques réunis en volumes témoignent à la fois d’un rare talent d'écrivain et d’une fine observation scientifique.
  2. C’est le titre d’un ouvrage publié pour la première fois en 1818 par le docteur Magendie.