Journal (Eugène Delacroix)/24 octobre 1854

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 484).

24 octobre. — Couru dans le parc par un très beau temps et sorti seul avec bonheur aussitôt ma toilette faite. Je vais par le canal et les treilles jusqu’aux rochers ; charmant souvenir de courts moments que j’y ai passés. Je me trouve encore trop jeune et tout surpris et presque attristé de mon émotion… Je dessine quelques-unes des figures fantastiques de rochers[1].

Berryer, au déjeuner, nous parle de Beugnot[2]. Il lui disait un jour, à propos de je ne sais quelle affaire, qu’il avait manqué de caractère à cette occasion : « Du caractère ! lui dit Beugnot, mais je n’en ai jamais eu ; je n’ai pas le moindre caractère ; si j’en avais eu autant qu’on m’accorde d’esprit, j’aurais soulevé des montagnes. »

Sorti avec ces dames, Batta et Richomme. A déjeuner, ce dernier très amusant avec le docteur Aublé, de Malesherbes.

Berryer rappelle aussi ce mot de Pescatore, disant que ses serres l’ennuient et qu’il a envie de prendre le goût des tableaux.

  1. Surtout les rochers qui donnaient l’illusion de figures humaines, aux mouvements les plus contorsionnés. Il a trouvé, dans ces croquis, l’inspiration de plusieurs sujets.
  2. Jacques-Claude Beugnot (1761-1835), ancien député constitutionnel à la Législative, emprisonné sous la Terreur ; préfet de la Seine-Inférieure après le 18 brumaire, puis conseiller d’État et administrateur du grand-duché de Berg, sous l’Empire ; se rallia aux Bourbons, devint ministre sous la Restauration et fut élevé à la pairie en 1830. Il est l’auteur du mot fameux, attribué au comte d’Artois revenant à Paris : « Il n’y a rien de changé en France, il n’y a qu’un Français de plus. »