Journal (Eugène Delacroix)/1er octobre 1854

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 466-467).

1er octobre. — Ce jour, dimanche 1er octobre, j’ai été voir Durieu pour parler de la pétition des Pierret.

J’y trouve M. Charton le père[1], qui me conseille, quand j’irai de Milan à Venise[2], de m’arrêter un jour à Vérone, un jour à Vicence, un jour à Padoue, et de ne voir Venise qu’ensuite. C’est de Gênes qu’il me conseille de prendre, par Lucques, une espèce de voiture de poste pour aller à Pise, Sienne, etc. ; il parle avec grands éloges des paysages.

— Barbotte me conte qu’on peut féconder la vigne au moyen d’abeilles, qu’on porte auprès, quand la pluie a détrempé le pollen. Il me dit qu’à Lima il ne pleut jamais ; aussi tout y est aride.

— Chenavard me dit, à propos de mes idées sur la peinture, que je donne l’exemple et le précepte, et admirablement, dit-il. Il admire beaucoup, au Luxembourg, certaines peintures qui lui paraissent faire ressortir la platitude des autres… « Je me demande quelquefois, dit-il encore, s’il sait bien lui-même tout ce qu’il met dans ces ouvrages-là[3]. »

  1. Édouard Charton (1807-1890), littérateur et homme politique, qui fonda successivement le Magasin pittoresque et le Tour du monde.
  2. Delacroix n’a jamais réalisé ce projet.
  3. Cette observation caractéristique nous rappelle le propos qu’un amateur lança un jour à Corot, en le voyant dans le feu de l’exécution d’un tableau : « Tenez ! vous ne savez pas ce que vous y mettez ! » Corot se retourne un instant, puis reprend son travail en murmurant : « Il a peut-être raison ! »