Journal (Eugène Delacroix)/1er novembre 1854

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 490-491).

1er novembre. — Remonté le matin avant déjeuner dans le parc un moment. On devait déjeuner un peu plus tôt pour aller à la messe. J’ai rencontré là Mme de C…, descendue je ne sais pourquoi.

Un peu de bateau dans la journée ; elles s’écoulent doucement, mais franchement ; c’est trop d’abandon de tout exercice d’imagination. Qu’est-ce donc, grand Dieu ! que la vie de ces gens qui vivent toujours comme je le fais dans ce moment-ci ! Tous ces élégants, toutes ces femmelettes, ne font pas autre chose que se traîner d’un temps à l’autre en ne faisant rien ou en ne s’occupant de rien.

Promenade avec Richomme à la fin de la journée, pendant les vêpres, dont nous sommes dispensés ; puis avec lui et Cadignan.

Le soir, billard, le fameux mistigri, etc.

— Je suis de mauvaise humeur contre moi-même.

— M. de Gadillan me parle longuement d’une affaire que Berryer doit plaider pour des domestiques auxquels leur maître a légué sa fortune ; ce jeune homme, qui travaille avec lui continuellement et lui prépare ses affaires, me le fait voir bien plus grand encore que je ne le croyais. Il me parle de son désintéressement, de son mépris de ce qui est en dessous de lui. Il ne veut pas aller à Orléans ni je ne sais où, plaider pour M. Jouvin, gantier, qui ne lui demande que quelques instants de son talent et lui offre dix mille francs pour cela.