Journal (Eugène Delacroix)/1er août 1860

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 410-411).

1er août. — Je lis toujours Voltaire avec délices.

À propos d’un article sur Hamlet dans le volume des Mélanges de littérature. À travers les obscurités de cette traduction scrupuleuse, qui ne peut rendre le mot propre en anglais, on retrouve son naturel qui ne craint pas les idées les plus basses ni les plus gigantesques, son énergie que les autres nations croiraient dureté, ses hardiesses que des esprits accoutumés aux tours étranges prendraient pour du galimatias. Mais sous ces voiles on découvrira de la vérité, de la profondeur, et je ne sais quoi qui attache et qui remue beaucoup plus que ne ferait l’élégance… C’est un diamant brut qui a des taches ; si on le polissait, il perdrait de son poids. Ne semble-t-il pas qu’on peut dire la même chose du Puget ? Voyez-le au Louvre, entouré de tous les ouvrages de son temps, conçus dans le style de la correction classique et irréprochable, si cette correction et une certaine élégance froide sont un mérite. Au premier abord, il vous choque par quelque chose de bizarre, de mal conçu dans l’ensemble et de confus ; si vous attachez vos yeux sur une des parties comme un bras, une jambe, un torse, aussitôt toute cette force vous gagne ; il écrase tout, vous ne pouvez vous en détacher.