Journal (Eugène Delacroix)/18 juin 1854

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 376-377).

18 juin. — A huit heures chez Durieu. Jusqu’à près de cinq heures, nous n’avons fait que poser. Thevelin a déjà fait des croquis autant de fois que Durieu a fait d’épreuves : une minute ou une minute et demie au plus pour chacun.

Huet[1] ma mené chez lui : je m’y suis aperçu que j’avais oublié mes lunettes, et suis revenu, tout courant et fatigué, les reprendre au septième étage de Durieu. Ce pauvre Huet n’a plus le moindre talent : c’est de la peinture de vieillard, et il n’y a plus l’ombre de couleur.

Ferdinand Denis[2]est venu là. On parlait de la découverte d’un faiseur d’or, qui prétend avoir trouvé que les métaux ne sont que des agrégations. Les gens de la Californie lui disaient souvent, en parlant de certains cantons, que l’or n’était pas encore à son point. Denis me conte l’histoire de Léon X envoyant en cadeau à un prétendu faiseur d’or une bourse vide.

Riesener, huit jours après, me dit avoir observé, avec plusieurs paysagistes, un lieu à Trouville où l’on voit les cailloux se former manifestement.

  1. Il nous parait assez curieux de rapprocher ce passage qui contient l’opinion sincère de Delacroix, d’une lettre qu’il écrivait à ce même artiste le 24 avril 1855 : « Je crois vous faire quelque plaisir en vous parlant de celui que m’ont fait vos tableaux à l’Exposition. Votre grande inondation est un chef-d’œuvre : elle pulvérise la recherche des petits effets à la mode… » C’est dans des circonstances comme celle-ci que le Journal est intéressant. Il ne peut pourtant y avoir confusion de personnes : il s’agit bien de Paul Huet, le paysagiste romantique, celui au sujet duquel Th. Gautier écrivait : « Nul n’a saisi comme lui la physionomie générale d’un site et n’en a fait ressortir avec autant d’intelligence l’expression, heureuse ou mélancolique. »
  2. Ferdinand Denis, voyageur et littérateur, qui parcourut l’Amérique méridionale pendant plusieurs années et publia un grand nombre d’ouvrages sur les sujets les plus variés. Il devint plus tard conservateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève.