Journal (Eugène Delacroix)/15 mars 1832

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 168-170).

Jeudi 15 mars. — Meknez.

Parti matin, beau temps. La ville de Zar Hône avec ses fumées ; les montagnes à l’horizon à droite, à moitié couvertes de nuages. Entré dans les montagnes et, après quelque chemin, découvert la grande vallée dans laquelle est Meknez.

Arrêté après avoir passé une petite rivière. C’est la même que nous avons passé la veille et qui serpente. Lauriers roses.

Rencontré des cavaliers qui ont couru la poudre ; restés au grand soleil assez de temps.

Meknez était à notre gauche, et de loin nous voyons à droite en avant la garde de l’empereur sur une colline. Au bas de nous, dans la plaine, ils ont couru la poudre.

Traversé un ruisseau rapide au milieu de la confusion. Le pacha de Meknez et le chef du Mischoar étaient déjà venus à notre rencontre. Nous avons grimpé la colline. Rencontré le porteur de paroles de l’empereur, mulâtre affreux à traits mesquins : très beau burnous blanc, bonnet pointu sans turban, pantoufles jaunes et éperons dorés ; ceinture violette brodée d’or, porte-cartouches très brodé, la bride du cheval violet et or. Courses de la garde noire, bonnets sans turban. Très beau coup d’œil en regardant derrière nous cette quantité de figures bigarrées ou noires ; le blanc des vêtements terne sur le fond.

Ennuyeuse promenade, marchant derrière les drapeaux, précédés de la musique. Courses continuelles à notre gauche ; à droite coups de fusil de l’infanterie. De temps en temps nous arrivions à des cercles formés d’hommes assis, qui se levaient à notre approche et nous tiraient au nez.

Un des ancêtres de l’empereur actuel devait faire prolonger jusqu’à Maroc la muraille qui passe des deux côtés sur le pont.

Vaches blanches sur toute cette colline. Figures de toute espèce, le blanc dominant toujours.

— Bel effet en montant, les drapeaux se détachant en terne sur l’azur le plus pur du ciel.

Une vingtaine de drapeaux à peu près passés le long du tombeau d’un saint. Palmier auprès. Bâti en briques. Porte de la ville très haute. Porcelaines variées, etc. Une fois entré à gauche, les cavaliers et les tentes sur les remparts.

— Entrée de la ville[1]. Les drapeaux inclinés sous la porte.

Dans l’intérieur de la porte, foule immense. La grande porte colossale.

Devant nous une rue. A gauche une longue et large place, et rangée en demi-cercle devant nous, l’infanterie, qui a fait feu ; la cavalerie derrière les fantassins. Populace derrière sur des tertres et sur les maisons.

Fait le tour de quelques remparts avant de rentrer. En passant par une porte, palmiers gigantesques à droite ; avant d’entrer dans une autre porte, côtoyé un rempart. Femmes en grand nombre sur un tertre à droite et criant.

  1. « Notre entrée ici à Méquinez a été d’une beauté extrême, et c’est un plaisir qu’on peut fort bien souhaiter de n’éprouver qu’une fois dans sa vie. Tout ce qui nous est arrivé ce jour-là n’était que le couiplément de ce à quoi nous avait préparé la route. A chaque instant on rencontrait de nouvelles tribus armées qui faisaient une dépense de poudre effroyable, pour fêter notre arrivée. » (Corresp., t. I, p. 180.)