Journal (Eugène Delacroix)/14 février 1847

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 266).

14 février. — Le Beau est assurément la rencontre de toutes les convenances… Développer ceci, en se rappelant le Don Juan que j’ai vu hier.

Quelle admirable fusion de l’élégance, de l’expression, du bouffon, du terrible, du tendre, de l’ironique ! chacun dans sa nature. Cuncta fecit in pondere numero et mensura. Chez Rossini, l’Italien l’emporte, c’est-à-dire que l’ornement domine l’expression. Dans beaucoup d’opéras de Mozart, le contraire n’a pas lieu, car il est toujours orné et élégant ; mais l’expression des sentiments tendres prend une mesure mélancolique qui»ne va pas indifféremment à tous les sujets. Dans le Don Juan, il ne tombe pas dans cet inconvénient ; le sujet, au reste, était merveilleusement choisi, à cause de la variété des caractères : D. Anna, Ottavio, Elvira sont des caractères sérieux, les deux premiers surtout ; chez Elvira, déjà on voit une nuance moins sombre. Don Juan tour à tour bouffon, insolent, insinuant, tendre même ; la paysanne, d’une coquetterie inimitable ; Leporello, parfait d’un bout à l’autre.

Rossini ne varie pas autant les caractères.