Journal (Eugène Delacroix)/12 juillet 1855

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 53-54).

Augerville, 12 juillet. — Parti à deux heures et demie pour Corbeil. Trouvé cet affreux G… qui me dit effrontément avoir la Jeune fille dans le cimetière[1] ; je lui dis qu’elle m’avait été volée, en le regardant d’une manière qui l’a fait rougir.

De Corbeil à Malesherbes, voyagé avec une femme distinguée, dont la conversation était très bien. A Courances, elle se jette dans les bras d’une vieille paysanne qu’elle accable de caresses : c’était la bonne qui l’avait élevée ; j’ai été très touché. La bonne vieille lui avait fait un cadeau qu’elle me montra : c’étaient les souliers d’un tout petit enfant, qui étaient, me dit-elle, ceux de son frère aîné, homme de soixante-quatre ans.

J’ai vu ce Gâtinais, cette vieille France toute plate, toute simple, ces diligences d’autrefois. Si je ne suis pas aussi à mon aise que dans les chemins de fer, du moins je voyage, je vois, je suis homme ; je ne suis ni une boîte ni un paquet.

Je quitte ma dame à Malesherbes avec le regret de ne pas savoir son nom ; je trouve là Pinson et son cabriolet découvert, dans lequel nous faisons le trajet rapidement.

Je trouve avec Berryer Mme Jaubert, bonne rencontre à la campagne, et Mme D…, avec une certaine appréhension.

  1. C’est une des premières œuvres de Delacroix que le Catalogue Robaut date de 1823. (Voir no 67.)