Journal (Eugène Delacroix)/11 juillet 1858

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 338-339).

Plombières, 11 juillet. — Levé à quatre heures pour partir à cinq heures. Hier soir, je me croyais au moment de faire une maladie à Nancy. Ce matin, je me trouve remis, grâce à ma tempérance.

Je dors une partie du voyage après avoir déjeuné d’une moitié de poulet. Trouvé, d’Épinal jusqu'à Plombières, un sieur Algis, je crois, qui a été assez bon garçon et qui m’a fermé les fenêtres quand j’en avais besoin. Il est fort comme un Turc, et cependant il lutte comme je l’ai fait toute ma vie contre le déjeuner. Il est grand fumeur et avoue néanmoins tous les inconvénients de son habitude. Il dit comme moi qu’il est impossible de s’arrêter à un cigare : un par hasard, dit-il, fait plutôt du bien ; mais c’est fumer beaucoup et presque constamment que veut le fumeur de profession. Il prétend que, toutes les fois qu’il lui est arrivé de suspendre ce plaisir pendant quelques jours, il se sent un autre homme pour le travail, pour l’activité de l’esprit, celle même de la passion pour les femmes. Sitôt l’habitude reprise, apathie, indifférence complète : elle suffit, mais sans satisfaire, à ce qu’il paraît.

Arrivés à Plombières à midi. Toute la population réunie pour voir revenir l’Empereur de la messe. Il m’aperçoit en passant. J'étais sur la porte de Parizot, qui ne peut me loger que dans l’espèce de grenier où habite sa vieille mère. J’y reste dans l’espoir de mieux.

Bal le soir, qui me tient au supplice une partie de la nuit à cause des allées et venues ; de même à peu près les jours suivants, et quoique je me couche de bonne heure, je n’en dors que plus mal.

Mon compagnon de route prétend qu’il a remarqué que, s’il s’expose au soleil après avoir mangé, sa digestion est mauvaise. Il me semble que j’ai éprouvé ici la même chose. Quand je sors après déjeuner et que je vais à la promenade des Dames, j’en ressens une lourdeur qui tient peut-être à ces espaces découverts qu’il faut traverser.