Journal (Eugène Delacroix)/11 août 1855

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 65-66).

11 août. — À Montreuil, pour le mariage de la fille aînée de Rivet. Ce bon ami a paru heureux de me voir ; j’ai revu avec beaucoup de plaisir sa mère, si aimable et de si bonne et ancienne manière ; causé de la couleur avec M. Pierre Rivet, mon ancien élève : il me recommande l’orpin jaune[1].

Vu là Colin[2] et revenu avec Riesener.

Je dînais chez Chabrier ; Vieillard y était, et Poinsot qui a été aimable. J’étais fatigué de ma journée : ce sont trop d’allées et venues pour une petite constitution.

Poinsot nous raconte que Charles[3], le physicien, se trouvant traqué pendant la Révolution et n’ayant que cinq ou six sous à dépenser pour sa nourriture, ne vécut pendant un mois que de pain et d’eau ; au bout d’un mois, il s’aperçut qu’il perdait sensiblement des forces ; il y joignit alors du fromage, et les forces lui revinrent.

— Penser à trouver une palette qu’on puisse mettre dans l’eau.

  1. Le baron Rivet, qui s’était éloigné de la politique depuis 1852 pour se consacrer à l’administration du chemin de fer de l’Ouest, habitait alors aux portes de Versailles, au grand Montreuil, une propriété occupée, avant la Révolution, par deux des filles de Louis XV, Mesdames Victoire et Adélaïde de France.
    Le mariage auquel Delacroix fait allusion est celui de la fille aînée de M. Rivet, qui épousa, en 1855, M. Bourdeau de Lajudie. La mère de M. Rivet, dont parle ici Delacroix, était fille du général de Gilibert, dernier sous-gouverneur des Invalides sous la monarchie, et veuve de M. Léonard Rivet, ancien aide de camp de Dugornmier, créé baron comme préfet de l’Empire, et qui fut plus tard député sous la monarchie de Juillet.
    Pierre Rivet, neveu de Mme Rivet mère, était grand amateur de peinture et fervent admirateur de Delacroix.
  2. Alexandre Colin.
  3. Jacques-Alexandre-César Charles (1746-1823), physicien, a popularisé en France les découvertes de Franklin et des frères Montgolfier. Lors de la création de l’Institut, il entra l’un des premiers à l’Académie des sciences, et en devint par la suite le secrétaire.