Joachim de Flore et l’Évangile éternel


JOACHIM DE FLORE
et
L’ÉVANGILE ÉTERNEL [1]

L’idée fondamentale du christianisme naissant fut la foi à l’inauguration prochaine d’un royaume de Dieu qui renouvellerait le monde et y fonderait l’éternelle félicité des saints. Jésus, à plusieurs reprises, déclara que ceux qui l’écoutaient ne goûteraient pas la mort avant d’avoir été témoins de son avènement ; toute la première génération chrétienne croyait à chaque instant voir poindre dans le ciel le grand signe qui devait annoncer la venue du Fils de l’homme ; l’auteur de l’Apocalypse, plus hardi, voulut supputer les jours. Lorsque, le monde s’obstinant à durer, de complaisantes explications eurent ménagé une retraite à ces annonces trop précises, le levain d’espérances infinies qui était au sein de la religion nouvelle ne périt point pour cela. Une famille non interrompue d’enthousiastes, en un sens très vrais disciples de Jésus, se continua de siècle en siècle, annonçant le prochain accomplissement de l’idéal promis. Ce grand instinct d’avenir a été la force du christianisme, le secret de sa jeunesse sans cesse renaissante. Les congrégations de « saints du dernier jour, » qui se multiplient encore en Angleterre et aux États-Unis, que sont-elles à leur manière, si ce n’est un reste du vieil esprit, un fruit direct de l’Apocalypse chez un parti de millénaires attardés, gardant en plein XIXe siècle les espérances qui firent la consolation des premiers croyans ?

Entre toutes les utopies qu’ont fait naître ces appels à une forme nouvelle de l’humanité devant mettre le sceau aux figures et aux prophéties, la plus originale sans contredit a été la tentative de la secte religieuse et monastique qui, au XIIIe siècle, prétendit réformer l’église et le monde, et inscrivit hardiment sur son drapeau Évangile éternel. Le mauvais succès de cette tentative et les rigueurs dont elle fut l’objet ont détruit les monumens qui nous l’eussent directement fait connaître. Il faut aujourd’hui la plus minutieuse enquête pour retrouver la trace de ces hardies nouveautés, et plus d’une fois, dans l’étude qu’on va lire, nous devrons nous rapprocher des formes reçues dans les recueils d’érudition. Mais il s’agit d’un des faits les plus extraordinaires du plus grand siècle du moyen âge ; rien ne doit paraître fastidieux ou puéril quand on recueille le souvenir de ceux qui ont aimé l’humanité et souffert en croyant la servir.


I. — JOACHIM DE FLORE.

Un nom à demi légendaire brille en tête de la doctrine de l’Évangile éternel. Vers la fin du XIIe siècle et dans les premières années du XIIIe vécut en Calabre un saint abbé de l’ordre de Cîteaux, nommé Joachim[2]. Placé sur les confins de l’église grecque et de l’église latine, il vit avec une rare clairvoyance l’état général de la chrétienté. Le monde entier le reconnut pour prophète ; un ordre nouveau, celui de Flore, tira son nom du lieu, voisin de Cosence, où il se retira. L’étroite et soupçonneuse théologie scolastique, qui devait bientôt dessécher tous les bons germes que le siècle portait en son sein, n’était pas encore dominante. La doctrine de Joachim ne fut jamais attaquée de son vivant. Il fut fort honoré des papes Lucius III et Clément III. On convenait généralement qu’il avait reçu, pour expliquer les oracles obscurs contenus dans les livres saints, des lumières surnaturelles et une assistance spéciale.

Doué d’une imagination ardente, le Calabrais enthousiaste conçut dans ses rapports fréquens avec l’église grecque, gardienne plus fidèle de l’ancienne discipline, et peut-être avec quelque branche de l’église cathare, une grande aversion contre l’organisation de l’église latine, contre l’intrusion de la féodalité dans les choses sacrées, contre les mœurs corrompues et mondaines du haut clergé simoniaque. L’idée qui, trois siècles plus tard, amènera une révolution religieuse, je veux dire la profonde dissemblance de l’église du moyen âge et de l’église primitive, est déjà chez lui tout entière. La Bible et surtout les prophètes, dont il faisait sa lecture habituelle, lui révélèrent une philosophie de l’histoire qu’il appliquait sans hésiter au présent, par laquelle même il prétendait régler l’avenir. Les destinées de l’église catholique, telle que l’avait faite le cours des siècles, lui parurent toucher à leur terme. L’église grecque, disait-il parfois, est Sodome, l’église latine est Gomorrhe[3]. Il sembla croire que la doctrine du Christ n’était pas définitive, et que le règne du Saint-Esprit, obscurément promis par l’Évangile, n’était pas encore fondé.

Comme remède à la corruption du siècle, il rêva la pauvreté. Il prédit, à ce qu’on assure, l’apparition d’un ordre composé d’hommes spirituels, qui dominerait d’une mer à l’autre et jouirait de la vision du Père ; mais ce que vingt ans plus tard devait réaliser François d’Assise, Joachim ne fit que l’entrevoir. Son ordre de Flore n’acquit jamais une bien grande importance, et les doutes graves qui pesèrent après sa mort sur son orthodoxie empêchèrent l’opinion de sa sainteté de prévaloir d’une manière définitive en dehors de la Calabre. La physionomie de cet homme étrange, entourée d’une auréole de mystère, resta toutefois vivement empreinte dans le souvenir de ses contemporains. La légende s’en empara de très bonne heure. On raconta de lui d’innombrables miracles, on lui fit prédire les révolutions de l’église et des empires. L’imagination dès lors ne s’arrêta plus. Dante lui donne un brevet formel de prophète[4]. C’est encore un curieux spectacle que celui des manuscrits assez nombreux qui contiennent les prédictions attribuées à Joachim. On voit qu’ils ont été lus avec foi et anxiété. Les marges sont chargées de notes : Nota, nota, nota ! Nota bene ! Nota mirabilem prophetiam ! Au bas de la page, des chiffres et des calculs ; le lecteur inquiet a voulu supputer ses terreurs et voir si les redoutables événemens annoncés par le livre s’accompliront bientôt[5].

Joachim est d’ordinaire présenté comme l’auteur de l’Évangile éternel. Tout le moyen âge, depuis le milieu du XIIIe siècle, a cru, et les critiques modernes ont généralement admis que ce mot d’Evangile éternel fut le titre d’un livre secret, dont on essayait méchamment de substituer la doctrine à l’Évangile du Christ. Des doutes s’élèvent sur ce point lorsqu’on voit la plupart des auteurs contemporains ne parler d’un tel livre que vaguement, sur ouï-dire, et sans jamais le citer textuellement, quand on remarque d’ailleurs entre leurs témoignages les contradictions les plus flagrantes sur la nature et l’origine du livre. En voyant ce volume introuvable servir d’aliment et de prétexte aux passions et aux intérêts qui se disputaient le monde au XIIIe siècle, on est par momens tenté de le placer dans la même catégorie que le livre des Trois imposteurs, qui bien certainement n’a jamais existé[6], au rang de ces chimères créées par la calomnie, et toujours tenues en réserve contre ceux qu’il importe de perdre. Le mot d’Evangile éternel en effet, pris comme le nom d’une école, apparaît pour la première fois dans le monde théologique en 1254. C’était le moment où les querelles de l’université avec les ordres mendians et des ordres mendians entre eux avaient atteint le plus haut degré de vivacité. L’Évangile éternel devint dans cette mêlée générale une arme pour les différens partis. Les dominicains le reprochaient aux franciscains et ceux-ci aux disciples de saint Dominique. L’université, par l’organe de Guillaume de Saint-Amour, en accusait les mendians, et, en vertu d’un singulier retour, Guillaume de Saint-Amour en passait lui-même pour l’auteur aux yeux de l’opinion[7].

À bien des égards, nous pouvons mieux que les contemporains démêler ces confusions. Certes l’Evangile éternel ne provient ni des dominicains ni de l’université ; il provient de cette fraction dissidente de la famille de Saint-François qui, gardant au milieu de l’amollissement général de l’ordre l’esprit du fondateur, continua de croire, durant le XIIIe siècle et une partie du XIVe que la règle séraphique renfermait le principe d’une régénération de l’humanité, un second Évangile supérieur au premier par sa perfection et par la durée qui lui était assurée. Sur ce point, le doute n’est plus permis ; mais sur tout le reste que d’incertitudes ! A-t-il réellement existé un livre intitulé l’Evangile éternel ? S’il a existé, quel en est l’auteur ? Ce livre est-il conservé en tout ou en partie ? reste-t-il quelque espérance de le retrouver ? Telles sont les questions que je vais essayer de résoudre au moyen de certains documens ou inédits ou dont la critique n’a pas encore tiré tout le parti possible. Les écrits de Joachim, en toute hypothèse, ayant été le prétexte et ayant fourni la matière de l’Evangile éternel, une discussion critique de l’authenticité des ouvrages de Joachim doit précéder toute recherche sur le sujet qui nous occupe. Ce travail n’ayant trouvé place dans aucun recueil d’histoire littéraire ou ecclésiastique, je suis obligé de l’entreprendre ici.


II. — DISCUSSION SUR L’AUTHENTICITÉ DES OUVRAGES DE JOACHIM DE FLORE.

Dans une lettre en guise de testament datée de l’an 1200[8], Joachim, exposant avec détail l’état où se trouvaient alors ses écrits, mentionne comme terminés trois ouvrages : la Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament, le Commentaire sur l’Apocalypse et le Psaltérion décacorde, « sans parler, ajoute-t-il, de quelques opuscules contre les Juifs et contre les adversaires de la foi catholique. »

Ces trois écrits sont les seuls grands ouvrages attribués à Joachim dont l’authenticité soit bien établie. Joachim mourut le 30 mars 1202, selon l’opinion la plus probable ; en tout cas, il mourut peu après 1200. On ne peut croire qu’en ses deux ou trois dernières années il ait composé les autres ouvrages qu’on lui attribue, et qui forment à eux seuls une masse plus volumineuse que les livres dont la rédaction occupa le reste de sa vie. Luc, depuis archevêque de Cosence, qui fut son secrétaire, ne mentionne que les trois ouvrages précités[9]. Guillaume de Saint-Amour, combattant ses erreurs, n’en connaît pas d’autres[10]. Les cardinaux qui condamnèrent sa doctrine à Anagni ne citent qu’une lettre en dehors de ces trois écrits[11]. Florent, évêque de Saint-Jean-d’Acre, qui remplit les fonctions de promoteur en cette affaire, n’allègue que les trois grands ouvrages. Guillaume d’Auvergne ne mentionne que le « Commentaire sur l’Apocalypse » et la « Concorde »[12]. Enfin nous montrerons bientôt que les autres livres dont on a grossi les œuvres du saint abbé portent tous les caractères intrinsèques de la supposition.

Les trois grands ouvrages authentiques dont nous venons de parler ont été imprimés plusieurs fois, et se trouvent dans un grand nombre de manuscrits. Nous n’avons donc pas à les décrire. Il importe seulement d’observer que les éditions ont été faites avec beaucoup de négligence, et qu’il a pu se glisser dans le texte une foule de gloses et d’additions postérieures n’appartenant pas à Joachim. Il faut aussi remarquer que les six livres du « Commentaire sur l’Apocalypse » sont précédés d’un Liber introductorius in Expositionem Apocalypsis, qui est souvent présenté comme un ouvrage à part sous le titre d’Enchiridion ou Apocalypsis nova[13].

Aux ouvrages authentiques de Joachim il faut cependant, à ce qu’il semble, ajouter deux lettres :

1o Une lettre inédite adressée à tous les fidèles et commençant par ces mots : Loquens Dominus Ezechieli prophetæ ; on la trouve dans les manuscrits 3595 de l’ancien fonds, fol. 19 verso ; Saint-Germain, 58, dernier feuillet, verso ; Sorbonne, 1726, fol. 59 ;

2o Une lettre De articulis fidei, ad quemdam filium suum Joannem, identique sans doute à un traité De articulis fidei mentionné dans les anciennes listes des écrits de Joachim[14]. Cet ouvrage n’est connu que par l’extrait qu’on en trouve dans les procès-verbaux de la commission d’Anagni qui condamna l’Évangile éternel en 1255, procès-verbaux dont nous parlerons bientôt[15]. Joachim recommande à son disciple de tenir le livre soigneusement caché, pour échapper aux soupçons de faux zélés qui ne cherchent que des prétextes pour crier au scandale. On comprend que le caractère ésotérique et secret que Joachim voulut donner à cet écrit ait empêché les copies de se répandre. C’était là peut-être qu’il soutenait sur la Trinité ces doctrines opposées à celles de Pierre Lombard, qui lui attirèrent une condamnation au quatrième concile de Latran[16]. Les procès-verbaux d’Anagni contiennent encore deux fragmens du même ouvrage, l’un extrait du premier chapitre, intitulé : De fide Trinitatis, l’autre du dernier, intitulé : Confessio fidei ejus, id est Joachim (fol. 105) ; mais ces extraits ne renferment que des arguties théologiques d’un médiocre intérêt.

Peut-être faut-il aussi regarder comme appartenant à Joachim deux hymnes sur le paradis, l’une en vers saphiques, l’autre en vers trochaïques, que l’on trouve dans les éditions de ses œuvres à la suite du « Psaltérion décacorde. » La seconde de ces compositions, présentant le récit d’un voyage dans le monde surnaturel, est curieuse comme antécédent de la Divine Comédie[17].

Abordons maintenant la discussion des ouvrages qui ont été attribués à Joachim, et que la critique peut ou doit lui contester.

Le plus important est le Commentaire sur Jérémie[18], censé dédié à l’empereur Henri VI et imprimé plusieurs fois à Venise. Le caractère de cet écrit est fort différent de celui des ouvrages authentiques de Joachim. Quand Joachim veut être prophète, il l’est sobrement et avec réserve. Il ne nomme personne ; les événemens sont à peine indiqués ; l’ampleur du style biblique lui permet ces phrases vagues qui deviennent prophétiques quand les événemens s’y prêtent, sans être compromettantes quand les faits prennent un autre tour. Le « Commentaire sur Jérémie » au contraire est d’une extrême précision. Les allusions aux événemens du XIIIe siècle y sont évidentes. Frédéric II, qui n’avait que deux ans à l’époque où Joachim aurait écrit cet ouvrage, est déjà désigné par les métaphores habituelles à ses ennemis, vipera, regulus. Son règne est présenté comme celui d’un tyran ennemi de l’église, destructeur de ses privilèges, persécuteur de ses ministres, d’un nouvel Evilmérodach qui s’assoira dans le temple et se fera adorer comme dieu.


« Dans son enfance, dit le prophète, il paraîtra doux et aimable, il sera allaité des mamelles de l’épouse de l’agneau ; mais dans la suite, comme un autre Balthazar, il ne suivra que la fougue de ses passions et profanera avec des femmes les vases sacrés du temple de Dieu. Mais parce que vous me demandez quelle sera sa fin, écoutez Isaïe qui vous l’apprendra. Une épée non humaine le renversera, une épée qui n’est autre que le glaive de la parole de Dieu l’exterminera, afin que vous sachiez que Dieu n’a pas besoin de la main des hommes pour tirer ce monstre de sa caverne. »


Le guelfe du XIIIe siècle se révèle ensuite dans ces curieuses paroles :


« Le Seigneur dégainera son épée, car l’empire des Allemands a toujours été pour nous dur et cruel. Il faut donc que le Seigneur le renverse par le glaive de sa fureur, afin qu’au bruit de sa ruine tous les rois tremblent[19]. »


Et ailleurs :


« L’armée des Chaldéens combattant contre Jérusalem et Juda, à l’exception de Lachis et d’Azecha, représente les Allemands et les autres persécuteurs armés contre l’église romaine et les cités latines de l’Italie, à l’exception de celles qui sont fortes par le peuple ou qui ont su se concentrer en elles-mêmes[20], Le schisme de l’église et de l’empire, commencé par les Normands, se consommera par les Allemands, dont les flots étoufferont la liberté des pontifes, — en sorte que l’empire, qui servit d’abord à élever l’église, en sera la ruine aux derniers jours[21]. »

« L’empire des Chaldéens, dit-il encore, tend au néant. L’aigle viendra, comme dit la sibylle Erythrée, léopard par la férocité, renard par la fraude, lion par la terreur. Sous prétexte de réprimer les patarins, il marche traitreusement contre l’église, et malgré la résistance de l’Italie, malgré les anathèmes de l’église, il satisfait sa rage. Quels seront les maux qui pèseront alors sur la Ligurie et sur toute l’Italie, il sera plus facile de le sentir que de le dire. Sous l’effort des Germains et des Francs, toute la noblesse romaine périra ; le pontife sera banni, les monastères seront renversés, le culte chrétien sera effacé de la terre. »


La France n’excite pas moins les appréhensions du prophète ultramontain :


« Que l’église y prenne garde ! L’alliance de la France est un roseau qui perce la main de celui qui s’y appuie[22]. »


Sans doute les personnes les mieux disposées à reconnaître en Joachim le don prophétique admettront difficilement qu’il ait pu partager à un si haut degré les passions d’un siècle dont il n’a vu que les premières années. Une dernière preuve suffirait, s’il en était besoin, pour démontrer notre thèse. L’ouvrage dont nous parlons est dédié à Henri VI, qui mourut en 1197 : il a dû par conséquent être composé avant cette époque. Or, dans la liste de ses écrits dressée en 1200, Joachim ne fait aucune mention du « Commentaire sur Jérémie. »

Le « Commentaire sur Jérémie » doit certainement être considéré comme une production de l’école sortie de l’ordre de Saint-François qui, ainsi qu’on le verra bientôt, chercha vers le milieu du XIIIe siècle à se prévaloir du nom de Joachim pour faire triompher ses doctrines. Les idées des joachimites franciscains s’y retrouvent à chaque page. L’année 1260, conformément aux théories de cette école, est donnée comme le terme de la grande affliction, qui clora le règne du Christ et ouvrira celui du Saint-Esprit[23]. Les allusions aux deux grands ordres mendians, dont on voulait que Joachim eût annoncé l’institution future, reviennent fréquemment. Enfin, comme si le parti qui prêtait ses opinions à Joachim eût craint que des pensées exprimées d’une façon énigmatique n’atteignissent pas suffisamment le but qu’il se proposait, quelques adeptes de ce parti prirent soin d’expliquer les passages obscurs dans un opuscule qui nous a été conservé, au no 836 de Saint-Germain, sous ce titre : Verba quœdam de dictis Joachim abbatis explanativa super Jeremiam. Là chaque anathème porte son adresse, et à chaque menace est appliqué un nom propre.

Notre démonstration sera portée au comble de l’évidence quand on verra la place importante que tiennent ces productions apocryphes dans l’école de l’Évangile éternel. La Chronique récemment publiée[24] de frà Salimbene, franciscain du XIIIe siècle, nous fournit à cet égard de précieuses lumières. Le commentaire de Joachim sur Jérémie y est souvent cité. Salimbene en eut pour la première fois connaissance en 1248[25]. La brouille irréconciliable de Frédéric II avec le parti italien et pontifical ayant commencé vers 1239, l’époque de la rédaction du « Commentaire sur Jérémie » est ainsi fixée entre des limites assez étroites.

On a imprimé plusieurs fois à Venise et on trouve dans quelques manuscrits[26] sous le nom de Joachim des commentaires sur Isaïe, Ezéchiel, Daniel et les petits prophètes. Ces ouvrages prêteraient aux mêmes observations que le commentaire sur Jérémie. On ne peut croire qu’en deux ou trois années Joachim ait composé tant d’écrits. Les anachronismes et les traces de supposition s’y retrouvent d’ailleurs fréquemment.

Il faut ranger dans la même classe les commentaires attribués à Joachim sur les prophéties de Merlin et de la sibylle Erythrée, dédiés également à Henri VI. On peut les lire dans le no 3319 de l’ancien fonds, et en partie dans le no 865 de Saint-Victor. Ces textes, très peu arrêtés, se découpaient selon le caprice des compilateurs, et il est difficile d’en fixer l’identité. Ainsi le no 3319 contient à la suite l’une de l’autre deux rédactions différentes de notre commentaire. Il est remarquable du reste que Merlin et la sibylle Erythrée sont souvent cités dans le « Commentaire sur Jérémie ». Ici encore les idées franciscaines éclatent à chaque instant. Frà Salimbene a connu toutes ces prophéties apocryphes et les rapproche du « Commentaire sur Jérémie »[27].

Le De oneribus prophetarum est encore adressé à Henri VI, et porte les mêmes caractères de supposition. Il se trouve dans les manuscrits 3595 de l’ancien fonds, 836 de Saint-Germain et 865 de Saint-Victor (incomplet). Il est clair qu’il y eut chez les faussaires une intention arrêtée de dédier ces pièces apocryphes à Henni VI, pour leur donner un air d’authenticité. Ajoutons que les épîtres dédicatoires sont d’une telle inconvenance et pleines de menaces si injurieuses que le ton seul suffirait pour en démontrer la fausseté[28].

Le De oneribus provinciarum est un ouvrage distinct du précédent. Je ne l’ai trouvé que dans le no 836 de Saint-Germain[29]. C’est un très curieux livre, où l’auteur range par provinces toutes les villes du monde dont il connaît le nom, et prononce sur chacune d’elles un mot prophétique. Indépendamment de l’intérêt d’un pareil ouvrage pour la géographie, on y trouve une foule de renseignemens historiques sur les affaires de la première moitié du XIIIe siècle. L’auteur est dominé par les mêmes préoccupations que le commentateur de Jérémie. L’animosité contre la maison des Hohenstaufen se révèle sans cesse. La Sicile est le foyer de la tyrannie et de l’erreur (alumpna tyrannidis et erroris) ; la Calabre est la caverne des roitelets, le trou des vipères[30]. L’Ombrie et l’Espagne verront s’élever, comme deux étoiles, deux ordres destinés à prêcher l’Evangile du royaume, vêtus de sacs et de cilices. Le diable suscitera contre eux une bête féroce ; c’est la secte des patarins[31].

Dans les n° 58 de Saint-Germain (avant-dernier feuillet) et 3595 de l’ancien fonds, fol. 22, se trouve joint à d’autres ouvrages de Joachim un opuscule sans titre et sans nom d’auteur, sous forme de tableau synoptique, et commençant par ces mots : Helyas jam venit, et non cognoverunt cum. C’est l’exposé de toute la philosophie de l’histoire de Joachim rapportée symboliquement à l’ouverture des sept sceaux de l’Apocalypse. Frà Salimbene le cite sous le titre de « Livre des Figures »[32]. On peut l’identifier aussi au De septem sigillis, mentionné par Trithème et par d’autres comme un ouvrage de Joachim. La fin du Nouveau Testament y est fixée à l’an 1260. Alors apparaîtra Élie, et l’église romaine, qui aura été détruite par l’empereur, sera rétablie ; Le dernier pape nommé dans cet opuscule est Innocent III, qui régna de 1198 à 1216. L’auteur ne semble cependant employer aucun artifice pour faire croire qu’il est Joachim.

Frà Salimbene déclare avoir reçu, à Hyères, du grand joachimite Hugues de Digne, et avoir copié à Aix, pour Jean de Parme, un commentaire de Joachim sur les quatre Évangiles[33]. Je n’ai trouvé nulle part aucune autre trace de cet écrit[34], certainement supposé.

La Glose sur les Prophéties de Cyrille, imprimée à Venise en 1517, et dont il existe plusieurs manuscrits, est aussi une œuvre évidemment apocryphe. Les prophéties sur les papes, attribuées à Joachim, qui jouirent au moyen âge d’une si grande popularité, méritent encore moins d’être discutées. Une fois le rôle de prophète attribué à l’abbé de Flore, son nom devint le couvert à l’abri duquel se placèrent ceux que l’enthousiasme et la politique engagèrent à prédire l’avenir. Un même sentiment paraît inspirer les auteurs de ces singulières compositions et donne une grande unité aux œuvres apocryphes de Joachim : c’est la haine de la cour de Rome assimilée à la courtisane de l’Apocalypse, du pape identifié avec l’ante-christ, de l’empereur présenté comme l’oppresseur de l’Italie. Tout décèle la main d’une secte dominée par une pensée de réforme profonde et de révolte avouée contre l’église. Il nous suffit pour le moment d’avoir établi qu’on ne saurait faire remonter la responsabilité de ces productions bizarres jusqu’à l’abbé de Flore, et d’avoir prouvé que trois grands ouvrages, savoir : la « Concorde du Vieux et du Nouveau Testament », — « l’Exposition de l’Apocalypse », le « Psaltérion décacorde » et quelques lettres ou traités d’importance secondaire méritent seuls de porter le nom de Joachim.


III. — L’ÉCOLE FRANCISCAINE EXALTÉE. JEAN DE PARME.

La discussion à laquelle nous venons de soumettre les écrits du prophète calabrais suffirait pour prouver qu’aucun des ouvrages authentiques ou apocryphes qui figurent sous son nom ne portait le titre d’Évangile éternel. Si des savans tels que Tillemont, Crevier, d’autres encore, ont supposé que Joachim avait composé un ouvrage ainsi nommé, cela vient d’une confusion que nous expliquerons bientôt. Il paraît même que Joachim ne s’avoua jamais bien clairement l’idée séditieuse qu’on lui prêta plus tard. Le quatrième concile de Latran (1215), tout en condamnant l’opposition qu’il fit à Pierre Lombard sur un point de métaphysique, reconnaît la soumission du saint abbé à l’église et sa parfaite docilité.

Joachim n’eût donc pas dépassé le renom d’un théologien de second ordre et d’un exégète aventureux, sans une fortune inespérée qui vint relever son nom et l’attacher à l’une des tentatives les plus hardies dont l’histoire des réformateurs chrétiens ait conservé le souvenir.

On n’a pas encore assez montré toute la signification historique de l’ordre de Saint-François. L’institution monacale, qui a surtout préoccupé les historiens des ordres religieux, l’incomparable élan poétique, qui a surtout frappé les hommes d’imagination et de goût, n’ont point permis d’apprécier à leur juste valeur les aspirations politiques et sociales qui se cachaient sous ce mouvement en apparence purement ascétique. Le fait est que, depuis les premiers jours du christianisme, on n’avait jamais osé concevoir de telles espérances. Le livre des Conformités, de Barthélemi de Pise, n’est pas une œuvre isolée ; c’est le manifeste tardif de la plus secrète pensée de l’ordre. Le but de saint François ne fut pas d’ajouter une règle nouvelle à la liste déjà longue des règles monastiques ; son but fut de réaliser l’idéal chrétien, de montrer ce qui pouvait sortir du discours sur la montagne pris à la lettre comme loi de la vie. Au fond de la tentative franciscaine, il y avait l’espérance d’une réforme générale du monde, d’une restauration de l’Évangile. On admettait que pendant douze cents ans l’Évangile n’avait pas été bien pratiqué, que le précepte essentiel de Jésus, le renoncement aux biens terrestres, n’avait pas été compris ; qu’après des siècles de veuvage la Pauvreté avait enfin retrouvé un époux[35]. N’était-ce pas avouer que la naissance de François d’Assise avait été l’ouverture d’une ère nouvelle pour le christianisme et pour l’humanité ?

Ces prétentions audacieuses, dominées chez le fondateur par une grande tendresse mystique et par un tact souvent très fin, ne se dévoilèrent que peu à peu ; mais la pensée que la sainteté est tout entière dans le renoncement à la propriété devait porter ses fruits. Quand on soutenait que l’homme a le droit de chercher une perfection plus élevée que celle dont l’église a le secret, ne disait-on pas assez clairement que l’église allait finir pour faire place à la société qui enseignait cette nouvelle perfection ? Du vivant même du fondateur, et surtout au premier chapitre tenu après sa mort, deux partis se manifestèrent dans l’ordre. Les uns, incapables de soutenir l’entreprise surhumaine qu’avait rêvée le sublime mendiant, et plus sages selon la chair que ne le voulait l’esprit de l’institut séraphique, croient que la rigueur primitive de la règle est au-dessus des forces de l’homme, que cette règle admet des adoucissemens, que le pape peut en dispenser. Les autres soutiennent avec une surprenante audace que l’œuvre de saint François n’a pas encore donné tous ses fruits, que cette œuvre est supérieure au pape et à l’église de Rome, que la règle est une révélation qui ne dépend que de Dieu. Au fond de leur cœur était, sans qu’ils l’avouassent, cette croyance, que l’apparition de François n’était ni plus ni moins que l’avènement d’un second Christ, aussi grand que le premier, supérieur même par la pauvreté. De là cette étrange légende où le séraphin d’Assise, égalé en tout au Christ, est mis au-dessus de lui, parce qu’il n’a rien possédé en propre, pas même les choses qui se consomment par l’usage. De là enfin cette prétention hautement avouée, que l’institut de Saint-François était destiné à absorber tous les autres ordres, l’église universelle elle-même, et à devenir la forme définitive de la société humaine à la veille de finir.

Ces idées exaltées, comprimées par le bon sens et aussi par l’esprit assez terrestre de la majorité, étaient le secret d’un petit nombre, lorsque l’élection de Jean Borelli ou Buralli à la dignité de général, vingt et un ans après la mort du patriarche d’Assise, en 1247, amena un éclat et donna un nom définitif à la doctrine nouvelle. Jean Duralli, né à Parme vers 1209, était le représentant le plus décidé du parti qui, voulant l’accomplissement littéral des révélations de l’Alvernia, ne reculait pas devant les applications sociales les plus exagérées du principe de la pauvreté. Il rejetait toutes les interprétations de la règle, même celles qui avaient été proposées par des docteurs et sanctionnées par des papes. Persuadé que dans l’institution de Saint François était renfermé l’avenir de l’église et du genre humain, il conçut le projet de relever la pensée du fondateur, que la mollesse des disciples avait laissé tomber dans l’oubli. Le commencement de son généralat fut une sorte de retour à l’idéal franciscain le plus pur. La règle fut partout remise en vigueur. Il était arrivé dans le sein de l’ordre d’Assise ce qui se passe à l’origine de toutes les religions. Les vrais disciples du fondateur, les saints, les austères, étaient devenus vite un embarras ; dans les années qui suivirent la mort de François, les héritiers de son esprit avaient été presque tous exilés ou emprisonnés ; un ou deux furent même assassinés. Jean de Parme rappela les saints bannis. La légende de François fut reprise et embellie[36]. On supposa un testament dicté, disait-on, par François stigmatisé, et qui renchérissait encore sur les prescriptions de la règle. Par sa haute piété, par son mépris des grandeurs terrestres, par son aversion pour l’éclat mondain des dignités ecclésiastiques, Jean de Parme rendit durant quelque temps aux zélés de l’ordre l’image vive de leur saint fondateur ; les neuf années que dura son généralat furent le règne d’une coterie pieuse que nous connaissons à merveille depuis que les mémoires de l’un des affiliés, le naïf et aimable frà Salimbene, ont été livrés au public[37]. Joachim était après François d’Assise l’oracle de cette petite école. Ses écrits y étaient avidement lus et copiés avec ardeur. L’abbé de Flore, qui n’avait laissé en Calabre que des disciples inconnus, trouvait ainsi dans un autre ordre une famille dévouée et d’ardens continuateurs.

Nous sommes ici certainement à l’origine de l’Évangile éternel. Déjà au XIVe siècle le dominicain Nicolas Eymeric, dans son Directorium inquisitorum, désigne Jean de Parme comme l’auteur du livre dont il s’agit, et ce sentiment est resté celui de presque tous les critiques et historiens ecclésiastiques. Les efforts désespérés tentés par les auteurs de l’histoire littéraire des franciscains, Wadding et Sbaraglia, pour écarter d’un supérieur de leur ordre la tache d’hérésie, n’ont pu obscurcir une vérité dont la certitude va jusqu’à l’évidence[38]. Pourtant une foule de questions restent encore à résoudre. Le livre de l’Évangile éternel existe-t-il dans les collections de manuscrits ? Quelle en était la nature ? Quelles furent dans la rédaction la part du maître et celle de son disciple Gérard de Borgo San-Donnino, qui, selon frà Salimbene, fut le seul auteur de l’ouvrage ? C’est ici que les documens inédits viennent jeter beaucoup de lumière. Nous espérons montrer que des fragmens de l’Évangile éternel et les pièces de la procédure dont il fut l’objet sont venus jusqu’à nous.


IV. — DOCUMENS ORIGINAUX QUI SERVENT À ÉCLAIRCIR LA QUESTION DE l’ÉVANGILE ÉTERNEL.

Ces documens sont conservés dans deux manuscrits de la bibliothèque de l’ancienne Sorbonne, maintenant à la Bibliothèque impériale (fonds de Sorbonne, n° 1726, XIVe siècle, 1706, XVe siècle), et dans un manuscrit ayant autrefois appartenu au collége de Navarre, maintenant à la bibliothèque Mazarine (n° 391, XVe siècle). Ces manuscrits ne sont pas restés entièrement inconnus aux critiques. Les deux savans dominicains, Quélif et Échard, qui se livrèrent à un dépouillement minutieux des manuscrits de la Sorbonne, avaient cité un passage tiré du n° 1726, incidemment il est vrai, à l’article de Hugues de Saint-Cher[39]. M. Daunou eut connaissance du fragment cité par Quétif et Échard, et en fit usage dans son excellent travail sur Jean de Parme ; mais il ne recourut pas au manuscrit original. M. Victor Le Clerc aperçut immédiatement l’importance des documens contenus dans ce manuscrit et le parti qu’on en pouvait tirer. Le n° 1706, bien moins complet que le n° 1726, fut employé par l’évêque de Tulle, Du Plessis d’Argentré, pour sa grande compilation : Collectio judiciorum de novis erroribus (tome Ier, Paris 1724). M. Hauréau l’a repris et examiné. Quant au manuscrit actuellement déposé à la bibliothèque Mazarine, j’en dus l’indication au savant M. Taranne, qui l’avait décrit en vue du catalogue commencé par lui des manuscrits de ladite bibliothèque.

Les pièces relatives à l’Évangile éternel contenues dans ces trois manuscrits sont au nombre de quatre.

I. — Dans le n° 1726 de Sorbonne, et seulement dans ce manuscrit[40], se trouve un écrit portant pour titre : Exceptiones librorum viri eruditissimi venerabilis Joachim, primi Florentium abbatis, de pressuris seculi et mundi fine et signis et terroribus et ærumnis, seu etiam de pseudo-christis et pseudo-prophetis, quorum plura scripta sunt in divinis sermonibus, sed idrirco non omnibus clara, quia multis sunl nodis perplexa et occultis mysteriis. Quæ omnia spiritualiter intellecta ostendunt nobis multa quæ futura sunt novissimis diebus, laboriosos scilicet rerum fines et, post multos et magnos agones et certamina, pacem victoribus impertiri.

L’ouvrage continue ainsi pendant soixante-dix-huit feuillets et se termine brusquement sans explicit ni conclusion. C’est un extrait des ouvrages authentiques ou apocryphes de Joachim, sans aucune glose du compilateur[41]. L’intention qui a présidé à la composition de ce recueil est évidente. On a voulu resserrer sous un petit volume toute la doctrine de l’abbé Joachim. Nous aurons à examiner si la compilation contenue dans notre manuscrit peut être identifiée avec quelqu’un des écrits qui jouèrent un rôle dans l’affaire de 1254.

II. — Le second document, qui se trouve dans les trois manuscrits cités, est l’extrait des propositions condamnables trouvées dans le livre intitulé Introductorium in Evangelium æternum par la commission de cardinaux que le pape Alexandre IV nomma en 1255 pour examiner ledit ouvrage. Ce document a été publié par Du Plessis d’Argentré d’après le manuscrit 1706 de Sorbonne[42], qui est le moins bon des trois. L’édition de d’Argentré offre des lacunes qui portent sur des passages importans, en particulier sur les renvois très précis que font les censeurs pontificaux au texte de l’Introductorium. Nous donnerons en note le texte original toutes les fois qu’il sera nécessaire pour compléter celui de d’Argentré[43]. Dès à présent, il importe de relever un passage capital omis par le savant évêque. « Au XIIe chapitre, vers la fin, on lit ces mots : …Jusqu’à cet ange qui eut le signe du Dieu vivant[44] et apparut vers l’an de l’incarnation 1200, ange que frère Gérard reconnaît n’être autre que saint François[45]. » Ce Gérard est sûrement Gérard de Dorgo San-Donnino, à qui Salimbene attribue le rôle principal dans l’affaire de l’Évangile éternel.

III. — Après cette énumération d’erreurs vient, dans le manuscrit de Sorbonne 1726 (fol. 91 v.) et dans le manuscrit de la Mazarine (fol, 86 v.), un procès-verbal étendu d’une des séances de la commission d’Anagni. Cette pièce, ne se trouvant pas dans le n° 1706, a échappé à d’Argentré ; elle est tout à fait inédite.


« L’an du seigneur 1255, le 8 des ides de juillet, à Anagni, devant nous, Eudes, évêque de Tusculum[46], et frère Hugues, cardinal prêtre[47], commissaires nommés par le pape, ainsi que le révérend père Etienne[48], évêque de Préneste, qui s’est fait excuser par son chapelain, et nous a remis ses pouvoirs pour cette affaire, a comparu maître Florent, évêque d’Acre[49], qui nous a soumis quelques passages tirés des livres de Joachim qui lui paraissaient suspects Et pour l’examen de ces passages, nous nous adjoignîmes deux autres personnes, savoir frère Bonvalet, évêque de…[50], et frère Pierre, lecteur des frères prêcheurs d’Anagni, dont l’un tenait les livres originaux de Joachim de Flore et vérifiait devant nous si les citations que ledit évêque d’Acre lisait ou faisait lire par notre greffier se trouvaient en effet dans les susdits livres. Il commença ainsi :

« D’abord il faut noter le principe fondamental de la doctrine de Joachim : il consiste à distinguer trois états dans l’histoire de ce monde ; c’est ce qu’il fait au IVe chapitre du IIe livre qui commence par ces mots : Intelligentia vero illa, disant : Aliud tempus fuit in quo vivebant homines secundum carnem, etc[51]. »

Ce qui suit se compose principalement d’une série de passages tirés des ouvrages authentiques de Joachim, c’est-à-dire de la « Concorde », de l’Apocalypsis nova ou Liber introductorius in Aporalypsim, et du « Psaltérion décacorde », avec la critique des propositions malsonnantes qui s’y rencontrent. De temps en temps on trouve des citations d’un commentateur de Joachim nommé frater Gerardus[52], qui n’est autre que Gérard de Borgo San-Donnino, dont nous avons déjà trouvé le nom dans le second document ci-dessus mentionné. Nous tirerons plus tard les conséquences de tout ceci.

IV. — Le quatrième document ne se trouve que dans le no 1706 de Sorbonne. D’Argentré l’a publié d’après ce manuscrit avec quelques fautes et omissions[53]. C’est une nouvelle énumération des erreurs contenues dans l’Evangile éternel, erreurs identiques à celles qui sont attribuées par Nicolas Eymeric à Jean de Parme[54] ; mais Nicolas Eymeric se contente d’énoncer les erreurs sans dire d’où elles sont tirées, tandis que notre manuscrit fournit à cet égard des indications importantes. Usserius et après lui Meyenberg[55] ont reproduit d’après la chronique de Henri de Herwerden un texte semblable à celui de notre manuscrit, beaucoup moins correct en général, mais plus complet vers la fin. Au lieu de s’arrêter, en effet, comme le texte de d’Argentié, aux erreurs tirées du quatrième livre de la seconde partie, le texte de Meyenberg distingue deux traités dans ce quatrième livre[56], donne les erreurs de l’un et de l’autre, puis passe au cinquième livre, et y distingue quatre traités, un traité de septem diebus, un autre de Jobo, un troisième de Joseph et pincerna cui somnium apparuit, un quatrième de generibus, videlicet Israeliticis, Ægyptiacis, Babyloniis.


V. — LE LIVRE DE L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

Après avoir indiqué les textes sur lesquels j’ai l’intention d’appuyer mon argumentation, il me reste à en tirer les conséquences. Quelle idée peut-on se faire du livre intitulé Évangile éternel ? — Ce livre était-il distinct de l’Introduction à l’Évangile éternel ? — Ce second ouvrage existe-t-il encore ? — L’ouvrage de Gérard qui est cité dans le procès d’Anagni est-il identique à l’Introduction à l’Évangile éternel ? — Dans quelle relation étaient tous ces ouvrages avec les livres mêmes de l’abbé Joachim ? — À quelle date ont-ils été composés ?

Les embarras que présentent des questions en apparence aussi simples ne doivent pas nous surprendre. Il n’est pas de questions historiques plus difficiles à résoudre que celles où l’on cherche à retrouver dans le passé des catégories créées par l’esprit moderne. Les scrupules d’une bibliographie exacte n’existaient guère au moyen âge. L’individualité rigoureuse du livre est une idée récente. La typographie elle-même, qui devait opérer à cet égard un changement si profond, ne modifia que lentement les habitudes du public.

La composition et la forme de « l’Evangile éternel » nous sont clairement révélées par le rapport des cardinaux d’Anagni (la deuxième des pièces énumérées ci-dessus). Il y est dit en propres termes[57] que « l’Évangile éternel » était divisé en trois parties et formé par la réunion des trois ouvrages authentiques de l’abbé Joachim, savoir la « Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament, » formant le premier livre ; « l’Apocalypse nouvelle[58] » formant le second ; le « Psaltérion décacorde, » formant le troisième. Les parcelles que nous avons des notes de Gérard supposent la même chose. Gérard, en effet, a pour habitude de désigner Joachim par ces mots : ille qui fuit minister hujus operis. Une curieuse note marginale du manuscrit de la bibliothèque Mazarine, qui a appartenu au collège de Navarre, est conçue dans le même sens[59]. Cette note attribue formellement à Joachim un livre intitulé Evangelium œternum, distinct de l’Introductorium in Evangelium œternum, et elle indique sa place dans la bibliothèque du collège de Navarre. Il y avait donc encore au XIVe siècle et au XVe des manuscrits où les trois écrits de Joachim étaient réunis et portaient le titre commun d’Evangelium œternum. De semblables manuscrits devaient être un fruit du mouvement de 1254, puisque nous avons vu que Joachim lui-même ne donna jamais ce titre ni à aucun de ses écrits ni à la collection de ses écrits. Je ne crois pas que dans aucune bibliothèque il existe aujourd’hui un manuscrit ainsi intitulé.

Le quatrième document énuméré ci-dessus, malgré une contradiction apparente, confirme le résultat auquel nous venons d’arriver touchant la composition de « l’Évangile éternel, » et prouve que ce n’était pas là seulement une vue personnelle des commissaires d’Anagni. Nous y trouvons en effet que « l’Evangile éternel » proprement dit contenait au moins deux parties. La première s’appelait Prœparatorium in Evangelium œternum, la seconde s’appelait Concordia Novi et Veteris Testamenti ou Concordia veritatis, et était divisée en cinq livres. Il est évident que l’auteur de ce document aura considéré l’Introductorium ou Prœparatorium in Evangelium œternum, qui ailleurs est distinct de « l’Évangile éternel, » comme un premier livre de ce même « Évangile éternel. » La « Concorde » se trouve ainsi n’être plus que le second livre. S’il n’est pas ici question de « l’Apocalypse » et du « Psaltérion decacorde, » c’est sans doute parce qu’on jugeait ces parties moins importantes, ou parce qu’elles ne faisaient que répéter les erreurs du Prœparatorium et de la Concordia. Mais ce qui prouve invinciblement que notre hypothèse est véritable, c’est : 1° que les erreurs données dans le quatrième document comme extraites de la première partie de l’Évangile éternel, intitulée Prœparatorium in Evangelium œternum, sont identiques à celles que nous avons trouvées dans le rapport des cardinaux d’Anagni comme extraites de l’Introductorium in Evangelium œternum ; 2° que les erreurs données par le quatrième document comme extraites de la seconde partie de « l’Évangile éternel » sont bien réellement extraites du livre de la (i Concorde » de Joachim, dont l’ordre et les divisions sont suivies de point en point. Il n’y a là qu’une simple différence d’arrangement. Nous adopterons comme préférable la division suivie par la commission d’Anagni.

Il reste donc tout à fait acquis que « l’Évangile éternel » proprement dit n’était autre chose que la réunion des trois principaux écrits de Joachim, et par conséquent que « l’Introduction à l’Évangile éternel » en était distincte, bien qu’on l’y réunît quelquefois comme un premier livre. Cette distinction résulte avec évidence du rapport de la commission d’Anagni. Nous y voyons en effet que les cardinaux avaient entre les mains un ouvrage intitulé : Introductorium in Evangelium œternum, qui avait été adressé au pape par l’évêque de Paris ; nous y apprenons en outre que cet ouvrage était simplement divisé en chapitres et non en livres ; enfin c’est d’après cet ouvrage que les cardinaux concluent que « l’Evangile éternel » proprement dit était formé par la réunion des trois ouvrages de Joachim. Voici une nouvelle preuve de la même distinction. Ce même Florent, évêque d’Acre, qui remplit les fonctions de promoteur dans la commission d’Anagni, devenu ensuite archevêque d’Arles, présida vers 1260 un concile où il condamna de nouveau les erreurs de Joachim. Or il résulte du discours qu’il tint à ce concile que l’assemblée d’Anagni voulut condamner des opuscules qu’on répandait sous le titre « d’Évangile du Saint-Esprit » et « d’Évangile éternel, » et non les ouvrages mêmes de Joachim, qui étaient restés jusque-là peu lus et non discutés[60]. Enfin frà Salimbene appelle l’ouvrage de son ami Gérard « un petit livre, ». libellum[61]. Malheureusement, embarrassé pour l’honneur de son ordre de toute cette affaire, il évite de nous donner le titre exact de l’opuscule de Gérard.

L’idée que nous sommes amené d’après ces renseignemens à nous former de « l’Introduction à l’Évangile éternel » est celle d’un livre destiné à résumer la doctrine de Joachim et à la faire revivre au profit des idées franciscaines. Toutefois le peu de précision que le moyen âge portait en bibliographie amena sur ce point beaucoup de méprises. Presque toujours le nom ( « ’Évangile éternel » fut appliqué à « l’Introduction ». Nous venons d’en avoir la preuve dans les paroles de l’archevêque Florent au concile d’Arles. Matthieu Paris et Guillaume de Saint-Amour commettent la même confusion, le premier quand il dit que les frères composèrent un livre qui commençait par ces mots : Incipit Evangdium œternum, livre qu’il appelle un peu plus loin : Novus ille liber quem Evangelium œternum nominant[62] ; le second, quand il cite comme de « l’Évangile éternel » des mots qui ne se trouvent pas, du moins avec la même intention, dans les ouvrages de Joachim[63]. Nicolas Eymeric[64] présente comme extraits de « l’Evangile éternel » les erreurs que la commission d’Anagni relève dans le Liber introductorius. Enfin le bibliothécaire de la maison de Sorbonne qui a ajouté au XIVe siècle diverses notes à la fin du n° 1726 a commis sans le moindre souci la même confusion.

Il faut avouer que les documens d’Anagni ne disent pas avec toute la clarté désirable que Gérard soit l’auteur de « l’Introduction à l’Évangile éternel. » Le premier document d’Anagni présente « l’Introduction à l’Évangile éternel » comme un livre composé d’un texte suivi et divisé en chapitres. À propos de ce livre, les cardinaux citent bien une opinion de frère Gérard, mais sans dire si cette note se trouve dans l’ouvrage même, ni si frère Gérard est l’auteur de cet ouvrage. Ailleurs ils disent vaguement : Scriptor hujus operis[65], et ils l’accusent de se faire passer pour un des douze anges de saint François, envisagé comme un second Christ[66]. Le second document d’Anagni, qui n’est plus relatif à « l’Introduction », cite toujours les ouvrages de Joachim d’après leurs divisions propres, et mentionne comme distinctes les notes de Gérard. Ce qui résulte de là avec le plus de vraisemblance, c’est que deux ouvrages furent censurés par la commission d’Anagni : d’abord, l’Introductorium, texte suivi composé par Gérard en second lieu, une sorte de nouvelle édition, ou, si l’on veut, une série d’extraits des trois ouvrages authentiques de Joachim, avec des notes de Gérard[67], soit à la marge soit dans le texte même. C’est ce dernier livre que tenait à la main maître Florent, le promoteur de la commission, et dans lequel il lisait. Les deux lecteurs-adjoints, au contraire, frère Bonvalet et frère Pierre d’Anagni, tenaient les œuvres mêmes de Joachim, vérifiaient les citations et distinguaient ce qui appartenait à Joachim de ce qui appartenait à Gérard. Quelquefois, en effet, les procès-verbaux d’Anagni semblent donner les paroles des deux auteurs comme indivises. Un accord parfait existe, du reste, entre les idées contenues dans les notes de Gérard citées par la commission d’Anagni et les idées du Liber introductorius. Toutes ces notes sont écrites dans le sens de Jean de Parme et de la fraction exaltée de l’ordre de Saint-François. L’antipathie contre la papauté temporelle, la haine contre le clergé riche, la croyance que l’abomination finale viendrait d’un pape mondain et simoniaque, la fixation de cette date fatale à l’an 1260, la croyance que l’apparition de l’antechrist est proche et qu’il s’élèvera de Rome, saint François désigné comme le rénovateur du siècle et Joachim présenté comme son précurseur, ce sont là autant de traits qui appartiennent, à n’en pas douter, à l’école qui, vers le milieu du XIIIe siècle, releva le nom de Joachim pour appuyer ses projets de réforme sociale et religieuse. Plusieurs des propositions de cette école relevées par Salimbene[68] et par Jean de Meung[69] se retrouvent textuellement dans les fragmens de Gérard dont nous devons la conservation aux rapporteurs d’Anagni.

Quant à la part respective de Jean de Parme et de Gérard dans la composition de l’Introductorium, nos documens ne disent rien à cet égard. Le passage où « l’auteur » se met au nombre des douze anges de saint François conviendrait mieux à Jean de Parme qu’à Gérard. Les rapports ne nomment que Gérard, sans doute parce que l’on voulut ménager le général des franciscains. Salimbene, de son côté, fait tout peser sur Gérard, et met beaucoup d’affectation à montrer comment l’ordre a su punir de tels écarts[70]. Il ne peut nier cependant que Jean de Parme n’ait été joachimite décidé, et ne se soit créé par de telles opinions beaucoup de difficultés[71]. Plus tard, Nicolas Eymeric, en sa qualité de dominicain, n’ayant plus les mêmes motifs de réserve, met purement et simplement sous le nom de Jean de Parme la liste d’erreurs qui constituait la doctrine de « l’Évangile éternel. » Certainement Jean de Parme fut en un sens l’apôtre et le principal interprète des doctrines qui cherchaient à s’autoriser du nom de l’abbé Joachim. Toutefois rien n’autorise à croire que Jean de Parme ait participé directement à la rédaction du livre poursuivi de tant d’anathèmes. À l’égard de Gérard de Borgo San-Donnino, les preuves sont positives. Frà Salimbene, son confrère, son compatriote et son ami, l’accuse à plusieurs reprises d’avoir composé un livre déplorable en falsifiant la doctrine de Joachim[72], et il raconte les redoutables disgrâces qui l’atteignirent sans fléchir son opiniâtreté. Affò, qui le premier connut ce texte capital, alors inédit, et après lui Sbaraglia et Tiraboschi se sont rangés avec raison à l’autorité péremptoire de frà Salimbene.

Il résulte de tout ce qui précède que nous avons le texte de ce qu’on appelait proprement « l’Évangile éternel » dans les trois principaux ouvrages authentiques de Joachim. Quant aux notes de Gérard, elles sont très probablement perdues sans retour, à l’exception des fragmens qui nous ont été conservés par l’acte d’accusation de la commission d’Anagni. À plus forte raison, doit-on désespérer de retrouver jamais le texte complet de l’Introductorium. La rigueur avec laquelle les livres hétérodoxes étaient proscrits au moyen âge explique une telle disparition. Plusieurs années après la condamnation de 1255, Salimbene vit un exemplaire sur papier de l’ouvrage de Gérard, lequel avait été copié à Rome par un notaire d’Imola. Le gardien du couvent vint le consulter comme ancien joachimite sur la valeur de cet écrit. Salimbene eut peur, craignit peut-être quelque piège, et dit qu’il fallait sur-le-champ brûler le volume ; ce que l’on fit[73].

Comme le volume que tenait maître Florent avait pour texte principal une suite d’extraits des écrits de Joachim, on peut se demander si la compilation contenue dans le n° de Sorbonne 1726, du fol. 1 au fol. 78 (le premier document indiqué ci-dessus), ne doit pas être identifiée avec ce livre mystérieux. Mais les notes de frère Gérard, telles qu’on les trouve dans les actes de la commission d’Anagni, na se lisent pas dans notre manuscrit. On trouve seulement à la marge de courtes scolies, destinées à faire remarquer les principales idées de Joachim, précisément celles sur lesquelles Gérard insistait de préférence. Une difficulté bien plus grave, c’est que, parmi les extraits que tenait maître Florent, il n’y avait de citations que des trois grands ouvrages authentiques de Joachim, tandis que dans notre manuscrit les commentaires apocryphes sur Jérémie, sur Ezéchiel et le De oneribus provinciarum tiennent une place importante. Il faut remarquer du reste que la compilation contenue dans notre n° 1726 semble faite parfois un peu au gré du copiste : il y a des blancs, des reprises[74]. On ne peut pas l’identifier avec l’édition donnée par Gérard. Nous croyons que, parmi les écrits joachimites qui nous ont été conservés, celui qui se rapproche le plus de l’ouvrage de Gérard est l’opuscule commençant par Helias jam venit, mentionné ci-dessus, p. 104.

À quelle date fixer la composition du Liber introductorius in Evangelium œternum ? Le quatrième document mentionné ci-dessus nous donne à cet égard l’indication la plus précise. Une des erreurs qu’on relève dans le Liber introductorius est de fixer le commencement du règne du Saint-Esprit à un terme de six années, à l’année 1260[75], ce qui reporte la composition du livre à l’an 1254. C’est aussi la date précise assignée par Guillaume de Saint-Amour[76], et bien connue de tous les savans qui ont traité des affaires de l’université de Paris et de la cour romaine à cette époque[77].

En réunissant les principaux faits qui sortent de cette discussion, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1° L’Évangile éternel désigna dans l’opinion du XIIIe siècle une doctrine, censée de l’abbé Joachim, sur l’apparition d’un troisième état religieux qui devait succéder à l’Évangile du Christ et servir de loi définitive à l’humanité.

2° Cette doctrine n’est que vaguement exprimée dans les écrits authentiques de l’abbé Joachim. Joachim se contente de comparer l’Ancien et le Nouveau Testament, et ne jette que très timidement les yeux sur l’avenir.

3° Le nom de l’abbé Joachim fut relevé vers le milieu du XIIIe siècle par la fraction ardente de l’école franciscaine. On lui fit prédire la naissance de saint François et de son ordre ; on lui prêta à l’égard de François d’Assise un rôle analogue à celui de Jean-Baptiste à l’égard de Jésus ; enfin on donna à la doctrine qu’on lui attribuait le nom d’Evangile éternel.

4° Ce terme ne désignait pas, pour la plupart de ceux qui l’entendaient ou le prononçaient, un ouvrage distinct. C’était l’étiquette d’une doctrine, comme le mot des Trois imposteurs résumait l’incrédulité averroïste, sortie de l’étude des philosophes arabes et de la cour de Frédéric II.

5° Néanmoins, dans un sens plus précis, on donnait le nom d’Evangile éternel à la réunion des principaux ouvrages de Joachim.

6° Comme distincte de cette collection, il y eut une Introduction à l’Evangile éternel, ouvrage de médiocre étendue, qui fut composé ou du moins mis au jour par Gérard de Borgo San-Donnino en l’année 1254.

7° Cette Introduction était la préface d’une édition abrégée des œuvres de Joachim, accompagnée de gloses par Gérard. Ces deux écrits, compris sous le nom sommaire d’Évangile éternel, transmis par l’évêque de Paris au pape en 1254, furent l’objet des censures de la commission d’Anagni en 1255.

8° Le texte de l’Introduction à l’Évangile éternel semble perdu ; mais la doctrine nous en a été conservée, dans les actes de l’assemblée d’Anagni et dans les autres condamnations qui frappèrent l’Évangile éternel (Mss. de Sorbonne, 1706,1726 ; Bibl. Mazarine, 391). Quant aux notes de Gérard, il nous en reste quelques fragmens dans le second document d’Anagni.

Un exemple fera mieux comprendre les rapports de ces textes divers, et comment l’un est sorti de l’autre par amplification ou par interpolation. « Au chapitre VIII de l’Introduction à l’Evangile éternel, disent les cardinaux de la commission d’Anagni, l’auteur prétend que, de même qu’au commencement du premier état, sont apparus trois grands hommes, Abraham, Isaac et Jacob, dont le troisième, c’est-à-dire Jacob, a eu douze personnes à sa suite (ses douze fils), de même qu’au commencement du second état il y a eu trois grands hommes, Zacharie, Jean-Baptiste et le Christ homme-Dieu, qui semblablement a eu douze personnes à sa suite (les douze apôtres) ; de même au commencement du troisième état, il y aura trois grands hommes semblables aux premiers, savoir l’homme vêtu de lin, l’ange tenant la faux aiguë, et un autre ange ayant dans sa main le signe du Dieu vivant. Celui-ci aura pareillement à sa suite douze anges, comme Jacob en a eu douze dans le premier état, et le Christ douze dans le second. Que par l’homme vêtu de lin, continuent les cardinaux, l’auteur de cet écrit entende Joachim, c’est ce qui est prouvé parle chapitre XXI vers le milieu…, et par le chapitre XII, où nous trouvons ces mots : « Jusqu’à cet ange qui tient le signe du Dieu vivant, et qui apparut vers l’an 1200 de l’incarnation du Seigneur, ange, ajoutent les cardinaux, que frère Gérard reconnaît formellement n’être autre que saint François. »

Voilà une théorie claire, arrêtée, et qui ne pouvait se produire que vers le milieu du XIIIe siècle, au sein de l’école franciscaine exaltée. Que si nous ouvrons la « Concorde » de Joachim, nous y trouvons, au deuxième traité du livre Ier, le parallèle d’Abraham, Isaac et Jacob d’une part, — de Zacharie, Jean-Baptiste et Jésus d’autre part, — plusieurs fois répété, mais non exprimé avec autant de précision ; nulle trace surtout d’une triade future destinée à fonder un nouvel état religieux de l’humanité, triade dont Joachim ferait partie. En général, les vues de Joachim sur un troisième état devant succéder au Nouveau Testament, comme le Nouveau Testament a succédé à l’Ancien, sont très voilées et à peine indiquées[78]. La netteté qu’on prêta plus tard à sa doctrine sur ce point, ses prophéties sur l’institution des ordres mendians et sur le remplacement de la cléricature par un ordre qui devait marcher nu-pieds, la prédiction en un mot de l’Evangile éternel, tout cela fut le fait des joachimites du XIIIe siècle, lesquels, trouvant dans les idées de l’abbé de Flore sur le parallèle des deux Testamens une base commode pour leur théologie, adoptèrent ces idées et y ajoutèrent l’annonce d’une troisième révélation, dont Joachim aurait été le précurseur, saint François le messie, et dont eux-mêmes seraient les messagers.


VI. — LA DOCTRINE DE l’ÉVANGILE ÉTERNEL.

L’étude des documens confirme donc de point en point le récit de frà Salimbene. La doctrine de « l’Évangile éternel » arriva à un éclat public dans l’ordre de Saint-François sous le généralat et avec la protection plus ou moins avouée de Jean de Parme ; mais Jean de Parme n’écrivit rien sous ce titre. L’auteur du livre maudit fut Gérard de Borgo San-Donnino. Gérard et Jean de Parme eux-mêmes ne furent pas les inventeurs du système qui effraya la chrétienté en 1254. Depuis longtemps, le joachimisme avait pris racine chez les disciples ardens de saint François. Salimbene raconte[79] que, vers l’an 1240, un vieux saint abbé de l’ordre de Flore vint au couvent de Pise prier les religieux de prendre en garde les livres de Joachim que possédait son couvent. Ce couvent était situé entre Lucques et Pise, et il craignait, disait-il, de le voir pillé par Frédéric II. Les meilleurs théologiens du couvent de Pise se mirent à lire les livres apportés par le vieil abbé ; ils furent frappés des coïncidences que les prophéties de Joachim offraient avec les événemens du temps, et, laissant là la théologie, ils devinrent de fougueux joachimites. Il ne serait pas trop téméraire de supposer que les livres ainsi mystérieusement confiés aux franciscains de Pise étaient les écrits apocryphes de Joachim, tels que le commentaire sur Jérémie, lesquels furent justement composés vers ce temps[80]. L’enthousiasme n’entend pas la véracité comme le bon sens vulgaire ; il ne croit pas assujetti aux règles scrupuleuses de probité littéraire qui sont le propre des siècles de critique et de réflexion. Persuadé de la vérité supérieure des inspirations de sa conscience, le prophète ne se fait pas scrupule d’appeler à son appui ce que l’homme de sens rassis appelle fourberie et imposture. Près de quarante ans s’étaient écoulés depuis la mort de l’abbé de Flore ; ses livres, tenus secrets et cachés au fond des cellules de quelques moines[81], n’étaient connus que d’un petit nombre d’adeptes ; sa personne, entourée de reflets légendaires, son caractère de prophète déjà universellement accepté, la croyance où l’on était qu’il avait reçu du Saint-Esprit une inspiration spéciale pour prédire les destinées de l’église, en faisaient un excellent patron pour la doctrine que l’on voulait établir, et dont les germes se trouvaient réellement en ses écrits. On mit le patriarche de Flore en rapport avec le mouvement nouveau ; on lui fit prédire l’apparition de deux ordres destinés à changer la face de la chrétienté[82]. Sa légende fut calquée sur celle de saint François. La grande autorité de saint François venait des stigmates, qui l’assimilaient au Christ : Joachim eut aussi ses stigmates. Comme François, il allait nu-pieds ; comme lui, il confondait la nature et les animaux dans un amour universel. Joachim devint ainsi tantôt le précurseur de François d’Assise, tantôt le fondateur d’une foi nouvelle, supérieure à celle de l’église catholique, destinée à la remplacer et à durer éternellement. On lui donna pour précurseur à lui-même un certain Cyrille, ermite du Mont-Carmel, prophète comme lui, et dont les oracles portaient un singulier caractère d’illuminisme et de hardiesse. Ses écrits, soit authentiques, soit apocryphes, furent aux yeux de la petite église une sorte de révélation. Bien moins enlacés que les dominicains dans les liens de la théologie scolastique et parfois à peine chrétiens, les franciscains eurent en fait de spéculations mystiques, comme en fait de science et de poésie, une liberté d’allure qu’on chercherait vainement au moyen âge en dehors de leur institut.

On ne saurait se figurer en effet, à moins d’avoir lu le curieux ouvrage de frà Salimbene, à quel degré les idées joachimites avaient pénétré l’ordre et combien elles y faisaient travailler les têtes. Un saint homme de Provence, Hugues de Digne, de la famille de Sabran, qui prêcha devant saint Louis, était l’oracle de la secte ; on accourait de toutes parts à sa cellule d’Hyères, pour entendre les terreurs et les espérances contenues en la nouvelle Apocalypse[83]. Il possédait tous les ouvrages de Joachim écrits en grosses lettres. On le tenait généralement lui-même pour prophète, et il fut le père d’une sorte de tiers-ordre étrange de mendians vagabonds qu’on appelait saccati ou boscarioli. Hugues fut l’ami intime de Jean de Parme et peut-être son initiateur en ces dangereuses nouveautés. Salimbene vint souvent le voir et parle de lui comme d’un inspiré. La fièvre du joachimisme atteignait les meilleurs esprits. Un des premiers hommes du siècle, Adam de Marsh, l’ami de Roger Bacon, au fond de l’Angleterre, recevait avec empressement d’Italie les moindres parcelles des ouvrages de l’abbé de Flore et les transmettait sur-le-champ à son ami Robert Grossetête, évêque de Lincoln[84], en lui faisant remarquer les menaces qu’on y lisait contre les vices du clergé. Remontant rapidement de couvent en couvent le long du Rhône et de la Saône, le joachimisme se répandit surtout en Champagne. C’est à Provins que Salimbene rencontra les deux coryphées de la secte, Barthélemi Ghiscolo de Parme et Gérard de Borgo San-Donnino[85]. En général, tous ces joachimites étaient de vrais saints, mais des croyans fort libres, attachant à leurs idées propres et aux écrits de leur maître autant d’importance qu’à l’enseignement de l’église et à l’autorité de la Bible.

Le général de l’ordre, Jean de Parme, partageait hautement ces chimères[86] plusieurs des affiliés lui accordaient une place parmi les anges précurseurs de l’Évangile nouveau[87] ; on voulait qu’il eût douze compagnons comme saint François[88]. Mais de beaucoup le plus exalté joachimite était frère Gérard de Borgo San-Donnino. Gérard avait fait son éducation dans le royaume de Sicile ; c’était un homme jeune encore, instruit à la façon du temps, d’un caractère aimable, de mœurs pures[89]. Nous le trouvons, dès 1248, au couvent de Provins, plongé dans la lecture des écrits de Joachim, cherchant à faire des prosélytes, troublant déjà toute la maison par ses sombres prophéties. Ghiscolo et Salimbene le soutenaient ; mais les frères de France lui faisaient une vive opposition. Vers l’an 1249, le petit cénacle joachimite de Provins fut dissous. Ghiscolo fut envoyé à Sens, Salimbene à Autun, Gérard à Paris, pour y représenter aux études de l’université la province de Sicile. Il y étudia quatre années. Ses idées durant ce temps ne firent que s’exalter, et en 1254 il publia le livre qui devait produire un si grand scandale. De nombreuses prophéties désignaient déjà l’année 1260 comme l’année critique du monde chrétien, Gérard annonça hardiment que cette année verrait l’inauguration de l’ère nouvelle. Des passages mal compris de l’Apocalypse (XI, 3 ; XII, 6 ; XX, 3 et 7) étaient censés appuyer ces étranges calculs. À vrai dire, tous les rêves des nouveaux millénaires sortaient par une exégèse arbitraire, mais conforme à l’esprit du temps, de la grande source des espérances chrétiennes, du volume écrit à Patmos.

On lit au chapitre xiv de ce livre mystérieux : « Je vis un ange qui volait au zénith, tenant à l’Évangile éternel » pour l’annoncer à ceux qui sont sur la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue, à tout peuple. » L’imagination du moyen âge ne devait pas laisser ce texte dans l’oubli : on le rapprocha des oracles sibyllins, acceptés par la tradition des pères, et qui, sortis eux-mêmes de l’effervescence des anciennes sectes millénaristes, renfermaient de puissantes aspirations vers l’avenir. La corruption de l’église, bien éloignée des prédictions de l’Évangile, portait les esprits à concevoir un état imaginaire où la perfection tant de fois promise serait enfin réalisée.


« Le Père a régné 4000 ans dans l’Ancien Testament, disaient les prédicateurs de la foi nouvelle[90] ; le Fils a régné jusqu’à l’an 1200 ; alors l’Esprit de vie est sorti des deux Testamens pour faire place à « l’Évangile éternel ; » l’an 1260 verra commencer l’ère du Saint-Esprit. Le règne des laïques, correspondant à celui du Père, a duré dans l’ancienne loi ; le règne du clergé séculier, correspondant à celui du Fils, a duré dans la nouvelle ; le troisième âge sera le règne d’un ordre composé en proportions égales de laïques et de clercs[91], et spécialement voué au Saint-Esprit. Un nouveau sacerdoce remplacera l’ancien ; on ne sera prêtre alors et l’on n’aura droit d’enseigner qu’à la condition de marcher nu-pieds[92].

« Jésus-Christ et ses apôtres n’ont pas été parfaits dans la vie contemplative. La vie active a sanctifié jusqu’à Joachim ; maintenant la vie active est devenue inutile ; c’est la vie contemplative, dont la tradition se conserve chez les successeurs de Joachim, qui justifie. D’où il suit que l’ordre clérical périra, et sera remplacé par un troisième ordre plus parfait, l’ordre des religieux, prédit par le psalmiste quand il a dit : Des cordes excellentes me sont tombées en partage[93]. Cet ordre se fortifiera justement quand l’ordre des clercs finira. Ce sera l’ordre des petits[94]. Dans le premier âge du monde, le gouvernement de l’église fut confié par le Père à certains grands hommes de l’ordre des gens mariés, et c’est ce qui fait la légitimité de cet ordre. Dans le second âge du monde, le règne a été confié par le Fils à certains de l’ordre des clercs, et c’est ce qui fait la gloire de cet ordre. Dans le troisième âge, le règne sera confié par l’Esprit-Saint à un ou à plusieurs de l’ordre des moines, lequel sera ainsi glorifié. Quand les prédicateurs de cet ordre seront persécutés par le clergé, ils pourront passer chez les infidèles, et il est bien à craindre, ajoutait-on, qu’ils ne passent chez eux pour les mener au combat contre l’église romaine[95].

« L’intelligence du sens spirituel des Écritures n’a pas été confiée au pape ; ce qui lui a été confié, c’est seulement l’intelligence du sens littéral. S’il se permet de décider du sens spirituel, son jugement est téméraire, et il n’en faut pas tenir compte. Les hommes spirituels ne sont pas tenus d’obéir à l’église romaine, ni d’acquiescer à son jugement dans les choses de Dieu.

« Les Grecs ont bien fait de se séparer de l’église romaine ; ils marchant plus selon l’esprit que les Latins et sont plus près du salut[96]. Le Saint-Esprit sauve les Grecs, le Fils opère le salut des Latins, le Père éternel veille sur les Juifs et les sauvera de la haine des hommes, sans qu’ils aient besoin pour cela d’abandonner le judaïsme[97].

« L’Ancien Testament, œuvre du temps où opérait le Père, peut être comparé au premier ciel ou à la clarté des étoiles ; le Nouveau Testament, œuvre du temps où opérait le Fils, peut être comparé au second ciel ou à la clarté de la lune ; l’Évangile éternel, œuvre du temps où opérera le Saint-Esprit, peut être comparé à la clarté du soleil[98]. L’Ancien Testament représente le vestibule[99] ; le Nouveau Testament représente le saint ; l’Évangile éternel, le saint des saints. Le premier a été l’âge de la loi et de la crainte, le second l’âge de la grâce et de la foi, le troisième sera l’âge de l’amour. Le premier a été le temps de l’esclavage, le second le temps de la servitude filiale, le troisième sera le temps de la liberté. Le premier a été une nuit étoilée, le second a été l’aurore, le troisième sera le plein jour. Le premier représentait l’hiver, le second le printemps, le troisième représentera l’été. Le premier était l’écorce, le second la coque, le troisième sera le noyau. Le premier portait des orties, le second des roses, le troisième portera des lis. Le premier est représenté par l’eau, le second par le vin, le troisième pur l’huile, ou bien encore le premier par la terre, le second par l’eau, le troisième par le feu. Le premier est figuré par la septuagésime, le second par le carême, le troisième par les joies pascales[100]. L’Évangile du Christ est littéral, l’Évangile éternel sera spirituel, et méritera d’être appelé l’Évangile du Saint-Esprit. L’Évangile du Christ a été énigmatique, le nouvel Évangile sera sans paraboles et sans figures ; c’est de lui que saint Paul a dit : « Nous voyons maintenant comme en un miroir et par énigmes, mais alors (c’est-à-dire dans le troisième état de l’humanité) nous verrons face à face[101]. » La vérité des deux Testamens apparaîtra sans voile ; les Écritures divines se diviseront en trois parties, l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et l’Évangile, en entendant par ce mot l’Évangile éternel[102]. Ce dernier sera aussi obligatoire pour les hommes du troisième état que le Vieux Testament l’a été pour les hommes du premier état, que le Nouveau l’a été pour les hommes du second état, « quoique cette vérité, ajoutait-on, déplaise aux hommes de cette génération. »

« Trois grands hommes ont présidé à l’inauguration de l’Ancien Testament, Abraham, Isaac et Jacob, le dernier accompagné de douze personnages (les douze patriarches). Trois grands hommes ont présidé à l’avénement du Nouveau Testament, Zacharie, Jean-Baptiste et le Christ accompagné de ses douze apôtres. De même trois grands hommes présideront à la fondation du troisième état, qui est celui des moines : l’homme vêtu de lin (Joachim), l’ange portant la faux aiguisée (saint Dominique[103] ?), et l’ange portant le signe du Dieu vivant (saint François), par lequel Dieu a renouvelé la vie apostolique, et qui a eu douze apôtres comme le Christ. L’an 1200 a été ainsi l’année de l’avènement des hommes nouveaux, l’année où l’Évangile du Christ a perdu sa valeur.

« La doctrine de Joachim abroge l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Évangile du Christ n’a pas été le véritable Évangile du royaume ; il n’a pas su bâtir la véritable église[104]. Il n’a conduit personne à la perfection[105]. Le règne appartient maintenant à l’Évangile éternel, qui, annoncé par la venue d’Élie, va être prêché à toute nation. Les prédicateurs de ce nouvel Évangile seront supérieurs à ceux de la primitive église. À l’approche du jour solennel, ceux qui président à l’ordre des moines devront se détacher de plus en plus du siècle, et se préparer à revenir au peuple antique des Juifs. Le triomphe de l’ordre des moines, ajoutait-on obscurément, s’effectuera par un homme ou par quelques hommes qui en seront les représentans, et dont la gloire sera celle de l’ordre lui-même. Il s’élèvera de l’ordre des religieux un homme qui sera préféré à tous les autres en dignité et en gloire. Ce triomphe sera précédé du règne de l’abomination, c’est-à-dire du règne d’un faux pape simoniaque, qui occupera le siège pontifical vers la fin du sixième âge du monde. « Cette tribulation, disait frère Gérard, sera telle qu’il n’y en aura jamais eu de semblable, et elle se produira aussi bien dans l’ordre temporel que dans l’ordre spirituel ; elle aura lieu vers l’an 1260. Alors paraîtra l’Antéchrist. Puis, après un court intervalle de paix, commencera une tribulation pire encore. Celle-ci sera toute spirituelle et par conséquent plus dangereuse. »


À ces vues se rattachaient des calculs empruntés à Joachim sur les généalogies de l’Ancien Testament considérées comme prophétiques[106], et un ensemble de prédictions où la haine contre l’église de Rome et contre les puissances du siècle se donnaient pleine carrière. Tous les prophètes étaient appelés en témoignage pour annoncer la substitution d’une église monacale et pauvre à l’église officielle, la prochaine venue de l’antechrist, l’abomination de la désolation trônant dans le lieu saint, c’est-à-dire l’avènement d’un pape mondain qui introduirait dans l’église ses courtisanes et ses chevaux, enfin la ruine imminente de cette Babylone orgueilleuse qui se gorgeait des tributs du monde entier et persécutait les justes quand ceux-ci lui reprochaient ses impiétés. On racontait que Joachim, consulté par Richard Cœur-de-Lion sur l’Antéchrist, avait répondu qu’il était déjà né à Rome, et qu’il y régnerait pour s’élever, comme dit l’apôtre, au-dessus de ce qui porte le nom de Dieu[107]. D’autres disaient qu’il désapprouvait les croisades, parce que les infidèles étaient moins éloignés que les Latins de l’Évangile éternel[108]. À ceux qu’irritaient ses perpétuelles jérémiades il répondait, à ce qu’on assure : « Ceux qui haïssent le royaume du ciel ne veulent pas que le royaume du monde périsse ; ceux qui n’aiment pas Jérusalem ne veulent pas la fin de l’Egypte[109]. » Les plus fortes images de l’Écriture étaient invoquées pour peindre à l’imagination le châtiment des prélats mercenaires et la vengeance des saints. Les abus des richesses et du pouvoir temporel de l’église étaient poursuivis avec une virulence que les plus grands emportemens de la réforme ont à peine connue.

Telles étaient les pensées étranges qui fermentaient sous le froc de quelques moines, et qui en 1254 osèrent se montrer au grand jour. Je ne sais si je m’égare sur la portée réelle de ces essais ; mais en voyant la persistance avec laquelle, sous une forme ou sous une autre, de telles idées se produisirent durant plus d’un siècle, et toujours au sein de la famille franciscaine ; en voyant quelle correspondance elles avaient dans les hérésies, les mouvemens populaires, les révolutions politiques du temps ; en voyant des sectaires exaltés déclarer que les Grecs schismatiques, les Juifs, les infidèles eux-mêmes, chez qui ils espéraient trouver moins d’opposition, valaient mieux que l’église latine, dont ils désespéraient de triompher, je ne crois point exagérer en disant qu’il y eut là une tentative avortée de création religieuse. Il n’a tenu qu’à peu de chose que le XIIIe siècle, si extraordinaire à tant d’égards, n’ait vu éclore une religion nouvelle, dont l’institution franciscaine renfermait le germe ; si cela n’eût dépendu que des membres fanatiques de l’ordre nouveau, le monde de chrétien serait devenu franciscain[110]. Nous allons voir comment ces prétentions échouèrent devant la rigueur scolastique de l’église gallicane, la fermeté de la cour de Rome, le bon sens d’une société laïque qui commençait à naître, et surtout par l’impossibilité même des projets qu’on voulait accomplir.

Paris, où le nouvel Évangile choisit de naître, était le point du monde le moins favorable à ses progrès. Ces rêves d’une perfection imaginaire, ces vagues aspirations vers un état idéal et surhumain, vinrent se briser contre le tour pratique de l’esprit français. On est surpris de la justesse et de la netteté avec laquelle les grands représentans de l’université de Paris à cette époque, les adversaires de la mendicité religieuse, Guillaume de Saint-Amour et Gérard d’Abbeville, aperçurent la portée sociale des nouvelles institutions monastiques[111]. Sans doute les religieux qui ne partageaient pas les théories exagérées des franciscains, et surtout les dominicains, qui, loin de les partager, en furent les plus constans adversaires[112], pouvaient réclamer avec justice contre l’affectation que l’on mettait à confondre la doctrine de la pauvreté monastique avec celle de l’Évangile éternel. Saint Thomas d’Aquin se montre presque aussi sévère que Guillaume de Saint-Amour dans le blâme qu’il inflige aux idées de l’école joachimite, et Guillaume de Tocco, son biographe, rapporte qu’ayant trouvé dans un monastère les ouvrages de l’abbé de Flore, il les lut en entier, souligna tout ce qui lui parut erroné, et défendit impérieusement de lire et de croire ce qu’il avait ainsi annulé de son infaillible autorité[113]. On ne peut douter que, dans la chaleur de la lutte, à un moment où l’on faisait arme de tout pour amener la condamnation de ses adversaires, l’université n’ait saisi l’Évangile éternel comme une bonne fortune pour décréditer les religieux, de même que ceux-ci exploitaient contre l’université le reproche d’averroïsme et le blasphème des Trois imposteurs. Rarement la polémique des partis s’abstient de combattre ses adversaires par l’exagération de leurs propres idées. Cette fois cependant la calomnie n’était pas sans quelque fondement de vérité. L’abus de la logique et l’autorité accordée aux gloses arabes donnaient quelque couleur aux accusations intentées contre l’université. Il y avait d’un autre côté entre l’Evangile éternel et la doctrine de la pauvreté religieuse une affinité réelle, que les docteurs de l’université reconnaissaient avec beaucoup de pénétration. La mendicité était devenue le prétexte des plus étranges doctrines. Guillaume de Saint-Amour ne cessait de prêcher contre les truands, les bons-valets et autres sectes de mendians, qui disaient « que le travail des mains est un crime, qu’il faut toujours prier, que la terre porte bien plus de fruits par la prière que par le travail. » L’évêque de Paris, voulant donner à l’université le plaisir de voir un moine convaincu des erreurs les plus graves, déféra au pape Alexandre IV l’Introduction à l’Evangile éternel. Le pape nomma la commission de trois cardinaux dont nous avons parlé. Au mois de juillet 1255 fut prononcée la condamnation dont les pièces préliminaires nous ont été conservées. C’était une satisfaction que la papauté, suivant sa règle de sacrifier les extrêmes les uns aux autres, accordait à l’université ; mais, par égard pour l’ordre qu’une telle condamnation semblait frapper, le pape ordonna de brûler secrètement à Anagni le livre condamné, tandis que la sentence prononcée l’année suivante contre le De periculis novissimorum temporum de Guillaume de Saint-Amour reçut le plus grand éclat[114]. Cette digne église gallicane n’en fut pas moins fière d’avoir arrêté les progrès d’une doctrine perverse, et crut avoir préservé la chrétienté d’un grand danger. Le sentiment de naïf contentement qu’elle éprouva de sa victoire se retrouve dans ces mauvais vers du poète universitaire, Jean de Meung :

Et se ne fut la bonne garde
De l’université qui garde
Le chief de la crestienté,
Tout eust été bien tourmenté
Quant, par maulvaise intention,
En l’an de l’incarnation
Mille et deux cents cinq et cinquante,
N’est homs vivant qui m’en démente,
Fu baillé, et c’est chose voire,
Pour prendre commun exemploire,
Ung livre de par le grant diable
Dit l’Evangile pardurable,
Que le Saint-Esperit menistre
Si com il aparoit au tistre…

A Paris, n’eut home, ne feme
Au parvis devant Nostre-Dame
Qui lors avoir ne le péust
A transcrire, s’il li pléust…
L’université qui lors ière
Endormie, leva la chière,
Du bruit du livre s’esveilla,
Ains s’arma pour aller encontre.
Quand el vit cet horrible monstre…
Mais cil qui là le livre mirent
Saillirent sus et le reprirent…[115]

Le coup qui frappa l’Évangile éternel ne pouvait manquer d’atteindre les apôtres de la nouvelle doctrine. Bien que Jean de Parme eût eu la sagesse de rester dans l’ombre et qu’il se fût gardé, on peut le croire du moins, des exagérations de ses propres partisans, son zèle pour l’observation de la règle, sa sévérité contre les membres tièdes lui avaient fait de puissans ennemis qui saisirent cette occasion pour le perdre. Un chapitre général tenu à l’Ara Cœli en février 1256 souleva contre lui les accusations les plus graves. On l’accusait de préférer la doctrine de Joachim à la foi catholique, et d’avoir pour amis intimes Léonard et Gérard, joachimites déclarés. Il fut forcé d’abdiquer le généralat. Un parti intermédiaire se forma entre la portion relâchée de l’ordre et la partie rigoriste : le mysticisme orthodoxe et réglé l’emporta en la personne de saint Bonaventure. Le premier soin du nouveau général fut de faire juger son prédécesseur et ses deux affidés Léonard et Gérard. Ces deux moines furent condamnés aux fers, au pain de la tribulation et à l’eau de l’angoisse, c’est-à-dire à l’horreur d’une prison souterraine où nul ne devait les visiter. Gérard y mourut sans vouloir renoncer à ses espérances[116]. On le priva de la sépulture ecclésiastique ; ses os furent enterrés dans le coin du jardin réservé aux ordures.

Quant à Jean, les sympathies que lui avait values son noble caractère et surtout l’amitié personnelle du nouveau général adoucirent sa disgrâce. Il obtint de choisir le lieu de sa retraite et opta pour le petit couvent de la Greccia, près de Rieti. Là il vécut trente-deux ans dans une solitude profonde. Il garda ses opinions joachimites sans qu’on l’inquiétât. Deux papes songèrent même, dit-on, à le faire cardinal ; les plus grands personnages de la cour de Rome venaient s’édifier près de lui[117]. Vers 1289, il rentra un moment dans la vie active ; il voulut retourner chez les Grecs, à la réconciliation desquels il avait déjà travaillé dans sa jeunesse. Une maladie le surprit à Camerino, et il y mourut. Sa légende avait commencé de son vivant ; elle se modela de point en point sur celle de François d’Assise[118]. Des miracles s’opérèrent sur sa tombe ; son parti fut même assez fort pour le faire mettre au rang des bienheureux.

Les joachimites, ses amis, à l’exception de Gérard, finirent tous comme des saints. Ghiscolo, à son lit de mort, eut des visions si frappantes que tous les frères qui étaient présens en furent émerveillés[119]. Le bon Salimbene continua sa joyeuse vie de spirituel vagabond, tantôt reniant ses erreurs de jeunesse et regrettant le tort que Jean et Gérard avaient fait à l’ordre, tantôt avouant avec un certain plaisir qu’il a été lui-même du cénacle de joachimites et qu’il n’a jamais connu d’hommes si pieux et si aimables[120]. Comme tous les héros de ce singulier mouvement étaient fort jeunes, le mot d’Evangile éternel mourut longtemps avant eux. Depuis 1256 en effet, ce nom disparaît de l’histoire, où il ne figura que durant une ou deux années. Son sort rappelle celui de ces drapeaux d’un jour, usés vite par les partis, qu’on voit s’élever dans les temps de crise pour représenter un moment des causes réservées à bien des transformations ultérieures.


VII. — FORTUNES DIVERSES DE LA DOCTRINE DE L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

Tout le monde est à peu près d’accord aujourd’hui sur les grandes divisions de l’histoire intellectuelle du moyen âge. Loin de présenter une ombre uniforme, comme on se l’est souvent figuré, la grande nuit qui s’étend de la ruine de la civilisation antique à la reprise de la civilisation moderne offre à l’œil attentif des lignes très claires, d’un dessin très lisible. La nuit ne dure réellement que jusqu’au XIe siècle. Alors a lieu une renaissance en philosophie, en poésie, en politique, dans les arts. Cette renaissance, qui d’abord se fait par la France, atteint son plus beau moment dans la première moitié du XIIIe siècle, puis elle s’arrête. Le fanatisme, l’esprit étroit de la scolastique, les atrocités de l’inquisition dominicaine, le pédantisme de l’université de Paris, l’incapacité de la plupart des souverains amènent une complète décadence. Le XIVe et le XVe siècle sont pour toute l’Europe, l’Italie exceptée, de bas siècles, des siècles où l’on ne pense plus, où l’on ne sait plus écrire, où l’art s’affaiblit, où la poésie se tait. Un feu nouveau cependant couve au sein de l’Italie. La vraie et définitive renaissance se prépare ; l’Italie fait une seconde fois pour l’humanité ce que la Grèce avait fait une première fois ; elle retrouve les règles du vrai et du beau ; elle devient la maîtresse de tout art, de toute science, l’éducatrice du genre humain.

Il n’y a pas de grand siècle sans mouvement religieux. La renaissance du XIIe et du XIIIe siècle eut ses tentatives de réforme. Le plus grand étonnement de ceux qui étudient de près l’histoire du moyen âge est que le protestantisme ne se soit pas produit trois cents ans plus tôt. Toutes les causes d’une révolution religieuse existaient au XIIIe siècle ; toutes furent étouffées. Il arriva au XIIIe siècle ce qui serait arrivé au XVIe si Luther eût été brûlé, si Charles-Quint eût exterminé les réformés, si l’inquisition eût réussi dans toute l’Europe comme elle réussit en Espagne et en Italie. Des aspirations vers une église spirituelle et un culte plus pur se faisaient jour de tous les côtés. L’Évangile éternel ne fut qu’une tentative entre plusieurs autres pour substituer un nouvel ordre religieux et social à celui qui était fondé sur l’autorité de l’église établie.

De même que la renaissance italienne ne put se faire sans un souffle venant du monde grec, les mouvemens religieux du XIIIe siècle furent aussi à beaucoup d’égards un effet de l’influence de l’église orientale. En ce qui concerne l’Évangile éternel, je ne doute pas qu’il n’en faille chercher l’origine dans l’église grecque. L’abbé Joachim, durant toute sa carrière, fut dans les rapports les plus intimes avec la Grèce. La Calabre, où il vécut et où son école se continua par une tradition à peine interrompue, était un pays à demi grec. Ses principaux disciples, les rédacteurs de sa légende, les personnages prophétiques avec lesquels on le met en rapport sont des Grecs[121]. Lui-même voyage en Grèce à plusieurs reprises, afin, comme on disait alors, de travailler à la réunion des deux églises. Cette réconciliation est donnée comme la préoccupation principale de tous ceux qui relèvent sa doctrine. Jean de Parme passa plusieurs années chez les Grecs, et, sur la fin de sa vie, voulut aller mourir parmi eux[122]. Toute l’école de l’Évangile éternel, depuis Joachim jusqu’à Télesphore de Cosence, à la fin du XIVe siècle, n’a qu’une voix pour proclamer que l’église orientale est supérieure à l’église latine, qu’elle est bien mieux préparée à la rénovation qui va s’accomplir, que c’est par le secours des Grecs que la réforme triomphera de l’église charnelle des Latins, que cette réforme ne sera pas autre chose qu’un retour à l’église spirituelle des Grecs. La Grèce est le refuge des fraticelli chassés d’Italie par Boniface VIII. Elle nous apparaît à cette époque comme le pays idéal auquel songeaient tous les réformateurs. « Peut-être, dit Fleury, avaient-ils été frappés de quelques bons restes de l’ancienne discipline qu’ils y avaient vus, surtout de la frugalité et de la pauvreté de leurs évêques, si éloignées du faste et de la grandeur temporelle des évêques latins de ce siècle[123]. » Quand on songe que la Grèce était le foyer du catharisme[124], dont les analogies avec les doctrines de l’Évangile éternel ne peuvent être méconnues, quand on voit d’ailleurs l’école de l’Évangile éternel suivre une voie toute semblable à celle du catharisme et s’identifier presque avec lui, on est tenté d’envisager la première de ces doctrines comme une branche détournée de la seconde, formée non par affiliation directe, mais par des influences secrètes et non avouées. Le catharisme semble ainsi avoir pénétré en Occident par deux routes et avoir déterminé au moyen âge deux courans d’hérésies parallèles, qui aboutissent presque au même résultat, se confondent dans l’opinion et sont arrêtées par les mêmes moyens. Ces affinités deviennent plus frappantes encore quand on surprend les auteurs contemporains attribuant à Amaury de Chartres, dans les premières années du XIIIe siècle, des doctrines analogues à celles de l’Évangile éternel[125], doctrines qui avaient elles-mêmes la plus grande analogie avec celles des hérétiques d’Orléans de 1022, que M. Schmidt rattache sans hésiter à l’église cathare[126].

Quoi qu’il en soit de ce point, il est impossible de douter que de telles idées de réforme ne répondissent à des besoins profonds. Même après leur condamnation, les idées joachimites continuèrent encore près d’un siècle d’agiter les esprits. Elles vivaient surtout dans le midi de la France, où les écrits de la secte se copiaient avec activité et se passaient de main en main[127]. En 1260, un concile rassemblé à Arles par ce même Florent qui remplit les fonctions de promoteur auprès de la commission d’Anagni condamne avec insistance les partisans des ternaires joachimites et ceux qui annonçaient comme prochains l’ère du Saint-Esprit, le règne des moines, la cessation des images, des figures, des sacremens. Cette même année, si longtemps annoncée comme fatale, vit en effet éclore plusieurs nouveautés, les folles tentatives de Gérard Ségarelle et de ses apôtres, la première épidémie de flagellans[128]. Jamais on ne vit un tel déluge de prophéties de toute espèce[129], ni tant de sectes de mendians[130]. Le dernier écrit de Guillaume de Saint-Amour, qui date de la même époque, ce livre De Antichristo, qui nous est si bizarrement parvenu sous l’anagramme de Nicolas Oresme[131], est consacré presque tout entier à la réfutation des erreurs joachimites, contre lequel l’énergique défenseur de l’université s’était si vivement escrimé quelques années auparavant. Partout on se préoccupait de l’avenir de l’église, de ses épreuves futures. — Les uns, dit Guillaume, annoncent avec l’abbé Joachim qu’une ère pacifique va s’ouvrir par l’avènement du Saint-Esprit et l’apparition d’un troisième Testament, où les hommes seront exclusivement spirituels. D’autres, frappés du refroidissement de la charité et des maux qui se multiplient de plus en plus dans l’église, annoncent pour la fin des temps l’apparition de prédicateurs excellens, qui ranimeront la foi ; d’autres enfin, promettant à l’église de longs jours de paix et de prospérité, prétendent que sa vieillesse durera autant que ses autres âges et ne leur sera point inférieure. — L’inflexible recteur de l’université se refuse à toutes ces hypothèses consolantes : il consacre son livre à exposer les sombres théories de l’antechrist, les horreurs de la dernière persécution, le débordement d’erreurs qui précédera le jugement. La cessation de l’empire romain par le grand interrègne, l’arrivée de faux missionnaires (les mendians) qui envahissent le champ des vrais pasteurs, l’aveuglement et la lâcheté des prélats, la translation de l’office de la prédication, la fausse sécurité où l’église s’endort, la cessation des miracles, les progrès de l’infidélité, le refroidissement de la charité, et surtout l’annonce d’une loi nouvelle que l’on donne comme devant remplacer l’Évangile, paraissent à Guillaume les signes certains d’une catastrophe prochaine. Il s’élève à ce propos avec une grande force contre Joachim et ses disciples, contre ces ministres non du Saint-Esprit, mais de l’antechrist, qui osent dire que le Mane Thekel Phares a déjà été écrit sur les murs de l’église, que les sacremens de la loi chrétienne vont finir, que le Saint-Esprit est encore à venir. Joachim n’a-t-il pas annoncé que douze cents ans environ après l’incarnation du Christ s’élèverait de Babylone un chef nouveau, pontife de la nouvelle Jérusalem, c’est-à-dire de l’église à son troisième état ? Plus de soixante ans se sont écoulés depuis cette prédiction, et rien n’a paru[132]. Il n’est donc qu’un faux prophète.

Je sortirais du plan que je me suis tracé en suivant l’influence de l’Évangile éternel dans la deuxième moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe[133]. S’il nous était donné d’écrire cette curieuse histoire, nous montrerions l’idée franciscaine et joachimite passionnant encore durant près d’un siècle une foule d’âmes enthousiastes ; nous assisterions presque à son triomphe, quand la papauté est tombée entre les mains du faible Pierre Célestin ; nous verrions le ferme successeur de ce pieux et incapable vieillard. Boniface VIII, réagir avec énergie contre les concessions de son prédécesseur, et la haine des fraticelli, inspirant les amères satires de frà Jacopone, contribuer puissamment à la réputation que ce pontife a laissée[134]. Vers le même temps, un religieux exalté, Pierre-Jean d’Olive, renouvelle dans le midi de la France les doctrines les plus révolutionnaires de Gérard de San-Donnino[135], soutenant que le renouvellement du monde est à la veille de se faire, et qu’elle s’accomplira par la règle de Saint-François observée à la lettre ; que de même que le crucifiement du Christ a ouvert une ère nouvelle, de même le moment de la stigmatisation de saint François a mis fin à l’église charnelle et a marqué le commencement d’un âge où la vie évangélique sera pleinement pratiquée ; que c’est par les vertus et les travaux des frères mineurs que s’opérera la conversion des infidèles, des Juifs, de l’église grecque, destinés à prévaloir sur l’église charnelle des Latins ; que, la règle de Saint-François étant vraiment la loi évangélique, il n’est pas surprenant qu’elle soit persécutée par l’église charnelle, comme l’Évangile le fut par la synagogue ; qu’il faut que l’église charnelle, pour mettre le comble à ses crimes, condamne la règle de Saint-François ; que cette loi alors, mieux accueillie par les Grecs, les Juifs, les Sarrasins, les Tartares que par les Latins, reviendra avec ces nouveaux auxiliaires pour écraser Rome, qui n’a pas voulu la recevoir ; que cette église communément appelée universelle, catholique et militante, est la Babylone impure, la grande prostituée, que la simonie, l’orgueil et tous les vices précipiteront dans l’enfer, ainsi que l’altière Vasthi a été répudiée et l’humble Esther couronnée. L’église charnelle alors se desséchera, dévorée par la haine ardente qu’elle aura vouée à la doctrine des saints.

Nous verrions autour de Pierre-Jean d’Olive une foule d’hommes rempli d’un zèle ardent et pur prêcher plus fermement que jamais la réforme du monde par la pauvreté, et leur mémoire rester suspendue entre la canonisation et l’anathème, selon que l’admiration excitée par leur noble caractère ou l’horreur de leurs témérités l’emporte, hérétiques pour les uns, saints à miracles pour les autres. Au XIVe siècle, les mêmes prétentions relevées par Ubertin de Casai, frà Dolcino, Michel de Césène, acquièrent une importance politique et sociale toute nouvelle par l’alliance de la partie exaltée de l’ordre de Saint-François avec Louis de Bavière. Une fois encore nous verrions la question de la pauvreté diviser le monde chrétien, allumer des bûchers, créer un anti-pape ; nous verrions un général des frères mineurs, Michel de Césène[136], défendre la pensée franciscaine contre la papauté, et chercher hors de l’église un appui contre l’église, qui le condamnait. Le tiers-ordre de Saint-François nous paraîtrait comme le foyer principal d’où émanaient ces sectes moitié religieuses, moitié laïques, dont l’ambition effraya l’église et la société civile : béguins, fratricelles, frérots, bizoques (binzorchieri, frères bis, bisets), barbozati, frères pyes, frères agaches, frères aux sacs, frères de la pauvre vie, flagellans, frati gaudenti, lollards, apostoliques, apôtres même (car ils allaient jusqu’à se donner ce nom), auxquels correspond l’apparition de plusieurs messies apocryphes, prétendues incarnations du Saint-Esprit, tels que Gonzalve de Cuença[137]. Qu’une pensée hardie et populaire se cachât sous ces dehors monastiques, c’est ce qu’on ne saurait mettre en doute, quand on entend tous les sectaires que nous venons de nommer déclarer unanimement qu’ils ne relèvent que de Dieu, qu’ils ne sont assujettis à aucune obédience, qu’ils imitent la vie du Christ et des apôtres, et que toute l’autorité de l’église romaine, de cette église condamnée à cause de la malice des cardinaux et des prélats, a passé au peuple[138]. L’habit monacal n’était souvent, au moyen âge, qu’un sauf-conduit, une garantie d’inviolabilité, souvent aussi un prétexte pour le vagabondage, comme le prouvent les innombrables décrets des conciles provinciaux contre les moines et les écoliers gyrovagues, portant indûment le vêtement religieux. L’habit de Saint-François, confinant à celui du mendiant, servit ainsi, en Italie et dans le midi de la France, à couvrir de dangereuses associations populaires, les unes érigeant la mendicité en devoir, proclamant que la perfection serait d’aller nu, que la prière n’est efficace que quand on la fait nu, condamnant le travail, pleines de déclamation et de colère contre les riches et les hommes du monde, les autres déclarant qu’elles seules avaient le droit de faire descendre le Saint-Esprit par l’imposition des mains, qu’on ne pouvait se sauver que dans leur ordre, que les prélats de l’église charnelle ne méritaient que le mépris, que tous les papes, depuis saint Silvestre, n’avaient été que des séducteurs, à l’exception toutefois de Pierre Célestin, que nulle excommunication ne pouvait les atteindre, puisque la règle de Saint-François est supérieure au pape et à l’église. L’ordre de Saint-François, dans son ensemble, avait droit assurément de repousser la responsabilité de ces extravagances ; cependant l’opinion qui supposait des liens de parenté entre les familles diverses de mendians religieux reposait sur des fondemens réels. La même confusion avait lieu pour les cathares, que la longueur de leur vêtement et leur extérieur austère faisaient souvent ranger parmi les frères du tiers-ordre sous le nom de bonshommes et de cagots. Que l’on parcoure les registres de l’inquisition de Toulouse et de Carcassonne[139], on y verra non sans étonnement que tous les condamnés de ce redoutable tribunal sont des frères du tiers-ordre ou des béguins. On s’en tenait à l’extérieur et souvent à des indices plus légers encore, témoin ces inquisiteurs qui envoyaient au bûcher des malheureux suspects de catharisme, uniquement à cause de la pâleur de leur teint : audierat enim eos solo pallore notare hœreticos, quasi quos pallere constaret, hœreticos esse certum esset[140].

On ne saurait se figurer, à moins d’avoir parcouru les documens originaux que nous venons de citer, l’importance que de telles sociétés secrètes et errantes avaient acquise dans le midi de la France. La corruption du clergé provoquait ces réactions pires encore que le mal. Il est remarquable, en effet, que chez les auteurs du temps qui nous ont réellement transmis l’écho de l’opinion publique, toutes les sympathies sont pour les béguins et les cathares : ceux-ci sont les saints et les purs, les prêtres orthodoxes au contraire sont les hérétiques[141]. Le même fait se produisait d’une manière non moins frappante en Lombardie. Milan surtout était devenu un centre redoutable d’hostilité contre l’église. Le catharisme y était ouvertement professé. En 1280, la béguine Guillelmina s’y fit passer pour le Saint-Esprit, et après sa mort il se fit des miracles sur son tombeau. Au milieu de l’extrême complication des luttes de ce temps, il est d’ailleurs très difficile de tracer toujours avec certitude les limites des différens partis. Les contraires faisaient souvent alliance : c’est ainsi que nous voyons les cathares ouvertement protégés par les gibelins, et le parti franciscain exalté, allié plus d’une fois à l’empereur contre le pape.

Mais ni ces coalitions trompeuses, ni aucun des stratagèmes par lesquels les sectaires cherchaient à donner le change à l’autorité, ne suffisaient pour les protéger. L’église romaine, secondée par un ordre autrement discipliné que celui de Saint-François, ne cessa de poursuivre les associations populaires qui sortaient de la règle d’Assise. D’une part, elle essayait de régulariser les parties inoffensives de ces foules dévotes ; de l’autre, elle faisait aux parties séditieuses la terrible guerre de l’immuration et du bûcher. Ce fut par milliers que les frères du tiers-ordre et les béguins furent brûlés dans le nord de l’Italie, dans le midi de la France, en Flandre et en Allemagne, tandis qu’ailleurs ils passaient pour des saints, et faisaient arriver leurs adeptes aux honneurs de la canonisation populaire. Même contradiction dans les textes historiques sur le caractère de leur vie et de leurs mœurs. Ici on les présente comme des oisifs, se plaisant dans le vagabondage et la mendicité, livrés aux plus ignobles dépravations ; là, comme des associations laborieuses, vivant de leur travail et dans une grande pureté de mœurs. Il est probable que, suivant les différens pays et selon les noms divers que recevaient les associations, de tels jugemens avaient leur vérité. Ces pauvres gens n’avaient de commun qu’un vêtement analogue à celui des religieux mendians, un air austère et dévot qui les faisait aimer du peuple, les rendait suspects aux gens d’église, et les faisait railler des gens d’esprit et de qualité.

Le moyen âge appliquant le nom d’hérésie à toute déviation de la règle tracée par l’église, on ne manqua pas de le leur appliquer. Ce mot ne doit pas faire supposer qu’ils eussent toujours une doctrine cachée et un symbole arrêté. Quelquefois sans doute des idées cathares, plus souvent encore les idées de l’Évangile du Saint-Esprit, se cachaient sous le vêtement de ces petits moines ; mais le plus souvent leur hérésie n’était que dans le caractère dangereux ou suspect de leur manière de vivre. Après le milieu du XIVe siècle, ces associations ne sont plus que des confréries pieuses, assujetties à l’église, réglées par elle, et c’est ainsi qu’elles se sont prolongées jusqu’à nos jours en Belgique, en Italie et dans le midi de la France. La pensée de réforme qu’elles renfermaient à l’origine, limitée sans cesse par l’église officielle, par les universités, par la société laïque, fut ainsi étouffée ou bornée à un petit nombre d’adeptes, réduits à l’impuissance par l’esprit dominant de leur ordre et de leur siècle.

Ces aspirations vers un avenir religieux inconnu reparurent cependant encore par intervalles jusqu’au seuil des temps modernes, et même au-delà. Le déplorable spectacle que présentait la papauté à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe excita de nouveau les imaginations. Le prophète avignonnais Jean de Rochetaillade rivalisa parfois avec Joachim de sévérité contre le haut clergé et de hardiesse chrétienne[142]. Un ermite de Calabre, Télesphore ou Théolosphore de Cosence, essaya de relever le nom et l’autorité de son compatriote Joachim[143]. Le matin du jour de Pâques de l’année 1386, comme il pleurait sur les douleurs du grand schisme et sur le déclin de l’église, un ange lui apparut et lui ordonna de lire les prophéties de Cyrille et de Joachim, en lui annonçant qu’il y trouverait la prédiction des malheurs présens et de la fin que Dieu y réservait. Télesphore s’empressa de recueillir les prophéties de Joachim qu’il trouva répandues dans les monastères de Calabre, et écrivit un livre pour en faire l’application à son siècle. Il essaya de démontrer au moyen de ces mystérieux oracles que l’église romaine était à la veille d’être exterminée par les Grecs, les Sarrasins, les Tartares, instrumens de la colère divine, lesquels la purifieraient en lui enlevant les Liens temporels qui l’avaient corrompue, — qu’à la place du faux pontife apparaîtrait un pasteur angélique, qui, unissant ses forces à celles de l’empereur, ferait fleurir par toute la terre l’Évangile éternel[144]. Ce sera le règne du Saint-Esprit, âge de perfection et de bonheur, où disparaîtront les schismes et les scandales qui ont affligé l’église aux siècles passés. L’intelligence alors sera pour tous, car la vie contemplative sera ouverte à tous, sans qu’on ait besoin du ministère des docteurs. Les Grecs et les Juifs, que la loi évangélique n’a pas eu la force de s’assimiler, se convertiront et surpasseront à leur tour l’ancien peuple latin en sainteté et en ferveur. C’était, on le voit, une reproduction pure et simple des rêves de Joachim, de Jean de Parme, de Pierre-Jean d’Olive.

En 1388, ces idées furent prêchées de nouveau à Paris par un certain Thomas de Pouille, lequel annonçait après mille autres l’avénement du règne du Saint-Esprit, la fin de la domination des prélats, et proclamait l’inutilité des sacremens. L’évêque de Paris, Pierre d’Orgemont, le livra au bras séculier ; mais depuis le règne de Charles V le bon sens avait pris quelques droits dans le monde : les médecins le déclarèrent fou, et on ne brûla que son livre[145]. Guillaume de Hildernissem et les « frères de l’intelligence » renouvelèrent les mêmes doctrines dans les pays flamands vers 1411[146]. Ils trouvèrent dans Pierre d’Ailly, alors évêque de Cambrai, un autre Guillaume de Saint-Amour, je veux dire un zélé gardien de la tradition gallicane, tradition essentiellement épiscopale, toujours opposée à l’esprit sectaire et monacal.

Le XVIe siècle vit se renouveler plus d’une fois les mêmes songes[147]. Il est bien remarquable que, pour les premiers auteurs de la réforme, Joachim fut un auxiliaire. Ses ouvrages apocryphes furent lus avidement par les publicistes protestans, jaloux de se trouver des ancêtres. J. Wolf, en particulier, dans la compilation qu’il intitula Lectionum memorabilium et reconditarum centenarii XVI (Lauingen 1600), réunit tous les passages de Joachim et des joachimites qui favorisaient les doctrines ou les antipathies de ses coreligionnaires. On ne peut imaginer un concert plus bizarre de malédictions. Ceux qui regardent le moyen âge comme l’époque de la parfaite soumission à l’Église seraient surpris de ce ton d’hostilité implacable et de rage concentrée.

Nous nous abstiendrons de rechercher si de nos jours Joachim pourrait encore réclamer quelque postérité légitime[148]. Pour conserver un sens précis au mot d’Evangile éternel nous croyons qu’il faut le restreindre à la première phase de ce vaste mouvement, dont le centre est dans l’ordre de Saint-François, et qui devait aboutir à de si curieuses aberrations populaires. Telle qu’elle est, malgré ses défaillances et son mauvais succès, cette tentative n’en est pas moins l’essai le plus hardi de création religieuse dont les siècles modernes offrent l’exemple, et l’on peut dire qu’elle eût changé la face du monde, si toutes les forces disciplinées et réfléchies du XIIIe siècle ne l’eussent brusquement arrêtée. L’église romaine, l’université de Paris, l’ordre de Saint-Dominique, le pouvoir civil, si souvent ennemis, se trouvèrent ligués contre des prétentions qui n’allaient à rien moins qu’à changer les conditions fondamentales de la société humaine. L’atrocité des moyens employés pour anéantir ces étranges doctrines nous révolte ; une foule d’instincts louables furent enveloppés dans la condamnation qui les frappa ; on peut dire néanmoins que le véritable progrès n’était pas avec ces bons sectaires. Il était dans le mouvement parallèle qui portait l’esprit humain vers la science, vers les réformes politiques, vers la constitution définitive d’une société laïque. Dès 1255, on put déjà reconnaître que le progrès, comme l’entendent les sociétés modernes, vient d’en haut et non d’en bas, de la raison et non de l’imagination, du bon sens et non de l’enthousiasme, des hommes sensés et non des illuminés qui cherchent dans de chimériques rapprochemens les secrets de la destinée. Certes le penseur ne peut que saluer avec respect l’homme qui, pénétré d’une haute idée de la vie humaine, proteste contre l’imperfection nécessaire de tout état social et rêve une loi idéale conforme aux nobles besoins de son cœur ; mais tous les efforts humains ne sauraient déplacer la limite du possible. Le monde est le résultat de causes trop compliquées pour qu’on puisse espérer de le faire tenir dans les cadres d’un système absolu. Aucun symbole ne saurait exprimer la marche de l’humanité dans le passé, encore moins contenir la règle de son avenir.

Ernest Renan.
  1. Les recherches qui forment la plus grande partie de ce travail furent faites en 1852, à la demande du vénérable doyen de la Faculté des lettres de Paris, M. Victor Le Clerc. M. Le Clerc, ayant à parler de l’Évangile éternel dans le tome XXIVe de l’Histoire littéraire de la France, désirait connaître ce que le département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, auquel j’étais alors attaché, pouvait contenir sur cette obscure question. Quelque temps avant sa mort, mon savant maître me rendit l’étude que je lui avais remise, et m’autorisa à la publier.
  2. Voir sa vie dans les Bollandistes, Acta SS. Maii, t. VII, p. 93 et suiv.
  3. Lettre Loquens Dominus Ezechicli, n° 58 de Saint-Germain, dernier fol. verso.
  4. Paradis, XII, 140-141.
  5. Voir par exemple le manuscrit ancien fonds latin, n° 427.
  6. Voyez mon essai sur Averroès et l’Averroïsme, p. 292 et suiv. (2e édit.).
  7. Voyez l’article de M. Daunou sur Jean de Parme, dans le tome XX de l’Histoire littéraire de la France, p. 23 et suiv., et les additions aux articles de Guillaume de Saint-Amour et de Gérard d’Abbeville, dans le t. XXI, p. 468 et suiv.
  8. On peut la lire en tête des éditions de la Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament (Venise 1519), et du Commentaire sur l’Apocalypse (Venise 1527), ou dans d’Argentré, Collectio judiciorum, I, p. 121, ou dans les Bollandistes, loc. cit., p. 104.
  9. Act. SS., t. c, p. 93.
  10. Dans Martène et Durand, Amplissima Collectio, t. IX, col. 1323.
  11. Voir ci-dessous, p. 109 et suiv.
  12. De Virtutibus, c. XI, p. 152 (Paris 1674).
  13. Ms. Sorb. 1726, fol. 92 v., lignes 27 et 28 ; fol. 103, lignes 2 et 3. — Ce même ouvrage, dans le no 427 de l’ancien fonds latin, est intitulé, je ne sais pourquoi, Liber de diversitate mysteriorum Dei.
  14. Joachim abbatis et Florensis ordinis chronologia (Cosenza 1612), p. 92. — Acta SS. Maii, t. VII, p. 103, 105. Les Bollandistes n’ont émis sur cet ouvrage que des conjectures invraisemblables.
  15. On y lit (fol. 104 v. du Ms. de Sorbonne, 1725) : « Item habetur apertius in libello ipsius Ioachim De articulis fidei, descripto ad quemdam filium suum Iohannem, quod opus suspectum est ex ipso prologo, ubi sic incipit dicens : « Rogasti me attentius, fili Johannes, ut tibi compilatos traderem articules fidei, et notarem illa quæ occurrerent Scripturarum loca, in quibus solent simplices frequenter errare. Ecce in subjecta pagina invenies quod petisti. Tene apud te, et lege sub silentio, observans ne perveniat ad manus eorum qui rapiunt verba de convallibus, et currunt cum clamore, ut vocentur ab hominibus Rabbi, habentes quidem speciem pietatis, virtutem autem ejus penitus abnegantes. » Ecce qualiter in hoc prologo vult iste Ioachim articules fidei legi in abscondito, more hæreticorum qui in conventiculis dogmatizant. Item inhibet ne tractatus suus veniat ad manus magistrorum, quos etiam tam impudenter quam superbe vituperat. »
  16. Le concile semble cependant avoir en vue un traité distinct. « Libellum sive tractatum quem abbas Joachim edidit contra magistrum Petrum Lombardum, de unitate seu essentia Trinitatis. » Dans d’Argentré, Coll. Jud., I, p. 120-121.
  17. Ni M. Ozanam, ni M. Labitte, ni M, Thomas Wright n’ont, je crois, parlé de cette pièce dans leurs travaux sur les origines de la trilogie dantesque.
  18. Depuis la composition de ce travail, a paru, dans la Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie de M. Hilgenfeld (2e année, Iena, 1859), un mémoire de M. Karl Friderich relatif à ce commentaire et au « Commentaire sur Isaïe, » également attribué à Joachim. M. Friderich est arrivé au même résultat que nous sur la question d’authenticité.
  19. Fol. 46 et 62 (Ven. 1525). Cette édition paraît tronquée en quelques passages. Le texte cité par dom Gervaise (Histoire de l’abbé Joachim, p. 357 et suiv.) est plus complet.
  20. « Exceptis illis quæ vel fortes populariter sunt, vel quæ esse appetunt in suis munitionibus singulares. »
  21. Fol. 58 V. — Comparez 53 v.
  22. « Videat generalis ecclesia si non fiet ei baculus arundineus potentia gallicana, cui siquidem si quis nititur perforat manum suam. » Voir la chronique De rebus in Italia gestis, publiée par M. Huillard-Bréholles, p. 257 ; cf. ibid., p. XXXVI.
  23. F. 45 v., 58 v., 62.
  24. Parme, 1857.
  25. P. 102,122,176,389.
  26. Voir Bolland., Acta SS. Maii, t. VUU, p. 103,105. — Fabricius, Bibl. med. et inf. latin., t. IV, p. 40-41. — J. Wolf, Lectionum memorabilium et reconditarum centenarii XVI, t. Ier, p. 488 et suiv.
  27. p. 175-176-, cf. p. 106 et suiv.
  28. Comparez Salimbene, p. 4.
  29. Il semble résulter d’un titre assez vague donné par Fabricius (Bibl. med. et inf. lat. t. IV, p. 40) que cet ouvrage ou le précédent aurait été publié à Venise (1517) à la suite du « Commentaire sur Isaïe. » Je n’ai pu trouver cette édition dans aucune bibliothèque de Paris.
  30. Fol. 83 v., 84.
  31. Fol. 80 v. — Je signalerai quelques autres passages sur les patarins, que M. Schmidt n’eût pas négligés sans doute dans son Histoire des Cathares, s’ils avaient été publiés : « Hæresis Patarena in Lombardiæ terminis invalescens adeo suos circumquaque stimulos pravitatis extendit ut non minus sit infesta catholicis quam olim prophetis Domini fuit Athalia filia Jezabelis, etc. Lombardorum gens impia… Deo detestabilis,… quia quæ de fumo putei, doctrina scilicet seculari, hæreticos imbuit et aerem ecclesiasticæ puritatis infecit, æternæ rhomphæam ultionis necesse est ut non evadat… Verona nutrix hæresis dirum deflebit excidium filiorum (fol. 81 v., 82). — Ut si campus tribulis et urticis, scilicet Patarenis, Gazaris et aliis schismaticis in Tholosa, Livonia (sic) et Ausonia et Liguria diversisque partibus per Italiam occupetur, quum de fumo erroris eorum partes etiam remotissimæ denigrantur. (Fol. 93 v.)
  32. P. 85,124,224.
  33. P. 124,125.
  34. Voir cependant Acta SS., I. c, p. 103.
  35. Dante, Paradis, XI, 58 et suiv.
  36. La rédaction du récit des « trois compagnons » est de l’an 1247.
  37. Voyez surtout p. 98 et suiv. ; 101 et suiv. ; 104,317 et suiv.
  38. Voir l’article précité de M. Daunou.
  39. Script, ord. Prœd., t. Ier, p. 202.
  40. Le manuscrit de Sorbonne 1726 se compose de fragmens divers réunis ensemble et ayant chacun une pagination distincte. La partie qui seule nous intéresse renferme 100 feuillets. On lit sur le dernier feuillet les notes suivantes écrites de différentes mains : Errores qui continentur in Introductorio in Evangelium eternum et in libro Concordiarum Joachim : puis : In hoc volumine continentur extractiones librorum Joachim, et extractiones de Evangelio eterno, et reprobationes eorumdem. — Quod volumen est pauperum magistrorum de Sorbona, ex legato magistri Petri de Lemovicis, quondam socii domus hujus. — Pretii 20 solidorum. — 39us inter originalia mixta sanctorum. — Residuum require in papiro post librum de gradibus electorum. — Chatenabitur.
  41. Les ouvrages ainsi abrégés sont au nombre de sept. 1o Du fol. 1 au fol. 38 v., s’étendent des extraits du livre de la Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament. — 2o Du fol. 38 V. au fol. 48, s’étendent des extraits du Liber introductorius in Apocalypsim, qui, comme nous l’avons vu précédemment, sert d’introduction à l’Exposition de l’Apocalypse par Joachim. — 3o Du fol. 48 au fol. 49, extraits du Psallérion decacorde. — 4o Du fol. 49 au fol. 59, extraits du Commentaire sur Jérémie, attribué à Joachim. — 5o Du folio 59 au fol. 63 v., la lettre de Joachim commençant par ; Loquens Dominus Ezechieli, dont il a été parlé ci-dessus. Elle est inachevée et suivie d’un petit fragment français d’une autre main : Cest que len dit es profecies de Ioachim escrit ou grant liure de Concordances : an lan de grâce mil et cc. et IIIIxx et v. serunt batallies es pleins de Nerbone de quatre rois esqueles morront, etc. — 6o Une lacune, puis, du fol. 65 au fol. 76, des extraits du De oneribus prophetarum, attribué à Joachim. — 7" Du fol. 75 au fol. 78 v., des extraits du Commentaire sur Ézéchiel, attribué de même à Joachim.
  42. Coll. jud., I, p. 163 et suiv.
  43. Voici le commencement, écourté par d’Argentré : « Hæc notavimus et extraximus de Introductorio in Evangelium æternum, misso ad dominum papam ab episcopo Parisiensi, et tradito nobis tribus cardinalibus ad inspiciendum ab eodem domino papa, videlicet O. Tusculanensi, Stephano Prænestino episcopis, et Hugoni Sanctæ Sabinæ presbytero cardinali. »
  44. Les stigmates.
  45. Item in XII. capitulo versus finem, ponit hæc verba : « usque ad illum angelum qui habuit signum Del vivi, qui apparuit circa m. ce. incarnationis dominicæ, quem angelum frater Gerardus vocat et confitetur sanctum Franciscum. »
  46. Eudes de Chateauroux, qui joue un rôle important dans la vie de saint Louis. Voyez Fleury, Hist. Eccl., livre LXXXII, n° 33 ; LXXXIII, n° 45 ; LXXXV, n° 7.
  47. C’est le célèbre Hugues de Saint-Cher.
  48. Hongrois, archevêque de Strigonie. Voyez Fleury, Hist. eccl., LXXXV, n° 7.
  49. Florent ou Florentin, évêque d’Acre, devint ensuite archevêque d’Arles. Nous le trouverons vers 1260 condamnant de nouveau les joachimites au concile d’Arles. Cf. Gallia Christiana, t. Ier, , p. 569.
  50. Ce nom d’évêché est douteux. Serait-ce l’ecclesia panidensis de l’Oriens christianus, III, , p. 966-967 ?
  51. « Anno Domini M°.CC°.LV°, VIII, idus Julii, Anaguiæ, coram nobis, Odone episcope Tusculano, et fratre Hugone presbytero cardinali, auditoribus et inspectoribus datis a papa, una cum reverendo patre Stephano Prænestino episcopo, se excusante per proprium capellanum suum, et nobis quantum ad hoc vices suas committente, comparuit magister Florentius, epi copus Acconensis, proponens quædam verba de libris Ioachim extracta, suspecta sibi, ut dicebas, nec publice dogmatizanda aut prædicanda nec in scriptis redigenda, ut fieret inde doctrina sive liber, prout sibi videbatus. Et ad hæc audienda et inspicienda vocavimus una nobiscum duos alios, scilicet fratrem Bonevaletum, episcopum Pavendensem, et fratrem Petrum, lectorem fratrum prædicatorum Anagniæ, quorum unus tenebat originalia Ioachim de Florensi monasterio, et inspiciebant coram nôbis utrum hæc essent in prædictis libris quæ prædictus episcopus Acconensis legebat et legi faciebat per tabellionum nostrum, et incipiebat sic :
    « Primo notandum est fundamentum doctrinæ Ioachim. Et proposuit tres status totius seculi, IIII. capitulo secundi libri, quod incipit : Inlelligentia vero illa, etc… dicens : « Aliud tempus fuit in quo vivebant homines secundum carnem, hoc est usque ad carnem, cui initiatio facta est in Adam
    … » Ce passage se lit en effet dans la Concorde (p. 8, édit. de Venise, 1519).
  52. Je donne ici les principaux endroits où figure cet important personnage :
    Fol. 94 du manuscrit 1726. Quod exponens frater G. scripsit : « Hæc abominatio erit pseudopapa, ut habetur alibi. » Et istud allibi reperitur longe infra, v. libro Concordiœ de Zacharia propheta, ubi dicitur : « In Evangelio dicitur : Quum videritis abominationem desolationis quæ dicta est a Daniele, etc. » Rursus et ibi frater G. : « Hæc abominatio quidam papa erit simoniaca labe respersus, qui circa finem sexii temporis obtinebit in sede, sicut scribit in quodam libello ille qui fuit minister hujus operis. »
    Fol. 96 v°. Après une citation du Commentaire sur l’Apocalypse : « Hucusque verba Ioachim et fratris Gerardi. »
    Fol. 99. Item habetur per notulam fratris Gerardi super principium ejusdem capituli Danielis, ubi dicit sic frater Gerardus : « Hæc tribulatio, quæ erit talis qualis nunquam fuit, debet fieri, ut ex multis locis apparet tam in hoc libro quam in aliis, circa M.CC.LX annum incarnationis dominicæ ; post quam revelabitur Antichristus. Hæc tribulatio erit in corporalibus et spiritualibus maxime. Sed tribulatio maxima, quæ statim sequetur interposito tamen cujusdam spatio quantulæcumque pacis, erit magis in spiritualibus ; unde erit periculosior quam prima. »
    Fol. 100 v°. Super hoc Girardus in glossa : « In hoc mysterio vocat terram scripturam prioris Testamenti, aquam scripturam novi Testamenti, ignem vero scripturam Evangelii æterni. »
    Ibid. Super hoc glossa fratris Girardi : « Declaratio est ejus quod dicitur Evangelium æternum in secundo libro Psalterii decem ehordarum, scilicet XIX. capitulo, quod incipit : In primo sane tempore. »
    Fol. 102. Notula fratris Girardi : « In hoc loco vir indutus lineis, qui fuit minister hujus operis, loquitur de se et de duobus qui secuti sunt eum statim post M.CC. annum incarnationis dominicæ ; quos Daniel dicit se vidisse super ripam fluminis ; quorum unus dicitur in Apocalypsi Angelus habens falcem acutam, et alius dicitur Angelus qui habuit signum Dei vivi, per quem Deus renovavit apostolicam vitam. » Idem ibidem super illud verbum Evangelium regni : dicit similiter Girardus in notula : « Evangelium regni vocat Evangelium spirituale quod beatus Ioachim vocat Evangelium æternum, quod in adveniu Helyæ prædicari oportet omnibus gentibus, et tunc veniet consummatio. »
    Fol. 102 v°. Dicit fia er Girardus in notula : « Iste doctor sive angelus apparuit circa M.CC. annum incarnationis dominicæ, hoc est ille liber de quo loquitur hic, in quo VII. tonitrua locuta sunt voces suas, quæ sunt mysteria VII. signaculorum
    . »
  53. Coll. Jwl., I, p. 164 et suiv.
  54. Direct. Inq., p. 188-189 (Roma ;, 1578).
  55. De pseudo-Evangelio œterno (præside J. A. Schmidt), p. Il et suiv. (Helmstadt, 1725).
  56. Au lieu de « De quarto libre hujus duo errores extrahi possunt » (d’Argentré), il faut lire : « De quarto libre hujus partis, in primo tractatu, duo errores extrabi possunt. »
  57. D’Argentré, p. 163. Après hœc verba, il faut suppléer : « In primo libro Evangelii æterni, videlicet in secundo secundæ Concordiæ. Et tria prædicta probantur similiter expresse XXI. capitulo, B, ubi distinguitur triplex littera. Ibi : « Attendent vero, etc… » et similiter ante finem ultimi capituli, ubi dicitur : « Illud attendendum, etc. »
  58. Voir ci-dessus, p. 98-99. Ou remarquera qu’il ne s’agit pas ici du commentaire complet sur l’Apocalypse, mais du livre préliminaire que Joachim mit en tête de son exposition sur l’Apocalypse.
  59. Voici cette note, correspondant à Item quod per virum du second document : « Nota ista usque ad finem de erroribus contentis in libro abbatis Joachim, quem vocavit de Evangelio æterno, qui liber est in pulpitro affixo parieti. » Cette note est d’une main du XVe siècle.
  60. « Et licet nuper, præsentibus nobis et procurantibus, a sancta Dei sede apostolica damnata fuerit nova quædam, quæ ex his pullulaverat, doctrina venenata Evangelii spiritus Sancti pervulgata nomine, ac si Christi Evangelium non æternum nec a Spiritu Sancto nominari debuisset ; tanquam pestis hujusmodi fundamenta non discussa fueriut nec damnata, liber videlicet Concordantiarum et alii libri Joachitici, qui a majoribus nostris usque ad hæc tempera remanserunt intacti, utpote latitantes apud quosdam religiosos in angulis et antris, doctoribus indiscussi ; a quibus si ruminati fuissent, nullatenus inter sacros alios et sanctorum codices mixti remansissent, quum alia modica Joachitica opuscula, quæ ad corum pervenere notitiam, tam solemniter sint damnata ;… etc. » (Labbe, Conc., t. XIV, col. 241.) Ne semble-t-il pas que Florent eut sous les yeux une note de classement analogue à celle qui se lit à la fin du ms. 1726 de Sorbonne, 29us inter originalia mixta sanctorum ?
  61. P. 102,233,235,236.
  62. P. 1254 (édit. Londres, 1571).
  63. Scripta sunt tria ista verba Mane Thecel Phares in illo maledicto libro quem appellant Evangelium œternum, quod jam in ecclesia propalatum est, propter quod timendum est de subversione ecclesiœ. De peric. noviss. temp., p. 37.
  64. Directorium Inquisitorum, p. 188 (Romæ 1578).
  65. Ce passage est omis presque en entier dans d’Argentré. « Item quod per virum indutum lineis intelligat Joachim scriptor hujus operis probatur XXI. capitulo circa medium per verba de quinque intelligentiis generalibus et septem typicis, ubi sic ait : « Vir indutus lineis in apertione mysteriorum Ieremiæ ; prophetæ : ecce, ait, præter historicum, moralem, tropologicum, etc. » Item XXIII. circa principium, ita dicitur : « Ad quam scripturam tenetur populus tertii status mundi, quemadmodum populus primi status ad Vetus Testamentum, et populus secundi ad Novum, quantumcumque hoc displiceat hominibus generationis istius. »
  66. «… Sic in principio tertii status erunt tres similes illorum, scilicet vir indutus lineis, et angelus quidam habens falcem acutam, et alius angelus habens signum Dei viri (ici le ms. 1726 porte en interligne : scilicet sanctus Franciscus). Et habuit (d’Argentré « habebit » ) similiter angelos duodecim, inter quos ipse fuit unus, sicut Jacob habuit duodecim in primo statu, et Christus duodecim in secundo. »
  67. La forme de la glose est sensible en particulier dans des passages comme celui-ci… Illæ generationes valde breves erunt, ut apparebit inferius in multis locis » (omis par d’Argentré).
  68. p. 123, 240.
  69. Roman de la Rose, vers 12014 et suiv.
  70. P. 103,203,235.
  71. P. 98,124,131 et suiv.
  72. P. 103 et suiv. ; 233 et suiv.
  73. P. 235-30 ; comparez p. 234-35.
  74. C’est sans doute à des compositions de cette nature que Florent fait allusion dans son concile d’Arles : « Plurima super his phantasiis commentaria facta descripserunt. » (Labbe, t. XIV, p. 242.)
  75. D’Argentré, p. 164. Quod Novum Testamentum non durabit in virtute sua nisi per sex annos proxime futuros, scilicet usque ad annum incarnationis M.CC.LX. Le texte de d’Argentré porte à tort 1269. Comp. d’Argentré, p. 105 haut ; Salimbene, p. 123,223,131,240.
  76. « Jam publiée posita fuit ad explicandum anno Domini 1254. » (De peric. Noviss. temp., 0pp., p. 38.)
  77. Hist. Litt. De la Fr., t. XX, p. 27-28.
  78. Voyez cependant Concorde, l. IV, dernier chapitre, et surtout l. V, ch. 84. Il se peut que ces passages soient des interpolations de Gérard, ainsi que le passage où Joachim prédit expressément les ordres mendians.
  79. P. 101.
  80. Les adversaires des joachimites semblent se douter de la fausseté de ces écrits, les appelant prophetias hominum fantasticorum. Salimbene, p. 131.
  81. «… Libri Joachitici, qui a majoribus nostris usque ad hæc tempora romanserunt intacti, utpote latitantes apud quosdam religiosos in angulis et antris, doctoribus indiscussi. » (Concile d’Arles, Labbe,. t. XIV, col. 241.)
  82. Salimbene, p. 118,123-124,338,389,403. Une tradition fort accréditée parmi les chroniqueurs des ordres mendians voulait même que Joachim eût fait peindre, dans l’église Saint-Marc de Venise, saint François et saint Dominique dans le costume que l’iconographie chrétienne leur a depuis consacré. L’opinion qui voit dans les mosaïques de saint Marc tirées de l’Apocalypse la représentation figurée des idées de Joachim n’est guère moins invraisemblable. Ce qu’il y a de curieux, c’est que plus tard les jésuites voulurent aussi avoir été prédits par Joachim. V. Acta SS. Maii, t. VII, p. 141-142.
  83. Salimbene, p. 98 et suiv., 103 et suiv., 124,141-142,148,319-320. Comp. Hist. litt., XXI, p. 293.
  84. « Paucas particulas de variis expositionibus abbatis Joachim, quæ ante dies aliquot per quemdam fratrem venientem de partibus transnsiontanis mihi sunt allatæ, » dans les Monumenta franciscana, publiés par J. S. Brewer (Londres 1858), p. 140-14Î. Comp. Salimbene, p. 99.
  85. Salimbene, p. 101 et suiv., 318.
  86. Ibid, p. 124,131-133.
  87. Voyez ci-dessus, p. 116.
  88. Salimbene, p. 317-319.
  89. Salimbene, p. 102 et suiv., 233 et suiv.
  90. D’Argentré, op. cit., p. 163 et suiv. D’Argentré a omis le passage suivant : « Item II III. capitulo circa medium dicitur : « Opera quæ fecit Deus trinitas ab initio usque nunc sunt opera Patris (le ms. 1706 porte : Trinitatis) tantum, » et post pauca : « Et nunc tempus in quo operatus est Deus Pater est principium temporis Patris, et potest dici primus status mundi, etc. »
  91. C’était là une particularité de l’ordre de saint François, lequel admettait des laïques dans sa confraternité.
  92. D’Argentré a imprimé à tort independentium pour nudipedum. Il a retranché l’indication des passages visés par la censure et qui sont au nombre de cinq. On lit dans le quatrième document : « Quod nullus est simpliciter idoneus, etc., nisi illi qui nudis pedibus incedunt. » D’Argentré porte ici « idoneus Evangelio. » Nicolas Eymeric porte : « Quod nullus simplex homo est idoneus ad instruendum hominem alium de spiritualibus et æternis, nisi… »
  93. Je n’ai pas besoin de faire remarquer aux hébraïsans le curieux contre-sens que l’on commettait ici.
  94. Ordo parvulorum, allusion au nom des Frères Mineurs. Cf. Salimbene, p. 122.
  95. « Quod prædicatores et doctores religiosi, quando infestabuntur a clericis, transibunt ad infideles ; et timendum est ne ad hoc transeant, ut congregent eos in prælium contra romanam ecclesiam, juxta doctrinam beati Joannis, Apoc. XVI. »
  96. « Quod papa græcus (Nicolas Eymeric : populus græcus) magis ambulat secundum Evangelium (Meyenberg : Spiritum). Les centuriateurs de Magdebourg ont aussi : « Papa græcus. »
  97. D’Argentré, p. 165 ; au lieu de infime lisez in fine.
  98. D’Argentré donne mal ce passage. Il faut lire : «… comparat vetus Testamentum primo cœlo, Evangelium Christi secundo cœlo, Evangellum æternum tertio cœlo. »
  99. Atrio. D’Argentré donne à tort sanctuario d’après 1706.
  100. Voir Concorde, l. v, c. 84. Je suppose que beaucoup d’interpolations de Gérard se sont glissées ici dans le texte de Joachim.
  101. Ce passage est mal donné par d’Argentré : « Item, X. capitulo, D, dicit quod tertius status mundi, qui est proprius Spiritus Sancti, erit sine ænigmate et sine figuris ; unde circa medium ejusdem capituli ponit hæc verba : « Apostolus, I Cor., XIII, loquens de fide et caritate, distinguendo statum fidei, scilicet secundum statum mundi, qui ænigmaticus est, a statu caritatis, qui proprius Spiritus Sancti est et est sine ænigmate, figuravit duorum Testamentorum [diffcrentiam], ut patet alibi, quia comparando unum ad aliud dicit : Ex parte cognoscimus, et ex parte pruphetamus, et hoc quantum ad secundum statum ; quun autem venerit quod perfectum est, scilicet tempus caritatis, quod est tertius status mundi, evacuabitur quod ex parte est, quasi dicat : Tunc cessabunt omnes figuræ, et veritas duorum Testamentorum sine velamine apparebit, et statim subdit : Videmus nunc per speculum, etc. »
  102. D’Argentré a omis presque tout ce passage : « Item, XXVIII. Capitulo, A, dicit Sacram Scripturam divisam in tres partes, scilicet in Vetus Testamentum et Novum et Evangelium, quod capitulum totum est notabile, et totum legatur. Item expresse habetur XXX. capitulo, ubi dicit : « Hæc tria sacra volumina ; » et eodem capitulo, », dicit : « Alia est Scriptura divina quæ data est fidelibus eo tempore quo Deus Pater dictas est operari, et alia quæ data est christianis eo tempore quo Deus filius operari dictus est, et alia quæ nobis data (d’Argentré : « danda » ) est eo tempore quo Spiritus Sanctus proprietate mysterii operatur (d’Argentré : « mysterii Trinitatis operabitur » ). »
  103. Cette interprétation n’est pas donnée dans les manuscrits, sans doute parce que les censeurs dominicains hésitèrent à mêler le nom de leur patriarche à ces systèmes dangereux.
  104. « Nec ædificatorium ecclesiæ », et non « Nec ædificatio », comme porte d’Argentré.
  105. « Quod evangelium Christi neminem ducit ad perfectionem, » omis par d’Argentré.
  106. « Primus est error enumerandi carnales genealogias, » et non « annales » comme porte d’Argentré. Il faut lire ensuite : « Secundus est studium noscendi momenta et tempora eorum quæ venient vel venerunt in secundo statu mundi per ea quæ venerunt in primo statu mundi… »
  107. Roger de Hoveden, apud Savile, Rer. angl. script., p. 681-82. — On attribuait à Joachim une autre réponse toute semblable faite à Adam de Persénie. V. Acta SS. Maii, t. VII, p. 138-139.
  108. J. Wolf, Centenarii, p. 497.— Il est bien remarquable qu’en 1248, lors du départ de saint Louis, les joachimites se montrèrent peu satisfaits. — Salimbene, p. 102.
  109. Salimbene, p. 103.
  110. Ainsi l’entendait certainement Guillaume de Saint-Amour : « Jam sunt 55 anni quod aliqui laborant ad mutandum Evangelium Christi in aliud Evangelium, quod dicuut fore perfectius, melius et dignius, quod appellant Evangelium Spiritus Sancti, sive Evangelium æternum, quo adveniente, evacuabitur, ut dicunt, Evangelium Christi. » De peric. noviss. temp., p. 38. (Opera, Constantiæ [Parisiis] 1632.)
  111. Voir l’article de M. Daunou sur Jean de Parme { Hist. litt. de la Fr, t. XX) et surtout celui de M. Victor Le Clerc sur Guillaume de Saint-Amour et Gérard d’Abbeville (ibid., t. XXI).
  112. Salimbene, p. 104-108.
  113. « Ubi aliquid erroneum reperit vel suspectum, cum linea subducta damnavit, quia totum legi et credi prohibuit quod ipse sua docta manu cassavit. » Acta SS. Marlii, t. I, p. 667.
  114. Matthieu Paris, loc. cit. Fabricius remarque en effet que la condamnation de l’Évangile éternel n’est pas mentionnée dans le Bullaire, tandis que celle du De periculis y est rapportée tout au long. (Codex apocryphus N. T., 2e édition, t. I, p. 337-338.)
  115. Roman de la Rose, vers 11994 et suiv., de l’édition de Méon.
  116. Salimbene, p. 102,103,233. Selon une autre version, Gérard fut délivré de prison par saint Bonaventure dix-huit ans après, et Léonard y mourut. — Fleury, Hist. eccl. livre LXXXIV, n° 27. Salimbene ne parle pas de Léonard.
  117. Salimbene, p. 131,133,317.
  118. Salimbene, p. 137-138. Pour la circonstance des douze compagnons, p. 317-319.
  119. Ibid., p. 101,318.
  120. Ibid., p. 102,103,122,129,130,131,141,148,227,233,235,236.
  121. Acta SS. Maii, t. VII, p. 91, etc.
  122. Salimbene, p. 148-149,297,319.
  123. Hist. Eccl., l. LXXXIV, n° 35.
  124. Voyez l’excellente Histoire des Cathares ou Albigeois de M. C. Schmidt, de Strasbourg (Genève 1848).
  125. Cf. J. M. Meyenberg, De pseudo-Evangelio œterno, § 2 et 3 ; Hauréau, dans la Revue archéologique, décembre 1864. — Saint Antonin attribue à Amaury des doctrines tellement identiques à celles de l’Evangile éternel qu’il faut supposer qu’il en parlait, non d’original, mais par induction et d’après un type convenu pour toutes les sectes empreintes de catharisme et de mysticisme.
  126. Hist. des Cathares, t. Ier, p. 28 ; t. II, p. 151,287. — Voir dom Bouquet, t. X, p. 35,536, etc. ; Cartulaire de Saint-Père de Chartres, t. Ier, p. 100 et suiv., et l’introduction de M. Guérard, p. CCXIV et suiv.
  127. « Præsertim quum in partibus provinciarum quibus licet immeriti in parte præsidemus, jam plurimos etiam litteratos hujusmodi phantasiis intellexerimus eatenus occupatos et illectos ut plurima super iis commentaria facta descripserint, et de manu ad manum dando circumferentes, ad externos transfuderint nationes (Concile d’Arles en 1260, dans Labbe, t. XIV, col. 242). »
  128. Salimbene, 123-124, 228, 240.
  129. Ibid., p. 234-235, 265 et suiv., 284, 303, 308 et suiv.
  130. Ibid., p. 109-124, 241-242, 262, 330-331, 371-372, etc.
  131. Voyez à cet égard la discussion de M. V. Le Clerc (Hist. litt. de la Fr., t. XXI, p. 470 et suiv.). — L’ouvrage de Guillaume peut se lire dans Martène et Durand, Amplissima collectio, t. IX, col. 1273 et suiv.
  132. Col. 1333-34. Dans le De periculis novissimorum temporum (p. 38), Guillaume, exprimant une pensée toute semblable, dit 55 ans, ce qui reporte la composition du De Antichristo cinq ans environ après celle du De periculis.
  133. Un des plus curieux ouvrages écrits sous l’influence de la philosophie de l’histoire de Joachim est le traité de symbolique chrétienne composé pai-Jacques de Carreto, et contenu dans le n° 124 du fonds de Saint-Germain. Je recommande ce volume singulier à quelque jeune travailleur.
  134. Voir dom Luigi Tosti, Storia di Bonifazio VIII, I, p. 183 et suiv. Les prophéties joachimites sur ce pape sont un flot de haine : « Ecco l’huomo della progenie di Scarioto….. Neronicamente regnando, tu morirai sconsolato….. Perché tanto desideri il babilonien principato ?… »
  135. Gui de Perpignan, en sa Summa de hœresibus, identifie expressément les erreurs de Joachim et celles de Pierre-Jean.
  136. Les doctrines de Michel de Césène étaient mot pour mot celles de Joachim, telles que les interprétaient Jean de Parme et Gérard de San-Donnino, V. Baluze, Miscell., t. I, p. 272 et suiv.
  137. Cf. Direct, inq., p. 200 ; d’Argcntré, I, p. 176 ; Schmidt, Hist. des Cath., fréquemment, et surtout la Summa de hœresibus de Gui de Perpignan (Paris, 1528, in-fol.).
  138. Direct, inq., p. 201 et suiv.
  139. Voir Ph. de Limborch, Hist. Inquis., cui subjungitur liber sententiarum Inquis. Tolosanœ, ab anno 1307 ad 1323. (Amstelodami, 1692.) — Baluze, Miscell, t. Ier, p. 213 et suiv. — Manuscrits de Saint-Germain, n° 395,396 (actes de l’inquisition de Toulouse, de 1285 à 1304, inédits), et plusieurs pièces de la collection Donat. Comparez ancien fonds, n° 6193. Étudier surtout le procès de Bernard Délicieux. La bibliothèque de la Minerve à Rome possède beaucoup de pièces du même genre.
  140. Gesta episcuporum Leodiensium, dans Martène et Durand, Ampliss. collectio, t. IV, col. 901.
  141. Voir C. Schmidt, Hist. des Cathares, t. Ier, p. 189.
  142. D’Argentré, Coll. jud., I, p. 374-76.
  143. Acta SS. Maii, t. VII, p. 139-140. — Meyenberg, De pseudo-Evangelio œterno, p. 21 et suiv.
  144. « Insurget sanctissima et nova religio, quæ erit libera et spiritualis, in qua romanus pontifex dominabitur spiritualiter in omni gente a mari usque ad mare. Erit autem illud in tempore vel circa tempus persecutionis Babylonis novæ, id est Romæ, tempore angelici Pastoris, quando afilieta nimis ecclesia liberabitur a jugo servitutis illius. »
  145. D’Argentré, Coll. jud., I, 2e partie, p. 151.
  146. Ibid, p. 207.
  147. Voir sur ce point la monographie de Meyenberg déjà plusieurs fois citée.
  148. Comment oublier cependant le beau roman de Spiridion, où la figure de Joachim a été heureusement devinée, et introduite dans l’ensemble du tableau avec un art merveilleux ?