Traduction par Jacques Porchat.
Théâtre de GoetheLibrairie de L. Hachette et Cietome I (p. 100-128).


PERSONNAGES.

THOMAS.

JÉRY. ( On prononce IÉRY.)

BjETELY.

LE PÈRE DE BiETELY.



JERY ET ByETELY.

OPÉRA1.

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B. ETELY.

(Elle arrive de la prairie, portant deux seaux de lait suspendus à un joug.)

Chante, oiseau, chante ; Fleuris, arbrisseau, fleuris ; Nous sommes de bonne humeur ; Nous n’épargnons pas notre peine, Soir et matin.

Le lin est arrosé, les vaches sont traites, j’ai déjeuné, le soleil est levé sur la montagne, et mon père est encore au lit. Il faut que je l’éveille, afin d’avoir quelqu’un avec qui babiller. Je n’aime pas à rester oisive ; je n’aime pas à«être seule. (Elle prend sa quenouille et son fuseau.) Lorsqu’il m’entend, il a coutume de se lever.

Le Père, sortant de la cabane.

Bonjour, Baetely.

1. Goethe a écrit ce petit acte en prose mêlée de couplets. On y reconnaîtra l’original du charmant libretto qui a obtenu, sous le titre du Chalet, un si brillant succès.



B.ETELY.

Père, bonjour !

LE PÈRE.

J’aurais volontiers dormi plus longtemps, et tu me réveilles avec une gaie chansonnette, si bien que je ne puis gronder. Tu es sotte et gentille en même temps.

Bjetely.

N’est-ce pas, mon père, comme toujours ?

LE PÈRE.

Tu aurais dû me laisser reposer. Ne sais-tu donc pas quand je me suis couché cette nuit ?

BjETELY.

Vous aviez bonne compagnie.

LE PÈRE.

Ce n’était pas non plus aimable de t’échapper de si bonne heure, comme si le beau clair de lune te fatiguait les yeux. Le pauvre Jéry était là pourtant à cause de toi ; il est resté avec moi jusqu’à minuit, assis sur le banc : il m’a fait bien de la peine.

BjETELY.

Vous vous apitoyez d’abord, quand il se plaint et se lamente et répète toujours la même chose, puis reste tranquille un quart d’heure, fait comme s’il voulait déguerpir, et, à la fin, demeure et recommence de plus belle. Cela me fait un tout autre effet à moi : cela m’ennuie.

LE PÈRE.

Je voudrais bien pourtant moi-même te voir décidée à quelque chose.

B/ETELY. .

Serez-vous si content d’être délivré de moi ?

LE PÈRE.

Non pas cela : je te suivrais ; nous en serions mieux et plus commodément l’un et l’autre.

Bjetely. .

Qui sait ? Un mari n’est pas toujours commode.

LE PÈRE.

Mieux est mieux. Nous affermerions ce petit bien ici haut, et nous nous établirions là-bas.



B.ETELY.

Nous sommes pourtant accoutumés comme cela. Notre maison arrête le vent, la neige et la pluie ; notre alpe nous donne ce qu’il nous faut ; nous avons à manger et à boire toute l’année ; nous vendons encore assez pour nous mettre sur le corps un joli vêtement ; nous sommes ici tout seuls et n’avons à ménager personne. Et que vous servirait là-bas dans le bourg une plus grande maison, la chambre mieux lambrissée,.plus de bé tail et plus de gens ? Cela ne fait que donner plus de travail et de souci, et cependant on ne peut ni manger, ni boire, ni dormir plus qu’auparavant. Pour vous sans doute j’aimerais à vous voir plus à votre aise.

LE PÈRE.

Et moi, mon désir serait de n’avoir plus à ni’inquiéter de toi. En effet, je me fais vieux, et je sens bien que je décline. Mon bras droit devient toujours plus roide, et je sens mieux les changements de temps à mon épaule, là où la balle a touché l’os. Et puis, mon enfant, quand une fois je serai parti, tu ne peux rester toute seule ; il faudra te marier, et tu ne sais quel homme tu trouveras. Aujourd’hui, voici un bon garçon qui t’offre sa main. Je roule cela continuellement dans ma tête, j’y pense et m’inquiète pour toi.

Chaque malin,

Nouveau souci,

Souci pour ta jeunesse.

BjETELY.

Tous les soucis Au lendemain ! Ils sont bons pour le lendemain.

Ah ! çà, Jéry que vous disait-il ?

LE PÈRE.

Qu’importe ? Tu n’y fais pas attention.

BjETELY.

Je voudrais savoir s’il y avait quelque chose de neuf.

LE PÈRE.

Rien de neuf : il n’a rien de neuf à dire, tant que tu ne lui ùteras pas le vieux de l’esprit.

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Bjetely.

J’en suis fâchée pour lui. Il pourrait vivre bien eontent : il est seul ; il a de son père un beau bien ; il est jeune et gaillard. A présent, il veut, à toute force, avoir une femme, et justement moi. Il en trouverait dix pour une dans le pays. Pourquoi vient-il si haut chez nous ? Pourquoi me veut-il moi justement ?

LE PÈRE.

Parce qu’il t’aime.

. Bjetely.

Je ne sais ce qu’il Yeut ; il ne sait que me tourmenter.

LE PÈRE.

Pour moi, il ne.me déplairait pas.

B.ETELY.

Il ne.me déplaît pas non plus. Il est joli, actif, brave. L’autre jour, à la foire, il a hardiment jeté par terre cet étranger, qui se vantait d’être si bon lutteur. Il me plaît d’ailleurs tout à fait. Si seulement ces garçons ne voulaient pas épouser tout de suite, et, lorsqu’une fois on a été gracieuse avec eux, s’ils ne vous fatiguaient pas ensuite tout le jour !

LE PÈRE.

Ce n’est que depuis un mois qu’il vient si souvent.

Bjetely.

Il ne se passera pas bien du temps avant qu’il revienne, car, de grand matin, je l’ai vu se glisser dans le pâturage qu’il a dans la forêt là-haut.. De ses jours il n’a visité si souvent ses vaches que depuis quelque temps. Je voudrais qu’il me laissât en repos…. La toile est déjà presque sèche. Comme le soleil est déj à haut ! Et votre déj euner ?

LE PÈRE.

Je le trouverai bien. Aie soin seulement que le dîner soit prêt à l’heure qu’il faut.

BjETELY.

C’est mon affaire plus que la vôtre. (Le père s’en va.)

B^lTELY.

En effet, le voici ! je l’ai bien dit. Les amants sont aussi ponctuels que le soleil. Il me faut commencer une gaie chanson, afin qu’il ne puisse revenir d’abord à son vieux refrain. (Elle se met à faire quelque ouvrage el chante.)



L’eau murmure Et ne s’arrête pas ;

Gaiement les astres Passent dans le ciel ; Gaiement les nuages Volent dans le ciel ; i

Ainsi murmure l’amour, Et puis il s’en va.

Jéry, qui s’est approché de Bxlely.

L’onde murmure, Les nuages passent ; Mais les astres demeurent, Ils cheminent et ne changent pas ; Ainsi fait l’amour Dans les cœurs fidèles ; Il marche, il s’agite, Et ne change pas.

Bjetely.

Qu’apportez-vous de nouveau, Jéry ?

JÉRY.

Toujours les vieilles choses, Baetely.

B.STELY.

Sur notre montagne, nous avons assez de vieilles choses ! Si vous ne voulez rien nous apporter de neuf !… D’où venez-vous si matin ?

JÉRY.

J’ai été voir là-haut sur l’alpe combien il y avait de fromages en provision : là-bas, au bord du lac, il y a un marchand qui en cherche. Je pense que nous ferons affaire ensemble.

BjETELY.

Et cela vous fera encore bien de l’argent.

JÉRY.

Plus qu’il ne m’en faut.

BjETELY.

J’en suis bien aise pour vous.

JÉRY.

Je serais bien aise de vous en donner la moitié ; bien aise de vous donner le tout. Comme ce serait joli, quand j’aurais fait un marché, et reviendrais à la maison et te jetterais les doublons dans ton tablier ! Compte cela, te dirais-je alors, et le garde. A présent, quand je rentre à la maison, il me faut mettre mon argent dans l’armoire, et je ne sais pour qui.



Bjetely.

Combien y a-t-il encore d’ici à Pâques ?

JÉRY.

Pas bien longtemps, si vous me donnez de l’espoir.

BjETELY.

Dieu m’en préserve ! C’était seulement pour dire.

JÉRY.

Tu seras cause d’un grand malheur. Tu m’as déjà souvent troublé la cervelle, au point que, pour te braver, j’en voulais prendre une autre. Et, quand je l’aurais, et que j’en serais bientôt las, et verrais toujours et toujours que ce n’est pas Baetely, je serais pour toujours misérable.

BiETELY.

Il te faut en prendre une belle, qui soit riche et bonne : de celles-là on n’en est jamais dégoûté.

JÉRY.

C’est toi que j’ai désirée et non une plus riche et meilleure.

Je t’épargne mes plaintes, Cependant il me faut dire, Toujours dire : A toi ma vie, A toi seule elle sera.

Ne veux-tu pas m’aimer aussi ?

Veux-tu m’affliger toujours ?

Dans mon cœur tu es à moi : Toujours, toujours je suis à toi.

Bjetely.

Tu sais de bien jolies chansons, Jéry, et tu les chantes fort bien. N’est-ce pas, tu m’en apprendras une demi-douzaine ? Je suis lasse de mes vieilles. Adieu ! J’ai encore beaucoup à faire ce matin. Le père m’appelle. (Elle s en va.)

JÉRY.

Va !

Méprise L’amour fidèle ! Le repentir

Viendra.



[table]

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JERY.

Oui sans doute ; tu t’es allongé ; tuas meilleure façon.

THOMAS.

C’est la vie de soldat ; un soldat a toujours meilleure façon qu’un paysan : ça tient à ce qu’il est plus malmené.

JÉRY.

Tu es en semestre ?

THOMAS

Non, j’ai mon congé. Quand la capitulation fut finie, adieu, mon capitaine, ai-je dit, et je suis revenu chez moi.

JÉRY.

Mais quel habit est-ce là ? Pourquoi portes-tu le chapeau galonné et le sabre ? Tu as encore tout l’air soldat.

THOMAS.

Ils appellent cela en France un uniforme de goût\ quand un homme porte à son gré un habit de fantaisie.

1. Ces mots sont en français dans l’original.



RY.

Le métier ne te plaisait-il pas ?

THOMAS.

Fort bien, parfaitement, mais pas longtemps. Je ne prendrais pas cinquante doublons pour n’avoir pas été soldat. On est un tout autre gaillard ; on devient plus éveillé, plus joyeux, plus adroit ; on peut s’arranger de tout, et l’on sait comme va le monde.

JÉRY.

Comment es-tu venu par ici ? Où vas-tu rôder ?

THOMAS. "

A la maison, chez ma mère, je ne me plaisais pas trop d’abord ; j’ai acheté et pris à crédit une quarantaine de vrais bœufs d’Appenzell, tous noirs et brun-noirs comme la nuit ; je les mène à Milan : c’est un bon commerce. On gagne quelque chose, et l’on s’amuse en chemin. J’ai là mon violon sur moi, avec quoi je rends sains les malades et joyeux les jours de pluie. Mais toi, comment va-t-il, mon vieux Tell ? Tu n’as pas l’air gaillard ? Qu’as-tu donc ?

JÉRY.

Je serais aussi parti volontiers depuis longtemps ; j’aurais aussi essayé volontiers un trafic de la sorte. D’ailleurs j’ai toujours de l’argent qui dort, et je me déplais fort au logis.

THOMAS.

Hem ! hem ! Tu n’as pas l’air d’un marchand ; il faut avoir les yeux éveillés : tu as l’air sombre et chagrin.

JÉRY.

Ah ! Thomas !

THOMAS.

Ne soupire pas : ça m’est odieux.

JÉRY.

Je suis amoureux.

THOMAS.

Rien de plus ? Oh ! moi, je le suis toujours, lorsque j’arrive en un quartier, et que les filles ne sont pas trop affreuses.

Une fillette, un verre de vin, Guérissent tous les maux ; Et qui ne boit et qui n’embrasse Est comme s’il était mort.



RY.

Je vois que tu es devenu comme les autres : ce n’est pas assez que vous soyez gais, il faut aussi que vous deveniez libertins.

THOMAS.

Tu n’y entends rien, compère ! Ton état n’est pas si dangereux. Pauvres sots que vous êtes, la première fois que cela vous prend, vous croyez aussitôt que le soleil, la lune et les étoiles

vont s’abîmer.


Il était un berger paresseux, Paresseux comme les sept dormants ;

De ses moutons il n’avait cure, Une fillette sut le charmer : Voilà l’imbécile désolé. Adieu l’appétit et le sommeil !

Ça l’emmena bien loin, bien loin. La nuit il comptait les étoiles ; Il gémissait et s’affligeait au mieux. Mais, quand elle l’eut pris, Tout revint, La soif, l’appétit, le sommeil. « 

Ah çà, dis-moi, tu veux te marier ?

JÉRY.

Je courtise une tout aimable fille.

THOMAS.

A quand la noce ?

JÉRY.

Nous ne sommes pas encore si avancés.

THOMAS. ’

Comment donc ?

JÉRY.

Elle ne veut pas de moi.

THOMAS.

Elle n’est pas bien avisée.

JÉRY.

Je suis mon maître ; j’ai un joli bien, une belle maison ; je veux prendre son père au logis ; ils seront bien chez moi.

THOMAS.

Et elle ne veut pas de toi ? En a-t-elle un autre en tête ?

JÉRY.

Elle n’en veut aucun.



THOMAS.

Aucun ? Elle est folle. Elle devrait remercier Dieu, et te prendre des deux mains. Qu’est-ce donc que cette mauvaise tête ?

JÉRY.

Voilà un an que je la courtise. Elle demeure dans cette maison avec son père. Ils vivent de ce petit bien ici près. Elle a déjà envoyé bien loin tous les jeunes garçons ; tout le voisinage est fâché contre elle. A l’un elle a donné fièrement une corbeille ’ ; elle a tourné la tête au fils d’un autre. Le plus grand nombre se sont vite consolés et ont pris femme : moi seul je ne puis gagner cela sur moi, quelques jolies filles que l’on m’ait proposées.

THOMAS.

Il ne faut pas la prier longtemps. Que veut faire cette jeune fille toute seule dans les montagnes ? Si son père vient à mourir, que deviendra-t-elle ? Il faudra qu’elle se jette au cou du premier venu.

JÉRY.

« Ce n’est pas autrement.

THOMAS.

Tu ne sais pas t’y prendre. Il ne faut que lui parler droit, et cela un peu vertement. Est-elle au logis ?

JÉRY.

Oui.

THOMAS.

Je veux être courtier de mariage. Que gagnerai-je, si je te la fais épouser ?

JÉRY.

Il n’y a rien à faire. Que gagnerai-je ? Ce que tu voudras.

THOMAS.

Dix doublons : il me faut un bon salaire.

JÉRY.

De tout mon cœur.

1. Expression piqverbiale pour marquer le refus d’un épouseur.


THOMAS.

JERY.



THOMAS. A présent laisse-moi faire.

JÉRY.

Comment veux-tu t’y prendre ?

THOMAS.

Adroitement.

JÉRY.

Mais enfin ?

THOMAS.

Je veux lui demander ce qu’elle ferait s’il venait un loup.

JÉRY.

C’est une plaisanterie.

THOMAS.

Et si son père mourait.

JÉRY.

Ah !

THOMAS.

Et si elle devenait malade.

JÉRY.

Parle bien au moins !

THOMAS.

Et quand elle deviendra vieille.

JÉRY.

Tu as appris à parler.

THOMAS.

Je lui conterai des histoires.

JÉRY.

Très-bien.

THOMAS.

Je lui saurai dire qu’on doit remercier Dieu, lorsqu’on trouve un honnête garçon.

JÉRY.

Parfaitement.

THOMAS.

Je veux te faire valoir ! Va toujours ! va !

JÉRY.

Nouvel espoir, nouvelle vie,

Ce que mon Thomas me promet I



THOMAS. . . ’

Ami, te donner une femme,

Ce n’est pas le plus grand bienfait.

(Jéry s’en va.) Thomas, seul. ; A quoi n’arrive-t-on pas dans le monde ? Je n’aurais pas imaginé qu’à côté de mon commerce de bœufs, je gagnerais encore une paraguante, comme faiseur de mariages. Je veux voir pourtant quel dragon est cette fille, et si l’on ne peut absolument parler raison avec elle. Le mieux sera de faire comme si je ne connaissais pas Jéry, et ne savais rien de ses affaires, et puis je la prendrai en flanc avec ma proposition. (A part, en voyant Bœtely qui sort de la cabane.) C’est elle ! Oh ! elle est jolie. (Haut.) Bonjour, ma belle enfant.

Bjetely.

Bonjour ! Souhaitez-vous quelque chose ?

THOMAS.

Un verre de lait ou de vin, ma belle, serait pour moi un vrai cordial. Voici trois heures que je gravis la montagne et je n’ai rien trouvé.

BiETELY.

De bon cœur, et avec ça un morceau de pain et de fromage ; du vin rouge, de bon vin d’Italie.

THOMAS.

Charmant ! Est-ce là votre maison ?

BiETELY. . ’ .

Oui, j’y demeure avec mon père.

THOMAS.

Hé ! hé ! Ainsi tout seuls !

BjETELY.

Nous sommes deux. Attendez, je vais vous chercher à boire, ou plutôt venez là dedans. Que voulez-vous rester là dehors ? Vous pourrez raconter quelque chose à mon père.

THOMAS.

Non pas, mon enfant, ça ne presse pas. (Il la prend par la main et l’arrête.)

Bjetely, se dégageant. Hé ! que signifie cela ?



THOMAS.

Laissez-moi vous dire un mot. (Il la prend. )

Bjetely, même jeu. Croyez-vous ?… Me connaissez-vous déjà ?

THOMAS.

Pas si pressée, aimable enfant 1 Hé ! si jolie et si sauvage !

BjETELY.

Parce que la plupart sont folles, Croyez-vous que’toutes le soient ?

THOMAS.

Non, je ne te lâcherai pas : Fillette, sois plus raisonnable.

BjETELY.

Votre soif, je crois, n’est pas grando : Passez, passez votre chemin.

(Bsetely rentre dans la maison.),

THOMAS.

J’ai mal commencé l’affaire. J’aurais dû l’apprivoiser d’abord, m’établir, manger et boire, et puis faire mes propositions. Thomas, tu es toujours trop prompt ! Mais pouvais-je donc croire qu’elle serait si farouche ? Elle est aussi sauvage qu’un écureuil. Il faut que j’essaye encore une fois. (Du côté de la cabane.) Encore un mot, jeune fille !

Bjetely, à la fenêtre.

Passez votre chemin. Il n’y a rien ici pour vous. (Elle ferme la fenêtre. )

THOMAS.

Grossière personne ! Si elle traite ses amants de la sorte, je suis surpris qu’il lui en reste un seul. Le pauvre Jéry en viendra difficilement à bout. Il faudrait qu’elle trouvât un mari qui répondît du bois, quand elle crierait dans le bois1. Lafière petite créature se croit bien en sûreté dans ces montagnes ! Si pourtant quelqu’un faisait un jour l’insolent, elle devrait le souffrir, et j’aurais presque envie de la dégoûter du célibat. Si Jéry me guette, s’il espère et s’il attend, il se rira de moi, si peu que la chose soit risible pour lui. Mille diables ! il faut qu’elle écoute ce que j’ai à lui dire. Je veux au moins m’acquitter de ma commission. Renoncer comme cela du premier coup, c’est par trop honteux. (Il heurte fortement à la porte de la cabane.) A présent, sans plaisanterie, jeune fille, ouvrez, soyez assez bonne pour me donner un verre de vin. Je payerai volontiers. B.s :tely, à la fenêtre. Ce n’est pas ici une auberge. ’Passez votre chemin ; nous ne sommes pas accoutumés à ces choses-là dans le pays. Comme les gens se conduisent on se conduit avec eux. Ne vous donnez pas cette peine. [Elle ferme brusquement la fenêtre. )

1. Expression proverbiale, dont nous avons cru devoir conserver la naïveté ; pour dire « un mari qui lui répondît sur le même ton, lorsqu’elle crierait. »



THOMAS.

Sotte et capricieuse créature ! Je veux te montrer que tu n’es pas là haut fort en sûreté. Museau de singe ! Nous verrons qui viendra la secourir. Et, si elle est une fois bien avertie, elle n’aura plus envie de s’exposer ainsi toute seule. Fort bien ! Puisque je ne peux lui donner ma leçon de bouche, je la lui donnerai par des signes fort intelligibles. Voici justement mon troupeau qui arrive au haut de la montagne. Il prendra le repos de midi dans son pré. Ah ! ah ! Ils arrangeront joliment son herbage, et lui fouleront bien son terrain. ( A la cantonade. ) Holà ! Hé ! (Un valet paraît.) Ne montez pas plus haut pendant la chaleur. Voici une prairie pour se reposer. Faites-y entrer tout le troupeau. Eh bien, pourquoi rester ébahi ? Fais ce que je t’ordonne ; comprends-tu ? Ici, dans cette prairie, sans façon ; et ne vous inquiétez de rien, quoi qu’il arrive. Faites-les paître et reposer. Je connais les gens ici, je leur parlerai. (Le pâtre s’en va. ) Mais, si la chose va devant le bailli ?… Eh ! quoi donc ? Une légère punition ! Je pense que le traitement réussira ; et, s’il ne sert de rien, nous sommes tous vengés d’un seul coup, Jéry et moi et tous les amants et les affligés. (// monte sur le rocher près du ruisseau, et parle à ses gens hors du théâtre. ) Poussez donc les bœufs ici dans le pré ! Arrachez hardiment la cloison ! Bien ! Allons, tous !… Bergers, par ici, là dedans…. Bien, comme cela ! Qu’on se réjouisse ! Mettez-moi dehors les vaches !… Quelles cabrioles elles font, parce qu’on les chasse de leur territoire !… A présent, nargue de la babouine ! (Il s’assied sur le rocher, prend son violon, racle et chante.)



Un quolibet, qui veut l’entendre,

Qu’il accoure vitement ;

L’auteur en est Holopherne, Il est encore tout battant neuf.

Le Père, sortant vivement de la cabane. Qu’arrive-t-il ? Qu’osez-vous faire ? Qui vous donne ce droit ? Qui donc ?

THOMAS.

Dans la Pologne et l’Empire romain Ça ne va pas mieux que cela.

B.ETELY.

ici te crois-tu gentilhomme, Que nul ne te puisse empêcher ?

THOMAS.

Une fille bien avisée Prendra pour elle un mari.

LE PÈRE. Voyez quelle audace inouïe ! Attends, tu recevras ta parti

Thomas, même jeu. On dit que pour un dur billot, Il faut un coin de forte taille.

Bjetely.

Insolent, passe ton chemin ! Quel mal t’ai-je fait ?

THOMAS.

Pardonnez-moi ’ ! Vous me prenez pour un autre.

(7/ s’éloigne. )

BjETELY.

Devons-nous le souffrir ?

LE PÈRE.

, Sans vengeance !

B^TELY.

Appelez au secours, Au secours les voisins !

(Lepère s’éloigne.)

1. Ces mots sont en francais dans le texte.



Bjetely.

Mon cœur bondit De douleur, de colère. Je me sens, hélas ! De fureur égarée, Et si faible dans ma fureur 1…

Thomas, qui revient.

Accorda-moi, ma belle, Seulement un doux regard ; A l’instant mon troupeau Quittera la montagne.

Bjetely.

Oses-tu bien devant mes yeux Te montrer encore ?

THOMAS.

Ma chère, oh ! ne te fâche pas ! Tu es vraiment si jolie !

Bjetely.

Extravagant !

THOMAS.

0 douce, 0 céleste figure’

Bjetely.

Ah ! je suffoque, J’expire de fureur !

(Il veut l’embrasser, elle le repousse et se jette dans la cabane. Il veut ouvrir la fenêtre à coulisse. Comme Bsetely la retient, il casse quelques vitres, et, dans son emportement, il brise les autres.)

Thomas, qui revient sur le devant de la scène, Vair inquiet. St ! st ! C’était trop fou. Le jeu devient sérieux maintenant. Tu pouvais entreprendre ton épreuve plus sagement. Un courtier de mariages ne devrait pas enfoncer les portes. On voit bien que j’ai toujours fait le courtier pour moi-même. Alors il n’est pas mal d’aller tout droit et sans cérémonie…. Que faut-il faire ? Cela fait du vacarme. Il faut voir à m’en tirer honorablement, et qu’il ne semble pas que j’aie peur. Agissons résolument ; musique, et puis, sans bruit, retraite ! (Il s’avance du côté de la prairie en jouant du violon. )



LE PÈRE.

O ciel ! quelle colère ! quel chagrin ! Le scélérat ! Je sens aujourd’hui, pour la première fois, que je n’ai plus, comme au temps passé, de moelle dans les os ; que mon bras est infirme, que mes pieds ne savent plus courir. Attendez-vous-y ! Pas un voisin qui remue ; ils sont tous fâchés contre moi à cause de ma fille. J’appelle, je parle, je raconte : aucun ne veut risquer quelque chose pour me faire plaisir ; même ils se raillent quasi de moi. (Se tournant vers la prairie.) Voyez quelle insolence ! quelle audace ! Comme il se promène en jouant du violon ! La cloison enfoncée, (se tournant vers la maison) les fenêtres brisées ! Il ne lui manque plus que de piller…. Ne viendra-t-il donc pas un voisin ? Je n’aurais pas cru qu’ils m’en voulussent de la sorte. Oui, oui, c’est cela ! Ils regardent, ils prennent des airs moqueurs. Votre fille est assez hardie, dit l’un, laissez-la batailler avec le drôle…^ N’en a-t-elle aucun, crie l’autre, quelle mène par le nez, qui se fasse casser les côtes pour l’amour d’elle ?… Qu’elle attrappe cela pour mon fils, qui a quitté le pays pour ses beaux yeux, dit un troisième…. Inutile !… C’est affreux ! c’est abominable ! Oh ! si Jéry était dans le voisinage ! Lui seul pourrait nous sauver. Bjetely. Elle sort de la cabane, le père va au-devant de sa fille ; elle s’appuie sur lui.

Mon père ! sans soutien ! sans secours !… Cette injure ! Je suis toute hors de moi…. Je n’en crois pas mes yeux, et mon cœur ne peut le supporter. (Jéry paraît. )

LE PÈRE.

Jéry, sois le bienvenu ! sois béni !

JÉRY.

Que se passe-t-il chez vous ? Pourquoi êtes-vous si troublés ?

LE PÈRE.

Un étranger dévaste nos herbages, brise les vitres, met tout sens dessus dessous. Est-il fou ? est-il ivre ? Que sais-je ? que sais-je, moi ? Personne ne peut l’arrêter, personne…. Punis-le ! chasse-le !

JERY.

Restez tranquilles, mes amis, je vais l’empoigner : je vous rendrai le repos ; vous serez vengés.



B.ETELY.

O Jéry ! cher, fidèle Jéry ! Que tu me réjouis ! Sois notre sauveur, homme unique ! homme courageux !

JÉRY.

Allez à l’écart ; enfermez-vous dans la maison. Soyez sans inquiétude ! Laissez-moi faire ! Je vous vengerai et le chasserai certainement. (Le père et Bsetely s’en vont. )

Jéry. qui se munit iïun bâton.

De rencontrer Le téméraire Mon cœur brûle. Quel attentat ! Lui faire offense !

La défendre,

Quel plaisir 1

(Il s’avance vers la prairie.) Partez de ce lieu ! Je n’épargne personne. (En voulant s’en aller, Thomas le rencontre.)

. THOMAS.

Ménage les paroles. Ces bœufs sont à moi.

JÉRY.

Thomas ! THOMAS.

0 Jéry !… D’ici dois-je partir ?

JERY.

As-tu perdu la tête ? Est-ce toi qui fais cela ?

THOMAS.

Jéry, oui, Jéry ! Mais, écoute-moi.

JÉRY.

Traître, défends-toi ! Je vais t’assommer.

THOMAS.

Crois-moi, il me reste Des os et des membres.



RY.

Défends-toi.

THOMAS.

Je le puis,

JÉRY.

Va-t’en ! va-t’en !

THOMAS.

Jéry, sois sage. Écoute un mot seulement !

JÉRY.

Avance et je te brise

Le crâne en deux morceaux !

Amour, amour,

Tu me protèges !

(Jéry pousse Thomas devant lui ; ils s’éloignent en se battant. Bxtely, alarmée, sort de la cabane ; les deux combattants reviennent sur le théâtre ; ite se sont pris corps à corps et ils luttent. Thomas a l’avantage sur Jéry.)

BjETELY.

Jéry, Jéry,

Écoute ! écoute. Ne voulez-vous pas écouter ? Au secours ! au secours !

Père, au secours ! Arrêtez-vous ! arrêtez-vous !

(Ils luttent et se déballent en tournant, enfin Thomas terrasse Jéry.)

Thomas, d’une voix entrecoupée, en reprenant haleine peu à peu. Te voilà par terre !… Tu m’as donné de la peine !… double peine !… Tu es un vigoureux garçon et mon bon ami ! Te voilà parterre à présent !… Tu ne voulais pas écouter ! Ne sois plus si prompt ! C’est une bonne leçon. Pauvre Jéry !… Si cette chute pouvait aussi te guérir de ton amour ! (A Bselely, pendant quelle s’occupe de Jéry, qui s’est relevé. ) C’est pour l’amour de toi qu’il souffre, et je suis fâché de lui avoir fait mal. Prends soin de lui, de le panser, de le guérir. Il a trouvé son homme : c’est un grand bonheur, si, à cette occasion, il trouve aussi une femme ! Je me mets en route, et ne puis tarder plus longtemps. (Il s’éloigne. )



Jéry, qui, dans Vintervalle, accompagné de BseUly, s’est approché de la table, sur le devant de la scène, et s’est assis. Laisse-moi, laisse-moi !

BJETELY.

Je te laisserais, toi qui a pris si fidèlement ma défense !

JÉRY.

Ah ! je ne puis encore m’en remettre : je combats pour toi et je suis vaincu ! Laisse-moi, laisse-moi !

B.ETELY.

Non, Jéry, tu m’as vengée ; même en succombant, tu es vainqueur : regarde, il emmène son troupeau ; il met fin à ce désordre.

JÉRY.

Et il n’en est pas puni ! Il se promène insolemment, se vantant de ce qu’il a fait, et il ne payera pas le dommage ! Je meurs de honte.

Bietely.

Tu es pourtant le plus fort de tout le canton. Les voisins euxmêmes disent comme tu es brave. Cette fois, c’est un accident : tu as heurté contre quelque chose. Sois tranquille, console-toi. Regarde-moi. Dis-moi vrai, es-tu blessé ?

JÉRY.

Ma main droite est foulée. Ça ne sera rien ; ce sera bientôt guéri.

B.ETELY.

Laisse-moi la tirer ! Ça te fait-il mal ?… Encore une fois ! Oui, voilà qui est fait. Ça ira mieux.

Jéry ! Je ne suis pas digne de tes soins.

B.STELY.

C’est pour moi que tu souffres. Je n’ai pourtant pas mérité que tu prisses ma défense si chaudement.

JÉRY.

N’en parle pas !

BjETELY.

Si modeste !… Certainement je ne l’ai pas mérité de toi. Vois donc, ta. main est meurtrie, et tu n’en dis rien.

JÉRY.

Laisse donc : c’est une bagatelle.



Bjetely.

Prends ce mouchoir, ou tu seras couvert de sang.

JÉRY.

Cela guérit de soi-même ; cela guérit bientôt.

Bjetely.

Non, non ; je veux tout de suite, te préparer une compresse. Le vin chaud est bon et salutaire. Attends, attends un peu ; je reviens à l’instant. (Elle entre dans la cabane.)

Jéry, seul.

Enfin, enfin j’ose espérer ; .Oui, le ciel s’ouvre devant moi. Tout à coup Se glisse au fond de la nébuleuse vallée Un rayon de soleil souhaité.

Ouvrez-vous toujours plus, nuages ! Ciel, deviens tout à fait serein ! Amour, fais cesser mon tourment !

Thomas. Il arrive par le côté et il observe. Écoute, Jéry !

JÉRY.

Quelle voix ! Impudent ! Oses-tu bien te montrer ?

THOMAS.

Paix ! paix ! Point de colère ! Point d’emportement ! Écoute seulement deux mots que j’ai à te dire.

JÉRY.

Tu sentiras ma vengeance, dès qu’une fois je serai guéri.

THOMAS.

Ne perdons pas le temps à babiller. Écoute-moi, c’est pressant,

JÉRY.

Éloigne-toi de mes yeux ! Tu me fais horreur !

THOMAS.

Si tu perds cette occasion, elle est pour jamais perdue. Reconnais ton bonheur, un bonheur que je te procure. Sa rigueur disparaît ; elle est reconnaissante ; elle sent ce qu’elle te doit.

JÉRY.

Tu veux me faire la leçon ? Fou, malhonnête !

THOMAS.

Insulte-moi, pourvu que tu veuilles m’écouter. Bref, je lui ai joué ce tour extravagant : c’était moitié calcul, moitié hasard. Suffit, elle trouve qu’un homme brave est un bon secours. Certainement, elle deviendra sage…. Tu ne voulais pas m’écouter : j’ai dû me mettre en défense. C’est ta propre faute, si je t’ai mis par terre, si je t’ai blessé.



JÉRY.

Va, va, tu ne me persuades pas.

THOMAS.

Vois donc comme tout réussit, comme tout va s’arranger. Elle est corrigée, elle t’estime, elle t’aimera. Mais ne t’endors pas, ne rêve pas ; bats le fer pendant qu’il est chaud.

JÉRY.

Cesse et ne me fatigue pas plus longtemps.

THOMAS.

Il faut pourtant te le dire encore une fois : sois content ! Tu m’es redevable de cela ; toute ta vie tu me seras obligé de ton bonheur. Pouvais-je mieux remplir ta commission ? Et, si la façon a été un peu singulière, nous avons pourtant fini par atteindre le but. Tu peux te réjouir : arrange-toi avec elle. Je reviendrai, vous m’excuserez, et, si cela va bien pour vous, vous louerez même mon coup de tête, mon extravagance.

JÉRY.

Je ne sais que penser.

THOMAS.

Crois-tu donc que, sans aucune raison, j’aurais voulu l’offenser ?

JÉRY.

Frère, c’était une folle idée : comme un tour de soldat, ça peut passer.

THOMAS.

L’important, c’est qu’elle soit ta femme : après quoi, c’est indifférent de savoir comment le courtier s’y est pris. Voici le père : adieu pour un moment. (Il s’éloigne.)

LE PÈRE.

Jéry, quelle singulière aventure est-ce là ? Dois-je l’appeler un malheur ? dois-je l’appeler un bonheur ? Beetely est toute changée ; elle reconnaît ton amour, elle t’estime, elle t’aime, elle pleure à cause de toi. Elle est émue comme je ne la vis jamais.



JÉRY.

Pouvais-je attendre une pareille récompense ?

LE PÈRE.

Elle est toute saisie ; toute pensive, elle est là près du foyer ; elle songe au passé, et comme elle s’est conduite avec toi. Elle songe à ce qu’elle te doit maintenant. Va, sois content ! Je gage qu’elle résout aujourd’hui même ce qui nous réjouira ce que nous désirons tous deux.

JÉRY.

Pourrai-je la posséder !

LE PERE.

Elle vient, je lui cède la place. (Il s éloigne.)

B.ŒTELY, portant un pot et du linge.

J’ai tardé longtemps, bien longtemps. Viens, n’attendons pas davantage ; Viens et montre-moi ta main.

Jéry, pendant quelle lui met une compresse.

Chère âme, mon cœur Reste confus de ta bonté. Qu’il fait de bien ce pansement !

Bjetely, qui a fini de lui donner ses soins.

Sens-tu toujours ta blessure ?

JÉRY.

Ma chère, elle est déjà guérie : Depuis que ta main l’a touchée, Je n’ai plus senti de douleur.

B/ETELY.

Parle, mais parle sincèrement ! Regarde-moi franchement au visage ! Ne me trouves-tu pas affreuse,

Jéry ? mais ne flatte pas ! Toi qui m’as donné tout ton cœur, Celle que tu as si bien défendue, Comme elle t’a souvent offensé, Et chagriné et repoussé 1

Ton amour est-il passé ? Ton cœur s’est-il éloigné ? Laisse-moi seule à ma peine 1 Crois-moi, je veux la souffrir, Pleurer ma faute en silence : Mais toi, sois toujours heureux !



RY.,

L’onde murmure, Les nuages passent, Mais les astres demeurent : Ils cheminent et ne changent pas. Ainsi fait l’amour Dans les cœurs fidèles : Il marche, il s’agite Et ne change pas.

(Ils se regardent Vun Vautre ; Bsetely semble émue et indécise.)

JÉRY.

Ange, tu me sembles favorable. Mais, je t’en prie, retiens ce mouvement, Il est temps, il est temps encore ! Aisément, bien aisément on est trompé Par l’émotion, l’entraînement, Par la bonté et la reconnaissance.

BjETELY.

Non, je ne suis pas trompée I Je rougis, quand je considère Ton amour et ton courage. Ami, je te suis dévouée. Veuille, veuille croire à ce mouvement De mon amour, de ma reconnaissance.

JÉRY.

Arrête ! Ne te presse pas ! C’est déjà pour ma récompense Assez d’un regard gracieux.

Bjetely, après une pause.

Peux-tu mouvoir encor ta main ? Parle, y sens-tu de la douleur ?

Jéry, levant la main. Non, je peux bien la remuer. B.ŒTELY, lui présentant la sienne. Eh ! bien, Jéry, donne-la-moi !

Jéry, reculant un-peu.

f Dois-je douter encore ?

Dois-je me réjouir ? Seras-tu toujours à moi ? Auras-tu des regrets ?



B.ETELY.

En moi prends confiance ! Oui, je suis à toi.

Jéry, lui frappant dans la main.

Je suis pour jamais le tien : Sois aussi la mienne.

(Ils s’embrassent.)

ENSEMBLE.

Amour, amour, Tu nous enchaînes ! Permets que les dernières heures Soient heureuses comme les premières !

Le Père, qui survient.

Que vois-je ? 0 ciel ! Dois-je le croire ?

JÉRY.

Dois-je la posséder ?

Bjetely.

Veux-tu le permettre, Père ?

JÉRY.

0 père ! LE PÈRE.

Mes enfants….

ENSEMBLE.

0 bonheur !

LE PÈRE.

Mes enfants, vous me rendez, Vous me rendez ma jeunesse.

JÉRY ET BiETELY, à geUOUX.

Bénissez-nous !

LE PÈRE.

Je vous bénis !

ENSEMBLE.

Heureux !… bénis !…

Thomas, entrant en scène.

Osé-je me montrer ? Osè-je le risquer ?



BJÎ TELY.

Quelle audace I

JÉRY.

Quelle conduite !

LE PÈRE.

Quelle témérité I

THOMAS.

Écoutez-moi, Dans l’ivresse, J’ai l’ait ce bruit :

Appelez les anciens Pour estimer le dommage :

Je payerai l’amende ;

Je veux tout réparer.

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Et pour mon courtage Je recevrai dix doublons ; La peine, le dommage, Ne montent pas plus haut.

(Haut à Bxtely.) Rends-toi i

(Au père.) Écoutez-moi !

(A Jéry.) Prie pour moi !

JÉRY.

Pardonnons, mes amis,

A sa folie.

Qu’en ce beau jour Chacun se réjouisse ! Allons, pardonnez-lui !

Mtely et Le Père, à Jèry.

Nous te cédons.

(A Thomas.) On te pardonne.

ENSEMBLE.

Oh ! l’heureux jour i

(On entend le son du cor, dans le lointain, de tous côtés, d’abord sans voir personne et isolément ; ensuite les bergers paraissent ensemble sur les rochers. )

CHOEUR DES BERGERS.

Écoutez ces cris ! Écoutez ce tapage !



Étaitce en bas ?

Était-ce en haut ? Venez au secours, Où que ce puisse êtrel

Jéry, Bjetely, Le Père, ensemble. Vois-tu comme cela tourne mal, Ce que tu fis étourdiment Et follement ?

THOMAS.

Vite que de ces gens l’on rie ! Quand nous avons fini, Ils commencent !

Le Chœur, entrant en scène. Un bruit de meurtre et de bataille Est parti de ce lieu.

JÉRY, BiETELY, LE PÈRE, THOMAS.

Et l’amour et le mariage Se trouvent dans ce lieu.

LE Chœur, courant çà et là. Volez au secours, Où que ce puisse être !

JÉRY, B.ŒTELY, LE PÈRE, THOMAS.

Amis et voisins, silence 1… Tout est fini maintenant.

(La troupe s’apaise et se range des deux côtés du théâtre.)

M

Thomas, s avançant au milieu. Un quolibet !… qui veut l’entendre Écoute et tienne bon : Les sages sont tous bien loin, Mais le fou est sous la main. Je dis cela, bons voisins ; Je ne veux pas tout dire.

(Thomas prend un jeune garçon par la main, et l’amène sur le devant du théâtre ; il lui fait des caresses et chante : 1

Si jamais tu cherches femme, N’enfonce pas la porte du logis.

(Thomas continue et parle en prose au jeune garçon : )

Eh ! bien, qu’ai-je dit ?… Il te faut tout de suite l’apprendre par cœur.

LE JEUNE GARÇON.

N’allez pas, si vous cherchez femme, Enfoncer lourdement la porte du logis.



THOMAS.

Fort bien 1 et tu t’en souviendras, Si quelque jour tu cherches femme. C’est l’important de l’affaire ; C’est la morale I

Thomas et le Jeune Garçon, aux spectateurs :

Vous-mêmes, si vous cherchez femme, N’enfoncez pas la porte du logis.

Le Chœur. On s’est expliqué par gestes.

Vous-mêmes, si vous cherchez femme, N’enfoncez pas la porte du logis.

THOMAS.

Ils sont à deux : Pardonnez-vous l’un à l’autre ! J’ai mon pardon : Je pars, adieu !

TOUS.

La paix sur les monts ! La paix dans les prairies ! Prêtez, ô forêts,

De frais ombrages A. la jeune femme,

A son mari ! En marche à l’autel !

Plus près du ciel, Qu’une troupe d’enfants

Réjouisse les voisins,

Réjouisse les époux ! Maintenant, en foule, Marchons à l’autel !

FIN DE JERY ET B.ETELY.