Jeanne d'Arc, hymne à la sainte Vierge

JEANNE D’ARC,
HYMNE
A LA SAINTE VIERGE,
QUI A CONCOURU POUR LE PRIX ;
Par M. Lapène, Avocat, à Saint-Gaudens.


Manum suam misit ad fortia. Prov. 31. 19.


Elle était dans les fers cette illustre Héroïne,
La terreur d’Albion et l’orgueil des Français :
Captive hélas ! de ces mêmes Anglais
Dont son bras triomphant consommait la ruine,
D’affreux tourmens vont punir ses hauts faits !
Du bûcher qui l’attend l’intrépide guerrière
Voit les feux dévorans sans trouble et sans effroi ;
Et, près de son heure dernière,
De la Reine des cieux sa touchante prière
Implore les secours pour la France et son Roi.

O toi, dont le trône s’élève
Au-dessus des monts éternels,
Mère du Créateur, Fille puissante d’Ève,
Qui, des champs étoilés, veilles sur les mortels,

Mais qui, sur notre telle France,
Laissas toujours de préférence
Tomber tes regards maternels,
Toi, de mes jeunes ans céleste protectrice,
Qui, loin du souffle impur du vice,
Leur ouvris un refuge au pied de tes autels ;
Ah ! tu vois si ce cœur est en proie aux alarmes,
Ou si, fier du trépas qu’on m’apprête en ce lieu,
Les plus cruels tourmens n’ont pas pour lui des charmes !
S’immoler pour son Roi, c’est mourir pour son Dieu.
Oh ! reçois-les toujours sous ta garde sacrée,
Ce Monarque si cher, cette France adorée,
A qui mon cœur dit son dernier adieu !
Tu le sais : quand ce bras s’arma pour leur défense,
Quand, d’un sexe timide oubliant les travaux,
Mais conservant mon innocence,
Loin de l’humble séjour qui cacha mon enfance,
Contre un fer belliqueux j’échangeai mes fuseaux ;
Des triomphes guerriers la gloire éblouissante
Ne vint point m’enivrer de ses trompeurs attraits :
Tu parlas, et ta voix puissante
Fit dans mon ame obéissante
Retentir du Très-Haut les sublimes décrets :
« Pars, me dis-tu ; que ta main virginale
« S’arme au plutôt du glaive des combats ;
« Vole à ton Roi ; d’une lutte inégale
« Par ta valeur cours sauver ses États ;
« D’un feu céleste embrase ses soldats ;
« Aux fiers Anglais ta main sera fatale. »
Mille exploits l’ont rempli cet oracle divin.

Hélas ! il n’éclairait de sa vive lumière
Que la moitié de mon destin !
Salut, preux Chevaliers ! dans cette main guerrière,
Ne resplendira plus l’héroïque bannière
Qui flottait dans vos rangs au signal du danger !
Je meurs, et ma noble patrie
Voit encor dans ses champs les fils de l’étranger !
O son unique espoir ! ô puissante Marie !
Sur ces Français objet de ton amour,
Et que ta main retira de l’abîme,
Tourne encore un regard du céleste séjours :
Arrache de leurs fronts le joug qui les opprime ;
Frappe le ravisseur ; au Prince légitime
Rends le trône de ses aïeux ;
Et ne souffre plus que la rage
D’un usurpateur odieux
Des fils de Saint Louis déchire l’héritage !
Si, devant le maître des deux,
Du juste immolé par le crime
Le sang fut toujours précieux,
Pour le salut des miens offre-lui la victime
Qu’un barbare ennemi va frapper à tes yeux.
Sur l’Empire des Lis que mon heureux supplice
D’un Dieu plus favorable appelle les bienfaits :
Contente de mon sang, ah ! puisse la justice
Dans le long cours des ans épargner aux Français
Du plus terrible sacrifice !…

On dit qu’à ces derniers accens,
D’un sinistre avenir présages menaçans,

Tout à coup un sombre nuage
De la Vierge inspirée obscurcit le visage…
Son front reprend bientôt son éclat radieux.
Du noir bûcher qu’affronte son courage,
Ses pieds pressent déjà les sacriléges feux ;
Le crime triomphe :… elle expire…
Et, du trône de son martyre,
A pris son essor vers les cieux.


ÉLOGE