Jacques (1853)/Chapitre 90

Jacques (1853)
JacquesJ. Hetzel Œuvres illustrées de George Sand, volume 5 (p. 88-90).
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XC.

DE SYLVIA À JACQUES.

Jacques ! reviens, Fernande a besoin de toi ; elle est malade de nouveau parce qu’elle vient d’éprouver une grande douleur. Rien ne peut la calmer. Elle t’appelle avec angoisse, elle dit que tous les maux qui lui arrivent viennent de ton abandon ; que tu étais sa providence, et que tu l’as quittée. Elle s’effraie de ta longue absence, et dit qu’il faut que tu sois informé de tout pour avoir pris ainsi en horreur ta famille et ta maison. Elle craint que tu ne la haïsses, et la douleur que cette idée lui cause résiste à toutes nos consolations ; elle veut mourir, parce que, dit-elle, il n’est pas un instant de repos et d’espoir sur la terre pour quiconque a possédé ton affection et l’a perdue. Prends courage, Jacques, et viens souffrir ici ! Tu es encore nécessaire ; que cette idée te donne de la force ! Il y a autour de toi des êtres qui ont besoin de toi.



Au milieu d’une haie de spectateurs. (Page 74.)

Et puis ta vie n’est pas finie. N’y a-t-il donc rien autre chose que l’amour ? L’amitié que Fernande a pour toi est plus forte que l’amour que lui inspire Octave. Tous ses soins et tout son dévouement, qui s’est vraiment soutenu au delà de mon espérance, échouent auprès d’elle quand il s’agit de toi. Peut-il en être autrement ? Peut-elle vénérer un autre homme comme toi ? Reviens vivre parmi nous. Me comptes-tu pour rien dans ta vie ? ne t’ai-je pas bien aimé ? t’ai-je jamais fait du mal ? ne sais-tu pas que tu es ma première et presque ma seule affection ? Surmonte l’horreur que t’inspire Octave, ce sera l’affaire d’un jour. J’ai souffert aussi pour m’habituer à le voir à ta place : mais laisse-la-lui et prends-en une meilleure ; sois l’ami et le père, le consolateur et l’appui de la famille. N’es-tu pas au-dessus d’une vaine et grossière jalousie ? Reprends le cœur de ta femme, laisse le reste à ce jeune homme ! L’imagination et les sens de Fernande ont peut-être besoin d’un amour moins élevé que celui que tu veux lui inspirer. Tu t’es résigné à ce sacrifice, résigne-toi à en être le témoin, et que la générosité fasse taire l’amour-propre. Est-ce quelques caresses de plus ou de moins qui entretiennent ou détruisent une affection aussi sainte que la vôtre ? Cette jalousie d’enfant n’est pas digne de ta grande âme, et tu as au front bien des cheveux blancs qui te donnent le droit d’être le père de ta femme sans avilir la dignité de ton rôle de mari. Tu ne peux pas douter de la délicatesse avec laquelle Fernande évitera tout ce qui pourrait te blesser. Octave lui-même te deviendra supportable ; c’est un assez noble caractère, et depuis ces trois mois, si difficiles pour nous tous, j’ai découvert en lui des vertus sur lesquelles je ne comptais pas. Il tomberait à tes pieds si tu t’expliquais à lui, s’il te comprenait et s’il savait ce que tu es. Reviens donc essuyer les larmes de Fernande, car toi seul pourras rendre un peu de courage et de calme à son cœur. Elle est encore frappée d’un de ces malheurs pour lesquels l’amour n’a point de consolation ; toi seul aurais le droit de lui en offrir, parce que tu es de moitié dans son infortune : Tu comprends ce qui est arrivé ? Je t’attends !