E. Leroux et Otto Schulze (p. 55-68).

CHAPITRE IV.

NÉGATIONS DOGMATIQUES : LA TRINITÉ,
LA RÉDEMPTION.

L’exposé de la vie de Jésus d’après Mahomet et de ses sources a déjà pu faire pressentir en partie sa christologie dogmatique, car les croyances chrétiennes dépendent des faits chrétiens, l’erreur pas plus que la vérité ne peut se dérober à cette corrélation évidente. Mais il faut maintenant envisager à part, et avec attention, non plus les notions, mais les affirmations, et d’abord les négations qui concernent Jésus-Christ. Les négations sont moins nombreuses, mais plus caractéristiques ; elles peuvent se ramener à deux points principaux : la rédemption d’une part, de l’autre la divinité du Messie et la Trinité. C’est par ce dernier point, central à vrai dire, que nous commencerons.

Voici les principales déclarations du prophète contre la divinité de Jésus-Christ : « Ceux qui disent que Dieu c’est le Messie, fils de Marie, sont des infidèles. Réponds-leur : qui pourrait arrêter le bras d’Allah, s’il voulait anéantir le Messie, fils de Marie et sa mère, et tous les êtres de la terre ? […] Le Messie n’a-t-il pas dit lui-même : Ô enfants d’Israël ! adorez Allah, qui est mon Seigneur et le vôtre ? À quiconque associe à Allah d’autres dieux, Allah lui interdira l’entrée du jardin… Si Dieu avait un fils, je serais le premier à l’adorer… Peu s’en faut que les cieux ne se fendent à ces mots, que la terre ne s’entr’ouvre, et que les montagnes ne s’écroulent, de ce qu’ils attribuent un fils au Miséricordieux. Il ne lui sied point d’avoir un fils. »[1] Dans ces paroles on sent l’explosion sincère d’un déisme absolu et aride comme le sable du désert, qui n’admettait aucun partage des perfections divines entre Allah et un être quelconque, même procédant de lui ; ainsi la connaissance, la toute-science, chose essentiellement divine, Jésus n’en a eu que ce qu’en pouvait avoir un simple mortel favorisé de Dieu ; il dit lui-même à Dieu : « Tu sais ce qui est au fond de mon âme, et moi j’ignore ce qui est au fond de la tienne, car toi seul connais les secrets »[2], très-grave parole, négation directe de la doctrine évangélique, mais très-conséquente avec l’ensemble du déisme musulman. Il n’a pas plus la toute-puissance que la toute-science : adorerez-vous à côté de Dieu ce qui n’est capable ni de vous nuire ni de vous être utile, tandis que Dieu entend et sait tout ?[3] Ces passages et quelques autres soulèvent d’avance la fameuse question des attributs divins, qui se combinant avec la philosophie péripatéticienne, sera pendant des siècles le champ de bataille des théologiens et des philosophes musulmans : singulière destinée de l’esprit mahométan de se rencontrer, par suite de ses vastes conquêtes, avec les esprits les plus différents de lui et les plus antipathiques, l’esprit de l’Évangile et l’esprit d’Aristote !

Toute union mystérieuse entre l’essence divine et la nature humaine étant un blasphème, quelle peut être la relation établie par Jésus entre ces deux termes irréductibles, Dieu d’une part, l’homme de l’autre ? Celle d’un simple message, qui n’altère en rien la pure humanité du messager : « Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un apôtre ; d’autres apôtres l’ont précédé. Sa mère était juste. Ils se nourrissaient de mets (c’est-à-dire ils avaient besoin de la même nourriture que les autres mortels). Jésus n’est qu’un serviteur d’Allah comblé de nos faveurs… Les prophètes qui ont précédé Mahomet ne sont que des hommes inspirés ».[4] Du reste le Messie n’a jamais prétendu à autre chose ; il ne saurait être rendu responsable des erreurs de ses devanciers, et même il s’en justifie lorsqu’il dit au Seigneur : « Je ne leur ai dit que ce que tu m’as ordonné de leur dire : Adorez Dieu, mon Seigneur et le vôtre ».[5]

On peut se demander : comment Mahomet concilie-t-il cette négation de toute idée hypostatique, de toute participation de Jésus à la divinité, avec ses notions presque chrétiennes orthodoxes sur le caractère surnaturel des deux extrémités de sa vie, la naissance miraculeuse et l’ascension ? Car enfin peut-il être un simple mortel, celui qui est né en dehors des conditions de la conception humaine, et dont le corps ne se trouve nulle part sur la terre ? L’inconséquence est évidente en effet, au point de vue du raisonnement ordinaire elle est insoutenable ; mais le raisonnement musulman répond que d’autres prophètes, tels qu’Énoch, Élie ont été enlevés au ciel, et que quant à la naissance miraculeuse elle n’était pas pour cela divine, elle était simplement angélique (Voir notre chapitre cinquième). Toute idée de filiation divine est donc nettement écartée, et non pas comme on l’a dit, la notion d’adoption divine, d’adoptianisme, variété dogmatique que Mahomet n’a pas connue, et contre laquelle, Gerock le remarque avec raison, il ne se serait pas tellement indigné.

La Trinité est naturellement combattue avec vivacité ; de plus elle est beaucoup plus mal comprise, et nous arrivons à l’une des plus étonnantes erreurs de Mahomet, celle qui porte sur la troisième personne. Voyons, avant de la signaler, comment il traite l’idée même de Trinité : « Infidèle est celui qui dit : Dieu est un troisième de la Trinité, pendant qu’il n’y a point de Dieu si ce n’est le Dieu unique. S’ils ne cessent pas… certes, un châtiment douloureux atteindra les infidèles ».[6] Ce verset et les passages parallèles presque identiques montrent déjà que le prophète arabe se méprenait sur la doctrine de l’Église ; il confondait la Trinité avec ce trithéisme qui a surgi, à diverses époques des querelles séculaires sur la nature de Christ, et qui venait de se manifester dans la subtile argumentation de Philoponus.[7] C’est ici qu’il est utile de se rappeler ce que nous avons dit dans nos deux premiers chapitres des divers courants chrétiens qui s’étaient infiltrés en Arabie avant le prophète, et encore pendant les années de sa jeunesse : les uns, venant du côté nestorien, accusaient d’idolâtrie l’orthodoxie des conciles ; les autres, venant du côté monophysite ou du côté trithéiste, compromettaient l’orthodoxie des conciles, et les uns comme les autres indignaient contre la doctrine chrétienne en général ce déisme ardent, absolu et inflexible, qui fut l’élément intéressant et sincère de la pensée de Mahomet.

Mais aucun de ces courants, aucune de ces querelles n’explique ce fait bizarre, et pourtant incontestable, que Mahomet trouvait les trois personnes de la Trinité non pas dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais dans Allah, Jésus et Marie : « Dieu dit à Jésus : As-tu jamais dit aux hommes, Prenez pour dieux moi et ma mère, à côté du Dieu unique ? […] Le Messie, Jésus, fils de Marie, est l’apôtre de Dieu et son verbe qu’il jeta dans Marie ; il est un esprit venant de Dieu. Croyez donc en Dieu et à ses apôtres, et ne dites point : Il y a Trinité ».[8] Ces versets sont bien clairs, ils sont encore complétés par ce fait que la notion chrétienne du Saint-Esprit est partout absente du Coran : l’Esprit, c’est, ou bien comme nous le voyons ici, Jésus lui-même, ou bien la volonté de Dieu représentée par l’ange Gabriel, c’est-à-dire encore par un messager, qui ne divise point l’unité divine, et qui peut au besoin prendre un corps humain pour exécuter les ordres célestes, pour donner le jour à Jésus ou pour dicter le Livre infaillible. Non seulement le Saint-Esprit, hypostase divine, n’existe pas pour Mahomet, mais il n’a même pas l’idée d’attribuer cette croyance aux chrétiens, et de leur en faire un reproche. La Trinité qu’il leur reproche, c’est la famille polythéiste de Dieu, de Jésus et de Marie. À ses yeux, c’est une idolâtrie qui mérite d’être confondue avec le culte des anges et des génies : « Ils ont associé les génies à Dieu, pendant que c’est lui qui les a créés ; dans leur ignorance, ils lui inventent des fils et des filles. Gloire à lui ! il est trop au-dessus de ce qu’ils lui attribuent. Créateur du ciel et de la terre, comment aurait-il des enfants, lui qui n’a point de compagne ? […] Dieu n’a point de fils, et il n’y a point d’autre dieu à côté de lui ; autrement chaque dieu s’en irait avec ce qu’il a créé, et les uns seraient plus élevés que les autres. Loin de la gloire de Dieu les mensonges qu’ils inventent ! »[9]

Cette énorme méprise — rien ne semble indiquer que ce fût autre chose — a besoin d’être expliquée autrement que par l’existence d’un courant nestorien, car jamais écho des passions soulevées contre le concile d’Éphèse n’a pu attribuer à l’Église officielle la substitution de Marie au Saint-Esprit. La secte déjà mentionnée des Collyridiennes, dont quelque vague souvenir avait pu persister en Arabie, l’image de la Vierge sur les murs de la Kaaba, la trop réelle idolâtrie de Marie répandue chez les fidèles de l’Église orientale, ont pu donner à Mahomet l’idée à peine exagérée de l’adoration de la Vierge par les chrétiens.[10] Mais tout cela n’explique pas la substitution d’une déesse à l’Esprit divin. L’origine doit en être cherchée dans l’habitude des langues sémitiques, de faire de l’Esprit un principe féminin, et dans la tendance conforme de certains gnostiques. Ainsi nous savons par Saint-Jérôme et par Origène que dans l’évangile des Hébreux l’Esprit saint disait à Jésus : mon fils, tandis que le Sauveur lui-même disait : ma mère le Saint-Esprit.[11] Plusieurs sectes, les Elkésaïtes, les Ophites regardaient le Saint-Esprit comme féminin, et Valentin déjà l’appelait μήτηϱ τῶν ζώντων. Les Constitutions apostoliques comparaient l’évêque au Père, le diacre au Fils, et la diaconesse au Saint-Esprit, comparaison bizarre qui décèle la même tendance, et explique la même confusion. Ajoutons que Cyrille appelait la Vierge le complément de la Sainte Trinité.[12] Mahomet, qui n’a pas connu tous ces textes, a très-bien pu avoir une idée de leur contenu juste assez précise et juste assez vague pour arriver à son étrange conception.

Il n’est pas inutile de remarquer, avant de quitter ce sujet, que la controverse chrétienne des premiers siècles de l’hégire n’a pas suivi les musulmans sur ce terrain, et qu’elle a défendu contre eux la personnalité divine, la nature hypostatique du Saint-Esprit en même temps que celle du Fils par les mêmes arguments qu’elle aurait employés contre des Ariens ordinaires. Les raisonnements de Jean Damascène au commencement du huitième siècle[13], et ceux d’Euthymius à la fin du onzième[14], ne portent pas trace d’une connaissance quelconque de la confusion faite par Mahomet : il est donc probable qu’ils l’ignoraient, et que les Musulmans de leur temps avaient des notions suffisantes de l’Évangile pour redresser tacitement et respectueusement l’erreur de leur maître.

L’autre grande négation dogmatique de Mahomet s’attaque à la Rédemption. Si la précédente avait sa cause dans l’idée que Mahomet se faisait de Dieu, dans sa théologie au sens restreint de ce mot, cette autre négation prend sa source dans l’idée que Mahomet se faisait de l’homme, dans son anthropologie. Termes, il est vrai, trop scientifiques pour cet esprit arabe, puissant dans la contemplation prime-sautière de l’unité divine, mais rebelle à la métaphysique, et indigent en sérieuse observation psychologique. Si la raideur de son déisme l’avait rendu étroit, son étude insuffisante de l’état de l’âme humaine le rendit superficiel. Pour que l’on croie à la Rédemption, il faut que l’on voie l’âme humaine dans sa misère et dans son péril. C’est ce que Mahomet n’a jamais vu, c’est ce dont il ne semble pas avoir jamais eu l’idée. Nous ne parlons pas de son fatalisme : sur ce point il a été calomnié, ce n’est pas lui qui a été fataliste, ce sont ses disciples ultérieurs poussant à l’extrême l’exégèse de quelques-unes de ses paroles, et négligeant les contre-poids.[15] Certes l’homme qui a dit : « S’il t’arrive quelque bien, il t’arrive de Dieu ; le mal vient de toi »[16], n’était pas un fataliste, un déterministe. Là n’est pas la vraie lacune de Mahomet.[17] Il n’a pas vu la misère de l’homme ; il a bien vu, comme ne peut manquer de le voir le plus médiocre observateur, qu’il y a chez les hommes une tendance générale à mal faire, il n’a pas vu la maladie centrale du cœur de l’homme, il n’a vu qu’une série de transgressions isolées et distinctes que pouvait empêcher l’obéissance à des commandements détaillés. Encore une tendance judaïque où se décèle l’influence d’un mentor judéo-chrétien. Aussi le Coran, venu pourtant bien après l’Évangile, n’a-t-il pas été un Évangile, mais une sorte de lévitique confus ou un code d’ordonnances rabbiniques.

En un mot, Mahomet n’a pas vu le péché, et il n’a pas besoin de rédemption. Il a même rendu ses disciples de tous les siècles presque incurablement rebelles à cette idée. C’est pour cela que le monde de l’Islam est sans comparaison celui dans lequel la foi chrétienne a recruté le moins de prosélytes. La doctrine du péché et de la grâce est comme un mur, à la rencontre duquel le musulman curieux de christianisme se détourne en levant les épaules et revient sur ses pas.[18])

Jésus-Christ n’est donc pas, ne peut pas être un rédempteur, et pour qu’on soit bien sûr qu’il ne l’est pas et qu’il n’est rien qui approche, il faut qu’il n’ait pas été crucifié. Sur ce point nous croyons tout-à-fait à un parti-pris dogmatique. Sans doute nous avons trouvé chez d’anciens gnostiques l’affirmation de la non crucifixion de Jésus, et nous avons dit que sans cela le prophète arabe n’eût jamais eu la pensée de la soutenir ; mais il n’est pas possible qu’il ait cru que c’était là la doctrine des chrétiens. Comment un homme qui a rencontré à diverses époques de sa vie des chrétiens de toutes sectes, de sectes qui toutes sans exception croyaient à la crucifixion réelle de Jésus, aurait-il ignoré cette affirmation universelle, tandis que la négation de quelques gnostiques fossiles serait arrivée jusqu’à lui ? Et s’il a connu l’une et l’autre, pourquoi a-t-il préféré celle-ci à celle-là ?

À cette question lui-même ne répond pas, et nous devons conjecturer sa pensée. Peut-être a-t-il été scandalisé, comme l’ont été les apôtres avant la Résurrection, par le supplice humiliant du Juste, du Messie de Dieu ; peut-être cela lui a-t-il paru impossible.[19] Nous croyons plutôt qu’il n’a pas voulu de cette mort suivie d’une résurrection, parce que venant après une naissance miraculeuse, précédant une ascension dans le ciel, elle donnait à Jésus un caractère décidément divin[20] qui contrariait tout son système et tous ses préjugés. Sa bonne foi, sur ce point, nous paraît donc improbable, très-probable au contraire sa préoccupation de ne pas reconnaître en Jésus un supérieur.

La même préoccupation aura causé les réclamations du Coran contre la prétention de la religion chrétienne à être la religion universelle et définitive. « Nous sommes les fils de Dieu et ses amis chéris, disent les juifs et les chrétiens. Réponds-leur : Pourquoi donc vous punit-il de vos péchés ? Vous n’êtes qu’une portion des hommes qu’il a créés ; il pardonne ou châtie à son gré […] Ô vous qui avez reçu les Écritures ! notre envoyé va vous éclairer sur la cessation des prophètes, afin que vous ne disiez plus : Il ne nous vient plus d’annonciateur, d’avertisseur. Le voilà au milieu de vous, cet annonciateur, cet avertisseur. »[21] Traduisons le sémitique en japhétique — dans le sens que cette locution trop employée peut vraiment avoir — et nous obtiendrons cette thèse : Aucun des prophètes venus jusqu’ici, Jésus pas plus que Moïse, n’a apporté la vérité religieuse définitive. Ils ont tous été, même le dernier et le plus grand, Jésus, des avertisseurs et des réformateurs d’Israël préparant les voies au dernier et définitif prophète que je suis. Les disciples de Jésus ont eux aussi besoin de se convertir, ils n’ont pas le droit de s’appeler eux-mêmes, d’une façon spéciale, les enfants de Dieu.

Ceci a été dit à Médine, dans la période brillante et dernière de la vie du prophète victorieux. C’est alors seulement, et même vers la fin de cette dernière période, dans les trois ou quatre ans qui ont immédiatement précédé sa mort, qu’il est entré en conflit avec les chrétiens, jusque-là soigneusement ménagés. Le prophète avait renoncé alors au syncrétisme qui avait été son premier projet, pour ne pas dire sa première manière ; il était devenu le fondateur d’une religion décidément nouvelle, il avait détourné sa qibla, son orientation pendant la prière, de Jérusalem vers la Mecque ; et cette religion s’étendait victorieusement par le glaive. Désormais Jésus au lieu d’être un auxiliaire, devenait presque un ennemi. Aussi le prophète, dans l’âme duquel le déiste enthousiaste et sincère faisait place de plus en plus à l’imposteur et au charlatan, le prophète conquérant, impatient des résistances chrétiennes, s’exprime dans une de ses dernières sourates, avec une aigreur toute nouvelle : « Les chrétiens disent : Le Messie est fils de Dieu. Telles sont les paroles de leurs bouches, ils ressemblent en les disant aux infidèles d’autrefois. Que Dieu leur fasse la guerre. Qu’ils sont menteurs ![22] Ils ont pris leurs docteurs et leurs moines, et le Messie, fils de Marie, plutôt que Dieu pour leurs seigneurs […] Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs bouches ». C’était une déclaration de guerre, mais qui ne pouvait détruire les affirmations dogmatiques sur Jésus, que nous étudierons au chapitre suivant, et qui n’ont disparu en effet ni du recueil du Coran ni de la croyance musulmane.

Dans les mêmes derniers temps de sa vie Mahomet soutint son unique controverse verbale avec des chrétiens. Les habitants du Nadjran, très-attachés à leur foi, députèrent quarante ecclésiastiques et vingt laïques auprès du prophète de la Mecque pour le voir et juger sa doctrine. Toute la conférence roula sur la personne de Jésus-Christ, maintenu par les fidèles du Yémen comme le Fils de Dieu, la seconde personne de la Trinité. Aux citations de l’Évangile Mahomet répondit : « Jésus est aux yeux de Dieu ce qu’est Adam. Dieu le forma de poussière, puis il dit : Sois ; et il fut ».[23] L’évêque lui fit cette question : Comment peux-tu prétendre que Dieu t’a révélé des choses différentes de ce qui est écrit dans l’Évangile, que tu reconnais comme un livre divin ? Alors Mahomet, s’il faut en croire ses biographes[24], reçut du ciel la révélation suivante : « À ceux qui disputeront avec toi à ce sujet, depuis que tu en as reçu la connaissance parfaite, réponds : Venez, appelons nos enfants et les vôtres, nos femmes et les vôtres, venons nous et vous, et puis adjurons le Seigneur chacun de notre côté, et appelons sa malédiction sur les menteurs.[25] Mahomet défiait donc les chrétiens et les appelait à un jugement de Dieu par une cérémonie imprécatoire. Mais, toujours suivant les mêmes sources, ils s’y seraient dérobés au dernier moment, toutefois sans se convertir, et en préférant payer le tribut.

En résumé, Mahomet rejette la divinité de Jésus-Christ, la Trinité, la crucifixion et la Rédemption, et même le caractère définitif de la révélation chrétienne.




  1. S. V, v. 19, 76 ; S. XIX, v. 92, 93 ; S. XLIII, v. 81.
  2. S. V, v. 116.
  3. S. V, v. 80.
  4. S. V, v. 79 ; S. LXIII, v. 59 ; S. XVI, v. 45.
  5. S. V, v. 117.
  6. S. V, v. 77 ; S. IV, v. 169 ; S. XXIII, v. 93.
  7. Leontius Byzantinus, De sectis, actio V, ch. 6 : Motum fuit dogma Tritheitarum : cujus sectae princeps Philoponus exstitit. Quoniam enim objiciebat Ecclesiae, si duas in Christo naturas diceret, necessario quoque duas hypostases confessuram : respondebat Ecclesia, quaenam illa sortitio fuerit, ut naturas duas statuentes omnino duas quoque confiteamur hypostases ? Ei respondebant haeretici plane idem esse naturam et hypostasim. Vicissim Ecclesia dicere, si natura et hypostasis idem sint, etiam in sancta Trinitate naturas tres esse dicendas ; cum in confesso sit, eas tres hypostases habere. Haec proferente Ecclesia, respondebat Philoponus, admittendum ut tres naturas in sacrosancta Trinitate profiteamur. Haec autem dicebat, occasionem ex aristotelicis nactus. Tradit enim Aristoteles individuorum et particulares esse substantias, et unam communem. Sic igitur et Philoponus aiebat esse tres particulares in sancta Trinitate substantias, et unam communem.
  8. S. V, v. 116 ; S. IV, v. 169.
  9. S. VI, v. 100, 101 ; S. XXIII, v. 93.
  10. C’est ainsi que la vénération excessive des sectes juives pour Esdras (Ozéir) a fait croire à Mahomet que les Juifs l’adoraient (S. IX, v. 30).
  11. Voir sur cette question la savante note de Gerock, l. cit. p. 77. — V. aussi M. Nicolas l. cit. p. 34, et la thèse de M. Ph. Berger sur les Ophites, Nancy 1873, p. 23.
  12. Article Miriam dans d’Herbelot, qui attribue aussi l’erreur de Mahomet sur Marie à ce que les chrétiens orientaux l’appellent la Dame, Al-Seïdat.
  13. Éd. Lequien p. 466—469 petit dialogue entre un chrétien et un sarrasin : Si dixerit creatum esse Verbum et Spiritum, tum quaere : Et quis creavit Verbum Dei et Spiritum ? Quod si necessitate coactus responderit, Deus ipse creavit ; tum tu rursus : Ergo antequam Deus creavit Spiritum et Verbum, non habuit Spiritum neque Verbum. Quod cum audierit, fugiet a te, non habens quod respondeat.
  14. Moamethica, ch. IV : Quia vos Jesum Christum Verbum Dei et Spiritum ejus dicitis : nolentes volentes fatemini Verbum Dei et Spiritum ipsius in ipso Deo esse. Verbum enim Dei, et Spiritus Dei ab eo nequeunt separari cujus sunt, quin expers Verbi expersque Spiritus relinquatur. Si igitur in Deo est verbum ejus, nimirum et ipsum Deus est. Itaque et Christus, Verbum Dei, Deus est. Quia vero ex virgine natus est, etiam homo est. Sic igitur duabus naturis constantem eum, oportet confiteri et Deum et hominem.
  15. Ce sont surtout les Turcs, qui de leurs lourdes mains ont gâté à tant d’égards l’œuvre de la main nerveuse et fine des Arabes : voir le catéchisme Turc d’El-Berkewi, qui enseigne dans son ch. VI que Dieu prévoit, veut et opère l’infidélité, l’irréligion et tout ce qui est mal. (Trad. par M. Garcin de Tassy dans son volume intitulé L’Islamisme d’après le Coran, l’enseignement doctrinal et la pratique, Paris 1874.)
  16. S. IV, v. 81.
  17. Sur ces questions anthropologiques particulièrement on peut consulter l’intéressante thèse de M. Jules Reymond, l’Islam et son Prophète, Lausanne 1876.
  18. Nous l’avons entendu dire, entre autres personnes, par l’éminent directeur des missions évangéliques de Paris, M. Casalis. Aussi ne faut-il accueillir qu’avec réserve, dans l’analyse du Coran par M. Garcin de Tassy (l. cit.) des titres de chapitre tel que celui-ci : la Justification par la foi, précédant des versets tels que celui-ci (S. II, v. 172) : « Pieux est celui qui croit en Dieu et au jour dernier, aux anges et au Livre, aux prophètes, qui pour l’amour de Dieu donne de son avoir à ses proches, aux orphelins aux pauvres, aux voyageurs et à ceux qui demandent ; qui rachète les captifs, qui observe la prière, qui fait l’aumône etc. » Que sera donc le salut par les œuvres ?
  19. Bosworth Smith, Mohammed and Mohammedanism, London 1874, p. 192.
  20. Si enim Christi divinitatem agnovisset, irritus divinae legationis redisset. Si Christus Deus, certe major Muhammede Propheta fuisset. (Norberg, Opuscula academica, T. III.)
  21. S. V, v. 21, 22.
  22. S. IX, 30, 31, 32.
  23. S. III, v. 52.
  24. Caussin de Perceval, T. III, p. 275 s. raconte cette conférence d’après les auteurs du Sirat-erraçoùl.
  25. S. III, v. 54.