InsaniaAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 5-6).
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INSANIA


They learn in suffering what they teach in song.
Shelley.


I

ESQUISSE


 
Dans un lieu plein de fleurs, inondé de lumière,
À tes yeux apparut, et grande, et blanche, et fière,
La dame au long profil. De ses plis opulents
La pourpre du velours drapait ses nobles flancs.
Sur sa taille élancée aux courbes onduleuses
Les lustres balançaient leurs gerbes lumineuses.
Parmi des fleurs, — l’abeille ainsi porte son dard, —
Brillait à son côté la nacre d’un poignard.

Un noir tissu coulant de sa tête étoilée,
Belle comme la nuit dans sa splendeur voilée,
Sur son col, sur ses bras, flottant à larges tours,
De sa divine épaule ombrageait les contours.
Dans ses cheveux de jais, boucles riches et fines,
Quelques fleurs de grenade aux touffes purpurines
S’ouvraient et, d’un teint mat relevant les pâleurs,
Empourpraient son beau front de leurs chaudes couleurs.
Ses longs yeux noirs — des yeux de Grecque ou d’Andalouse —
Lançaient l’humide éclat de leur flamme jalouse.
Un rire lumineux entre ses dents flottait ;
Un mol et vague arôme autour d’elle montait ;
Et, svelte comme un lys, et d’hommage enivrée,
Heureuse d’être belle et de tous admirée,
Elle allait et versait sur les groupes tremblants
L’ineffable langueur de ses regards troublants.

Et toi, seul, à l’écart, dans la nuit de ton âme
Sentant vivre et passer ton rêve en cette femme,
Pensif, tu recevais sur ton front attristé
Les éblouissements que dardait sa beauté.