Importance de la conformation de la tête sur les aptitudes du cheval
ÉCOLE IMPÉRIALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE
――――
IMPORTANCE DE LA CONFORMATION DE LA TÊTE
SUR LES APTITUDES DU CHEVAL.
PAR
Jean-Baptiste LIGNON
Médecin-vétérinaire
Né à Pignan (Hérault).
───
THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
Présentée et soutenue le 25 juillet 1870
───
TOULOUSE
IMPRIMERIE J. PRADEL ET BLANC
Rue des Gestes, 6.
───
1870
À MES BIEN-AIMÉS PARENTS
À MES PROFESSEURS
À MES AMIS
INTRODUCTION
L’unique but que je veux atteindre en publiant ma thèse, c’est de porter mon faible tribut à la grande œuvre de l’humanité, et d’être utile à ceux qui m’entourent.
Loin de moi l’idée de m’attribuer l’invention du sujet que j’ai choisi ; il est déjà de création ancienne ; mais j’aurai réuni en un seul groupe, les points que j’ai trouvé disséminés dans les ouvrages qu’avaient publiés divers auteurs, dans leurs sujets particuliers.
Le temps mûrit l’homme, l’expérience le rend maître ; je suis jeune encore, et nanti seulement du peu d’expérience qu’on peut avoir acquise à sa vingtième année.
C’est demander l’indulgence de ceux qui jetant sur mon opuscule un regard favorable, le trouveraient hérissé d’irrégularités, tant sous le rapport du style, que sous celui des idées que j’ai peut-être aventureusement émises.
IMPORTANCE DE LA CONFORMATION DE LA TÊTE
SUR LES APTITUDES DU CHEVAL.
Parmi les animaux de la création, le cheval est, sans contredit, le plus précieux de tous ceux que l’homme a asservis à son joug. Buffon, dans le portrait qu’il en donne dans ses œuvres, n’hésite pas à lui attribuer le premier rang : « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, dit-il, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. Aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l’affronte ; il se fait au bruit des armes, il l’aime, il le cherche et s’anime de la même ardeur ; il partage aussi ses plaisirs : à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvements : non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu’il en reçoit, il se précipite, se modère, ou s’arrête ; c’est une créature qui renonce à son être, pour n’exister que pour la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir ; qui par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute ; qui sent autant qu’on le désire, et ne se rend qu’autant qu’on veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s’excède, et même meurt pour mieux obéir. » Que dire après un tableau si succinct et si exact en même temps ? Rien qui ne pût l’obscurcir ; et il devrait nous faire comprendre toute l’importance que l’on doit attacher au perfectionnement des qualités naturelles qu’on peut lui donner par les soins réguliers, par le choix des types reproducteurs, réunissant le plus grand nombre de qualités qu’ils pourront transmettre à leur progéniture.
I
DE LA TÊTE.
Définition. — Formée par la réunion d’un certain nombre d’organes, la tête est une des parties dont l’examen est de la plus grande importance dans le choix du cheval et dans la détermination des races ; c’est la partie du corps qui offre le plus de ressources au physiologiste, pour juger non-seulement du degré de noblesse des individus, mais encore de leur énergie, de leur intelligence et de leur caractère. Le cheval n’a-t-il pas sa physionomie ? n’a-t-il pas l’expression de ses yeux, celle de sa face, la configuration générale de sa tête, pour nous guider dans l’étude que nous voulons faire de ses facultés, et dans l’appréciation de ses qualités morales et physiques ? Chaque animal n’offre-t-il pas au physionomiste un sujet d’exercer son aptitude ?
La tête contient le centre des facultés qui animent la machine animale ; elle recèle les sens si utiles à tout corps actif exposé à toutes les influences extérieures ; c’est par eux, en effet, que l’animal se rend compte de tout ce qui l’entoure, et qu’il peut ainsi suffire à son entretien et à sa conservation individuelle.
La tête possède, en outre, l’embouchure des conduits par lesquels les animaux prennent, dans le milieu qui les environne, les éléments nécessaires aux fonctions les plus importantes de l’organisme.
Sa conformation, qui commande jusqu’à un certain point celle des autres régions du corps, permettra de juger les différents degrés d’aptitude dont peuvent disposer les individus ; aussi, le vétérinaire doit-il s’attacher à saisir exactement les signes physionomiques qu’elle lui présente et qui seront donnés avec détail dans le courant de cet opuscule.
La tête comprend deux régions essentielles : le crâne et la face. — 1° Le crâne, la partie la plus importante, est constitué par une réunion d’os nombreux, très solidement articulés les uns aux autres par des engrenages particuliers qu’on ne trouve dans aucune autre région. De cette réunion résulte une boîte osseuse dans laquelle est très sûrement logé le cerveau, qui constitue le centre commun de tout le système nerveux, dont le rôle est de tenir sous sa dépendance les phénomènes divers par lesquels la vie se manifeste ; aussi l’a-t-on mis de pair avec le cœur et les poumons, qui forment, comme l’a dit Bichat, le trépied de la vie. — 2° l’autre partie, comprise dans la tête, est la face ; elle se trouve à la partie antérieure, elle est formée par une partie résistante, qui en forme la charpente, qui comprend les régions désignées sous les noms de : bout du nez, naseaux, chanfrein, les joues, etc.
Elle forme les parois de deux cavités, l’une servant de conduit antérieur de la respiration, l’autre à celui de la digestion, et sa forme n’est pas sans influence sur l’exécution régulière de ces deux fonctions, comme nous le verrons plus tard.
Ces deux régions, le crâne et la face, présentent chacune la forme d’une pyramide à quatre pans opposées par leur base qui se trouverait au niveau des orbites.
Loi. — Le développement du crâne est en raison inverse de celui de la face et réciproquement. Cette loi est d’une grande importance dans la démonstration des rapports physiologiques qui peuvent exister entre les divers organes de l’économie et la tête.
II
De l’intelligence et de l’instinct. Rapports entre
la tête du cheval et celle de l’homme.
Sous plusieurs points de vue, il y a à faire un rapport entre la tête du cheval et celle de l’homme, qui sera prise comme terme de comparaison. Cet examen consistera à étudier
comment la beauté physique, et les facultés intellectuelles de l’un, peuvent être trouvées chez l’autre, et par suite être comparées.
Il y a dans la tête deux facultés : l’intelligence et l’instinct, l’une ayant son siège au cerveau, c’est l’intelligence ; l’autre sans siège précis, et commandée à l’animal par la force qui l’attache ici-bas, force inconnue qu’on a désignée sous le nom d’instinct.
Les facultés intellectuelles dépendent du cerveau. La conclusion est facile à prévoir : plus le cerveau sera grand, plus sera développée l’intelligence. Les études zoologiques montrent en effet que dans les vertébrés il y a une série régulière démontrant la dégradation intellectuelle marchant de front avec la diminution des dimensions du crâne. Les facultés instinctives, au contraire, ont un caractère d’autant plus prononcé de développement, que les dimensions de la face sont plus avantageuses. Cela se comprend quand on pense au rôle du cerveau dans l’organisme qu’il électrise, rôle si important, qu’on l’a désigné sous le titre de « matière pensante » de l’économie ; tandis que la face est la partie de la tête contenant et donnant attache aux organes de la préhension des aliments, et au sens du goût, de l’odorat, nécessaires pour faire comprendre à l’animal que telles ou telles choses sont nécessaires ou nuisibles à sa nourriture et à son entretien, alors que le raisonnement intellectuel lui est complètement étranger.
Ce fait naturel trouve son application exacte, vraie, quand il s’agit de rechercher les rapports qui peuvent exister entre l’homme caucasique et le nègre. Quelle différence de conformation ! mais aussi quelle différence dans les facultés ! L’expression qui couronne la tête de l’homme caucasique, le type de l’espèce le plus intelligent, est vraiment digne de remarque. Son crâne est large et long, les os de la face sont courts et petits, et forment par leur réunion une surface de beaucoup inférieure à celle de la partie précédente. L’orthognathisme est dominant dans cette race et surtout dans la variété Géorgienne, dont les maxillaires sont courts, comme refoulés, et les incisives implantées perpendiculairement à leur surface rebondie forment un angle droit avec l’horizontale. Chez le nègre imparfait, au contraire, la prédominance de l’instinct sur l’intelligence est marquée ; on trouve que l’allongement de la face s’effectue aux dépens de la surface crânienne, dont la longueur et la largeur sont moindres. Du reste, la déformation du crâne accompagne celle de la face, car si la tête est irrégulière, aplatie, le front est déprimé, les maxillaires s’allongent en obliquant, le refoulement du maxillaire inférieur manque, et les incisives semblent faire continuité à la ligne des mâchoires et la suivent dans son obliquité. C’est là un commencement de prognathisme qui va en augmentant à mesure qu’on descend dans l’échelle zoologique ; la tête prend en effet quelque chose du museau, et a beaucoup de rapports avec celle des singes, qu’on pourrait pour ainsi dire appeler perfectionnés, quant à leur conformation : l’Orang et le Gibbon.
Quand on a examiné de près ces animaux, on est à se demander s’ils n’ont pas plus de rapport avec le nègre que celui-ci avec l’homme causasique, c’est là le point essentiel tendant à démontrer la gradation naturelle qui existe, soit dans le perfectionnement, soit dans la dégradation du type. Le dernier homme et le premier singe se touchent la main, de même que les singes de la série des cynocéphales ont plus tôt la physionomie des carnivores (d’où leur nom), que le Gibbon ou l’Orang les plus parfaits de l’espèce. Ceux-ci ont un crâne comparativement développé, tandis que celui-là a un museau très allongé, qui existe aux dépens du crâne, dont les dimensions se sont considérablement restreintes.
Aussi quelle différence d’intelligence entre ces deux singes qu’on peut comparer entr’eux, comme on aurait celui de comparer l’homme le plus parfait avec l’homme le plus dégradé.
Ce principe appuyé par l’autorité du célèbre Cuvier, qui avait vu que le développement des mâchoires, et par suite de la face, était en rapport avec le degré de stupidité et de férocité des animaux, fut sans doute celui qui donna à Camper l’idée de mesurer le degré d’intelligence des races, au moyen de l’angle facial, qui aurait pour type essentiel l’angle droit, qu’on rencontre à peu près chez l’homme le plus élevé, et qui se ferme d’autant plus qu’on descend plus bas dans l’échelle zoologique. — Le crocodile, dont l’instinct est connu, a les mâchoires emmanchées de manière qu’il est difficile de connaître quelles sont les dimensions du crâne dont les limites sont presque complètement effacées. On pourrait citer bien d’autres exemples encore.
Une preuve à l’appui de cette opinion, c’est que dans l’espèce humaine, l’homme intelligent a su domestiquer les autres, les captiver, les soumettre. En effet, les esclaves n’ont-ils pas de tout temps appartenu à la race nègre ? et encore étaient-ils fiers d’appartenir à des maîtres qui les dressaient et leur donnaient tout ce qui leur était nécessaire. Cela s’observe aussi pour certains animaux qui, comme les nègres, sont susceptibles d’être domestiques et soumis à des maîtres qui s’en servent pour satisfaire leurs besoins, leurs goûts et leurs caprices.
Parmi ces animaux on peut citer en première ligne le cheval. Après avoir donné quelques explications sur la conformation de la tête de l’homme, il s’agit de passer à celles du cheval pour bien les comparer et tirer de ce rapprochement des enseignements utiles dans l’étude des qualités des divers types de chevaux. En comparant la tête de l’homme à celle du cheval, on sent déjà la distance considérable qui sépare ces deux êtres au point de vue intellectuel. En effet, le cheval a une tête longue, relativement peu renflée dans la partie crânienne, dont les sinus sont très développés ; une surface immense dans la région faciale en font un type à part, une exception contre laquelle l’angle de Camper et la thèse de Cuvier semblent se briser.
Le cheval, d’après Camper, aurait moins d’intelligence que le lapin, le castor et plusieurs autres animaux dont la stupidité et les actes instinctifs sont assez connus pour que je n’aie pas à en parler ici ; d’après Camper, enfin, le cheval serait à peu près dépourvu de toute intelligence. Or, peut-on la nier cette intelligence : bien des faits prouvent qu’elle existe ; et parmi tous ceux qui mériteraient d’être cités, on en remarque qui sont très frappants : ainsi on a vu des chevaux battus à la course, se jeter sur leurs concurrents, les mordre ou les frapper, et on voit tous les jours des chevaux revêtus de brillants harnais, trahir par leurs mouvements l’orgueil et la fierté qui les animent. Voilà des exemples que l’intelligence seule réveille et explique ; et combien d’autres ne citerait-on pas, si on voulait recueillir tous ceux qui concernent ce sujet.
Ce qui le prouve encore, c’est sa docilité, sa souplesse, ses qualités morales, non pas supérieures, mais assez développées, et surtout son aptitude au dressage. Il comprend le cavalier, se prête à sa voix, et répond au commandement par l’exécution de la volonté de son maître ; il sait différencier les signes et les expressions par lesquels on le retient, on le pousse ; par lesquels il va à droite, il va à gauche. Ce qui le prouve, c’est la corrélation qui existe entre l’intelligence et la conformation de la tête du cheval. En effet, le cheval arabe est plus apte à tout exercice de dressage et autres, que le cheval commun ou de race dégénérée ; et cela, parce que le premier est d’une race parfaite dont la conformation annonce un gros cerveau, tandis que le cheval commun, sans race propre, ou de race abâtardie, demeure immobile, devient irascible, ne plie point sous les paroles du cavalier, auxquelles il reste au contraire réfractaire ; ne peut être que très difficilement et incomplètement dressé, n’obéit que par la force, les coups et les punitions, qu’il lui est même le plus souvent impossible de comprendre.
La tête considérée dans l’espèce, présente aussi des variations qui se déduisent des races nombreuses qu’elle comprend, de l’influence climatérique et de ses conséquences, des conditions terrestres et agricoles qui y règnent, etc. Le cheval arabe, un type de l’espèce, présente la tête carrée, et cela à cause de l’étendue de la région crânienne qui entraîne cette conformation avec elle ; et en raison de l’intelligence dont l’animal qui la possède est doué, tout le monde n’aime-t-il pas la tête courte et carrée de l’arabe ? Il a le front large, le crâne développé, la physionomie intelligente, les yeux grands et placés bas sur les côtés de la tête, c’est en quelque sorte le type qui dans l’espèce chevaline peut être reporté au type le plus parfait dans l’espèce humaine.
Le cheval de race abâtardie, au contraire, présente une tête longue, un front étroit, le crâne rétréci, les yeux petits, placés haut et enfoncés ; tout, en un mot, ce qui tend à la faire paraître d’une longueur exagérée, et influer ainsi d’une manière défavorable sur l’expression de la physionomie, et sur le jugement que nous pouvons porter sur l’intelligence de ces animaux.
Ne voit-on pas ici le principe appliqué à la conformation de la tête de l’homme, et le cheval de race pure et noble ne diffère-t-il pas autant du cheval commun que l’homme caucasique diffère des Hottentots ? Le rapport peut s’établir.
Chaque partie de la tête a des formes, des conditions physiques et mécaniques qui la distinguent d’après le rôle qu’elle doit jouer dans l’exécution des fonctions. La tête est, comme je l’ai déjà fait pressentir, la région qui donne le plus de sûreté au vétérinaire dans le choix qu’il fait. Elle est le miroir réflecteur de l’intelligence et du caractère de l’individu. Par son port habituel, elle indique la noblesse et le caractère. Quoi de plus beau, en effet, et qui exprime mieux l’énergie que les yeux roulant dans leur orbite ! Quoi de plus remarquable que les mouvements expressifs des oreilles qu’ils tendent pour écouter la voix inspirative du maître ! Et n’est-on pas obligé d’avouer, quand on a été témoin de ces faits, que le cheval comme l’homme a des moyens multiples pour rendre sa pensée et qu’il le fait, en effet, quand l’éducation ne lui a pas fait défaut.
Ce qui doit aussi pousser à prendre la tête comme la station la plus sûre dans le choix du cheval, c’est le rapport régulier de conformation de chacune de ses parties, ce qui n’est pas toujours pour les autres régions du corps. Il arrive souvent de voir un cheval dans lequel un beau membre présente un pâturon trop long et attaché à une croupe défectueuse, alors qu’il possède un jarret large, épais, etc., d’une constitution remarquable ; de même un dos long, qui est une beauté, peut coïncider avec un rein long aussi, ce qui est une défectuosité ; une vaste poitrine avec des membres grêles, défectueux, ne pouvant économiser la vapeur vitale qui se dégage du poumon. Mais si on prend la tête, trouve-t-on ces irrégularités ? Un front large, des oreilles éloignées, des yeux distants l’un de l’autre, les naseaux écartés, la largeur de l’espace inter-maxillaire, sont des beautés obligatoires et relatives ; l’une n’existe ni aux dépens, ni indépendamment de l’autre. Si l’écartement des yeux et des oreilles sont des signes qui militent en faveur de la bonne conformation de la tête, les conditions opposées sont possibles et même trop répandues, car elles expriment la mollesse et le peu d’aptitude aux services pénibles qu’on aurait pu en retirer dans des conditions plus favorables.
Dolichocéphalie et Brachycéphalie. — M. Sanson, dans son ouvrage intitulé de l’Économie du bétail, reconnaît la tête comme devant servir de point de départ dans la caractéristique de la race. Voici ce qu’il dit à ce sujet : « Les caractères de race se tirent principalement dans toutes les espèces, de particularités relatives aux os du crâne et de la face, c’est-à-dire la tête. Le plus immédiatement saisissable, est en général celui qui résulte de la comparaison entre l’étendue ou le volume de l’une ou de l’autre de ces parties de la tête, de la direction des os du nez et de la situation des cavités orbitaires. À ces caractères fondamentaux, qui donnent à la race sa physionomie propre, s’en ajoutent d’autres plus superficiels, plus immédiatement accessibles à l’analyse, et quelques-uns parfois ont une valeur presque absolue, tant ils sont exclusifs et persistants. Mais il est bon de ne pas perdre de vue que les caractères ostéologiques de la tête sont essentiellement typiques et que tous les autres ne peuvent que venir s’y ajouter : ils les confirment sans jamais les suppléer.
La boîte crânienne, correspondant chez les animaux domestiques à ce qu’on appelle communément la région du front, est sensiblement aussi large que longue, c’est-à-dire qu’il y a autant de distance entre les deux plans que touchent l’entrée de chaque conduit auditif qu’entre le sommet de la tête et le niveau horizontal du fond de l’orbite ; ou bien les deux diamètres sont inégaux, et c’est le longitudinal qui l’emporte, en un mot, le front est sensiblement carré ; ou il est étroit et allongé, les oreilles sont écartées ou rapprochées.
Le premier cas est celui de la Brachycéphalie, et le second celui de la Dolichocéphalie : tous les deux sont typiques.
La descendance de deux brachycéphales purs de tout mélange antérieur ne devient jamais dolichocéphale, sous l’influence d’aucun agent naturel ou artificiel, non plus que jamais celle des dolichocéphales ne devient brachycéphale.
Chacun de ces caractères typiques, cependant, se rencontre également chez des races distinctes. Il y a dans toutes les espèces plusieurs races brachycéphales ou dolichocéphales. Cela prouve que seule, la brachycéphalie ou la dolichocéphalie ne sont pas suffisantes pour caractériser la race. Les caractères de la base osseuse de la face y interviennent pour une égale part, car ils ont au même degré l’attribut de la constance ou fixité naturelle.
La figure de la voûte crânienne et du front, la direction du profil facial et les proportions du chanfrein, due à la forme des sus-naseaux qui en sont la base, tout cela fournit des caractères typiques, ainsi que la longueur relative de l’ensemble de la face, par rapport à l’étendue du crâne.
Les diverses combinaisons de ces formes chez le cheval, par exemple, donnent les têtes dites carrée, pyramidale, à chanfrein droit, busqué, déprimé, camus, etc., toutes particulières à indiquer lors de la description de chaque race ; la saillie plus ou moins forte des arcades orbitaires, celle des crêtes zygomatiques, contribuent pour leur part à l’ensemble caractéristique de la physionomie de la race, ainsi que la forme et la direction des branches et de l’arcade incisive du maxillaire inférieur ; enfin, sur le vivant, la forme des naseaux, de la beauté des oreilles et des yeux. » Cette idée est à quelque chose près la même que celle qui a inspiré les auteurs qui ont choisi pour type la tête carrée, comme nous allons le voir. Quant à l’invariabilité de la forme de la tête, nous verrons plus tard ce qu’on doit en penser.
III
CONFORMATION TYPE DE LA TÊTE DU CHEVAL.
Pour faire un groupement important des idées admises sur la conformation de la tête du cheval, il faut prendre en elle ce qu’il y a de meilleur, en élaguer les défectuosités. Il est rare, en effet, de trouver un cheval dont la tête ait la forme accomplie, les dimensions voulues, et reconnues comme typiques ; tandis que sur des chevaux différents, on peut trouver épars les caractères que je vais réunir ici en un seul
groupe ; on aura ainsi un terme de comparaison, un point de mire vers lequel tendront tous les efforts. Ce qu’on doit d’abord rechercher dans la tête, c’est la largeur. Elle doit être aussi avantageuse que possible, sans toutefois atteindre
des proportions démesurées, qui, sans nuire à sa beauté absolue, nuiraient du moins à sa beauté relative. Outre cette première condition, elle doit être longue des yeux à son extrémité supérieure, courte, au contraire, des yeux au
bout du nez. On reconnaît sans doute, dans la corrélation de ces dimensions, le tableau de la tête carrée, qui, chez le cheval comme chez l’homme, représente le type le plus intelligent
qu’on puisse rechercher.
On doit aussi prendre d’autres caractères, qui sont l’expression de l’état des fonctions : un chanfrein large, indice des cavités nasales spacieuses ; des naseaux bien ouverts, aux ailes rigides et mobiles ; des lèvres fermes et fortement contractées ; des ganaches nettes, pour loger à l’aise un larynx volumineux, et facilitant les mouvements de la tête sur l’encolure ; tout cela constitue des beautés absolues, dont on ne peut contester l’importance. Ces beautés accompagnent du reste toujours l’ampleur de la poitrine, en vertu de la loi de corrélation anatomique et physiologique, comme il sera démontré plus tard. La gymnastique fonctionnelle, en développant le thorax, développe aussi tous les autres organes de l’appareil respiratoire.
Tout ce qui est à rechercher, comme beauté absolue dans la forme de la tête, sera dit, lorsqu’aux qualités précédentes seront ajoutés de grands yeux, bien ouverts, placés à fleur de tête, au regard limpide et doux, et aussi des oreilles petites, étroites, bien plantées et mobiles sous l’influence d’impressions que trahit en même temps le regard, ce véritable miroir de l’impressionnabilité nerveuse.
La vivacité du regard est peut-être ce qu’il importe le plus de considérer. Elle imprime à la physionomie ce je ne sais quoi que l’on se sent disposé à mettre au-dessus de tout le reste, et qui nous ferait volontiers passer sur des imperfections plastiques, chez les animaux comme dans l’espèce humaine. Là est, assurément, la véritable beauté suprême, parce qu’elle exprime quelque chose qui tient du mystère et de l’enchantement, qui est une sorte d’émanation de l’intelligence et de la force insaisissable, de cette chose merveilleuse que nous appelons la volonté, qui est avant tout un langage à l’aide duquel nous échangeons, les animaux et nous, nos sentiments et nos pensées. Pour ceux qui savent y lire, n’y a-t-il pas quelquefois tout un poème dans un seul regard du cheval ou du chien qui est notre compagnon et notre ami ? Est-il rien de plus expressif ?
Mais, comme il l’a été déjà dit, dans le regard du cheval se reflète, pour l’homme exercé, la puissance de son système nerveux, source de la force qu’il est appelé à développer. C’est là, plus que dans l’examen des organes mécaniques, que se devine ce cachet de supériorité native, cette vigueur de volonté qu’on appelle improprement le sang, dans le langage courant, et qui supplée si souvent à l’insuffisance de ces organes, sauf à précipiter leur ruine en raison même de son intensité. C’est ainsi que l’on voit tous les jours de malheureux chevaux exténués par la fatigue, pouvant à peine se tenir debout tant les membres usés sont dégradés par des tares de toute sorte, et faisant malgré cela des services excessifs, par cela seul que leur père les a doués de cet attribut de la volonté dont il vient d’être question ; cela se remarque surtout sur les produits résultant du croisement avec l’anglais. Avec une constitution physique insuffisante, ils ont hérité de leur père de l’énergie qui le caractérise à un si haut degré. Sous l’excitation de la volonté, leur œil s’anime, et ils vont jusqu’à la fin sans consulter leurs forces.
Mais tous les animaux sont loin de présenter ce caractère ; les conditions extérieures font dévier le type, quoique en ait dit M. Sanson, et à part quelques races privilégiées, l’anglais et l’arabe, celui-ci par l’action de causes inhérentes aux dispositions de sa patrie, celui-là par un artifice industriel, ingénieux, remplaçant avec fruit les précédents, sont presque parvenus au plus haut degré de la perfection ; mais peut-il en être ainsi pour tous les animaux ? L’exigence de l’élève ne serait pas compensée par les résultats obtenus ; car la consommation des animaux de choix est pour ainsi dire consécutive à leur rareté, et il suffirait de les multiplier pour les voir disparaître en grande partie, sinon en totalité.
Une autre influence est celle des services. Il serait presque impossible de trouver des animaux à tête fine, ayant une conformation générale opposant une grande résistance à la fatigue, comme sont, par exemple, les animaux munis d’une tête lourde, pesante et physiologiquement conformée pour ainsi dire, car elle a un but physiologique dans le phénomène de la traction. Le cheval percheron, par exemple, est-il moins beau, moins recherché, parce qu’il n’a pas une tête courte, ramassée, sèche, etc ? La forme carrée persiste, et c’est un caractère essentiel qu’on doit toujours demander, quand, malgré tous les soins, on ne peut lui adjoindre les autres.
Enfin, en thèse générale, la tête doit être différemment considérée selon les races et les services, et on pourrait, pour ainsi dire, considérer plusieurs types secondaires ayant de commun avec le type principal la forme générale et la disposition des appendices ; il existerait entre ces deux types des types intermédiaires, selon les degrés plus ou moins importants de perfection.
Ce n’est pas depuis longtemps qu’on a reconnu l’importance de la tête carrée. Avant cela, elle fut longtemps soumise aux caprices de la mode, elle prit diverses formes, diverses dimensions, selon le goût et les habitudes des différentes nations ; celles-ci même ont parfois eu des goûts différents. Aussi règne-t-il une grande confusion résultant de la perversion des idées dans l’histoire des types.
À l’époque de l’immortel Bourgelat, on demandait la tête busquée de l’Andalous, parce que cet habile écuyer l’avait mise à la mode, en la prenant pour type de la belle conformation ; certains hippologues demandaient la tête conique (alors on disait d’un cheval doté d’une pareille tête, qu’il pouvait boire dans un verre), mais elle ne fit pas fureur. D’autres, au contraire, choisirent les conformations opposées aux précédents, ils préférèrent la tête camuse, la tête de renard, et cela pour quels motifs ? Pour des motifs si peu fondés, qu’ils n’eussent pu soutenir l’examen et qui n’avaient pas la raison d’être. Est-ce pour qu’un cheval dont la tête affectait une des formes ci-dessus, et généralement considérées aujourd’hui comme vicieuses, s’était fait remarquer dans un tournoi, dans un cirque, dans une course par son élégance, son énergie et la vitesse de ses allures qu’on devait le préférer ? Cet exclusivisme est blâmable, surtout n’ayant aucune base fixe, aucun but physiologique expliquant le mobile qui avait pu le faire persister. Celle qui fut le plus en vogue, la tête busquée, et elle le fut tant qu’elle avait par son importance momentanée, humilié, effacé même l’importance de toutes les autres, n’avait pas plus de raison sérieuse que les autres pour occuper le rang sur lequel on l’avait placée ; et on eût demandé aux partisans les plus zélés de la doctrine de Bourgelat le motif qui les maintenait dans leur croyance, ils n’auraient donné que des explications vagues ou manquant dans leurs principes. Or, pas de principes, pas de conclusion.
Quand plus tard on a reconnu qu’on avait fait une fausse route, qu’on eut reconnu les inconvénients de la mode, le mal était à réparer. Les Anglais furent moins exclusifs d’abord, et plus tard, quand ils le devinrent, ils prirent pour type principal et définitif, Éclipse, le fameux coursier qui n’a été battu par aucun de ses concurrents, et dont on ne pouvait contester la beauté absolue et l’énergie, devenues proverbiales dans tous les pays où l’on s’occupe de la science hippique. Toutefois, s’ils l’ont pris comme type ils ont cherché à le perfectionner. Je n’ai pas à m’occuper ici du plus ou moins de réussite qu’ils ont obtenu dans leurs améliorations. En principe, dans le choix d’une conformation, le seul guide que l’on doit consulter, c’est l’importance physiologique et les avantages dont elle peut être la source, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.
IV
IMPORTANCE DES DIMENSIONS DE LA TÊTE, DANS SES
PRINCIPALES RÉGIONS.
On peut la considérer en même temps au point de vue de la largeur et sous celui de la longueur.
La largeur de la tête est une beauté sous plusieurs rapports : elle influe sur les dimensions du crâne, sur celles de la poitrine, et par suite sur les organes que ces cavités sont destinées à soutenir et protéger.
Principes. — Elle influe sur les dimensions du crâne. —
Toute cavité est d’autant plus grande que les parois qui la forment présentent une plus grande surface, leur épaisseur restant la même : tel est le principe qui doit servir de base à ma démonstration.
Quels sont les signes qui permettent de distinguer une tête à cavité crânienne réellement vaste.
Ils sont nombreux et d’une constatation facile ; les plus importants, ceux que l’expérience a sanctionnés, sont surtout fournis par les oreilles, les branches maxillaires et les yeux.
1° Oreilles. — Sur une tête carrée, les oreilles sont écartées l’une de l’autre à leur base. Implantées sur les parois latérales du crâne, leur écartement sera évidemment commandé par le développement en largeur du cerveau. En outre, elles sont aussi basses que possible, en supposant la tête perpendiculaire du sol ; car alors elles annoncent une grande dimension de la cavité cérébelleuse et partant du cervelet ; la position de l’oreille étant invariable par rapport à la protubérance occipitale interne qui limite en avant la cavité du cervelet, la position de l’une entraînera la position de l’autre.
2° Branches maxillaires. — Les branches du maxillaire inférieur ont un écartement considérable, conséquence naturelle de la largeur du crâne. En effet, l’éloignement des apophyses zygomatiques n’exige-t-il pas un écartement des branches maxillaires avec lesquelles elles doivent s’articuler pour l’exécution de leurs fonctions, et l’éloignement des apophyses zygomatiques n’implique-t-il pas la largeur des parties supérieures de la tête, et par suite la largeur de la cavité crânienne ?
3° Les yeux. — On doit les considérer, 1° au point de vue de l’écartement latéral, et 2° sous celui de leur position par rapport aux oreilles.
1° Pour ce qui est de leur écartement latéral, ils sont à peu près soumis aux mêmes conditions que les oreilles, c’est à-dire qu’ils sont éloignés l’un de l’autre et placés sur les côtés de la tête.
2° Mais la largeur n’est pas la seule qualité que doit posséder cette région, elle doit en posséder une autre qui n’est pas d’une moins grande importance ; c’est ce que je vais expliquer.
La position des yeux est celle qui indique le mieux au premier coup d’œil la limite antérieure du cerveau. En effet, les nerfs optiques se détachent de la masse cérébrale qu’ils ont longée en dessous, pour aller se fixer sur le globe oculaire, après avoir pénétré dans l’orifice qui leur est destiné ; or, par les dissections anatomiques, on peut s’apercevoir que l’attache du nerf optique et l’origine de la première paire sont sur un même niveau. Quelle conclusion peut-on tirer de là ? Que la cavité crânienne, plus elle sera grande, et plus seront développés les organes qu’elle contient, forceront l’œil à occuper une position plus déclive sur les côtés de la tête.
Dans un grand nombre d’espèces, et notamment dans l’espèce humaine, on doit tenir compte de l’âge des sujets. En effet, chez les enfants dont les molaires n’ont pas encore paru, on remarque que les yeux occupent une position déclive beaucoup plus appréciable que chez l’adulte ; mais à l’âge où l’éruption des molaires s’effectue, il survient un écartement de la mâchoire inférieure, la seule mobile, ce qui augmente les dimensions de la face dans le sens de la longueur et semble faire remonter les yeux. Le nègre qui a le front peu développé et fuyant a les yeux placés très haut. On peut donc poser comme règle générale que les yeux séparent la tête en deux sections, se développant souvent l’une aux dépens de l’autre et donnant à la physionomie plus ou moins d’expression, et cela dans quelle classe d’animaux qu’on la considère.
En résumé, pourquoi les yeux, les branches maxillaires et les oreilles doivent-ils être éloignés les uns des autres ? Parce que cet écartement est le signe essentiel dénotant dans l’individu un front large qui annonce un cerveau développé et des facultés proportionnelles ; parce qu’enfin cette disposition est en rapport avec les lois physiologiques et l’harmonie naturelle. Il est impossible que l’écartement des oreilles ne coïncide pas avec celui des branches maxillaires et des yeux ; il y a, en effet, des rapports fonctionnels qui sont liés d’une manière intime pour favoriser l’accomplissement des phénomènes de la vie.
Par une disposition naturelle heureuse, le cheval est une des rares espèces chez lesquelles on peut, par des signes extérieurs, mesurer les dimensions du crâne. — En effet, le bœuf, la chèvre, l’éléphant, etc., tous pourvus de sinus qui
l’entourent, paraissent avoir un large crâne et ne sont pas moins pourvus d’un cerveau comparativement petit ; chez le cheval, au contraire, les sinus se trouvent sur la partie antérieure et laissent un espace libre pour juger des dimensions de son cerveau.
V
CORRÉLATION ENTRE LES DIMENSIONS DE LA TÊTE ET CELLES
DES ORGANES RESPIRATOIRES.
Tout se lie dans l’organisme, et de même que les dimensions du crâne peuvent donner des indices sur le degré de l’intelligence du cheval, de même la conformation de certaines parties de la face peuvent nous en donner sur l’état des fonctions végétatives.
Il s’agit, dans ce chapitre, de démontrer pourquoi, dans la tête carrée, on trouvera plus que dans toute autre une disposition favorable à l’exercice des fonctions de la respiration.
Les naseaux, chez le cheval de race noble, l’anglais et l’arabe, par exemple, présentent une disposition invariable qu’on ne saurait trop rechercher ; quand on s’occupe d’un animal exclusivement destiné aux allures rapides, ils sont larges, dilatables et éloignés l’un de l’autre. Les cavités nasales qui leur font continuité sont aussi d’une grande dimension, à cause de la largeur que présente le chanfrein. Le larynx lui-même est très développé à cause de l’écartement des branches du maxillaire inférieur.
En raison de l’heureuse disposition de ces régions, le cheval à tête carrée présente toutes les conditions nécessaires pour recevoir dans ses poumons une grande quantité d’air.
Or, comme je le disais tout à l’heure, les poumons dans l’organisme peuvent être comparés au générateur de la locomotive.
Pour s’expliquer toute l’importance de cette conformation, il faut comparer les naseaux du cheval de sang avec ceux du cheval de race commune, de l’âne et du mulet.
Chez le premier, au repos, quand la respiration est calme, les naseaux ne se dilatent pas ; ils suffisent, dans leur état ordinaire, au passage de la quantité d’air nécessaire à la poitrine. Mais pendant l’exercice, quand la circulation du sang est activée par l’action musculaire, quand la respiration est agitée par de violents efforts que nécessitent les allures rapides, il faut plus d’air aux poumons, qui sont traversés par une plus grande quantité de sang dans un temps donné. Alors les flancs battent avec vitesse, et les naseaux se dilatent de toute leur étendue ; du reste, cette activité des flancs et la dilatation des naseaux, sont toujours en raison de la violence de l’exercice ou du travail.
Mais si les chevaux de sang sont ceux qui ont les naseaux les plus amples et les plus dilatables, ils sont aussi ceux qui ont le plus de fonds et de vitesse. Chez le cheval de race commune, l’âne et le mulet, on remarque que les naseaux sont moins ouverts que chez le cheval noble ; ils présentent, au lieu de cette grande ouverture elliptique, une simple fente ; la lèvre supérieure du nez retombe mollement sur l’autre et produit une occlusion partielle ; aussi, leur vitesse aux grandes allures est-elle plus bornée, et la moindre course les essouffle ; au travail lent, ils sont pourtant très rudes, ils résistent aux fatigues, sont sobres, ce qui est sans doute dû à leur grande rusticité.
D’après ce qui vient d’être dit, on pourrait presque dire, avec M. Richard, que le fonds et la vitesse dépendent beaucoup de la capacité et de la dilatabilité des ouvertures nasales. Si on les rétrécit par la pensée, on voit le fonds et la vitesse disparaître en même temps. Cela s’explique : les poumons sont la base fondamentale de l’action. Si par le rétrécissement des naseaux, ils ne reçoivent pas la quantité d’air indispensable à leur travail dans les grandes allures, l’animal ne peut pas les exécuter, ou ne le fera que pendant un très court intervalle : le sang n’étant pas élaboré comme il convient dans ce cas, à défaut de la quantité d’air nécessaire au foyer de sa vivification.
Pour donner une explication pratique à cette opinion, on peut faire l’expérience suivante : que par un procédé quelconque on empêche la dilatation des naseaux d’un cheval déjà éprouvé, il n’aura ni le fonds ni la vitesse qu’on lui connaît ; il les reprendra immédiatement, si on fait cesser la cause de ce changement subit. Mais si l’ouverture des naseaux nous conduit à juger du fonds et de la vitesse du cheval, il n’en est pas de même des autres animaux. Le genre cheval (equus) est le seul qui ne puisse pas respirer par la bouche, à cause d’une disposition particulière du voile du palais et de l’épiglotte. Il en résulte, pour lui seulement, que les naseaux sont l’unique passage de l’air respiré, et qu’ils doivent être grands et dilatables en raison de la capacité des poumons.
Pour l’homme ou les autres animaux, le plus ou moins d’ouverture des naseaux est de peu d’importance, parce qu’ils peuvent respirer par la bouche, et suppléer ainsi à leur défaut de dimension ; pendant l’été, surtout, quand l’air est raréfié par la chaleur, on voit souvent le bœuf au travail, le mouton, le porc ou le chien fatigués, ouvrir la gueule et laisser pendre la langue pour donner ainsi plus d’espace au passage de l’air. Ils respirent de la même manière si, par accident, les naseaux ou les cavités nasales sont obstrués ; le cheval, au contraire, meurt asphyxié immédiatement si, par suite de quelques opérations, l’air ne peut s’introduire dans ses poumons par d’autres voies.
On comprend, d’après ce court exposé, pourquoi le cheval est, de tous les animaux domestiques, le seul qui a rigoureusement besoin d’avoir les naseaux les plus grands et les plus dilatables, puisqu’il ne peut respirer que par eux.
De même que le front large et plat est le mieux conformé, de même le chanfrein droit et élargi est celui qui offre à toutobservateur et surtout au physiologiste la plus grande garantie pour juger le cheval.
Un chanfrein large donne la mesure de la capacité des cavités nasales qui servent de passage à l’air respiré ; plus elles sont grandes, mieux elles concourent à la facilité de la respiration, et comme je vais le dire tout à l’heure, l’ampleur de ce conduit est toujours en harmonie avec celle de la poitrine.
Quant à l’auge, cette partie sera toujours belle, quand elle aura le plus de largeur possible, car alors le larynx est gros, peut laisser passer une grande quantité d’air. Les chevaux de sang ont l’auge élargie ; son rétrécissement se fait remarquer surtout chez les races dégradées, de peu de résistance et d’énergie. Ce que je viens de dire me conduit naturellement à formuler en deux mots la loi générale qui préside au développement des parties essentielles de la respiration, par rapport aux parties accessoires, et l’avantage que l’économie tout entière pourra en retirer. Les poumons sont les organes principaux, essentiels de la respiration. On peut remédier aux affections même les plus graves de tous les organes accessoires de cette fonction, par les procédés thérapeutiques ordinaires ou chirurgicaux ; mais on remédie plus difficilement à celles qui les attaquent eux-mêmes. Or, d’après les lois naturelles, les fonctions qu’ils remplissent seront d’autant plus complètes et mieux exécutées, que ses dimensions seront plus avantageuses.
D’après les lois harmoniques, les poumons seront d’autant plus développés, que les éléments qu’ils exigent pour satisfaire aux besoins de la nutrition seront en plus grande quantité, et cela ne peut avoir lieu que si les orifices, les cavités et les conduits qui lui donnent accès et passage, sont plus développés eux-mêmes. Il y a donc là un enchaînement naturel des fonctions qui prouve combien est importante une bonne conformation de la tête. Voici l’explication :
Les naseaux dilatés ou dilatables demandent une dimension proportionnelle du côté des cavités nasales et du larynx qui lui fait continuité indirecte par l’intermédiaire du pharynx. Les anneaux de la trachée, uniformes entre eux, seront aussi en développement proportionnel avec le larynx, à la base duquel s’articule son premier anneau. La trachée, à son tour, dans sa subdivision bronchique, fournira deux rameaux d’autant plus grands que son dernier anneau l’aura été lui-même ; et en suivant ainsi les divisions et subdivisions, on arrive à trouver que la dimension générale des tuyaux bronchiques, depuis le premier jusqu’aux capillaires, ont une dimension en rapport avec les dimensions des naseaux.
De même que la lampe brûle avec un éclat d’autant plus vif que l’huile qu’elle reçoit est en plus grande quantité ; qu’un moulin tourne avec d’autant plus de rapidité, que l’eau ou l’air, qui en sont les puissances motrices, coule ou souffle plus violemment, de même les poumons exécuteront leur rôle de purificateurs avec d’autant plus d’intensité et de facilité, que l’air, leur élément indispensable, sera plus abondant et aura une pénétration plus facile.
Quelles sont les conséquences de cette disposition ? Un grand développement des poumons et de la cavité qui les contient, une plus grande capacité du système le plus en rapport avec lui ; c’est-à-dire, le système circulatoire, dont les éléments vont porter la vie à tout l’organisme, et par suite une grande énergie, qui doit se traduire à l’extérieur par les aptitudes de l’individu aux services auxquels il est destiné ; une grande force musculaire, une tonicité générale ; les muscles sont forts, trempés et alimentés par un sang trouvant sans cesse une vie nouvelle au foyer pulmonaire.
Ces dispositions amènent enfin un jeu facile des organes de nutrition. Outre la bonne conformation de la tête, pour que les actes physiologiques qui sont dévolus à certains organes, surtout le larynx, soient accomplis avec efficacité, il est important que certaines autres régions soient dans un état de développement convenable. Ce sont les régions des parotides et de la gorge. Si la région des parotides n’est pas libre et qu’elle ne présente pas un espace déprimé entre l’aile de l’atlas et la tête, les mouvements de cette région sont difficiles et le cheval peu maniable. L’excès de cette conformation serait aussi nuisible qu’utile. Mais la gorge est bien plus importante ; elle doit être ample pour loger la partie postérieure du larynx et la partie antérieure de la trachée ; elle est le gage certain de la facilité des mouvements de la tête sur l’encolure. Le cheval sera alors doux, maniable, portera bien la tête, et les actes physiologiques de la respiration s’accompliront avec plus de facilité que dans le cas opposé, qui indique une compression des organes supérieurs de la respiration, et une faible résistance aux allures rapides, par suite de la gêne qu’éprouve l’air à son entrée dans la trachée.
VI
VARIÉTÉS DE CONFORMATION DE LA TÊTE, CONSIDÉRÉES AU
POINT DE VUE DE LEURS AVANTAGES, DE LEURS
INCONVÉNIENTS, ET DES BEAUTÉS ABSOLUES ET RELATIVES.
La tête peut être busquée, moutonnée, camuse, de rhinocéros, de lièvre, de brochet, de vieille ; longue, courte, grosse, grasse, maigre, petite, plaquée, décousue, étroite. Toutes ces formes passées en revue, montreront leurs avantages et leurs inconvénients, et feront mieux ressortir l’importance de la tête type dont j’ai déjà parlé.
Tête busquée. — On appelle tête busquée, une tête dont le profil antérieur présente une convexité partant du front et qui va jusqu’au chanfrein. M. le général Morris, qui a fait une étude spéciale sur les races orientales, croit pouvoir interpréter ainsi son origine : Le cheval barbe a été importé dans les diverses contrées de l’Orient. À Carthage, les Romains ont aussi trouvé la race barbe moins perfectionnée qu’aujourd’hui, et qui est devenue la source de l’andalous et de plusieurs autres races du midi de l’Europe ; mais il a remarqué que par suite des émigrations des contrées chaudes vers les contrées froides, la tête a augmenté peu à peu de courbure et de longueur, et son augmentation antéro-postérieure a été la cause de l’aplatissement latéral qui en fait la principale défectuosité. La tête busquée est ordinairement longue, étroite, à oreilles rapprochées, ainsi que les yeux, qui tendent à monter vers son extrémité supérieure.
Sans doute, la convexité du front et de la partie supérieure des os sus-naseaux, semble annoncer une grande ampleur des cavités nasales ; c’est le contraire qui existe : car les dimensions latérales étant diminuées au profit de la convexité, il s’en faut de beaucoup que cette conformation puisse avantageusement compenser l’autre, et cela a pour conséquence : une poitrine étroite, un manque d’énergie et une physionomie stupide.
On trouve souvent dans ce genre de conformation, des chevaux atteints de cornage, ce qui les rend impropres à tout service régulier, et qui en même temps déprécie notablement les animaux qui en sont atteints. Il est, dans ce cas, le résultat de la collision de l’air avec les parties que renferment les cavités nasales, l’espace libre qui existe entre elles étant insuffisant pour le laisser passer.
Cette conformation, autrefois répandue, tend aujourd’hui à disparaître, par suite du croisement des races dont elle est l’attribut ; c’est ainsi que le normand l’a perdue par son croisement avec l’anglais ; le danois la perd, depuis qu’on le croise avec certaines races d’Angleterre ; et l’andalous seul, existant dans un pays où la production chevaline est arriérée, la conserve et la conservera encore longtemps probablement, car le perfectionnement des races marche de pair avec la civilisation.
Tête moutonnée. — Elle a une convexité moins développée que la précédente, et qui ne commence qu’au chanfrein ; elle présente à peu près les mêmes défectuosités.
Tête de lièvre. — Elle possède les mêmes désavantages que la tête busquée et la tête moutonnée, avec lesquelles elle est ordinairement confondue.
Tête camuse ou camarde. — Cette conformation est opposée à la précédente : la courbe est une concavité au lieu d’une convexité. Elle n’a pas tant de désavantages : car avec ce vice de conformation, qui diminue un peu l’espace des cavités nasales, mais qui n’entre en rien dans la largeur des premières voies, on leur trouve une partie inférieure courte, un crâne large et développé, les yeux et les oreilles éloignés les uns des autres. Elle plaît en général et dénote une grande vigueur et une intelligence développée. On a longtemps cru, mais à tort, qu’elle était particulière aux animaux vicieux. Non, et à moins qu’on ne prenne la vigueur pour un vice, on ne peut croire que cette idée soit juste et avérée ; elle a été généralisée par le fait de quelques circonstances malheureuses qui se sont présentées sur un ou plusieurs chevaux atteints de cette défectuosité coïncidant avec quelques vices qu’ils possédaient, et qui ont suffi pour lui susciter une injuste calomnie ; il est rare, en effet, de ne pas trouver dans quelques races que ce soit des animaux vicieux, à côté de chevaux de grand mérite au point de vue du caractère. Les chevaux bretons sont ceux qui présentent le plus souvent cette particularité.
Tête de rhinocéros. — On la rencontre chez quelques animaux communs de provenance dégénérée, chez lesquels elle s’est développée spontanément ; mais on la trouve le plus souvent chez les animaux pour lesquels on a fait dans le jeune âge un usage abusif du caveçon et de la muserole. La concavité qu’elle présente existe le plus souvent à la partie inférieure des sus-naseaux.
Sans gravité quand les os n’ont pas été dégradés et fracturés, et les cavités nasales oblitérées en partie, elle est dangereuse dans le cas contraire ; elle a seulement l’inconvénient de signifier chez les animaux un caractère indomptable et un maniement difficile, pour l’usage desquels on a employé des moyens extrêmes.
Tête de Brochet. — Longue, effilée et étroite, elle n’est pas aussi laide qu’on a bien voulu le dire, et si l’œil était placé moins haut, elle ne serait pas disgracieuse. (M. Merche.)
Tête de Vieille. — Émaciée et longue, elle a des rapports avec celle des vieux chevaux ruinés et amaigris ; elle participe des défauts de la tête étroite et longue dont je donnerai tout à l’heure la description.
Tête longue. — Cette conformation, qui se définit d’elle même, est loin d’être toujours défectueuse. Je m’explique : Quels défauts peut-on trouver à une tête longue présentant une largeur proportionnelle, des yeux bas et écartés ainsi que les oreilles, enfin, tous les attributs d’une tête intelligente, et si toutes les parties sont dans des rapports parfaits d’action ? Aucun, si ce n’est celui d’être désagréable à l’œil. Mais l’inconvénient, c’est qu’en général une tête longue entraîne tous les vices de la tête étroite : le cerveau est petit, les yeux et les oreilles sont rapprochés, la longueur de la face est triple de celle du crâne, etc., etc. On s’explique alors le mépris qu’on a pour les chevaux qui présentent cette défectuosité, et qui, dans les premiers cas, n’aurait pas sa raison d’être.
Tête courte. — Avantageuse si toutes ses parties sont en rapport de conformation, si la partie faciale est en rapport avec la partie crânienne ; elle se rapproche du type.
Tête grosse. — Cette conformation est le plus souvent défavorable, surtout au point de vue physique. Une tête pareille, et bien équilibrée dans ses parties, ne peut avoir d’inconvénients sérieux. Au reste, ne voit-on pas des chevaux ainsi faits qui ont une certaine vigueur ? On l’a accusée d’être lourde à la main. Ce défaut est bien vite réduit à néant quand on réfléchit un peu. Où seraient donc les lois de l’harmonie si à une encolure grêle était suspendue une tête lourde ? Cela ne doit pas être, et la puissance musculaire du cou doit être assez forte pour supporter la tête. D’ailleurs, les organes ne se développent-ils pas d’autant plus que leurs fonctions sont plus exagérées ?
Le dressage est le seul exercice qui puisse faire disparaître ce défaut, ou qui puisse le laisser persister quand il n’a pas été bien entendu. Souvent le cheval porte bas la tête et est ramené difficilement, mais c’est en vain qu’on accuserait la tête.
Il est à remarquer aussi qu’il est des chevaux qui ne sont pas aptes au dressage, et ce qui le prouve, c’est que la tête de l’arabe est petite, et que si on fixe un poids additionnel de 5 kilos, il sautera, gambadera quand même, et la tête ne sera pas lourde au cavalier, qui ne s’apercevra pas à la bride de l’augmentation de poids ; il ramènera le cheval aussi facilement qu’auparavant, celui-ci seul sentira le poids qu’il supporte en plus ; tandis qu’il est d’autres animaux, à tête plus légère encore, qui seront lourds à la main, difficiles à ramener et à manier.
Il est pourtant de bons chevaux qui sont durs à la main ; mais cela provient de la dureté des barres ; un cheval de sang nommé Aukaly avait, d’après M. Mauri, les barres insensibles au point qu’on était obligé d’agir de toute sa force pour le retenir quand il était lancé.
Certaines particularités relatives à la langue peuvent aussi influer sur le plus ou moins de poids que semble offrir la tête à la main du cavalier : tel est celle, par exemple, d’une langue volumineuse, au point d’empêcher l’appui du mors sur les barres.
En somme, la tête grosse ne serait pas défectueuse au superlatif ; mais elle l’est quand à cette conformation se joint celle de la tête grasse, qui indique la mollesse des individus qui en sont pourvus et le caractère de leur naissance.
Tête grasse. — Toujours détestable, en ce qu’elle est toujours l’attribut des races grossières et des tempéraments lymphatiques : le flamand, le comtois, etc., etc. Elle a aussi une physionomie qui n’a rien d’attrayant. L’aspect superficiel de la face est uniforme et lisse, point de saillies, point de cavités ; les oreilles sont le plus souvent insensibles et presque toujours immobiles, pendantes ; les yeux sont noyés dans un magma celluleux mou et infiltré et apparaissent petits. Ces animaux qui font ordinairement des services extraordinaires, sont aussi souvent exposés à toutes les maladies privilégiées du tempérament qu’ils possèdent (morve, farcin, eaux-aux-jambes, etc., etc). On devrait apporter dans leur production des améliorations importantes ; car les animaux, à cause de leur force et de leur taille gigantesque, seraient appelés dès-lors à rendre de grands services à l’industrie et à l’agriculture.
Tête petite. — Apanage ordinaire des bons chevaux, quand ses dimensions ne sont pas exagérées dans le sens de moins ; la tête petite est ordinairement agréable au coup d’œil et produit un effet subit et attractif sur celui qui la contemple : c’est en un mot la tête des amateurs. Dans sa petitesse, elle doit présenter, pour être distinguée, toutes les qualités requises : elle doit être courte, carrée, bien suspendue à l’encolure. Certaines races privilégiées en sont seulement pourvues : ce sont les races arabe, anglaise (pur-sang) et celles qui en émanent.
Légère et mobile, de même que toutes ses parties annexes, ce qui est une preuve d’un tempérament nerveux, ardent, on ne saurait trop s’attacher à la rechercher, à cause des précieuses qualités que présentent ordinairement les animaux que la nature en a pourvus.
Tête maigre. — Une des conditions indispensables à une tête bien faite, c’est celle d’être maigre sans être décharnée. Elle est bien faite, quand les saillies et les cavités de la face sont bien marquées, et que l’auge est bien évidée ; elle indique un tempérament sec, nerveux, spécial à certains animaux ; tandis que si elle est empâtée et sans formes extérieures bien apparentes, elle annonce, comme je l’ai déjà dit, un tempérament lymphatique et est un caractère de mollesse acquise ou congéniale diminuant de beaucoup l’importance de ses formes.
Mais quoi de plus laid et de plus affreux à voir, qu’une tête grosse et maigre, qui annonce ordinairement l’état d’embonpoint de l’individu ; les saillies extrêmement développées ; les salières et autres cavités profondes à l’extrême ; les tempes énormément saillantes ; la peau souvent excoriée. Ajoutez à cela les lèvres souvent pendantes, et vous aurez le tableau d’un cheval ruiné par les fatigues et les privations, ou d’une conformation extra-irrégulière et qu’on parvient très difficilement à mettre dans de bonnes conditions de service.
Tête plaquée. — On désigne ainsi la tête dépourvue du sillon qui la sépare de l’encolure, et qui semble se continuer avec elle sans interruption ; c’est un défaut commun chez les chevaux qui ont cette dernière région épaisse et courte et qui rend le cheval peu souple et peu soumis à l’action du mors.
Tête décousue. — Elle se présente chez les animaux qui ont le sillon qui sépare la tête de l’encolure très profond. Les animaux dont le cou est long en sont le plus souvent munis ; ces deux conformations sont presque inséparables, et elles concordent ordinairement avec une conformation générale peu énergique et dégingandée ; c’est par conséquent dans l’intermédiaire entre les deux défauts ci-dessus, que se trouve la seule bonne conformation.
Tête étroite. — Les désavantages de cette conformation ont déjà été expliqués dans le chapitre qui traite des avantages de la tête large et carrée. À part quelques explications, il serait presque aussi régulier de dire, que la tête étroite
est tout-à-fait l’opposée de la tête large sous tous les rapports ; car, de même que la tête large et longue des yeux aux oreilles est le signe principal de l’intelligence, de même on pourrait dire que la tête étroite et à oreilles rapprochées
des yeux, est l’expression des animaux dépourvus des facultés intellectuelles nécessaires aux services qu’ils doivent rendre à l’homme, services auxquels on ne peut les soumettre que par la force brutale, moyen extrême dont les résultats sont dans tous les cas à redouter. En résumé, elle donne à l’animal qui la possède tous les attributs de la stupidité, caractère dégradant de la plèbe des races communes (comme le dit M. Gayot).
VII
DE LA DIRECTION DE LA TÊTE ET DE SON IMPORTANCE.
La position de la tête est loin d’être la même, quand on considère le cheval libre ou monté. Dans les deux cas, les variations sont nombreuses ; je vais les passer en revue :
Position de la tête chez le cheval libre. — Chez le cheval libre, la position de la tête est loin d’être dissemblable entre deux animaux ; elle est ordinairement la même à quelques exceptions près. L’animal qui a l’encolure rouée est pour ainsi dire obligé de tenir la tête perpendiculaire au sol ; celui qui a une encolure de cerf la tient ordinairement un peu plus allongée. Je dirai, en parlant de la tête chez le cheval monté, quels sont les avantages et les inconvénients de l’une et l’autre de ces deux positions.
Il est surprenant qu’on n’ait pas encore choisi comme type de position de la tête, celle que prend l’animal en liberté. N’est-ce pas là, en effet, la position naturelle ? la position que l’animal choisit comme celle lui étant le plus propice pour l’exécution de ses fonctions ? Il n’est pas nécessaire de faire des démonstrations à l’appui de cette idée, le bon sens le dit assez ; et comparées à celle-ci, toutes les autres fonctions ne sont que des positions défectueuses et anormales, excepté, cependant, celles qui ont, dans leurs variations, un but essentiellement physiologique, et encore concourent-elles à diminuer la résistance statique par le déplacement du centre de gravité.
J’admets, il est vrai, que pour l’exercice momentané, la position est nécessaire ; mais combien de temps un cheval tiendrait-il dans cette direction forcée dans laquelle est en action l’économie toute entière et particulièrement les muscles qui sont destinés à la soutenir ? Je veux parler ici du cheval de course qu’on ne peut en aucune façon prendre comme type de comparaison et dont on pourrait dire : C’est le cheval d’un moment, un phénix pour dix minutes, et une rosse le reste du temps. Il s’agit ici, bien entendu, du cheval préposé à la course ; car il est beaucoup de ces chevaux qui, entretenus avec soin, forment plus tard de bons et solides chevaux.
Position de la tête chez le cheval monté. — Bourgelat, examinant la position de la tête sur le cheval de manège monté et au ramener, avait cru comprendre que la direction la plus favorable était celle de la verticale. Il l’avait prise pour la direction normale ; et cela, parce que dans cette position, l’action du mors sur les barres était plus propice pour l’exercice auquel était livré l’animal. Ayant pris pour type le cheval de manège, Bourgelat avait raison ; car il reportait sur le train postérieur le poids qui surchargeait l’avant-main et permettait ainsi à l’animal de se soulever avec douceur et agilité.
Mais n’est-ce pas une position forcée ? et une position forcée peut-elle être prise comme terme de comparaison ? Lâchez l’animal, vous qui l’assujettissez par la bride, et voyez la position que prend la tête ; c’est celle-là seule qu’il vous faut prendre comme terme de comparaison.
Bourgelat lui-même savait que la position qu’il avait adoptée était loin d’être favorable aux allures rapides. Rigot, Richard, Vallon, le général Morris, sont à l’unanimité de l’avis que la direction de la tête à l’état normal doit être oblique au point de former par son prolongement figuré sur une surface horizontale, un angle de 45° avec elle. C’est la direction ordinaire de la tête du cheval libre au repos.
D’après M. Merche, la direction de la tête est signifiée par celle de l’épaule, qui peut varier dans sa direction, selon que l’on a à faire au cheval de trait ou au cheval de course ; celui-ci étant obligé d’allonger, a l’épaule plus oblique que celui-là qui va toujours à l’allure du pas ; aussi la tête du trotteur est-elle plus oblique que celle du cheval de trait, chez lequel elle tend à se rapprocher de la verticale pour offrir un plus grand poids nécessaire au déplacement dans l’exercice du trait.
D’ailleurs, ici encore, on pourrait appliquer une règle générale qui est celle-ci : La tête sera d’autant plus oblique, que la poitrine aura besoin de plus d’air pour purifier le sang dont les principes nuisibles ont augmenté par l’action. Le but de l’allongement de la tête est donc physiologique et mécanique en même temps.
Dans ces cas, je n’ai considéré la tête que dans ses positions normales : au ramener et à la course rapide ; mais il existe en outre des positions défectueuses dont mention doit en être faite ici.
Tète encapuchonnée. — Le cheval qui s’encapuchonne devrait être exclusivement réservé au service du manège, parce que dans cette attitude le centre de gravité est naturellement reporté en arrière, et par suite l’animal exécute plus facilement les mouvements sur place.
Pour le service de trait, il est incapable, attendu que le centre de gravité doit être reporté en avant.
Mais voyons pour le service de selle : Un cheval qui s’encapuchonne paraît beau, et donne dans l’œil aux amateurs inexpérimentés qui ne veulent que l’élégant et le préfèrent même au solide. Que survient-il ? C’est que l’angle formé par la réunion du larynx et de la trachée avec le conduit nasal, étant d’autant plus droit que la tête est plus verticale, il est aigu chez le cheval atteint de ce défaut, d’où un obstacle dangereux au passage de la colonne d’air qui se rend aux poumons, car il y a un choc contraire à la facilité de la respiration.
On ne verra jamais ces défauts chez des chevaux de grande vitesse ou pendant les grandes allures, et cela pour plusieurs motifs : d’abord, celui que je viens d’énoncer ; enfin, l’encolure étant rouée, le centre de gravité est porté en haut et en arrière ; dans l’allure rapide, ils s’enlèvent et perdent inutilement le temps à soulever le corps qu’ils laissent en arrière ; c’est bien là le défaut du cheval espagnol et de tous ceux qui sont construits comme lui.
Quand ce vice de conformation existe, les animaux sont souvent corneurs ; dans le cas contraire, ils ont beaucoup de tendance à le devenir, et c’est si vrai, que beaucoup de marchands mécontents des chevaux qu’ils ont achetés, les rendent au vendeur en les faisant corner de la sorte.
Enfin, les chevaux sont encore sujets à s’effrayer, s’emballer en se soustrayant à l’action du mors ; ils ont la vue courte et peuvent se lancer dans des précipices qu’ils ne voient qu’au moment où la force d’impulsion est si forte qu’ils ne peuvent plus se retenir.
Tête du cheval qui porte au vent. — On appelle ainsi le défaut qui consiste chez le cheval à avoir la tête dans une direction qui se rapproche de l’horizontale. Voici les avantatages et les inconvénients de cette position en tout point opposée à la précédente. Un cheval qui porte au vent, a un canal aérien sans courbure trop prononcée et dans lequel l’air circule avec une très grande facilité.
D’autre part, l’avant-train est chassé énergiquement par l’arrière-train, le centre de gravité étant déplacé en avant. Or, comme un cheval est d’autant plus rapide à la course que l’équilibre est plus instable, les allures ne seront que plus accélérées ; mais pour que cela ait lieu, il ne faut pas que le cheval ait une encolure de cerf qui rejette le centre de gravité en arrière, ce qui désordonne les mouvements. À côté de tous ces avantages, sera-t-il difficile de trouver des inconvénients ? D’abord, la position est disgracieuse ; d’un autre côté, le mors ne peut agir beaucoup, car la gourmette lâche ou résiste : si elle résiste, il y a une déviation du mors des blessures de la commissure des lèvres, ce qui excite l’animal et fait qu’il se livre à des excès furieux ; mais si elle est trop avantageuse ou se rompt, le mors va sur les molaires, ne peut agir, déchire les lèvres ; l’animal s’emballe ; alors, ne voyant plus ce qui se passe à ses pieds, il ne saurait éviter les obstacles et les précipices, il est furieux et ne s’arrête que quand il tombe exténué de fatigue et ne se soutenant plus, après avoir exposé le cavalier à tous les dangers, si dans tous les cas il a pu les éviter. Les maquignons savent bien masquer ce vice par l’usage de la martingale ou de mors spéciaux ramenant la tête sur l’encolure.
On ne saurait donc prendre trop de précautions pour éviter ces deux défauts, qui souvent inapercevables au repos, se décèlent à l’œil au moindre exercice.
VIII
IMPORTANCE DES DIMENSIONS ET DE LA POSITION DE LA
TÊTE SELON LES SERVICES.
Dimensions. — D’après les différents services qu’on espère obtenir d’un cheval, la tête doit varier dans ses dimensions. Tel cheval qui est bien conformé pour la selle ou le trait léger, aura une conformation vicieuse pour le trait ou le train. — C’est facile à expliquer : dans le cheval de selle, la tête légère, petite, est d’un avantage compréhensible ; car l’animal a besoin de se mouvoir avec le plus de vitesse possible, et si la tête est lourde, elle sera nuisible au facile déplacement du corps.
En effet, la tête grosse pourra être suspendue à l’extrémité d’un levier cervical très long ; cette disposition serait défectueuse, car quoique l’encolure longue soit un des attributs du cheval de course, elle ne saurait supporter sans inconvénients une tête grosse, la puissance qu’elle possède étant en raison inverse de sa longueur. La tête doit donc être légère, placée à l’extrémité d’un balancier mobile et apte aux déplacements utiles pour les fonctions qu’elle exécute dans les diverses allures. Pour les chevaux de trait, au contraire, ce n’est pas la finesse que l’on doit rechercher, mais le développement de la masse de la tête, sans exagération, et en conservant les proportions admises dans un des chapitres précédents.
Dans ce cas-ci, la tête doit bien encore servir de balancier naturel dans le même sens que la tête légère, en déplaçant le centre de gravité et faisant basculer la partie postérieure du corps sur l’antérieure ; mais dans le cheval de course, c’est pour le mouvement simple, et dans le second pour le mouvement compliqué d’un effort de traction demandé pour le déplacement d’un corps résistant.
On pourrait donc dire que plus la tête sera grosse mieux elle remplira son rôle ; seulement l’excès serait aussi nuisible dans un sens que dans l’autre ; car, si dans un cas il porte atteinte au service, dans l’autre il portera atteinte à la physionomie.
La tête grosse doit être supportée par une encolure forte et courte.
La disposition de celle du cheval de trait léger sera intermédiaire à celle des deux précédentes.
Direction. — La position de la tête à l’extrémité de l’encolure est d’une grande importance pour l’art de l’équitation ; elle joue un rôle important dans les mouvements qu’on veut faire exécuter au cheval. On conçoit, en effet, que, portée en avant, en arrière, à droite, à gauche, en haut, en bas, elle modifie beaucoup le centre de gravité. Pour en être convaincu, il n’y a qu’à examiner le cheval en liberté, quand il joue et se livre à ses mouvements variés, la tête et l’encolure sont toujours les premières à les accuser, et pour peu qu’on ait observé, on peut prévoir l’action du corps par celle de la tête et de l’encolure qui le précèdent toujours.
Pour l’exercice de la selle, la direction doit être un peu plus allongée que dans la normale, sans se rapprocher de celle des chevaux qui portent au vent.
Pour le manège, elle doit être haute.
Pour le trait, elle doit être dirigée en avant et en bas, pour que l’appui sur le collier soit le plus complet possible, et que le poids qu’elle exerce sur le collier uni à la force active soit plus avantageux dans le déplacement du mobile à traîner.
IX
LES AGENTS NATURELS ONT-ILS UNE ACTION SUR LA
PHYSIONOMIE ET LA CONFORMATION DE LA TÊTE ?
Toutes les parties de l’organisme, par suite des influences extérieures et génératrices qui leur sont contraires ou favorables, sont sujettes à dévier ou à se rapprocher du type naturel.
La tête, par conséquent, doit participer aux modifications générales. Je vais passer en revue les principaux agents qui peuvent exercer une action sur elle.
Climats et localités. — Le cheval, considéré dans les différentes latitudes où il habite, présente des variations nombreuses ; depuis les contrées les plus méridionales jusqu’à l’extrême nord, depuis les plus orientales jusqu’aux confins occidentaux où il peut vivre, cette modification se fait sentir ; et quand on compare entre elles les races qui viennent dans ces pays, différents par la température, différents en produits, et différents surtout en civilisation, on comprend la grande divergence qui existe dans l’espèce, unique, mais variable dans ses individus.
Quelles sont les modifications que peut apporter la différence de température ? La respiration est un acte normal entraîné par le besoin de purification du sang ; dans les pays chauds, l’air étant plus raréfié et les éléments qui le composent étant en plus faible quantité, il s’ensuit que les organes qui doivent suffire à cette importante fonction, auront un développement au-dessus de la normale. L’arabe, et plusieurs autres races de chevaux se rapprochant des tropiques, sont sous cette influence ; ils respirent un air doux, et quoique ses éléments soient insuffisants, la quantité qui en pénètre dans leurs poumons est plus considérable, parce qu’ils sont desservis par des organes (naseaux, cavités nasales, larynx) à dimensions proportionnelles. C’est bien une des causes du peu de service que rendent en France, et surtout dans les régions du Nord, les chevaux de ces pays : la péripneumonie les décime, les poumons n’étant pas aptes à recevoir un air à éléments condensés et en aussi forte proportion qu’en donnent les naseaux. Dans les pays du Nord, au contraire, les chevaux ont ordinairement les narines peu ouvertes ; car, pour une raison inverse à la précédente, l’air est condensé en ses éléments.
Action des aliments. — Mais outre les éléments respiratoires, ne doit-on pas considérer le régime comme entrant en part dans la conformation de la tête ? Le régime exclusivement excitant des pays chauds donne aux animaux une énergie et une vitalité, se traduisant au dehors par la vitesse des allures et leur résistance aux fatigues ; or, ne faut-il pas que la respiration vienne en aide pour réparer les pertes faites par l’économie toute entière ? Et pour cela, ne faut-il pas des organes respiratoires appropriés ? Donc, l’alimentation excitante agit, quoique d’une manière médiate, sur les organes antérieurs de la respiration et partant sur la forme de la tête.
Cela est si bien vrai, que si nous suivons le cheval arabe dans les divers pays où on l’a transporté, nous le verrons subir des modifications en rapport avec les climats. Sans aller si loin pour prendre des exemples, prenons ceux qui se présentent dans le pays où nous habitons : qu’on compare, en effet, le cheval Tarbe, Ariégeois, Landais, Corse, venus dans un pays comparativement chaud et où se développent des plantes sèches et très nutritives sous un petit volume, avec ceux élevés dans les parties septentrionales, au milieu des marais, des embouches, des près, ou d’une atmosphère brumeuse, comme il en est sur les bords fertiles de l’Océan : ici, alimentation aqueuse, relâchante et quantitative, apte à faire développer chez le cheval le tempérament lymphatique et la mollesse, un de ses principaux attributs ; le cheval qui y naît le possède de droit ; celui qu’on y transporte l’acquiert ; outre cela, air froid et humide, à éléments condensés, d’où l’inutilité d’une respiration accélérée ; aussi voit-on chez eux des naseaux étroits, à lèvres presque en contact, et comme conséquence, étroitesse des parties inférieures de la tête, air stupide et déformation des parties supérieures du crâne, avec lequel les premières sont en rapport de continuité.
Là, au contraire, alimentation sèche, à produits assimilables abondants, nourriture excitante plus tôt que matérielle, condensation des éléments de l’air ; d’où l’énergie, la force et la célérité, traduite à l’extérieur par la forme des organes respiratoires. Comparez le flamand au corse, vous qui niez l’invariabilité des races, vous serez surpris de trouver en celui-ci une si grande vigueur, quand vous trouvez chez celui-là une si grande mollesse ; vous ne douterez plus alors que les climats forment des races incapables de se maintenir dans un pays qui leur serait étranger, pendant une longue série de générations.
Ce n’est pas à dire pour cela qu’il suffise de placer les animaux dans certaines conditions pour qu’ils contractent une prédisposition subite aux modifications qui en sont la conséquence. Non, on peut transporter un corse au nord de la France, sans qu’il ait à subir d’autres épreuves que celles de l’acclimatation ; mais si on le laisse se reproduire et se multiplier, les modifications, après trois ou quatre générations, seraient suffisantes pour qu’on pût percevoir ses sensibles effets ; sa tête se déformerait, ses naseaux se fermeraient peu à peu, et ce cheval jadis si énergique, finirait par ne rien rappeler du corse, si les influences que je viens d’énoncer continuaient trop longtemps leur action.
Aujourd’hui, les progrès de l’hygiène et de l’élève des animaux, dans diverses contrées, ont créé des moyens par lesquels on combat la nature et l’effet de ses agents. L’Angleterre peut en cela être placée au premier rang. Ce tour de force (la création du pur-sang), comme le dit dans ses cours M. Gourdon, n’a-t-il pas été fait malgré les brumes de la Grande-Bretagne ? et ce cheval n’a-t-il pas une grande partie des qualités du cheval dont il émane ? C’est incontestable ; mais les zootechniciens dont je parlais tout à l’heure, ont-ils l’intention, en transposant les races, d’affecter à leur production une atmosphère, une alimentation artificielles et des soins tels que les prodiguent nos voisins d’Outre-Mer ? Dans ce cas, je suis de leur avis, mais il est à craindre que les résultats de cette anglomanie leur coûteraient fort cher.
Action de la génération sur le développement de la tête. — Tel père, tel fils, ce qui doit être interprété ici : tel producteur, tel produit (les chiens ne font pas des loups), dit le proverbe. Si toutes les parties du corps participent de l’influence génératrice, la tête doit y être comprise, et on ne saurait mettre en doute l’influence des reproducteurs sur la forme de cette région sur les produits.
Il est des cas où la réussite n’a pas lieu, et les voici : quand on fait des croisements de race trop éloignées les unes des autres ; car, dans ce cas, chaque reproducteur donne une partie de ses caractères ; et, par la nouvelle résidence que l’on crée au produit, ils disparaissent sans laisser de trace sensible si les plus menus soins ne leur sont prodigués ; au contraire, quand on les fait avec des races parentes, la production des types est à peu près exacte, car outre que les caractères reproduits sont plus liés, ils n’ont pas à redouter l’influence des milieux. On pourrait à l’appui citer quelques exemples : Ainsi, le cheval de la plaine de Tarbes présente avec la tête carrée de l’arabe ou de l’anglais, la tête longue du navarrin, tandis que le normand croisé avec l’anglais, présente à peu près tous les caractères du type qui a servi à l’améliorer.
Par quels procédés se ferait-il que l’un ou l’autre des producteurs transmet le caractère plus tôt que l’autre ? Deux opinions différentes ont leurs partisans : une ayant pour chefs Buffon, Haller, Bonnet, etc., admettait que tout préexiste dans l’ovule, et qu’il ne faut qu’un complément de développement. Une autre qui admet que rien n’existe dans l’ovule et que tout se forme par la force d’organisation. Je passerai ces doctrines sous silence pour en revenir à des faits : Buffon admet comme dérivant de ses idées, que le mâle donne au produit la forme de la tête des extrémités et des parties antérieures du corps, et la mère les parties postérieures et les formes. Pour le prouver, il s’appuyait sur la conformation du mulet qui à la tête et les pieds de l’âne, son énergie et sa sobriété, et la taille, les formes et la croupe de la jument ; mais quand on examine de près, on voit qu’il peut exister quelques exceptions à cette règle.
D’après l’habitude qu’ont certaines tribus nomades de l’Arabie de vendre les mâles et de conserver les femelles, on avait cru que la race se transmettait par celles-ci ; il est bien vrai que cette coutume existe chez les Arabes, mais cela afin d’être moins dépistés par le hennissement des chevaux, dans les rapines que se font les diverses tribus entr’elles.
Ce que nous devons admettre, c’est que dans l’état de santé, deux reproducteurs à l’état normal influent également sur les formes et la conformation des produits ; mais dans quelques cas, le produit ressemble plus au père qu’à la mère, et réciproquement ; cela dépend alors du plus ou moins d’énergie, de vitalité qu’ont les reproducteurs l’un par rapport à l’autre. Giron de Buzaringues l’a prouvé par un grand nombre de faits ; que peut-on conclure de là ? Qu’on doit choisir autant que faire se peut des reproducteurs munis d’une belle tête ; qu’on doit, dans le cas où la perfection serait impossible chez les deux, en trouver au moins un qui, par ses qualités, puisse compenser les défauts de l’autre, et qu’enfin on devra donner à l’un ou à l’autre, par les moyens considérés comme efficaces, le plus ou moins de vigueur nécessaire pour favoriser l’acte de l’accouplement.
Influence de l’exercice — Tout organe qui fonctionne prend un développement proportionnel à l’action qu’il est obligé d’effectuer. La tête ne saurait être l’exception de la règle, et de même que les membres grossissent par le fait de l’élevage en liberté, de même les naseaux, les cavités nasales et le larynx se développeront dans la même occasion, et cela à cause du plus grand jeu des fonctions respiratoires.
Influence des agents mécaniques et physiques sur la forme de la tête. — Les causes mécaniques qui peuvent modifier les formes de la tête ne sont pas très nombreuses, mais je dois citer l’action du Licol. Quand ce moyen de contention est appliqué chez des animaux trop jeunes, alors que les sus-naseaux sont tendres et encore mobiles, malgré leur articulation en scie, la tête peut prendre des formes nuisibles sous deux points de vue. 1° Le point de vue physique ; 2° le point de vue physiologique. En effet, le licol ou tout autre système de contention appuyant sur les naseaux, même légèrement, peut produire à la longue une dépression, quelquefois peu importante parce qu’elle est superficielle, mais grave quand elle a pour résultat de produire une convexité à la face interne des sous-naseaux. Dans ce cas comme dans l’autre, la tête est déformée, irrégulière, ce qui nuit au coup-d’œil ; mais, en outre, l’air trouve là une résistance à son introduction dans les parties profondes, et il peut survenir un cornage quand l’exercice est fatiguant et trop prolongé. Le moyen préventif est facile quand on a connaissance de la cause.
Plusieurs accidents, tels que les contusions, les coups amenant des fractures dans cette région et des déviations consécutives, peuvent avoir les mêmes inconvénients ; quelquefois ils sont passagers, comme quand il existe un cal dont il faut attendre la résorption.
Le licol, dont je viens de citer les inconvénients, pourrait être d’une grande utilité, quand des déviations anormales, congéniales, comme la tête du rhinocéros, ou acquise comme celle résultant des coups, des contusions, viennent à se produire. Alors en faisant subir à ce licol quelques modifications, en mettant, par exemple, une muserolle large et lourde, exerçant une pression lente et continue sur les naseaux, on peut arriver à ce but. J’ai été témoin d’un cas d’amélioration marquée d’une lésion de cette nature ; mais le cornage survint dix-huit mois après. Ce serait ici le cas de dire que le remède fit beaucoup plus de tort que le mal.
X
DE L’IMPORTANCE DE CERTAINES RÉGIONS DE LA TÊTE.
Je ne m’occuperai pas à décrire ici toutes les régions de la tête, ce qui m’entraînerait à des longueurs fatiguantes, je me bornerai à choisir les plus utiles à connaître soit au point de vue de leur importance physiologique, soit sous celui des défauts qu’elles peuvent faire décéler et des ruses qu’elles peuvent faire comprendre, etc.
La Nuque. — La nuque est située au sommet de la tête, et a pour base l’occipital et les muscles qui viennent y prendre attache.
On doit la considérer au point de vue de la largeur et sous celui de la longueur. La largeur de la nuque, de même que la distance des oreilles, etc., est un indice certain de la largeur du crâne, il faudra donc autant que possible rechercher cette conformation. Quant à sa hauteur, elle est incontestablement avantageuse si on conçoit qu’elle est le point d’insertion des muscles qui font mouvoir la tête dans son ensemble : en effet, la nuque est le bras du levier interfixe, dont le point d’appui est à l’articulation atloïdo-occipitale. Comme on le voit, il est comparativement court par rapport à la résistance qui est constituée par la longueur de la tête. La hauteur favorisera l’action des puissances qui agissent sur elle ; le sommet de la tête bien détaché sera donc une beauté.
Le toupet. — Le toupet s’attache sur la nuque et flotte sur le front. C’est une touffe de crins plus ou moins épaisse, selon les races, fins et soyeux chez les races orientales, et plus ou moins grossiers chez les races occidentales.
Quant ils se déplacent, ils ombragent les yeux et donnent à la tête un air échevelé et sauvage qui, combiné à l’ouverture contractée des naseaux, l’expression de la bouche écumeuse et la fierté du regard, accuse son énergie et caractérise la noblesse de son origine[1].
Les lèvres. — Le cheval (le genre) est de tous les animaux domestiques le seul que l’homme gouverne avec un mors, et comme on a cru que les lèvres exercent une grande influence sur son action, je ne puis les passer sous silence.
Bourgelat attache une grande importance à l’étude des lèvres. Suivant lui, selon qu’elles sont plus ou moins fendues à leur commissure, elles doivent, ou bien empêcher l’action du mors sur les barres, ou bien permettre un jeu trop facile sur celles-ci et même empêcher, en se repliant, le point d’appui sur elles ; mais aujourd’hui, on a su éviter cet inconvénient en adaptant le mors selon les circonstances.
Aujourd’hui, on n’accuse plus les lèvres d’être la cause de la dureté de la bouche chez le cheval, comme on l’avait fait autrefois, mais un vice de conformation de l’encolure ou de l’avant-main, ou encore l’inexpérience et le peu d’intelligence de celui qui l’a dressé ou monté.
Si pourtant les lèvres sont étrangères à l’action du mors sur les barres, elles sont intéressantes à étudier pour reconnaître la noblesse des sujets. Des lèvres amincies, fermes, moyennement fendues, très mobiles, recouvertes d’une peau fine, aux poils courts, rares et soyeux, caractériseront toujours un cheval de sang ; jamais on ne lui verra, comme dans les races abâtardies, ces grosses lèvres, roulées en forme de bourrelet, à peau épaisse, molles et sans caractère. Voyez le cheval de sang quand il est monté ; ses lèvres ont une très grande mobilité, elles donnent à la physionomie de l’animal des expressions très diverses, si accentuées, qu’elles trahissent toutes ses impressions, toutes ses passions : chez certains sujets d’élite, à intelligence très développée, on dirait parfois qu’elles vont prononcer des mots, tant elles parlent.
Les lèvres du cheval commun, au contraire, sont immobiles, souvent pendantes, et laissent écouler une salive filante qui le rend dégoûtant.
La lèvre supérieure, munie de bulbes pileux, à la base desquels vont se rendre des filets nerveux sensitifs, est surtout l’organe du toucher chez les animaux. Elle est très mobile et elle peut être impressionnée par les trois sensations qui constituent le toucher (sensation de contact, de forme, de température). Par le moyen des bulbes pileux, il se rend compte de la présence des corps étrangers qui l’environnent, et surtout quand il doit se guider dans l’obscurité.
Langue. — La langue, par ses dimensions, peut influer sur l’action du mors. Si elle est trop épaisse, elle l’empêche de prendre un appui sur les barres ; si elle est trop mince, l’appui sera trop direct. Il la faudrait pourtant assez épaisse pour déborder un peu les barres, car alors l’appui sur ces organes n’étant pas continuel, serait favorable à leur douceur.
Mais ici, comme pour les lèvres, on n’a pas beaucoup à se préoccuper des dimensions de la langue, et on adapte le mors à l’embouchure, comme cela doit convenir, selon les cas.
On doit aussi considérer la langue en elle-même. Quelquefois elle est pendante, ce qui occasionne des pertes de salive, et on doit peu estimer ces chevaux qui sont affectés de ce défaut, car ils sont rarement énergiques.
Quand on choisit un cheval, on doit examiner si la langue n’est pas coupée dans son épaisseur, car elle n’a pas dès-lors la même aptitude à remplir ses fonctions.
Barres. — Les barres sont l’espace intermédiaire qui, des deux côtés de la mâchoire, sépare les dents molaires des dents incisives. C’est sur elles que le mors porte et agit ; de leur degré de sensibilité ou d’insensibilité dépend la facilité plus ou moins grande de diriger les animaux.
Les barres sont arrondies ou tranchantes, suivant que la partie de l’os maxillaire qui en forme la base, présente une crête plus ou moins élevée, plus ou moins effacée ; et dans ces cas, l’action est plus ou moins forte. À la barre effacée, la langue déborde, et il faut un mors brisé ou courbe ; si elle est tranchante et élevée, il faut alors un mors garni de parties molles pour adoucir son action ; il faut, dans les deux cas, et surtout dans le dernier, beaucoup de précautions ; car le fer comprimant, on voit les chevaux, jeunes surtout, se cabrer et se renverser par suite d’une action mal comprise sur les rênes.
On a répété pour les barres tous les faux raisonnements qui ont été portés au sujet des perfections à rechercher dans les diverses parties constituantes de la bouche, considérée dans ses rapports avec l’appareil de gouverne des animaux, et l’on a inventé toute sorte de qualifications pour désigner les différents états, où l’inhabileté et la maladresse mettent la bouche du cheval qu’on n’a su ni emboucher, ni mener. On a fait alors la bouche fausse ou égarée, la bouche assurée, celle dite à pleine main ; la bouche sensible, fine, tendre, légère, loyale, fraîche, forte ou dure, et finalement la gueule, une gueule de fer ou d’enfer. Ces épithètes répondent toutes ou à des perfections ou à des imperfections dépendantes de la main de l’homme, et quand celui-ci connaît son métier, il adapte un mors spécial qui rend normale la sensibilité exaspérée ou abolie. Et une preuve, c’est que tel cheval rétif, indocile en des mains inexpérimentées, se montre maniable et facile sous une main douce et capable.
En somme que faudrait-il rechercher ? Des barres moyennement arrondies, s’élevant à peu près au niveau de la langue et des lèvres, seraient dans les meilleures conditions possibles d’après l’étude qu’on peut en faire et le jugement qui doit la suivre. Celles qui offriraient cette disposition, seraient donc les mieux conformées, celles qu’on doit préférer.
Dans tous les cas, et quelle que soit la conformation, l’emploi judicieux de la bride demande beaucoup de moelleux de la part du cavalier qui veut faire une bonne bouche. Il faut beaucoup de patience, d’attention, pas de saccades, l’usage gradué des rênes, calculé suivant un tact qui assure toujours le succès.
Souvent la maladresse des cavaliers détermine des lésions, des blessures, qui non-seulement empêchent l’usage de la bride, mais occasionne des maladies graves, telles que la carie des maxillaires, des exfoliations, des fistules qui empêchent les animaux de manger, et qui sont toujours difficiles à guérir. Il faut toujours s’en assurer dans les examens d’achat.
XI
SIGNES EXTÉRIEURS FAISANT CONNAITRE LES DÉFAUTS OU VICES DES ANIMAUX ; — LES MALADIES ; — LES FOURBERIES DES MAQUIGNONS.
Plusieurs organes de la tête peuvent offrir de précieuses indications, je vais passer en revue les principaux.
Oreilles. — L’étude des mouvements des oreilles et l’attitude qu’elles prennent, fournissent le plus souvent des indices à peu près certains sur le caractère des animaux. Défiez-vous toujours du cheval qui, à l’approche de l’homme, coule ses oreilles sur la nuque ; il va mordre ou ruer. S’il les agite en sens inverse, il est ombrageux, méfiant, et pour l’œil exercé, elles n’ont pas l’aspect doux et abandonné qu’elles présentent chez le cheval confiant.
On reconnaît aux mouvements insolites de celles du cheval aveugle, qu’il a besoin de l’ouïe pour se guider, et il suffit d’avoir vu une fois un cheval qui cherche à voir avec les oreilles, pour ne plus se tromper. Dans ces cas, l’animal a ordinairement un cachet particulier de stupéfaction et d’indécision dans les actes locomoteurs qui peut faire diagnostiquer la cécité à distance ; — un cheval aveugle, quand son naturel le comporte, se hasarde rarement par lui-même ; il attend la voix qui le commande, et souvent la main qui le guide.
La surdité est très rare chez le cheval, on la reconnaît par des moyens dont je parlerai tout-à-l’heure. Cet inconvénient a, du reste, une importance secondaire, vu que les chevaux aveugles apprennent à exécuter les commandements par divers autres moyens, tel que le maniement des rênes, etc. J’ai connu un cheval qui demeurait impassible à la voix de son maître, et qui entamait la marche au moment où celui-ci montait sur la charrette qu’il était obligé de traîner.
Surdité. — Par suite de quelques causes traumatiques, par l’effet d’un vice congénial, ou même parfois essentiellement, le cheval peut être affecté de surdité. Ce vice, sans avoir tous les inconvénients qu’il a chez l’homme, ne déprécie pas moins les animaux qui en sont atteints ; en effet, il peut se faire qu’il existe la vue étant conservée, et alors, ce sens supplée au défaut de l’autre, dans certaines mesures, et cela se comprend : car le cheval obéit plus souvent aux signes qu’à la voix de son conducteur. Cependant, il existe des symptômes particuliers qui ne peuvent laisser le moindre doute sur la nature de cette affection : l’animal est dans un état d’hébétude presque continuel ; il est insensible à tout ce qui se passe autour de lui, et reste dans la même attitude qu’un cheval atteint d’immobilité ; il ne répond pas à la voix de son maître ; ses oreilles, loin d’être immobiles, sont au contraire très agitées ; elles sont toujours tendues et dirigées vers les corps qu’il aperçoit, et d’autant plus que la surdité est plus complète. Ce dernier caractère pourrait donner le change sur l’état sanitaire de ces organes ; mais si on s’est aperçu des autres signes, il n’y a qu’à faire quelques expériences concluantes en dernier ressort.
D’abord, on met l’animal dans un lieu d’où il ne peut apercevoir l’expérimentateur ; celui-ci, muni d’un fouet, le fait claquer à côté de lui, sans toutefois le toucher, et s’il entend, il fait des mouvements qui trahissent sa frayeur ; on peut encore, par mesure de sûreté, se servir d’une capote pour lui couvrir les yeux ; ces précautions sont utiles, car il est certain que s’il voit le propriétaire ou le fouet, au premier mouvement que fera ce dernier, il éprouvera les mêmes sensations que si son ouïe était bonne.
Le cheval peut être sourd d’une oreille seulement, ou bien des deux, mais incomplètement, et dans ces cas, les symptômes sont amoindris ou passent quelquefois inaperçus.
Quelle influence la surdité peut-elle avoir sur le service d’un animal ?
Il est ordinairement difficile à dresser, s’il est jeune ; car il faut qu’il comprenne, à cet âge, la signification des expressions que l’on emploie pour le faire avancer, reculer, aller à droite, à gauche, lui faire entamer la marche, le faire arrêter, etc., et dans cet état il comprend difficilement ; en outre, il reste dans un état d’hébétude continuel, qui nuit au développement de son intelligence et à l’exécution de ses travaux ; il ne comprend rien, ne travaille que quand il est conduit par la longe ou la bride ; il est, en un mot, impropre à une foule de services qui demandent une certaine attention ; ce défaut doit par conséquent déprécier l’animal qui en est affecté.
S’il est vieux, et c’est ordinairement pendant la vieillesse que naît ce vice, il n’a pas les mêmes inconvénients ; car alors son éducation est faite, il sait suppléer par l’habitude acquise à l’absence de cette faculté : le moindre signe, le moindre geste et quelquefois même le souvenir suffit pour le guider. Bien plus, sans les moyens cités plus haut, il serait difficile de connaître la surdité, car elle ne paraît pas les incommoder beaucoup après quelque temps. En résumé, ce vice n’est pas très préjudiciable quand les animaux ont une bonne vue, mais elle le serait beaucoup plus si la perte de ce sens coïncidait avec elle.
Dans les réformes qu’on faisait dans les régiments de cavalerie, on avait autrefois l’habitude de fendre l’oreille, afin d’éviter que les animaux ne fussent enrégimentés derechef. Cette mesure était-elle nécessaire avec l’exigence des commissions de remonte ? Il est permis d’en douter ; d’ailleurs, les maquignons avaient l’habitude de détruire une partie de l’oreille là où avait été faite l’incision, et ils soudaient les bords et les faisaient réunir par première intention. Cette ruse était décelée par l’absence de poils et par la résistance du tissu cicatriciel induré qui existait à l’endroit mutilé par l’instrument tranchant et par la marque qui existe à la cuisse gauche.
Il est des animaux qui sont munis d’appareils acoustiques d’une longueur démesurée : dans ce cas, il arrive souvent que les maquignons font exciser une partie de la conque pour remettre les oreilles dans la dimension normale ; il est facile de connaître cette ruse à la densité du tissu que limite l’oreille et la cicatrice qui persiste continuellement.
Les animaux sont quelquefois tarés aux oreilles par une cicatrice blanchâtre qui existe à leur base ; cette cicatrice est l’indice de l’emploi du tourniquet ou tord-oreilles dans certaines circonstances. On doit par précaution soumettre l’animal à quelques exercices, tels que la ferrure, le pansage, avant d’en faire acte de possession.
Bout du nez. — Cette région peut souvent donner des notions sur le caractère des animaux. Dans quelques circonstances, on est obligé de leur pincer le nez avec des instruments spéciaux : le tord-nez, les morailles, soit en fer soit en bois, et cela pour deux motifs : 1° quand ils sont naturellement vicieux et qu’on ne peut les maîtriser que par la violence ; 2° quand ils sont indociles en les soumettant à la ferrure, ou qu’on leur a fait subir des opérations graves. Dans ce dernier cas, le tord-nez a le grave inconvénient d’aigrir le caractère et de rendre les animaux méchants.
Les maréchaux se servent trop souvent de ce système qui rend les animaux intraitables au point qu’on ne peut plus les faire approcher de leur atelier. Quand c’est d’une opération qu’il s’est agi, on doit s’informer de sa nature et de son siège, afin d’être fixé sur son plus ou moins de gravité.
Dans tous les cas, on doit, par précaution, prendre garde à ces cicatrices, en rechercher les causes, s’assurer de la véracité des objections et faire un contrôle expérimental.
Les cicatrices du bout du nez, au lieu d’être circulaires, sont quelquefois à l’extrémité de cette partie ; on doit alors examiner attentivement les genoux, pour reconnaître si elles ne sont pas le résultat de chutes amenées, soit par la faiblesse, soit par l’usure des membres antérieurs. La négligence dans l’examen serait, dans ce cas, compromettante, car il n’est maquignon qui ne connaisse le procédé de reconnaître ce défaut et d’y remédier.
Menton. — D’une utilité secondaire, le menton est dur, résistant chez les chevaux de race, pendant et flasque chez les chevaux lymphatiques. Il paraît quelquefois pourvu de cicatrices circulaires qui indiquent l’usage du tord-nez, et d’une cicatrice médiane qui est l’indice de la chute des animaux pendant l’exécution des services auxquels on les avait destinés.
Front. — Il peut aider à reconnaître le mauvais caractère du cheval. Sans poser un principe fixe, il est permis de croire que le cheval à front fuyant est ordinairement méchant et que ce vice coïncide souvent avec l’habitude qu’il a de mordre ou de ruer, de montrer les dents ou de coucher les oreilles sur le cou dès qu’on l’approche ; d’ailleurs, cette conformation est en rapport avec l’idée admise dans un des précédents chapitres sur la forme de la tête dans ses rapports avec l’intelligence.
Naseaux. — Les naseaux ont l’importance de faire connaître une maladie d’une gravité incontestable, non-seulement par les désordres qu’elle peut occasionner sur l’individu, mais encore dans l’espèce : c’est la morve. Dans cette maladie on peut, par l’inspection des naseaux faite par le relèvement de la lèvre supérieure, reconnaître sur la pituitaire et surtout dans la fausse narine, le chancre spécifique de la morve, se présentant avec ses bords relevés taillés à pic, à fond grisâtre, etc. (voir Pathologie de M. Lafosse). Cela, joint au jetage verdâtre et adhérent qui se montre à l’orifice, au glandage et à l’état général de l’individu, ne laisse plus aucun doute. Quoique la maladie n’existe pas toujours et qu’elle ne soit qu’à l’état d’incubation, on doit suspecter un animal qui a la pituitaire enflammée, à papilles saillantes, présentant des taches anormales, et quelquefois même des érosions, prélude de la maladie qui va éclore. Une autre maladie que les naseaux peuvent faire reconnaître, par leur dilatation anormale et exagérée, même dans le repos le plus absolu, c’est la pousse, qui les rend impropres aux services rapides ou pénibles que dans le cas contraire on pourrait en retirer.
Tempes. — On appelle ainsi les saillies latérales de la tête, situées sur et en avant de l’articulation temporo-maxillaire, et formées par l’arcade zygomatique. Outre qu’elles peuvent donner des indices sur l’âge de l’individu par leur plus ou moins grande proéminence et par la coloration de leurs poils chez les animaux de robe foncée, elles ont aussi l’avantage de faire connaître si les animaux ont été éprouvés par certaines maladies. Les poils qui la recouvrent manquent ou ont une coloration différente, à la suite des coliques qui obligent les animaux à se rouler ; de l’épilepsie, pendant les accès de laquelle les animaux se livrent à des mouvements désordonnés. La fourbure, le vertige et plusieurs autres maladies, occasionnent aussi ces dépilations, qui sans gravité aucune par elles-mêmes, deviennent graves dans ce sens qu’elles peuvent récidiver. Les acheteurs devront prendre de bons renseignements avant de faire leurs acquisitions dans des cas semblables.
Auge et Ganache. — Dans la morve, dont nous avons vu des symptômes aux naseaux, on remarque le plus souvent un empâtement de l’auge, et un glandage qui dépasse même quelquefois le lit habituel. Ces glandes sont ordinairement résistantes et adhérentes, soit aux tissus sous-jacents, soit à la face interne du maxillaire ; ce caractère joint à ceux que j’ai précédemment cités, ne doivent pas faire hésiter à déterminer la nature de la maladie. Une affection qui pourrait donner le change, c’est la gourme ; mais l’âge, la non adhérence des glandes, leur mollesse et leur tendance à la suppuration, unies à la bonne nature du jetage, et l’absence de chancres, doivent absoudre l’animal douteux.
Œil. — L’œil, organe essentiel de la vision, est aussi affecté de plusieurs vices constitutionnels ou acquis d’une si grande importance, qu’il ne m’est pas permis de les passer sous silence. Ils ont pour résultat la perte ou la diminution de la vue.
Fluxion périodique. — Cette ophtalmie spéciale, désignée encore sous le nom vulgaire de lune, parce que les accès reviennent ordinairement tous les mois, à deux caractères principaux : 1° son intermittence, 2° son intensité et sa résistance à toutes les médications jusqu’ici employées.
Elle présente les symptômes suivants : inflammation qui gagne tout l’œil ; quelque temps après, on aperçoit une légère opacité de la cornée, l’écoulement de larmes. On remarque à la fin, l’hypopion se déposant au fond des chambres antérieure et postérieure, sa résorption, et enfin la perte de la vue après un plus ou moins grand nombre d’accès. La teinte feuille morte du fond de la cavité, et la brisure de la paupière supérieure existent : la première, pendant les rémissions, et la seconde, à toutes les périodes.
La perte de la vue est ordinairement la conséquence de l’opacification du cristallin qui intercepte le passage des rayons lumineux. Il n’est pas difficile d’en distinguer la couleur blanc opalin ; mais à son début quelques points seulement peuvent être attaqués ; il faut alors examiner l’œil dans toutes les positions.
À une période très avancée, l’œil se rétracte, et alors plus de confusion possible.
La capsule cristalline seule devient opaque, quelquefois.
Les animaux de certaines races paraissent exposés à cette maladie, qui ne les atteint pas ou paraît s’arrêter quand ils émigrent. Ce sont les races Bretonne, Poitevine, Lorraine, Comtoise et Auvergnate, et quelques chevaux lymphatiques du nord, — les Picards, les Flamands.
Cataracte de la cornée, taie, albugo. — Souvent le résultat d’une cause traumatique, coups de fouet, fléchissures, frottements, contusions, corps étrangers, etc. ; elles occupent rarement toute la surface de la cornée. Elles peuvent être consécutives à la fluxion ; leur gravité augmente dans ce cas. Quand elles sont traumatiques, elles demeurent circonscrites et disparaissent en totalité ou en partie avec la cause.
Amaurose (goutte sereine). — Ses causes sont inconnues ; elle se déclare souvent sans lésions matérielles évidentes et paraît due à une altération de la rétine, ayant pour effet une dilatation démesurée de la membrane irienne. Cette maladie ne produit aucun trouble apparent dans les humeurs et les différentes parties de l’œil. L’animal étant aveugle, dilate sa pupille afin de mieux voir, et il peut la tenir dans cet état, car les rayons lumineux n’exercent plus leur influence sur la rétine ; l’iris est immobile et ne se contracte ni ne se relâche plus. Par l’observation de l’animal à l’ombre et au grand jour, il est facile de voir s’il est atteint ou non de cécité. Il est arrivé des faits qui prouvent combien il faut apporter de soins à cette observation, et certaines personnes ont été obligées de se soumettre à l’affront d’avoir acheté un cheval aveugle, ne l’ayant reconnu tel qu’au moment où l’animal entrant dans son écurie ne trouvait pas la porte par laquelle il devait y pénétrer.
Voici les moyens à employer pour examiner le cheval. Toutes les fois qu’on le peut, dit M. Lecoq, « il faut examiner le cheval dans l’écurie ou sous un hangar à une certaine distance du grand jour. L’œil, dans un endroit un peu sombre, est beaucoup plus facile à examiner, on aperçoit même le fond de l’organe dont la pupille est alors dilatée. On doit, pour cet examen, se placer en face de l’animal, de manière à porter son regard obliquement sur le globe ; on reconnaît ainsi s’il existe quelque trouble dans les parties qui le composent et à laquelle de ces parties il appartient, ce qui n’est pas aussi facile si on regarde l’œil en face ; car alors il existe au fond de l’œil sa propre image, ce qui empêche de faire un examen sérieux et complet.
Ce premier examen une fois terminé, on fait avancer un peu plus l’animal, pour que l’œil frappé d’une lumière plus vive, laisse apercevoir le resserrement de la pupille qui doit être marqué et très sensible.
Dans les cas où les modes ci-dessus énoncés seraient difficilement mis à exécution, il faut, pour reconnaître les mouvements de l’iris, placer la main sur l’un des yeux de manière à le tenir fermé pendant quelques secondes ; aussitôt on voit la pupille de l’œil opposé se dilater un peu, et lorsqu’on examine l’œil qu’on avait tenu fermé, on voit la pupille, fortement dilatée pendant l’occlusion, revenir à ses dimensions premières dès que la lumière entre de nouveau. »
Dans tous les cas, il faut éviter d’examiner l’œil en plein soleil, au voisinage des murailles blanchies, ou d’autres corps blancs volumineux qui réfléchissent beaucoup de lumière, car alors la pupille a des dimensions si restreintes qu’on ne voit rien à travers. Il faut aussi enlever la bride, si elle est munie de gardes-vue, les rayons qu’ils peuvent rejeter obliquement sur l’œil pouvant nuire à un fructueux examen.
Comme complément des précautions précédentes, on doit éviter de faire trotter les animaux sur un terrain qui leur soit familier, et dans ces cas on les fait marcher sur des lieux différents de ceux-ci ; on peut s’apercevoir qu’ils hésitent à opérer des foulées régulières, ce qui trahit les défauts que le vendeur a intérêt à cacher.
Presbytie et myopie. — Je dois donner quelques explications sur quelques faits exceptionnels tenant à certains défauts inhérents au globe oculaire dans sa disposition.
Presbytie. — On a admis que la presbytie (qui s’observe chez les vieillards), avait pour cause le défaut de courbure des surfaces qui limitent les milieux réfringents de l’œil. La cornée et le cristallin peuvent en être les causes. Il n’est que trop général que les individus (et surtout dans l’espèce humaine) jouissant d’une vue parfaite dans leur jeunesse, deviennent presbytes dans l’âge avancé. On peut en tirer cette conclusion : que tant que les phénomènes nutritifs s’accomplissent, que la réparation des matériaux usés s’effectue avec la même activité que la décomposition, l’œil conserve son pouvoir ; mais quand les matériaux s’usent et ne sont pas remplacés proportionnellement à la dépense, l’œil, comme tous les autres organes, subit un commencement d’atrophie dans toutes ses parties ; l’humeur aqueuse diminuant dans la chambre antérieure, la réaction qu’elle opère sur la cornée est moindre, celle-ci perd de sa convexité, et cela suffit pour donner à l’œil l’imperfection connue sous Io nom de presbytie.
Cette altération de la vision, si commune chez l’homme, peut-elle être mise en doute chez le cheval ? Ce n’est pas à croire ; et si elle ne se traduit par aucun signe caractéristique ; 1° c’est qu’elle affecte des animaux vieux, souvent habitués à voir les corps qui les entourent, et qui n’en sont nullement effrayés ; 2° que cette affection survient insensiblement. D’ailleurs, pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Le cheval aurait-il dans la conformation de son œil une cause qui pût neutraliser cette affection à l’âge où elle tend à se produire ? C’est ce qu’il reste à démontrer. La vision ne souffre pas chez les presbytes s’ils savent adapter leur vue aux circonstances ; cette règle est générale pour l’homme et inappliquée chez les animaux.
Myopie. — C’est le défaut opposé au précédent. Les rayons traversant la cornée ou le cristallin, dont les courbures sont exagérées, vont en convergeant avec une telle rapidité, que leur image nette se crée beaucoup en avant de la rétine. Après leur entrecroisement, ils divergent, tombent sur la rétine et vont créer une image nébuleuse, et par conséquent très imparfaite. On conçoit que, par suite, plus les images seront près, plus les rayons qui en émanent iront divergeant, et plus loin leur portrait ira se former ; les objets éloignés, au contraire, seront vus très confusément.
À quoi tient la myopie ? Malgré les opinions de certains savants, qui tendent à démontrer qu’elle est le résultat de l’habitude prise, le raisonnement tend, au contraire, à prouver qu’elle est plutôt la cause que l’effet. C’est plutôt un vice congénial ou héréditaire ; elle affecte les individus jeunes ou adultes et tend au contraire à disparaître dans la vieillesse. La presbytie guérit la myopie : rien de plus naturel.
Le cheval peut-il être myope ? peut-il être presbyte ? Plusieurs raisons tendent à le démontrer : On a remarqué que des chevaux, achetés jeunes et pourvus d’un caractère doux et maniable, avaient, à un âge indéterminé de la vie, une certaine frayeur à l’approche d’objets qui lui étaient inconnus ; or, la cause de cette frayeur, c’est qu’ils ne les voient que confusément et les confondent avec les objets qu’ils ont l’habitude de redouter. Ce qui tendrait à le prouver, c’est qu’ils se rassurent quand ils les ont vus de moins près.
Pour la myopie, c’est l’effet inverse qui se produit ; il est des chevaux qu’on ne peut faire approcher de certains corps, et qui, par le seul mouvement des oreilles, font voir qu’ils se méfient d’un objet qu’ils ne voient qu’imparfaitement. Combien de chevaux timides ou rétifs pour cause de myopie et qui se corrigent de ces défauts en vieillissant. On attribue cette puissance à l’âge ; mais si l’âge l’a corrigé, ce n’est pas en changeant son caractère, mais bien en modifiant ses yeux par un vice de nutrition.
Oreilles. — Les oreilles déjà vues, étaient autrefois, et sont quelquefois même aujourd’hui, arrangées de façon à cacher la tendance qu’ont certains animaux à les avoir pendantes, ce qui nuit à leur beauté. Pour cela, on faisait une incision cutanée au-dedans de l’oreille, on avait l’habitude de soustraire un lambeau de peau ellipsoïde et on faisait cicatriser par première intention quand cela était possible ; le tout était caché par la têtière. Cette fraude commence à se perdre. D’ailleurs, si les oreilles ont la moindre chose d’anormale dans leur position individuelle ou respective, il est bon de se tenir prêt aux vérifications.
Salières. — Chez les vieux animaux, la région qui porte ce nom présente un creux énorme, qui est le résultat de la maigreur du muscle temporal et de la diminution du coussinet oculaire. Un des moyens employés était celui d’insuffler de l’air dans cette cavité par la ponction sous-cutanée ; mais la dilatation n’était pas continuelle, et en outre elle n’avait aucune influence sur la saillie de l’apophyse zygomatique qui présente un caractère important et qu’on ne peut jamais masquer.
Dents. — Elles doivent être examinées sous deux points de vue : 1° sous celui des maladies qu’elles caractérisent ; 2° sous celui de la connaissance de l’âge.
1° Sous le point de vue des maladies qu’elles servent à diagnostiquer. Elles servent à connaître le tic, qui est une manie par laquelle l’animal appuie fortement les dents sur la mangeoire ou tout autre corps résistant environnant, et fait entendre un bruit particulier désigné sous le nom de rot. Ce n’est pas à dire pour cela que tout cheval qui a les dents usées soit tiqueur ; quelquefois il s’ébrêche les dents en paissant dans les terrains rocailleux, en mordant les barreaux à son écurie, etc. ; mais l’existence d’une usure doit établir des présomptions. On doit surveiller l’animal de près et essayer de connaître la différence qui existe entre le tic et les autres défauts qui amènent l’usure ; cela est d’autant plus utile, que le tic avec usure des dents n’est pas rédhibitoire. Dans quelques cas où les animaux ont les dents longues, les maquignons pourraient bien masquer ce vice par la section d’une rondelle de la dent ; mais alors, ils auraient travaillé pour leur perte, car le vice deviendrait par ce fait même rédhibitoire alors qu’il ne l’était pas.
2° Sous le point de vue de l’âge. Les dents sont utiles pour reconnaître les fraudes employées chez les marchands.
Pour tromper les acheteurs sur l’âge des animaux, pour les rendre plus vieux ou plus jeunes, les marchands emploient des procédés frauduleux faciles à découvrir.
Les chevaux ayant leur summum de valeur vers l’âge de quatre à six ans, les marchands de bas étage emploient quelques moyens pour donner aux sujets qu’ils exposent en vente, l’apparence qui les rapproche le plus de cet âge.
Lorsqu’ils veulent donner quatre ans au sujet qui n’en a que trois, on lui arrache les mitoyennes de lait ; mais la fraîcheur des pinces qui doivent avoir rasé, ne permet pas de se laisser tromper. Du reste, la plaie cicatrisée sans remplacement des dents, et l’état du coin examinés avec soin, ne laisse plus de doutes, si dans tous les cas on en avait jamais eu.
Pour ce qui est des fraudes ayant un but contraire à celui-ci, on peut aussi les reconnaître. La plus ordinairement employée pour rajeunir les chevaux, consiste à creuser sur la table des incisives, des cavités artificielles qui leur donnent l’apparence des dents de 7 à 8 ans. On creuse la cavité avec un burin, et on la noircit ensuite par l’emploi du fer rouge. En opérant ainsi, on veut imiter le cornet dentaire, mais on intéresse l’émail central qu’on fait sauter pour compléter la cavité ; il n’existe alors de l’émail qu’à la partie postérieure, et on ne voit plus le rebord saillant qu’il devrait former des autres côtés, l’émail résistant mieux à l’usure que les autres parties. On n’aperçoit pas non plus sa blancheur. La forme de la dent., qui commence à s’arrondir ou à devenir triangulaire, doit instruire, de même que la forme des cavités artificielles qui ont un cachet particulier qui ne permet pas de les confondre avec celles qui existent naturellement.
Si les dents sont trop longues, les maquignons les scient avant de les contremarquer ; mais c’est reconnaissable, vu que les incisives supérieures ne peuvent plus coapter avec les inférieures, à cause de l’appui des molaires ; en outre, la forme de la dent lui donne un âge bien supérieur à celui qu’on aurait pu lui soupçonner avant l’opération.
Les chevaux bégus sont quelquefois portés comme n’ayant pas plus de huit ans ; il existe des chevaux de douze à quinze ans qui n’en marquent que huit ; la forme de la dent doit seule guider alors dans l’examen.
XII
SIGNES FOURNIS PAR LA TÊTE, DANS L’EMPLOI DES NARCOTIQUES ET DES EXCITANTS CHEZ LES ANIMAUX EN VENTE.
Il arrive souvent que les vendeurs de mauvaise foi, connaissant que la méchanceté n’est pas rédhibitoire, usent de certains procédés plus ou moins loyaux pour vendre des chevaux vicieux.
Ils administrent leurs drogues quelques moments avant de les exposer, et si les acheteurs n’abondent pas, ils recourent à une seconde administration pendant la journée.
C’est ordinairement de l’opium ou de leurs dérivées, des capsules de pavot qu’ils font usage, quelquefois aussi c’est de la décoction de tabac, mais moins souvent et toujours avec prudence ; car l’effet qu’on peut produire avec cette matière n’est pas toujours limité. Voici les signes que la tête peut fournir dans cette circonstance, et c’est pour ainsi dire la seule partie qui puisse renseigner.
Les yeux sont fixes, la pupille est dilatée et immobile, la vue et les autres sens sont obtus, l’animal est presque insensible, ne répond pas à l’appel et tient la tête basse ; il est impassible, ne prend pas garde à ce qui se passe autour de lui, il ne mange pas.
Ces caractères, joints à l’examen de l’état général de l’individu, doivent faire soupçonner la ruse.
Ce que l’on a de mieux à faire dans ces cas, c’est d’examiner si le corps ne présente pas de trace de plaies récentes et des blessures en voie de cicatrisation ou complètement cicatrisées, résultant ou des coups qu’il a pu se donner lui-même, ou des moyens employés à le contenir.
Dans ce cas, on doit proposer au marchand de le livrer à l’essai pour quatre on cinq jours ; ce à quoi il se refuse le plus souvent. L’emploi des antidotes, à l’insu du vendeur, est aussi un bon moyen, mais il pourrait occasionner des désagréments. J’ai pu être témoin d’un fait pareil, et l’acquéreur fut obligé de se débarrasser de l’animal, pour ne pas courir le risque d’être victime de son mauvais caractère.
Excitants. — Les excitants sont aussi souvent employés pour donner une énergie temporaire à des animaux qui en sont continuellement dépourvus.
L’usage en est devenu si habituel, que les marchands ne se gênent plus et le font même aux yeux des spectateurs intéressés. Ils leur donnent ordinairement des alcooliques ; mais le plus souvent ils préfèrent les irritants, tels que le poivre, le gingembre qu’on leur administre soit solide, soit sous forme de décoction, en boisson et quelquefois même en lavements.
Les effets produits par ces substances (à supposer qu’elles ne produiront pas d’accidents), sont prompts mais passagers, et on peut reconnaître la fraude en examinant les animaux quelques heures après leur administration.
Sous leur influence, les sens deviennent plus actifs, l’œil s’anime et devient brillant, les oreilles s’agitent et se livrent même parfois à des mouvements désordonnés ; le moindre bruit épouvante les animaux, les naseaux se dilatent, les muqueuses s’injectent ; chez les femelles et les mâles vrais, l’ardeur génitale s’exagère. La nature des chevaux, la race, la conformation doivent guider sur les conclusions à tirer, et on doit toujours se méfier d’une série de symptômes pareils chez des animaux d’une valeur matérielle minime.
Combien de chevaux ne se vend-il pas, en effet, ayant le jour de leur exposition un air indomptable et ne pouvant le lendemain faire deux pas en avant sans le concours d’un accompagnement de coups de fouet ? Plusieurs cas de cette nature se sont présentés et un d’entr’eux, qui avait été provoqué par l’administration d’un lavement de décoction de poivre, a eu pour résultat de rendre inabordable l’animal torturé chaque fois qu’on voulait saisir sa queue, dans le but d’ajuster l’avaloir ou la croupière.
Dans le cas de fraudes ci-dessus énoncées, le vétérinaire ne saurait prendre trop de précautions. Sa négligence pourrait lui être préjudiciable, au point de vue de sa position et de l’avenir de sa clientèle.
La seule conclusion qu’on puisse retirer de l’esprit de ce sujet, c’est que, dans toutes les races, pour n’importe quel service qu’on choisisse un animal, on doit toujours rechercher le type que je viens de décrire, ou celui qui s’en rapproche le plus. Toutefois, il devra être exempt de défauts que j’ai pris à tâche d’énumérer le plus complètement possible.
- ↑ Richard, Conf. du cheval, page 88.