Imitation de Jésus-Christ/Livre 4/Chapitre 9


CHAPITRE IX.

qu’il faut nous offrir à Dieu avec tout ce qui est en nous, et prier pour tout le monde.


Et le ciel, et la terre, et tout ce qu’ils contiennent,
leurs effets, leurs vertus à jamais t’appartiennent :
tout est à toi, Seigneur, tout marche sous ta loi,
et je m’y viens offrir en volontaire hostie,
moi qui de ce grand tout fais la moindre partie,

pour être par cette offre encor mieux tout à toi.

Dans la simplicité d’un cœur qui te réclame,
je t’offre tous entiers et mon corps et mon âme ;
j’en fais un saint hommage à tes commandements ;
j’offre à tes volontés un serviteur fidèle
en sacrifice pur de louange immortelle,
et réunis en toi tous mes attachements.

Daigne avoir, ô mon Dieu, la victime agréable ;
à cette oblation de ton corps adorable
mon amour aujourd’hui l’ajoute pour tribut :
je t’offre l’une et l’autre en présence des anges ;
reçois cet holocauste, et fais de ces louanges
pour moi, pour tout le peuple, un œuvre de salut.

Ces bienheureux esprits, témoins de tant d’offenses
par qui j’ai tant de fois mérité tes vengeances,
seront aussi témoins des vœux que je te fais ;
et tout ce qu’à leurs yeux j’ai fait de punissable
depuis le premier jour qui m’en a vu capable,
je te l’offre à leurs yeux sur cet autel de paix.


Lance de ton amour une vive étincelle,
qui m’allumant au sein une ferveur nouvelle,
y brûle pour jamais cet amas de péché :
fais que ce feu divin en consume l’ordure,
et que l’embrasement d’une flamme si pure
efface tout l’impur dont tu me vois taché.

Qu’un pardon général, par sa pleine efficace
abolissant mon crime et me rendant ta grâce,
sous l’ordre de tes lois range tout mon vouloir :
entre mon âme et toi rétablis la concorde,
et par ce haut effet de ta miséricorde
au saint baiser de paix daigne me recevoir.

Après tant de péchés que ferois-je autre chose ?
Je vois que leur excès à ta rigueur m’expose,
qu’il arme contre moi ta juste inimitié :
que puis-je donc, ô Dieu, pour t’arracher les armes,
que t’avouer ma faute, et fondant tout en larmes,
implorer à genoux l’excès de ta pitié ?

Exauce, exauce-moi, Seigneur, je t’en conjure ;
exauce cette indigne et vile créature
que prosterne à tes pieds un humble repentir :
mon péché me déplaît, et la plus douce idée

que m’ose présenter son image fardée
ne m’ôtera jamais l’horreur d’y consentir.

Je pleure, et veux pleurer tout le temps de ma vie
sa route jusqu’ici honteusement suivie ;
je veux à mes forfaits égaler mes ennuis ;
et si pour t’obéir j’eus trop peu de constance,
j’en accepte, ô mon Dieu, j’en fais la pénitence,
et veux te satisfaire autant que je le puis.

Pardonne, encore un coup, pardonne pour ta gloire,
pour l’amour de ton nom bannis de ta mémoire
tout ce que mes desirs ont eu de vicieux ;
et pour sauver mon âme à les croire emportée,
souviens-toi seulement que tu l’as rachetée
par la profusion de ton sang précieux.

Je sais, Seigneur, je sais, pour grand que soit mon crime,
que ta miséricorde est un profond abîme ;
je me résigne entier à son immensité :
n’agis que suivant elle, et lorsque ta justice
pressera ton courroux de hâter mon supplice,
laisse-lui fermer l’œil sur mon iniquité.

J’ose te faire encore, en ce divin mystère,

l’offre de tout le bien que jamais j’ai pu faire,
quoique tout imparfait et de peu de valeur,
quoique ces actions soient en si petit nombre,
qu’à peine du vrai bien elles font voir une ombre
dont les informes traits n’ont aucune couleur.

Donne-leur ce qui manque à leur foible teinture ;
corrige, sanctifie, agrée, achève, épure ;
fais-les de jour en jour aller de mieux en mieux :
comble-les d’une grâce en vertus si fertile,
que cet homme chétif, paresseux, inutile,
trouve une heureuse fin qui le conduise aux cieux.

Je t’offre tous les vœux de ces dévotes âmes
qui ne conçoivent plus que de célestes flammes ;
de mes plus chers parents je t’offre les besoins,
ceux de tous les amis que tu m’as fait connoître,
des frères et des sœurs que m’a donnés le cloître,
et de tous ceux enfin qui méritent mes soins.

Pourrois-je oublier ceux dont le cœur charitable
à mes nécessités se montre favorable,
ou qui pour ton amour à d’autres font du bien ?
Pourrois-je oublier ceux dont les saints artifices

ou de mes oraisons ou de mes sacrifices
empruntent le secours pour obtenir le tien ?

Je t’offre pour eux tous, soit qu’ils vivent encore,
soit qu’en ton purgatoire un juste feu dévore
les péchés qu’en ce monde ils ont mal su purger :
fais-leur sentir la force et l’appui de ta grâce ;
console, soutiens-les dans ce tourment qui passe,
et dans tous leurs périls daigne les protéger.

Abrége en leur faveur la peine méritée ;
avance à tous leurs maux cette fin souhaitée,
qui change l’amertume en doux ravissements,
afin qu’en liberté leur sainte gratitude
fasse avec allégresse et hors d’inquiétude
retentir tout le ciel de leurs remercîments.

J’offre ces mêmes vœux et ces mêmes hosties
pour ceux dont la malice ou les antipathies
m’ont rendu déplaisir, m’ont nui, m’ont offensé ;
pour ceux qui m’ont causé quelques désavantages,
procuré quelque perte, ou fait quelques outrages,
contredit à ma vue, ou sous main traversé.

Je te les offre encor d’une ferveur égale

pour ceux à qui j’ai fait ou dépit ou scandale,
pour ceux que j’ai fâchés, même sans le savoir :
je t’offre pour eux tous, pour eux tous je t’invoque ;
pardonne-nous à tous la froideur réciproque,
et remets-nous ensemble au chemin du devoir.

Arrache de nos cœurs cette indigne semence
d’envie et de soupçon, de colère et d’offense,
tout ce qui peut nourrir la contestation,
tout ce qui peut blesser l’amitié fraternelle,
et par une chaleur à tes ordres rebelle
éteindre le beau feu de la dilection.

Prends, Seigneur, prends pitié de ceux qui la demandent ;
fais un don de ta grâce aux pécheurs qui l’attendent ;
dans nos pressants besoins laisse-nous l’obtenir ;
et rends-nous tels enfin que notre âme ravie
en puisse dignement jouir durant la vie,
et dans le ciel un jour à jamais t’en bénir.