Imitation de Jésus-Christ/Livre 4/Chapitre 5


CHAPITRE V.

de la dignité du sacrement, et de l’état du sacerdoce.


D’un ange dans les cieux atteins la pureté,
d’un baptiste au désert joins-y la sainteté ;
mais pur à leur égal, mais saint à son exemple,
ne crois pas l’être assez pour pouvoir dignement
et tenir en tes mains et m’offrir en mon temple
un si grand sacrement.

Conçois, si tu le peux, quelle est cette faveur
de tenir en tes mains le corps de ton Sauveur,
le consacrer toi-même, et le prendre pour viande ;
et tu connoîtras lors qu’il n’est mérite humain
à qui doive l’effet d’une bonté si grande
l’arbitre souverain.

Ce mystère est bien grand, puisque du haut des cieux
il fait descendre un Dieu jusques en ces bas lieux,
et le met en état qu’on le touche et le mange ;

du sacerdoce aussi grande est la dignité,
puisqu’on reçoit par là ce que jamais de l’ange
n’obtint la pureté.

Prêtres, c’est à vous seuls que, sans vous le devoir,
ma main par mon église accorde ce pouvoir,
cette émanation de ma vertu céleste :
à vous seuls appartient de consacrer mon corps,
d’en faire un sacrifice, et départir au reste
ce qu’il a de trésors.

En prononçant les mots que je vous ai dictés,
suivant mon institut, suivant mes volontés,
vous opérez l’effet de votre ministère :
un invisible agent concourt d’un pas égal,
et tout Dieu que je suis, soudain j’y coopère
comme auteur principal.

Ma voix toute-puissante, à qui tout est soumis,
moi-même me soumet à ce que j’ai promis,
m’assujettit aux lois de mon ordre suprême ;
et ma divinité ne croit point se trahir
à descendre du ciel pour donner elle-même
l’exemple d’obéir.

Crois-en donc plus ton Dieu que tes aveugles sens,
crois-en plus de sa voix les termes tout-puissants,

que le rapport trompeur d’aucun signe visible ;
et sans que ces dehors te rendent rien suspect,
porte à cette action tout ce qui t’est possible
d’amour et de respect.

Pense à toi, prends-y garde, aime, respecte, crains :
vois de quel ministère, en t’imposant les mains,
l’évêque t’a commis le divin exercice :
il t’a consacré prêtre, et c’est à toi d’offrir
ce doux mémorial de tout l’affreux supplice
qu’il m’a plu de souffrir.

Songe à t’en acquitter avec fidélité,
avec dévotion, avec humilité :
n’offre point qu’avec foi, n’offre point qu’avec zèle ;
songe à régler ta vie, et la règle si bien
qu’elle soit sans reproche, et serve de modèle
aux devoirs d’un chrétien.

Ton rang, loin d’alléger le poids de ton fardeau,
en redouble la charge, et jusques au tombeau
il te met sous le joug d’une loi plus sévère :
il te prescrit à suivre un chemin plus étroit,
et la perfection que doit ton caractère
veut qu’on marche plus droit.


Oui, tu dois un exemple au reste des mortels,
qui fasse rejaillir du pied de mes autels
jusqu’au fond de leurs cœurs une clarté solide ;
et toutes les vertus qui brillent ici-bas
doivent former d’un prêtre un infaillible guide
pour qui va sur ses pas.

Loin de suivre le train des hommes du commun,
un prêtre doit en fuir le commerce importun,
de peur d’être souillé de leurs honteux mélanges ;
et dans tout ce qu’il fait, un vigilant souci
lui doit pour entretien choisir au ciel les anges,
et les parfaits ici.

Des ornements sacrés lorsqu’il est revêtu,
il a de Jésus-Christ l’image et la vertu ;
ainsi que son ministre il agit en sa place ;
et ce n’est qu’en son nom que les vœux qu’il conçoit
pour le peuple et pour lui montent devant la face
d’un Dieu qui les reçoit.

Ces habits sont aussi comme l’expression
des plus âpres tourments par qui ma passion
pour le salut humain termina ma carrière :

la croix sur eux empreinte en fait le souvenir,
et le prêtre la porte et devant et derrière,
pour mieux le retenir.

Il la porte devant, afin que son regard
s’arrêtant fixement sur ce digne étendard,
ses ardeurs à le suivre en deviennent plus promptes ;
il la porte derrière, afin qu’en ses malheurs
il souffre sans ennuis les travaux et les hontes
qui lui viennent d’ailleurs.

Il la porte devant pour pleurer ses forfaits ;
derrière, afin que ceux que son prochain a faits
de sa compassion tirent aussi des larmes ;
et que comme il agit au nom du rédempteur,
entre le peuple et Dieu, qui tient en main les armes,
il soit médiateur.

C’est par cette raison qu’il s’y doit attacher,
et que sa fermeté ne doit rien relâcher
ni de ses vœux fervents, ni de ses sacrifices,
tant qu’il obtienne grâce, et que du souverain
il se rende à l’autel les bontés si propices,
qu’il désarme sa main.

Enfin quand il célèbre, il m’honore, il me sert :

tout le ciel applaudit par un sacré concert ;
tout l’enfer est confus, l’église édifiée ;
il secourt les vivants, des morts il fait la paix,
et son âme devient l’heureuse associée
des bons et des parfaits.