Imitation de Jésus-Christ/Livre 3/Chapitre 32


CHAPITRE XXXII.

qu’il faut renoncer à soi-même et à toutes sortes de convoitises.


Cherche la liberté comme un bonheur suprême ;
mais souviens-toi, mon fils, de cette vérité,
qu’il te faut renoncer tout à fait à toi-même,
ou tu n’obtiendras point d’entière liberté.

Ceux qui pensent ici posséder quelque chose
la possèdent bien moins qu’ils n’en sont possédés,
et ceux dont l’amour-propre en leur faveur dispose
sont autant de captifs par eux-mêmes gardés.

Les appétits des sens ne font que des esclaves ;
la curiosité comme eux a ses liens,

et les plus grands coureurs ne courent qu’aux entraves
que jettent sous leurs pas les charmes des faux biens.

Ils recherchent partout les douceurs passagères
plus que ce qui conduit jusqu’à l’éternité ;
et souvent pour tout but ils se font des chimères,
qui n’ont pour fondement que l’instabilité.

Hors ce qui vient de moi, tout passe, tout s’envole ;
tout en son vrai néant aussitôt se résout ;
et pour te dire tout d’une seule parole,
quitte tout, mon enfant, et tu trouveras tout.

Tu trouveras la paix, quittant la convoitise ;
c’est ce que fortement il te faut concevoir :
du ciel en ces deux mots la science est comprise ;
qui les pratique entend tout ce qu’il faut savoir.

Oui, leur pratique est ma félicité,
mais, Seigneur, d’un seul jour elle n’est pas l’ouvrage,
ni de ces jeux dont la facilité
amuse des enfants l’esprit foible et volage,
et suit leur imbécillité.

De ces deux mots le précieux effet

demande bien du temps, bien des soins, bien des veilles ;
et ces deux traits forment le grand portrait
de tout ce que le cloître enfante de merveilles
dans son état le plus parfait.

Il est vrai, des parfaits c’est la sublime voie ;
mais quand je te la montre, en dois-tu perdre cœur ?
Ne dois-tu pas plutôt t’y porter avec joie,
ou du moins soupirer après un tel bonheur ?

Ah ! si je te voyois en venir à ce terme,
que l’amour-propre en toi fût bien déraciné,
que sous mes volontés tu demeurasses ferme,
et sous celle du Père à qui je t’ai donné !

Alors tu me plairois, et le cours de ta vie
seroit d’autant plus doux que tu serois soumis :
de mille vrais plaisirs tu la verrois suivie,
et s’écouler en paix entre mille ennemis.

Mais il te reste encore à quitter bien des choses,
que si tu ne me peux résigner tout à fait,
tu n’acquerras jamais ce que tu te proposes,

jamais de tes desirs tu n’obtiendras l’effet.

Veux-tu mettre en ta main la solide richesse ?
Achète de la mienne un or tout enflammé :
je veux dire, mon fils, la céleste sagesse,
qui foule aux pieds ces biens dont le monde est charmé.

Préfère ses trésors à l’humaine prudence,
à tout ce qu’elle prend pour son plus digne emploi,
à tout ce que sur terre il est de complaisance,
à tout ce que toi-même en peux avoir pour toi.

Préfère, encore un coup, ce qu’on méprise au monde
à tout ce que son choix a le plus ennobli,
puisque cette sagesse en vrais biens si féconde
y traîne dans l’opprobre et presque dans l’oubli.

Elle ne s’enfle point aussi de ces pensées
que la vanité pousse en sa propre faveur,
et voit avec dédain ces ardeurs empressées
dont la soif des honneurs entretient la ferveur.

Beaucoup en font sonner l’estime ambitieuse,
qui montrent par leur vie en faire peu d’état ;
et tu la peux nommer la perle précieuse
qui cache à beaucoup d’yeux son véritable éclat.