Imitation de Jésus-Christ/Livre 2/Chapitre 4

Traduction par Pierre Corneille.
Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachette (p. 195-198).


CHAPITRE IV.

de la pureté du cœur, et de la simplicité de l’intention.


Pour t’élever de terre, homme, il te faut deux ailes,
la pureté du cœur et la simplicité :

elles te porteront avec facilité
jusqu’à l’abîme heureux des clartés éternelles.
Celle-ci doit régner sur tes intentions,
celle-là présider à tes affections,
si tu veux de tes sens dompter la tyrannie :
l’humble simplicité vole droit jusqu’à Dieu,
la pureté l’embrasse, et l’une à l’autre unie
s’attache à ses bontés, et les goûte en tout lieu.

Nulle bonne action ne te feroit de peine,
si tu te dégageois de tous déréglements :
le désordre insolent des propres sentiments
forme tout l’embarras de la foiblesse humaine.
Ne cherche ici qu’à plaire à ce grand souverain,
n’y cherche qu’à servir après lui ton prochain,
et tu te verras libre au dedans de ton âme :
tu seras au-dessus de ta fragilité,
et n’auras plus de part à l’esclavage infâme
où par tous autres soins l’homme est précipité.

Si ton cœur étoit droit, toutes les créatures
te seroient des miroirs et des livres ouverts,
où tu verrois sans cesse en mille lieux divers
des modèles de vie et des doctrines pures.
Toutes comme à l’envi te montrent leur auteur :
il a dans la plus basse imprimé sa hauteur,
et dans la plus petite il est plus admirable ;

de sa pleine bonté rien ne parle à demi,
et du vaste éléphant la masse épouvantable
ne l’étale pas mieux que la moindre fourmi.

Purge l’intérieur, rends-le bon et sans tache,
tu verras tout sans trouble et sans empêchement,
et tu sauras comprendre, et tôt et fortement,
ce que des passions le voile épais te cache.
Au cœur bien net et pur l’âme prête des yeux
qui pénètrent l’enfer et percent jusqu’aux cieux :
il voit tout comme il est, et jamais ne s’abuse ;
mais le cœur mal purgé n’a que les yeux du corps :
toute sa connoissance ainsi qu’eux est confuse ;
et tel qu’il est dedans, tel il juge au dehors.

Certes, s’il est ici quelque solide joie,
c’est ce cœur épuré qui seul la peut goûter ;
et s’il est quelque angoisse au monde à redouter,
c’est dans un cœur impur qu’elle entre et se déploie.
Dépouille donc le tien de ce qui l’a souillé,
et vois comme le fer par le feu dérouillé
prend une couleur vive au milieu de la flamme :
d’un plein retour vers Dieu c’est là le vrai tableau ;
son feu sait dissiper les pesanteurs de l’âme,
et faire du vieil homme un homme tout nouveau.


Quand ce feu s’alentit, soudain l’homme appréhende
jusqu’au moindre travail, jusqu’aux moindres efforts,
et souffre avec plaisir les douceurs du dehors,
quelques piéges secrets que ce plaisir lui tende ;
mais alors qu’il commence à triompher de soi,
qu’il choisit Dieu pour maître et pour unique roi,
que dans sa sainte voie il marche avec courage,
le travail le plus grand ne l’en peut épuiser :
plus il se violente, et plus il se soulage,
et ce qui l’accabloit cesse de lui peser.