Imitation de Jésus-Christ/Livre 1/Chapitre 7

Traduction par Pierre Corneille.
Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachette (p. 57-61).


CHAPITRE VII.

qu'il faut fuir la vaine espérance et la présomption.


Ô ciel ! que l’homme est vain qui met son espérance
aux hommes comme lui,
qui sur la créature ose prendre assurance,
et se propose un ferme appui
sur une éternelle inconstance !

Sers pour l’amour de Dieu, mortel, sers ton prochain
sans en avoir de honte ;
et quand tu parois pauvre, empêche que soudain
la rougeur au front ne te monte,
pour le paroître avec dédain.


Ne fais point fondement sur tes propres mérites ;
tiens ton espoir en Dieu :
de lui dépend l’effet de quoi que tu médites,
et s’il ne te guide en tout lieu,
en tout lieu tu te précipites.

Ne dors pas toutefois, et fais de ton côté
tout ce que tu peux faire :
il ne manquera point d’agir avec bonté
et de fournir comme vrai père
des forces à ta volonté.

Mais ne t’assure point sur ta haute science,
ni sur celle d’autrui ;
leur conduite souvent brouille la conscience,
et Dieu seul est le digne appui
que doit choisir ta confiance.

C’est lui qui nous fait voir l’humble et le vertueux
élevé par sa grâce ;

c’est lui qui nous fait voir son bras majestueux
terrasser l’insolente audace
dont s’enfle le présomptueux.

Soit donc qu’en ta maison la richesse s’épande,
soit que de tes amis
le pouvoir en tous lieux pompeusement s’étende,
garde toujours un cœur soumis,
quelque honneur par là qu’on te rende.

Prends-en la gloire en Dieu, qui jamais n’est borné
dans son amour extrême,
en Dieu, qui donnant tout sans être importuné,
veut encor se donner soi-même,
après même avoir tout donné.

Souviens-toi que du corps la taille avantageuse
qui se fait admirer,
ni de mille beautés l’union merveilleuse
pour qui chacun veut soupirer,
ne doit rendre une âme orgueilleuse.

Du temps l’inévitable et fière avidité
en fait un prompt ravage,
et souvent avant lui la moindre infirmité
laisse à peine au plus beau visage

les marques de l’avoir été.

Si ton esprit est vif, judicieux, docile,
n’en deviens pas plus vain :
tu déplairois à Dieu, qui te fait tout facile,
et n’a qu’à retirer sa main
pour te rendre un sens imbécile.

Ne te crois pas plus saint qu’aucun autre pécheur,
quoi qu’on te veuille dire :
Dieu, qui connoît tout l’homme, et qui voit dans ton cœur,
souvent te répute le pire,
quand tu t’estimes le meilleur.

Ces bonnes actions sur qui chacun se fonde
pour t’élever aux cieux
ne partent pas toujours d’une vertu profonde ;
et Dieu, qui voit par d’autres yeux,
en juge autrement que le monde.

Non qu’il nous faille armer contre la vérité
pour juger mal des nôtres ;
voyons-en tout le bien avec sincérité,

mais croyons encor mieux des autres,
pour conserver l’humilité.

Tu ne te nuis jamais quand tu les considères
pour te mettre au-dessous ;
mais ton orgueil t’expose à d’étranges misères,
si tu peux choisir entre eux tous
un seul à qui tu te préfères.

C’est ainsi que chez l’humble une éternelle paix
fait une douce vie,
tandis que le superbe est plongé pour jamais
dans le noir chagrin de l’envie,
qui trouble ses propres souhaits.