À l’heure des mains jointes (1906)/Ils pleurent vers le Soir…


ILS PLEURENT VERS LE SOIR…


Le jardin et le calme et la lumière basse,
Et tous mes souvenirs qui pleurent vers le soir…
La douceur d’être seule et triste et de m’asseoir
Dans l’ombre, de ne plus sourire et d’être lasse…

Parmi les frondaisons rôdent d’anciens soupirs,
Et le bonheur lui-même est incertain et tremble.
Je suis une qui se recueille et je rassemble
Mes souvenirs, mes souvenirs, mes souvenirs…


Ils se glissent, ainsi que des ombres furtives,
Les mains vides et les yeux éteints, en des prés
Sans odeurs et que nul printemps n’a diaprés.
Leurs pas ne laissent point d’empreinte sur les rives.

Ils ne contiennent plus leurs sanglots étouffants.
D’aucuns, aux yeux ternis, telles de vieilles lames,
Pleurent en se voilant, comme pleurent les femmes ;
D’autres pleurent sans honte, ainsi que les enfants.

Je suis seule, je ne suis plus une amoureuse,
Et je n’adore plus un sourire enchâssé
Par le couchant : je me cherche dans mon passé,
Et j’évoque le temps où j’étais moins heureuse.

… Plus légers qu’un oiseau, plus frêles qu’un hochet,
Voici les souvenirs lointains de mon enfance.
Ils courent, leurs rubans sont couleur d’espérance,
Leurs jupes ont encore une odeur de sachet.


Et maintenant, voici les souvenirs funèbres.
Ils passent, dédaigneux du rêve et de l’effort
Et couronnés des violettes de la mort ;
Leurs vêtements de deuil se mêlent aux ténèbres.

Je rêve sans ardeur, tels les pâles reclus…
La Loreley que j’ai cruellement aimée
S’évanouit ainsi qu’une blonde fumée
Et je sens aujourd’hui que je ne l’aime plus.

Puis, un souvenir rit, et son rire chevrote…
— Ce rire de vieille où se fêle la gaîté !… —
Dans le jardin, que baigne un silence attristé,
L’ombre verte se creuse à l’égal d’une grotte.

Je n’ai plus de ferveur, je n’ai plus de désirs,
Je ne veux que la paix du jardin et de l’heure…
Il me semble qu’hier j’étais un peu meilleure…
Qu’on me laisse pleurer avec mes souvenirs…