Ibn Khaldoun - Histoire des Berbères, trad. Slane, tome 1/Nefzaoua

Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale
Traduction par Baron de Slane.
Texte établi par Baron de SlaneImpr. du Gouvernement (1p. 227-231).

RAMIFICATIONS ET HISTOIRE DE LA TRIBU DE NEFZAOUA.

Les Nefzaoua, enfants d’Itouweft, fils de Nefzao, fils de Loua l’aîné, fils de Zahhik, forment un grand nombre de tribus, savoir : les Ghassaça, les Mernîça, les Zehila, les Soumata, les Zalîma, les Oulhaça, les Medjra, les Ourcîf et, peut-être même, les Meklata. Mekla[1], le père de ceux-ci, n’appartenait pas, dit-on, à la race berbère ; il était arabe-yémenite, mais il tomba, encore jeune, au pouvoir d’Itouweft et fut adopté par lui. Les Meklata se partagent en plusieurs branches, telles que les Beni-Ourîagol, les Gueznaïa, les Beni-Isliten, les Beni-Dimar-ou-Rîhoun et les Beni-Seraïn. On dit aussi que les Ghassaça en font partie.

Nous donnons ces renseignements sur l’autorité de Sabec-el- Matmati et d’autres généalogistes berbères.

Les Oulhaça se composent de plusieurs branches parmi lesquelles on remarque les Ourtedîn, enfants de Dihya, fils d’Oulhas[2], et les Ourfeddjouma, enfants de Tîdghas, fils d’Oulhas. Les Ourfeddjouma se partagent en un très-grand nombre de tribus dont l’une, appelée les Zeggoula [ou Zeddjala], s’adonna à la vie nomade et tira son origine de Zeggal, fils d’Ourfeddjoum. Les Ourfeddjouma formaient la portion la plus nombreuse et la plus puissante de la tribu de Nefzaoua. Quand Abd-er-Rahman- Ibn-Habib se révolta contre Abou-Djafer-el-Mansour, ses frères Abd-el-Ouareth et El-Yas lui ôtèrent la vie et tachèrent ensuite d’échapper à la poursuite de leur neveu Habib qui cherchait à venger la mort de son père. Abd-el-Ouareth se réfugia dans le Mont-Auras, chez les Ourfeddjouma, et obtint la protection d’Acem-Ibn-Djemil, émir de ce peuple et devint très-habile. Acem fit proclamer l’autorité d’Abou-Djafer-el-Mansour, rallia autour de lui les populations nefzaouïennes, et marcha contre Cairouan. Ce fut en l’an 140 (757-8) qu’il entreprit cette expédition. Les Nefzaoua professaient alors la doctrine eibadite[3] et comptaient parmi leurs guerriers les plus distingués Abd-el-Mélek-Ibn-Abi-’l-Djad et Yezid-Ibn-Seggoum. À l’approche de cette armée, Habib, fils d’Abd-er-Rahman, s’enfuit de Cairouan. Ibn- Abi-’l-Djad pénétra dans cette ville et [plus tard il] tua Habib. Les Nefzaoua, devenus maîtres de Cairouan, massacrèrent tous les Coreichides et tous les autres Arabes qui y étaient restés ; ils attachèrent leurs montures dans la grande mosquée et commirent tant d’autres forfaits et profanations qu’ils excitèrent l’indignation des Berbères-eibadites de Tripoli. Les Zenata et les Hoouara se mirent à la tête du mouvement, prirent pour chef Abou-’l- Khattab-Ibn-es-Sameh, arabe d’une haute distinction, et allèrent s’emparer de Tripoli ; puis, en l’an 144, ils occupèrent Cairouan, tuèrent Ibn-Abi-’l-Djad et passèrent au fil de l’épée les Nefzaoua et les Ourfeddjouma qui composaient son armée. Ils repartirent ensuite pour Tripoli, après qu’Abou-’l-Khattab eut confié le gouvernement de Cairouan à Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem. Le ſou de la guerre se propagea dans tout le Maghreb, et les Ourfeddjouma y poursuivirent le cours de leurs dévastations jusqu’à l’an 146 (763-4), quand Mohammed-Ibn-el-Achath y étant arrivé de la part d'El-Mansour, châtia les Berbères et étouffa l'insurrection.

En l'an 154 (768), Omar-Ibn-Hals fonda[4] la ville de Tobna et y établit les Ourfeddjouma, parce qu'ils s'étaient dévoués à sa cause. Ils déployèrent une constance héroïque pendant tout le temps qu'Ibn-Rostem et les Beni-Ifren y tenaient Omar assiégé. Six années plus tard, après la mort d'Omar, ils se révoltèrent contre Yezid-Ibn-Hatem qui venait d'arriver en Ifrikïa pour y exercer les fonctions de gouverneur, et ils élurent pour chef un de leurs guerriers nommé Abou-Zerdjouna[5]. Yezid leur fit infliger un rude châtiment par une armée qu'il expédia contre eux sous la conduite de son fils.

Plus tard, les Nefzaoua se soulevèrent contre Dawoud, fils de Yezid, professèrent ouvertement la doctrine eibadite, et se réunirent sous le commandement d'un de leurs chefs appelé Saleh-Ibn-Noceir. Les troupes du gouvernement les attaquèrent à Sicca Veneria et leur tuèrent tant de monde que depuis lors l'esprit de kharedjisme cessa de troubler l'Ifrikľa. Les Berbères firent leur soumission et la tribu des Ourfeddjouma fut réduite à un tel degré de faiblesse qu'elle finit par se disperser. Les débris de ce peuple allèrent se confondre dans les rangs des autres tribus.

Les Zeddjala, branche des Ourfeddjouma, formaient une tribu considérable. Plusieurs d'entr'eux se distinguèrent à l'époque où naquit la puissance fatemide et pendant la domination des Oméïades en Espagne. Tels furent les Beni-Zeddjali, famille de gens de plume qui fleurit à Cordoue. On trouve encore des Zeddjala dans un village du même nom situé au milieu de la plaine de Mermadjenna.

Les Ourfeddjouma et les autres branches des Oulhaça, vivent aujourd'hui dispersés en petites bandes, à cause de l'affaiblissement auquel ils ont été réduits. Une de ces peuplades, celle qui en est la mieux connue, habite la région maritime de Tlemcen où elle s'est mêlée avec les Koumïa, tribu dont elle est l'alliée tant à cause de leur origine commune que d'une confédération formelle[6]. Vers le milieu de ce huitième siècle, ils eurent pour chef un de leurs parents nommé Ibrahim-Ibn-Abd-el-Mélek. Cet homme se déclara pour Abou-'l-Hacen le mérinide, après que ce sultan eut éprouvé, aux environs de Cairouan, le revers qui lui fut si fatal et qui fournit aux Abd-el-ouadites l'occasion de rentrer en possession de la ville et du royaume de Tlemcen. Ibrahîm fut pris par le sultan abd-el-ouadite, Othman-Ibn-Abd-er-Rahman, et mis à mort dans la prison de cette capitale.

Une fraction des Oulhaça bien connue est celle qui se trouve dans la plaine de Bone. Elle a des chevaux pour montures ; ayant adopté non-seulement la langue et l'habillement des Arabes, mais aussi tous les usages de ce peuple. En cela elle a imité l'exemple des Hoouara. On la compte au nombre des tribus qui paient l'impôt. Elle prend ses chefs dans la famille des Arid, une de ses grandes maisons, etelle obéit maintenant aux fils de Hazem-Ibn-heddad- Ibn-Hizam-Ibn-Nasr-Ibn-Malek-Ibn-Arid. Avant d'être gouvernée les Beni-Arîd, elle reconnaissait à ses parents de la famille Asker-Ibn-Battan le droit de la commander. Voilà tout ce, que nous savons des Oulhaça.

Parlons maintenant des autres branches de la tribu de Nefzaoua. Un reste des Zatíma se trouve sur le bord de la mer, près de Brechk, et une fraction des Ghassaça habite le pays maritime de Botouïa, au village et au port de mer qui s'appelle encore Ghassaça. Un débris de Zehila occupe les environs de Badis, où il s'est mélé avec les Ghomara. Mes professeurs se rappellent très bien avoir vu un grand saint appartenant à cette tribu et nommé Abou-Yacoub-el-Badici. Ce fut le dernier personnage de ce caractère qui parut dans le Maghreb. Quant aux Merniça, nous ne leur connaissons aucune demeure fixe, mais leur postérité vit dispersée parmi les tribus arabes de l'Ifrikïa. Un reste des Soumata se trouve dans les plaines de Cairouan ; et c'est d'eux, à ce qu'il parait, que Monder-Ibn-Saïd, cadi de Cordoue sous le règne d'En-Nacer, tira son origine[7].

Quant aux autres branches de la tribu de Nefzaoua, nous n'en connaissons maintenant aucune ; nous ignorons les lieux où elles ont demeuré, si ce n'est certains villages assez remarquables de la province de Castilia, situés à une courte distance les uns des autres, et appelés les villages des Nefzaoua. On y trouve maintenant des Francs qui vivent sous la protection d'un traité ; ils y sont restés, eux et leurs ancêtres, depuis la conquête musulmane jusqu'à nos jours, et comme ils professent une des croyances tolérées par l'islamisme, ils jouissent du libre exercice de leur religion en paient la capitation.

Dans les mêmes villages demeurent un grand nombre des Beni-Soleim, appartenant tous à la famille de Cherid. Il y a aussi quelques descendants de Zoghb. Ces Arabes possèdent les terres labourables et les fermes de cette contrée : Quand le gouvernement hafside faisait sentir sa puissance dans le Djerid, l'administration de ces villages appartenait au seigneur de Touzer ; mais aussitôt que l'autorité de l'empire eut cessé d'atteindre ces localités, l'esprit d'indépendance prit son essor et chaque village se constitua en état indépendant. Le seigneur de Touzer chercha à les faire rentrer sous sa domination, mais il ne put y réussir qu'en partie. Maintenant que l'empire de notre seigneur, le sultan Abou-'l-Abbas, a étendu son ombre tutélaire jusqu'à cette région, les villages, en question ont reconnu la souveraineté de ce monarque et se sont attachés à son gouvernement protecteur.

  1. Voyez ci-devant, page 172.
  2. Dans ces généalogies notre auteur met quelquefois le nom de la tribu à la place du nom de l’ancêtre de la tribu ; c’est ainsi qu’il a écrit ici Oulhaça pour Oulhas, et dans la page précédente Hoouara pour Hoouar.
  3. Voyez ci-devant, page 204, note.
  4. L'auteur aurait mieux fait d'écrire repeupla.
  5. Ci-devant, page 223, ce nom est écrit Zerhouna, différence qui provient de l'absence d'un seul point diacritique.
  6. Les Koumïa se sont maintenant confondus avec les Oulhaça établis sur les deux rives du Tafna, du côté de la mer.
  7. Dans l'histoire d'Espagne d'El-Makkari, traduite en anglais par M. de Gayangos, on trouvera plusieurs renseignements sur ce célèbre cadi.