Ibn Khaldoun - Histoire des Berbères, trad. Slane, tome 1/Dynasties

Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale
Traduction par Baron de Slane.
Texte établi par Baron de SlaneImpr. du Gouvernement (1p. 167-185).

TRIBUS ET DYNASTIES BERBÈRES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

NOTICE SUR LES TRIBUS ET LES DYNASTIES DES BERBÈRES, L'UN DES DEUX GRANDS PEUPLES QUI HABITENT LE MAGHREB. HISTOIRE DE CETTE RACE DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS JUSQU’À NOS JOURS ET EXPOSÉ DES DIVERSES OPINIONS QU'ON A ÉNONCÉES AU SUJET DE SON ORIGINE.

Depuis les temps les plus anciens cette race d'hommes habite le Maghreb dont elle a peuplé les plaines, les montagnes, les plateaux, les régions maritimes, les campagnes et les villes. Ils construisent leurs demeures soit de pierres et d'argile, soit de roseaux et broussailles, ou bien encore de toiles faites avec du crin ou du poil de chameau. Ceux d'entre les Berbères qui jouissent de la puissance et qui dominent les autres s'adonnent à la vie nomade et parcourent, avec leurs troupeaux, les pâturages auxquels un court voyage peut les amener ; jamais ils ne quittent l'intérieur du Tell pour entrer dans les vastes plaines du Désert. Ils gagnent leur vie à élever des moutons et des bœufs ; se réservant ordinairement les chevaux pour la selle et pour la propagation de l'espèce. Une partie des Berbères nomades fait aussi métier d'élever des chameaux ; se donnant ainsi une occupation qui est plutôt celle des Arabes. Les Berbères de la classe pauvre tirent leur subsistance du produit de leurs champs et des bestiaux qu'ils élèvent chez eux ; mais la haute classe, celle qui vit en nomade, parcourt le pays avec ses chameaux, et toujours la lance en main, elle s'occupe également à multiplier ses troupeaux et à dévaliser les voyageurs.

Leurs habillements et presque tous leurs autres effets sont en laine. Ils s’enveloppent de vêtements rayés dont ils rejettent des bouts sur l’épaule gauche, et par dessus tout, ils laissent flotter des burnous noirs. Ils vont, en général, la tète nue, et de temps à autre ils se la font raser.

Leur langage est un idiome étranger, différent de tout autre : circonstance qui leur a valu le nom de Berbères. voici comment on raconte la chose : Ifricos, fils de Cais-Ibn-Saifi, l’un des rois [du Yémen appelés] Tobba[1], envahit le Maghreb et l’lfrikia, et y bâtit des bourgs et des villes après en avoir tué le roi, El-Djerdjis. Ce fut même d’après lui, à ce que l'on prétend, que ce pays fut nommé l’Ifrikïa. Lorsqu’il eut vu ce peuple de race étrangère et qu’il l’eut entendu parler un langage dont les variétés et les dialectes frappèrent son attention, il céda à l’étonnement et s’écria : « Quelle berbera est la vôtre ! » On les nomma Berbères pour cette raison. Le mot berbera signifie, en arabe, un mélange de cris inintelligibles ; de là on dit, en parlant du lion, qu’il berbère, quand il pousse des rugissements confus.

Les hommes versés dans la science des généalogies s’accordent à rattacher toutes les branches de ce peuple à deux grandes souches : celle de Bernès et celle de Madghis[2]. Comme ce dernier était surnommé El-Abter, on appelle ses descendants El-Botr[3], de même que l’on désigne par le nom de Béranès les familles qui tirent leur origine de Bernès. Madghis et Bernès s’appelaient chacun fils de Berr ; cependant, les généalogistes ne s’accordent pas tous à les regarder comme issus d’un même père : Ibn-Hazm, par exemple, dit, sur l’autorité de Youçof-el-Ouerrac, qui tenait ses renseignements d’Aïoub, fils d’Abou-Yezid (l’homme à l’âne)[4], qu’ils étaient fils du même père, mais les généalogistes du peuple berbère, tels que Sabec-Ibn-Soleiman-el-Matmati, Hani-Ibn-Masdour (ou Isdour)-el-Koumi et Kehlan-Ibn-Abi-Loua[5] déclarent que les Beranès sont enfants d’un Berr qui descendait de Mazigh, fils de Canaan, tandis les Botr ont pour aïeul un autre Berr qui était fils de Caïs, et petit-fils de Ghailan. Quelquefois, même, on donne ce dernier renseignement sur l’autorité d’Aïoub, fils d’Abou-Yezid ; mais la déclaration d’Aïoub lui-même , telle qu’Ibn-Hazm nous l’a transmise, doit être accueillie par préférence, à cause de l’exactitude bien reconnue de cet auteur.

Selon la plupart des généalogistes, les Beranės forment sept grandes tribus : les Azdadja, les Masmouda, les Auréba, les Adjica, les Ketama, les Sanhadja et les Aurigha. Sabec-Ibn-Soleiman et ceux qui suivent son autorité y ajoutent les Lamta, les Heskoura et les Guezoula.

« L’on rapporte, dit Abou-Mohammed-Ibn-Hazm, que Sanhadj et Lamt étaient fils d’une femme nommée Tizki et que l’on ignore le nom de leur père. Cette femme devint l’épouse d’Aurigh dont elle eut un fils nommé Hoouar. Quant aux deux autres [Sanhadj et Lamt], tout ce que l’on sait à leur égard se borne au fait qu’ils étaient frères de Hoouar par leur mère. Quelques personnes, ajoute le même auteur, prétendent qu'Aurigh etait fils de Khabbouz, fils d'El-Mothenna, fils d'Es-Sekacek, fils de Kinda, ce qui est absurde. »

« Les tribus de Ketama el de Sanhadja, dit Ibn-el-Kelbi[6]", n'appartiennent pas à la race berbère : elles sont branches de la population yémenite qu'Ifricos-Ibn-Saïfi établit en Ifrikïa avec les troupes qu'il y laissa pour garder le pays. »

Voilà, en somme, les opinions que les investigateurs les plus exacts ont énoncées au sujet des origines berbères.

À la branche d'Azdadja appartiennent les Mestaça[7], les Mas- mouda, et les Ghomara. Ceux-ci sont les enfants de Ghomar, fils de Mestar, fils de Felil, fils de Masmoud. D'Aurigh sortent les Hoouara, les Meld, les Maggher et les Calden ;

De Hoouara, les Melila et les Beni-Kemlan ;

De Meld, les Satat, les Ourfel, les Ouacil et les Mesrata. Comme ces dernières familles eurent pour aïeul Lehan, fils de Meld, on les désigne collectivement par le nom des Lehana. À cette catégorie on ajoute même quelquefois le nom des Melila.

Maggher, fils d'Aurigh, eut pour fils Maouès, Zemmor, Keba et Mesraï ;

De son frère. Calden naquirent Camsana , Ourstif, Biata et Bel.

Les Botr, descendants de Madghis-el-Abter, forment quatre grandes familles : les Addaça, les Nefouça, les Darica et les enfants de Loua l'aîné. Ces branches ont pour souche commune Zahhik [ou Zeddjik], fils de Madghis.

Les Addaça, enfants d'Addas, fils de Zahhik, forment plusieurs branches et se confondent avec les Hoouara. La raison en est que la mère d'Addas, après avoir été la femme de Zahhik, épousa Aurigh-Ibn-Bernès, cousin de son premier mari et père de Hoouara. Addas étant ainsi devenu frère de Hoouara, ses descendants sont tous classés au nombre des enfants de celui-ci.

Voici les noms des fils d'Addaca : Sefara, Apdara, Henzouna, Sanbera, Heragha, Autita et Terehna[8]. Bien qu’ils naquirent tous d’Addas, fils de Zahhîk et petit-fils de Madghis, on compte aujourd’hui leurs descendants parmi les Hoouara.

Lona l’ainé est l’aïeul de deux grandes familles : les Nefzaoua (mot dans lequel on donne au z un son qui se rapproche du ch)[9], enfants de Nefzaou, fils de Loua l’ainé, et les Louata, enfants de Loua le jeune, fils de Loua l’aîné. Loua le jeune était encore dans le sein de sa mère lorsqu’il perdit son père ; c’est pourquoi il reçut le même nom que lui.

Les Louata se partagent en plusieurs branches, savoir : les Agoura, et les Atrouza, enfants de Macela, fils de Loua le jeune ; les Mezala, enfants de Zaïr, fils de Loua le jeune ; les Maghagha et les Djedana, enfants de Ketouf, fils de Loua le jeune.

Ibn-Sabec et les généalogistes de son école regardent les Maghagha, les Djedana, les Agoura et les Atrouza comme les enfans de Macela, fils de Loua le jeune.

Aux Louata appartiennent les Sedrata (ou Sedderata), enfants de Nîtat, fils de Loua le jeune. Leur généalogie se rattache à celle des Maghraoua, « car, dit Ibn-Hazm, Maghrao (l’aïeul de ceux-ci) épousa la mère de Sedrata, lequel devint ainsi frère utérin des enfants de Maghrao. »

La tribu de Nefzaoua fournit un grand nombre de branches, telles que les Oulhaça, les Ghassaça, les Zehîla, les Soumata, les Ourcîf, les Mernîza, les Zatíma, les Ourkoul, les Mernîça, les Ourdeghrous et les Ourdîn. Toutes ces familles descendent d’Itouweft, fils de Nefzao. À cette liste Ibn-Sabec et ses disciples ajoutent les Medjer et les Meklata. « Quelques personnes, dit ce généalogiste, refusent à Meklat la qualité de berbère. Selon leur opinion, il appartenait à la race himyerite, et étant tombé encore jeune, au pouvoir d’Itouweft, il fut adopté par lui. Son vrai nom était Mekla, fils de Rîman, fils de Kelâ-Hatem, fils de Sâd, fils de Himyer. »

Les Oulhaça, descendants de Nefzaoua, se composent d’un grand nombre de familles qui dérivent de deux aïeux : Tidghas et Dihya, tous les deux fils d’Oulhas.

De Tidghas proviennent les Ourfeddjouma, tribu qui renferme les Zeddjal, les Tou, les Bourghoch, les Ouandjez, les Kartît, les Maandjedel et les Sînt, tous descendus d’Ourfeddjoum, fils de Tidghas, fils d’Oulhas, fils d’Itouweft, fils de Nefzao. Ibn-Sabec et les gens de son école disent que les descendants de Tidghas appartiennent à la branche de Louata et qu’ils habitent le mont Auras.

De Dihya dérivent les Ourtedin, les Terir, les Ourlettount, les Mekra et les Ifouin ; tous enfants de Dihya, fils d’Oulhas, fils d’Itouweft, fils de Nefzao.

Les Dariça, descendants de Dari, fils de Zahhik, fils de Madhgis-el-Abter, forment ensemble deux grandes familles : les enfants de Temzît, fils de Dari, et ceux de Yahya, fils de Dari.

« Toutes les ramifications de Temzît, disent Ibn-Sabec et ceux de son école, sortent de la souche de Faten, fils de Temzit. On leur accorde spécialement le titre d’enfants de Dari, à l’exclusion des familles descendues de Yahya, fils de Dari. »

Les branches des Temzît sont les Matmata, les Satfoura, appelés aussi les Koumîa, les Lemaîa, les Matghera, les Sadîna, les Maghfla, les Melzouza, les Kechana [ou Kechata], les Douna, et les Medîouna ; tous enfants de Faten, fils de Temzit, fils de Dari.

Les branches de Yahya sont : la totalité des familles qui composent la tribu de Zenata, et, de plus, les Semgan et les Ourstîf. D’Ourstîf dérivèrent les Miknaça, les Augna, les Megguen [et les Ourtenadj] ; tous enfants d’Ourstif, fils de Yahya.

De Miknas sont issus les Ourtîfa, les Ourtedous, les Teflit, les ansara, les Moualat, les Harat et les Ourflas.

De Megguan provinrent les Boulalin, les Terin, les Isliten, les Djerin et les Foughal".

Ourtenadj est l'areal des Mekença, des Betalça, des Kernita, des Sederdja, des Henata et des Foulal; lous enfants d'Ourto nadj, fils d'Ourstff.

Semgan, fils de Yahya, est pere des Zouagha et des Zouaoua. Ibn-Hazm classe les Zouaoua parmi les tribus ketamiennes; opinion assez vraisemblable et qui peut s'appuyer sur le fait que le territoire (des Zouaoua louche à l'ancien territoire des Kelama). Il est donc probable que les Zouaoua, compris ici parmi les Semgan, ne sont autres que les Zouaza , tribu dont l'existence est une chose reconnue. De Zouagha sont issns les Madjer, les Ouatil, et les Semkin.

Ce que nous donnons ici, n'est qu'une esquisse des diverses branches dont se compose la race berbère ; mais nous traiterons à fand de toutes ces tribus, puisque nous aurops à raconter l'his- toire de chacune d'elles..

Maintenant si l'on aborde la question de savoir jusqu'à quel peuple des temps anciens il serait possible de faire remonter les Berbères, on remarquera une grande diversité d'opinion chez les généalogistes, classe de savants qui ont consacré à ce sujet des Tongues études.

Les uns les regardent comme les descendants de Yacsan, fils d'Abraham, le même dont nous avons fait mention en parlant de ce patriarche 3. D'autres les considèrent comme Yémeniles, et d'autres comme une population mélangée, venue du Yémen.

Dans les chapitres consacrés à l'histoire de chaque tribu eo parli- culier, la plupart de ces noms se retrouvent plus ou moios altérés. L'auteur, a eu le grand tort de n'en avoir pas fixé l'orthographe, leltre. par lelire, à la manière des philologues arabes; il aurait ainsi empêché les changements fâcheux et souvent irrémédiables, que ces dénomioa- tions ont subies.

i « dbraham épousa encore une femme nommée Célura , qui lui en- fapia Zabran, Jecsan, elc. (Gen. xxv, 1, 2)

C'est vers le commencement de son histoire universelle que l'au- leur lraile de la famille d'Abraham. Cette partie de son ouyrage o'a pas été publiée. Selon El-Masoudi ce sont un débris des Ghassanides et autres tribus qui se dispersèrent à la suite du Torrent d'Arim . « Ce » sont, disent quelques-uns, des gens qu'Abraha-Dou-'l-Menars » laissa après lui en Maghreb; ils appartiennent, disent encore » d'autres, aux tribus de Lakhm et de Djodam. Ils avaient ha- >> bité la Palestine, mais ils en furent expulsés par un roi de » Perse. Arrivés en Égypte, ils ne purent oblenir des soave- » rains de ce pays l'autorisation d'y rester; aussi traversèrent- » ils le Nil el se répandirent dans le pays (d'Afrique). »

« Quelques peuplades berbères, dit Abou-Omar-Ibn-Abd- « cl-Berr", prétendent former la postérité d'en-Nôman, fils de Aimyer-Ibn-Seba. Moi-même, dit-il, j'ai lu dans l'ouvrage » d'El-Isfendad le philosopho , qu'En-Nòman, fils de Himyer- » Ibn-Sebå, était le [plus grand] roi de la période qui sépare la » mission de Jésus de celle de Mahomet. Ayant convoqué ses fils » 11 leur adressa ces paroles : je veux envoyer quelques-uns » d'entre vous en Maghreb pour le peupler. Malgré leurs remon- » trances, il persista dans sa résolution, et y expédia Lemt, » l'aïeul des Lemlouna, Mesfou, l'aïeul des Messoufa , Merta , » l'aïeul des Heskoura , Asnag, l'aïeul des Sanhadja, >> l'aïeul des Lamla, el Atlan , l'aïeul des Heilada. Les uns se » fixèrent dans la montagne de Deren, et les autres dans le Sous » et le Derd. Lamt s'arrêta chez Guezoul et en épousa la fille; » Addjana, le pére des Zenata , s'établit aupres du Chélif; les » Ourtedjin et les Maghraou fixèrent leur séjour sur la frontière

1. Abou-'l-Hacen-Ali-el-Wasoudi , auteur de plusieurs traités dont le plus célèbre est l'ouvrage historique et géographique jolitulé Moroudj- ed-Deheb (prairies d'or), naquit à Baghdad et passa une partie de sa vie en Egypte. Il mourut en 345 (956). — (Ibn-l'hallikan, vol. 11, page 618, note. Notices et extraits, etc., tome viti, et Journal Asiatique de jan- vier, 1839.) . Voyez l'Essai de M. C. de Perceval, tome 1, p. 83 et suiv, 3 Ibid, tome 1, p. 67. Abou-Omar-Youçof-Ibn-Abu-el-Berr , célèbre luistorieo et généalo- giste, naquit à Cordoue et remplit les fonctions de cadi à Lisbonne (Och- bouna) et à Santarem (Chenterin). Il mourut en 463 (1070-1).- .- (Abul- ferle Annales.) de l'Ifrikïa, du côté du Maghreb, et Masmoud alla babiter dans » le voisinage de Tanger. « Nous supprimons le reste de cette légendo qui est très-longue et dont Ibn-Abd-el-Berr lui-même, ainsi qu'Abou-Muhammed-Ibn-Hazm, a contesté l'exactitude.

Selon d'autres, les Berbères seraient tous une portion du peuple de Djalout (Goliath), et voila le généalogiste Ali-Ibn- Abd-el-Aziz-el-Djordjani . qui dit dans son livre des généa- logies : « Je ne connais aucune opinion à ce sujet qui se rap- » proche plus de la vérité quo l'hypothèse d'après laquelle ils » seraient les enfants do Djalout. » Il néglige toutefois de nous informer de quelle famille provenait ce Djalout, mais Ibn-Coteibas supplée à son silence et nous dit que le Djalout en question se nommait Ouennour et qu'il était fils de Hermel, fils do Djedîlans, 6ls de Djaloud, fils de Redilan, fils de Hat!i, 6ls de Ziad, fils de Zeddjfk, fils de Madghis-el-Abter.

L'on rapporte aussi sur l'autorité du même historien, que Djalout était fils de Heryal, 6ls de Djaloud, fils de Dial, fils de Cahtan, fils do Pars, « personnage bien connu, dit-il •,. et Seſks » est l'ancêtre de tous les Berbères. » Selon les mêmes per- sonnes, les Berbères se composent d'une foule de branches et de tribus, à savoir : les Hoouara, les Zenata, les Dariça, les Maghila, les Ourfeddjouma, les Nefza, les Ketama, les Louata, les Ghoma- ra, les Masmouda , les Sadina , les Izderan, les Derendjin, les Sanhadja, les Medjekéça, les Ouarglan, etc..

Selon Et-Taberi et d'autres historiens, les Berbères sont un

1. Voyez ci-dessus, page 26, nole 2.

  • Abou-Mohammed-Abd-Allah - Ibn-Moslem-Ibn-Coteiba , grammai-

rieo, philologue et généalogiste distingué, passa une partie de sa vie à Baghdad el mourat en 296 (907). Dans le Biographical Dictionary d'Ibn- Khallikan, vol. II, page 22, se trouve une police de cet auteur. L'orthographe de ces trois noms varie dans les manuscrits.

  • Probablement comme l'ancêtre des Persans.

3 Ou Safek; en arabe Sfk. Ce renseignement est peut-être emprunté à Josepbe, Antiquités; 1, 15. 6 Abou-Djafer-Mohammedl-Ibn-Djerir-el-Taberi, célèbre historien et théologien, naquit à Amul en Taberestan, l'an 224 (838-9), et mourut à Baghdad en 310 (923). - (Ibn-Khallikan, vol. 11, page 597.) mélange de Cananéens et d'Amalécites qui s'étaient répandus dans divers pays après que Goliath fut tué; Ifricos, ayant en- vabi le Maghreb, les y transporta des côtes de la Syrie, et les ayant établis en Ifrikia, il les nomma Berbères.

Les Berbères, selon une autre opinion, descendent de Cham, fils de Noé, et ont pour aïeul Berber, fils de Temla, fils de Ma- zigh, fils de Canaao, fils de Cham.

« Ils descendent, dit Es-Souli. : de Berber, Gils de Kesloudjfm » Casluhim), fils de Mesraïm, fils de Chem. »

Selon une autre hypothèse, ce sont des Amalécites, et ils des- cendent de Berber, fils de Temla, fils de Mareb, fils de Faran, fils d'Amr, fils d'Amlac (Amalec), fils de Laoud [Lud), fils de Sem. D'après cette opinion, les Berbères seraient des Amalécites !

« Les Berbères, dit Malek-Ibn-Morabbel », se composent de « diverses tribus himyerites, modérites, coptes, amalécites , a cananéennes et coreichites qui s'étaient réugies en Syrie et a parlaient un jargon barbare. Ifricos les nómma Berbères à « cause de leur loquacité. » El-Masoudi , Et-Taberi et Es-Soheili • rapportent qu'Ifricos forma une armée avec ces gens afin de conquérir l'Afrique, et que ce fut là la cause de leur émigration. Il les nomma Berbères, et (à ce sujet) on cile de lui le vers suivant :

Le peuple cananéen murmura [berberat) quand je le forçai à quitter un pays misérable pour aller vivre dans l'abondance.

« On 'n'est point d'accord, dit Ibn-el-Kelbi, sur le nom de

1. Abou-Bekr-Mobammed-es-Souli, célèbre polygraphe et joueur d'é- hecs, mourut à Bassora en 336 (917). - (Ibn-Khallikan,. vol. tu, page 74 ) · Les Amalécites ne descendaieot pas de Lud, fils de Sem, mais d'Esau, Gls d'Isaac, fils d'Abraham. 3 Malek-Ibn-Morabbel se trouvait au service du sultan méripide, Ya- 'coub-lbo-Abd-el-Hack, dans la dernière moitié du seplième siècle de házire à • Abd-er-Rahman-es-Soheili, poète, historien et philologue, baquit Malaga, en 308 (1146-5). Il passa les trois dernières années de sa vie en Afrique et mourut à Maroc en 581 (1185). — (Ion-L'hallikan, vol. II, page 99). celui qui éloigna les Berbères de la Syrie. Les uns disent que » ce fut David qui les en chassa après avoir reçu par une révén lation divine l'ordre suivant : 0 David! fais sortir les Ber- >> beres de la Syrie, car ils sont la lèpre du pays. D'autres ► veulent que ce soit Josué, fils de Noun , ou bien Ifricos, ou >> bien encore un des rois Tobba qui les en expulsa. »

El-Bekri · les fait chasser de la Syrie par les Israélites, après la mort de Goliath, et il s'accorde avec El-Masoudi à les repré- senter comme s'étant enfuis dans le Maghreb à la suite de cet événement. Ils avaient voulu rester en Egypte, dit-il, mais ayant été contraints par les Coptes à quitter ce pays, ils allè- rent à Barca, en Ifrikra et en Maghreb. Ayant eu à soutenir dans ces contrées une longue guerre contre les Francs et les Africains, ils les obligèrent à passer en Sicile, en Sardaigne, en Maiorque et en Espagne. Ensuite la paix se rétablit à la condition que les Francs n’habiteraient que les villes du pays. Pendant plusieurs siècles, les Berbères vécurent sous la tente, dans les régions abandonnées, et ne s'occupaient qu'à mener paître leurs trou- peaux aux environs des grandes villes, depuis Alexandrie jus- qu'à l'Océan, et depuis Tanger jusqu'à Sous. Tel fut l'état dans lequel l'Islamisme les trouva. il y avait alors parmi eux (des tribus) qui professaient la religion juive; d'autres étaient chrétiennes, et d'autres, païennes, adorateurs du soleil, de la lune et des idoles. Comme ils avaient à leur tête des rois et des chefs, ils soutinrent contre les musulmans plusieurs guerres très- célèbres.

« Satan, dit Es-Souli-el-Bekri', sema la discorde entre les

Abou-Obeid-Abu-Allah, fils d'Abd-el-Aziz-el-Bekri, seigneur de Huelva, en Espagne, ful vizir de Mobammed-Ibn-Man-Moëzz-ed-Dola, souverain d'Alméria. Il composa un dictionnaire géograpbique et un grand ouvrage bistorique et géographique intitulé Meçalek oua Memalek (routes et royaumes). Il mourut ep 487 (1094). — (Ibn-Khallikan, vol. I, page 319, bote.)

Es-Souli-el-Bekri. Ceci parait étre une erreur commise par l'au- teur qui, ayant voulu remplacer le nom d'El-Bekri par celui d'Es-Souli, ou vice versa, aura oublié d'en effacer le premier de soo manuscrit après y avoir inséré l'autre. enfans de Cham et ceux de Sem ; aussi, les premiers durent se retirer dans le Maghreb où ils laissèrent une nombreuse postérité. » — « Cham, ajoute-t-il, étant devenu noir par suite de la malédiction prononcée contre lui par son père, s’enfuit en Maghreb pour y cacher sa honte, et il y fut suivi par ses fils. Il mourut à l’âge de quatre cents ans. Berber, fils de Kesloudjim (Casluhim), un de ses descendants, laissa une nombreuse postérité en Maghreb. »

Ailleurs, le même auteur dit : « Aux Berbėres se joignirent deux tribus d’Arabes yémenites, les Ketama et les Sanhadja, qui venaient de quitter Mareb[10]. » Il dit encore que Hoouara, Lamta et Louata sont les enfans de Himyer-Ibn-Seba.

Selon plusieurs généalogistes berbères, dont nous nous bornerons à nommer Hani-Ibn-Bekour-ed-Darici, Sabec-Ibn-Soleiman-el-Matmati, Kehlan-Ibn-Abi-Loua et Aïoub-Ibn-Abi-Yezid, les Berbères forment deux grandes branches, les Beranès et les Botr. Ceux-ci, disent-ils, tirent leur origine de Berr, fils de Caïs, fils de Ghailan ; mais les Beranès descendent de Berr, fils de Sefgou, fils d’Abdedj, fils de Hanah, fils d’Oulil, fils de Cherat, fils de Nam, fils de Douim, fils de Dam, fils de Mazigh, fils de Canaan, fils de Ham.

Voilà l’opinion soutenue par les généalogistes appartenant à la nation berbère.

« Berr, fils de Caïs, dit Et-Taberi, sortit pour chercher une chamelle qui s’était égarée dans les tribus berbères, et ayant conçu de l’amour pour une jeune fille, il l’épousa et en eut des enfants. »

De leur côté, les généalogistes berbères disent qu’il quitta son pays pour échapper à la haine de son frère, Amr-Ibn-Caïs , et qu’à ce sujet [leur frère] Tomader prononça les vers suivants :

Toute femme qui pleure la perte d’un frère peut prendre exemple sur moi qui pleure Berr, fils de Caïs.
Il quitta sa famille et se jeta dans le Désert. Avant de le retrouver, la fatigue aura amaigri nos chameaux.

Ils attribuent encore au même poète un morceau que nous reproduisons ici :

Berr s’est choisi une demeure loin de notre pays ; Bert a quitté sa patrie pour se rendre à une autre destination.
On reproche à Berr son idiôme étranger — à Berr qui parlait si purement quand il habitait le Nedjd et le Hidjaz.
[C’est à présent] comme si nous et Berr n’avions jamais lancé nos coursiers en avant pour faire des incursions dans le Nedjd ; — comme si nous n’avions jamais partagé la proie et le butin.

Les savants d’entre les Berbères citent aussi les vers suivants d’Obeida-Ibn-Caïs-el-Ocaili :

O toi qui cherches à mettre la désunion entre nous ; arrête ! et que Dieu te dirige dans la voie des hommes de bien !
Je le jure ! nous et les Berbères sommes frères ; comme nous, ils remontent jusqu’au même noble aïeul.
Notre père, Caïs [fils de] Ghailan, est aussi le leur ; c’est lui qui atteignit le faire de la gloire, pendant qu’au milieu des combats il abreuvait ses guerriers altérés [de sang].
Avec ses enfants nous formons une forte colonne, et nous restons frères, malgré les efforts de nos ennemis, gens que leurs qualités rendent méprisables.
Tant qu’il y aura des hommes, nous défendrons Berr, et Berr sera pour nous un fort appui.
Pour recevoir nos adversaires nous tenons prêts des coursiers sveltes et légers, des épées qui tranchent les têtes au jour du combat.
[Les enfants de] Berr, fils de Caïs, sont une noble troupe de la race de Moder ; ils se tiennent sur la cime de la gloire que s’est acquise cette illustre famille.
[La tribu de] Caïs est partout le soutien de la foi ; elle est la plus noble branche de la famille de Madd, si l’on examine sa généalogie.
Caïs a conquis une renommé qui sert de modèle aux autres tribus ; à Caïs appartient l’épée dont les tranchants sont bien effilés.

Ils citent encore les vers suivants, tirés d’un poème composé par Yezid-Ibn-Khaled à la louange des Berbères :

O toi qui désires connaître nos aïeux ! (descendants de] Caïs-Ghailan, nous sommes les enfants de la noblesse la plus ancienne.
Tant que nous vivrons, nous serons fils de Berr le généreux ; rejetons d’une souche enracinée dans le sol de la gloire.
Berr s’est élevé un édifice de gloire dont l’éclat rejaillit au loin, et il nous a garantis contre les malheurs les plus graves.
Berr réclame Caïs pour aïeul ; et certes Caïs peut réclamer parenté avec Berr.
La gloire de Caïs est la notre ; il est notre grand aïeul, le même qui sut briser les chaînes des captifs.
Caïs, Caïs-Gailan, est la source du vrai honneur et notre guide vers la vertu.
En fait de bonté [Berr] que le Berr de notre peuple te suffise ; ils ont subjugué la terre avec la pointe de la lance.
Et avec des épées qui, dans les mains de nos guerriers ardents, abattent les têtes de ceux qui méconnaissent le bon droit.
Portez aux Berbères, de ma part, un éloge brodé avec les perles de la poésie la plus exquise[11].

Voici un récit provenant des généalogistes berbères et reproduit par El-Bekri et d’autres auteurs : « Moder avait deux fils ; El-Yas et Ghailan. Leur mère, er-Rebab, était fille de Hida-Ibn-Amr-Ibn-Madd-Ibn-Adnan. Ghailan, fils de Moder, engendra Caïs et Dehman. Les enfants de Dehman sont peu nombreux et forment une famille caïside à laquelle on donne le nom de Beni-Amama. Dans cette maison naquit une fille qui porta le nom d’El-Beha, fille de Dehman. Quant à Caïs, fils de Ghailan, il engendra quatre fils : Sad, Amr, Berr et Tomader, dont les deux premiers naquirent de Mozna, fille d'Aced-Ibn-Rebia-Ibn-Nizar, et les deux derniers de Tamzigh, fille de Medjdel-Ibnn-Medjdel-Ibn-Ghomar-Ibn-Masmoud. À cette époque, les tribus berbères habitaient la Syrie, et ayant les Arabes pour voisins, ils partageaient avec eux la jouissance des eaux, des pâturages, des lieux de parcours, et s'alliaient à eux par des mariages. Alors Berr, fils de Caïs, épousa sa cousine, El-Beha, fille de Dehman, et encourut ainsi la jalousie de ses frères. Tamzigh, sa mère, femme d'une grande intelligence, craignant qu'ils ne le tuassent, avertit secrètement ses oncles maternels et partit avec eux et son fils et son mari, pour la terre des Berbères, peuple qui habitait alors la Palestine et les frontières de la Syrie. El-Beha donna à Berr-Ibn-Caïs deux enfants, Alouan et Madghis. Le premier mourut en bas-âge, mais Madghis resta. Il portait le surnom d'El-Abter et était père des Berbères-Botr. Toutes les tribus zenatiennes descendent de lui. »

Les mêmes historiens disent que Madghis, fils de Berr, et surnommé El-Abler, épousa Amlel, fille de Ouatas-Ibn-Medjdel-Ibn-Medjdel-Ibn-Ghomar, et qu'il eut d'elle un fils surnommé Zahhik (ou Zeddjik] Ibn-Madghis.

Abou-Omer-Ibn-Abd-el-Berr dit, dans son ouvrage intitulé Kitab-et-Temhid (classification des généalogies) : « Une grande diversité d'opinion existe au sujet des origines berbères ; mais la plus probable est celle qui représente ce peuple comme les enfants de Cobt, fils de Ham. Quand [Cobt] se fut établi en Égypte, ses fils en sortirent[12] pour aller vers l'occident (Magreb), et ils prirent pour habitation le territoire qui s'étend depuis la frontière de l'Égypte jusqu'à l'Océan-Vert [l'Atlantique] et la mer de l'Andalousie, en passant derrière Barca, et en se prolongeant jusqu'à la limite du grand Désert. De ce côté ils se trouvèrent dans le voisinage immédiat des peuples nègres. Une de leurs familles, les Louata, occupa le territoire de Tripoli ; et une autre peuplade, les Nefza, s’établirent auprès de cette ville. De là, ils s’avancèrent jusqu’à Cairouan, et passèrent en avant jusqu’à ce qu’ils parvinrent à Téhert, à Tanger, à Sidjilmessa et au Sous-el-Acsa. Ces populations étaient des Sanhadja, des Kelama, des Dokkala, branche des Ouerglaoua (ou Zeglaoua), des Fetouaka, branche des Heskoura, et des Meztaoua. »

Quelques investigateurs de l’antiquité racontent que Satan ayant semé la discorde entre les enfants de Cham et ceux de Sem, plusieurs conflits eurent lieu entre les deux races, et la guerre termina par le triomphe de Sem et de ses fils. Cham s’en alla vers l’ouest (Maghreb) et entra en Égypte. Après la dispersion de ses enfants, il continua sa route vers le Maghreb et atteignit le Sous-el-Acsa. Ses enfants allèrent à sa recherche, et chacune de leurs bandes parvint à un endroit différent. N’ayant plus entendu parler de lui, ils s’établirent dans ces endroits et s’y multiplièrent. (Chaque) troupe de gens qui arriva chez eux y fixa son séjour et s’y multiplia aussi.

El-Bekri rapporte que Cham vécut 443 ans, mais d’autres historiens lui donnent 531 ans.

« Yémen, dit Es-Soheili, est la même personne que Yarob, fils de Cahtan. Ce fut lui qui exila les enfants de Cham dans le Maghreb après qu’ils eussent été les tributaires de Cout fils de Japhet. »


FIN DE L’EXPOSITION DES DIVERSES OPINIONS AU SUJET DE L’ORIGINE DES BERBÈRES.

Sachez maintenant que toutes ces hypothèses sont erronées et bien éloignées de la vérité. Prenons-en d’abord celle qui représente les Berbères comme enfants d’Abraham, et nous en reconnaîtrons l’absurdité en nous rappelant qu’il n’y avait entre David (qui tua Goliath, contemporain des Berbères), et Isaac, fils d’Abrabam et frère de Yacsan, le prétendu père des Berbères, qu’à peu près dix générations, ainsi que nous l’avons dit dans la première partie de cet ouvrage. Or, on ne saurait guère supposer que dans cette espace de temps, les Berbères eussent pu se multiplier au point qu'on le dit.

L'opinion qui les représente comme les enfants de Goliath ou Amalécites, et qui les fait émigrer de la Syrie, soit de bon gré soit de force, est tellement insoutenable qu'elle mérite d'être rangée au nombre des fables. Une nation comme celle des Berbères, formée d'une foule de peuples et remplissant une partie considérable de la terre, n'a pas pu y être transportée d'un autre endroit, et surtout d'une région très-bornée. Depuis une longue suite de siècles avant l'islamisme, les Berbères ont été connus comme habitans du pays et des régions qui leur appartiennent de nos jours, et ils s'y distinguent encore aux marques spécifiques qui les ont toujours fait reconnaitre. Mais pourquoi nous arrêter aux sornettes que l'on a ainsi débitées au sujet des origines berbères ? il nous faudrait donc subir la nécessité d'en faire autant, chaque fois que nous aurions à traiter d'une race ou d'un peuple quelconque, soit arabe, soit étranger ? L'on a dit qu'Ifricos transporta les Berbères (en Afrique) ; puis ils racontent qu'il les trouva déjà dans ce pays, et qu'étant étonné de leur nombre et de leur langage barbare, il s'écria : Quelle berbera est la vôtre ? comment aura-t-il donc pu les y transporter ? Si l'on suppose qu'ils y avaient déjà été transportés par Abraha-Dou-'l-Menar, ainsi que quelques uns l'on dit, on peut à cela répondre qu'il n'y avait pas entre ce prince et Ifrikos assez de générations pour que ce peuple eut pu se multiplier au point [d'exciter l'étonnement de celui-ci. ]

Quant à l'hypothèse de ceux qui les prennent pour des Himyerites de la famille de Nòman, ou pour des Modérites de la famille de Caïs-Ibn-Ghailan, elle est insoutenable , et a déjà été réduite à néant par le chef des généalogistes et des savants, Abou-Mohammed-Ibn-Hazm, qui a consigné dans son Djemhera l'observation suivante : « Quelques peuplades berbères veulent faire accroire qu'elles viennent du Yémen et qu'elles descendent de Himyer ; d'autres se disent descendues de Berr, fils de Caïs ; mais la fausseté de ces prétentions est hors de doute : le fait de Caïs ayant eu un fils nommé Berr, est absolument inconnu à tous les généalogistes ; et les Himyerites n'eurent jamais d'autre voie pour se rendre en Maghreb que les récits mensongers des historiens yéménites. »

Passons à l'opinion d'Ibn-Coteiba. Cet auteur les déclare enfants de Goliath, et il ajoute que celui-ci était fils de Caïs-Ibn-Ghailan : bévue énorme ! En effet, Caïs [fils du] Ghailan descendait de Màdd, lequel était contemporain de Nabuchodonosor, comme nous l'avons constaté ailleurs, et avait été emporté en Syrie par le prophète Jérémie auquel la volonté divine avait révélé l'ordre de le sauver des fureurs de ce conquérant qui venait de subjuguer les Arabes[13]. Ce Nabuchodonosor est le même qui détruisit le temple de Jérusalem bâti par David et Salomon, environ quatre cent cinquante ans auparavant. Donc, Màdd a du être postérieur à David d'environ ce nombre d'années, comment, alors, son fils Caïs aura-t-il pu être le père de Goliath, contemporain de David ? cela est d'une absurdité si frappante que je le regarde comme un trait de négligence et d'inattention de la part d'Ibn-Coteiba.

Maintenant, le fait réel, ſait qui nous dispense de toute hypothèse, est ceci : les Berbères sont les enfants de Canaan , fils de Cham, fils de Noé, ainsi que nous l'avons déjà énoncé en traitant des grandes divisions de l'espèce humaine. Leur aïeul se nommait Mazigh ; leurs frères étaient les Gergéséens (Agrikech); les Philistins, enfants de Casluhim, fils de Misraïm, fils de Cham, étaient leurs parents. Le roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Djalout). Il y eut en Syrie, entre les Philistins et les Israélites des guerres rapportées par l'histoire, et pendant lesquelles les descendants de Canaan et les Gergéséens soutinrent les Philistins contre les enfants d'Israël. Cette dernière circonstance aura probablement induit en erreur la personne qui représenta Goliath comme Berbère, tandis qu'il faisait partie des Philistins, parents des Berbères. On ne doit admettre aucune autre opinion que la nôtre ; elle est la seule qui soit vraie et de laquelle on ne peut s'écarter.

Tous les généalogistes arabes s'accordent à regarder les diverses tribus berbères dont j'ai indiqué les noms, comme appartenant réellement à cette race ; il n'y a que les Sanhadja et les Ketama dont l'origine soit pour eux un sujet de controverse. D'après l'opinion généralement reçue, ces deux tribus formaient partie des Yémenites qu'Ifricos établit en Ifrikïa lorsqu'il eut envahi ce pays.

D'un autre côté, les généalogistes berbères prétendent que plusieurs de leurs tribus, telles que les Louata, sont Arabes et descendent de Bimyer, et que les Hoouara le sont aussi, et proviennent de [la souche de] Kinda par [la branche de] Sekacek. Les généalogistes zenatiens ſont remonter leur origine aux Amalécites qui s'étaient échappés, par la fuite, aux Israélites. Quelquefois, cependant, ils représentent leur peuple comme un dernier reste des Tobba : Il en est de même avec les Ghomara, les Zouaoua et les Meklata ; leurs propres généalogistes les disent issus de Himyer.

Quand j'exposerai en détail les ramifications de chacune des tribus que je viens de nommer, j'aurai l'occasion de rappeler ces prétentions à une origine arabe ; prétentions que je regarde comme mal fondées ; car la situation des lieux qu'habitent ces tribus et l'examen du langage étranger qu'elles parlent, constatent suffisamment qu'elles n'ont rien de commun avec les Arabes. J'en excepte seulement les Sanhadja et les Ketama, qui, au dire des généalogistes arabes eux-mêmes, appartiennent à cette nation ; opinion qui s'accorde avec la mienne.

Ayant maintenant terminé notre chapitre sur la généalogie et l'origine des Berbères, nous commencerons à exposer en détail les ramifications et l'histoire de chacune de leurs familles. Nous nous bornerons toutefois à celles des Beranès et des Botr qui ont donné naissance à des dynasties ou joui d'une certaine célébrité dans les temps anciens, et à celles dont la population s'est maintenue jusqu'à notre époque et s'est répandue sur la surface du globe. Nous traiterons d'elles selon l'ordre de leurs ramifications, en y employant les matériaux que d'autres nous ont transmis et les traditions que nous avons nous-mêmes recueillies.

  1. Voyez l’Essai de M. C. de Perceval, tome I, p 61 et suiv.
  2. Ce nom s’écrit tantôt Madghis et tantôt Madghès ; quelquefois même il se présente sous la forme de Madaghs. Quant au mot Bernès, en arabe brns, on peut aussi le prononcer Bornos ou Bornès.
  3. Botr est le pluriel d’Abter, adjectif arabe qui signifie sans queue, sans postérité. L’emploi systématique d’un terme arabe, d’abord au singulier, comme surnom de Madghis, et ensuite au pluriel, pour désigner sa postérité, prouve que la langue arabe était très-répandue dans la Mauritanie à l’époque où les savants berbères entreprirent la tâche de confectionner, ou fabriquer l’arbre généalogique de leur nation. D’autres circonstances portent à croire que ces listes furent dressées dans le quatrième siècle de l’hégire, et rédigées alors on arabe.
  4. Voyez pour Aioub la pote page 28 de ce volume. - Dans un autre volume de cet ouvrage on trouvera l’histoire d’Abou-Yezid, surnommé l’homme à l’âne. — Youçof el-Ouerrac (le libraire, le marchand de papier) vivait vers la fin du 4e siècle de l’hégire et habitait, probablement, la ville de Cordoue. — Dans la note 5 de la page 48 de ce volume, il est question d’Ibn-Hazm.
  5. Dans un des chapitres suivants, l’auteur donne quelques renseignements sur Sabec-Ibn-Soleiman et sur Kehlan-Ibn-Abi-Loua. Quant à Hani-Ibn-Masdour (ou Isdour), il appartenait à la tribu berbère des Koumïa, mais on ignore à quelle époque il vivait.
  6. Voyez note page 86.
  7. Ce mot peut aussi se prononcer Mecettaça.
  8. Dans les manuscrits du texte arabe l’orthographe des noms portés par les aïeux des grandes tribus berbères ne varie presque jamais. Il en est autrement des noms qui désignent les ramifications secondaires et tertiaires des mêmes tribus : les variantes en sont innombrables. Ces irrégularités doivent être attribuées à la négligence des copistes et à l’extrême imperfection du caractère écrit des Arabes, surtout du caractère maghrébin. Dans les notes du texte arabe on trouvera une partie de ces variables.
  9. C’est le son du j français que l’auteur veut peindre ici ; l’alphabet arabe s’en présentant pas l’équivalent. Donc, selon Ibn-Khaldoun, il faut prononcer le nom de cette tribu Nefjaoua ; cependant, de nos jours, dans toute l’Afrique et dans Djerîd même, on dit Nefzaoua.
  10. Voyez l’Essai le M. C. de Perceval, tome 1. page 85.
  11. Les morceaux de vers cités ici sont en fort mauvais arabe. Cette circonstance, jointe au décousu des idées et aux incorrections grammaticales qui les caractérisent, indique suffisamment qu’ils ont été fabriqués par des Berbères peu instruits, qui croyaient pouvoir relever l’honneur de leur nation en lui attribuant une origine arabe.
  12. Le texte arabe porte son fils sortit. (Voyez ci-devant. p. 163, note 1.)
  13. Voyez sur la légende de Jérémie et Madd l'Essai de M. C. de Perceval, tome 1, page 481 et suiv. — C'est de Taberi qu'Ibn-Khaldous a emprunté ce renseignement controuvé.