Hymnes profanes/VI/Hic desperatus

Bibliothèque de La Plume (p. 79-80).




Hic desperatus


Pour Eugène Basquin.


Silencieux je rêve alors que tout sommeille,
Dans une allée ombreuse où seul un oiseau veille
Pour bercer de ses chants ma longue rêverie,
Une douceur s’épand en mon âme meurtrie
En écoutant la voix se perdre dans la nuit,
Et mon cœur désolé chante et pleure avec lui.

          Comme une harpe éolienne
          Pendue aux branches d’un chêne
          Chante sous la douce haleine
          De la brise aérienne,
          Tels à ces divins accents
          Vibrent mon âme et mes sens !


Je ne puis me soustraire à la mélancolie
De ce chant qui se perd comme la poésie
Dans le profond repos de toute la nature,
À peine si la source ose de son murmure
Accompagner la voix, et le bruissement
Des feuilles agitées aide au recueillement.

Alors devant mes yeux à demi-clos une ombre
Apparaît virginale en son vêtement sombre,
Pâle elle me sourit et je crois voir encore
Dans son regard éteint le blond reflet d’aurore
Qui me noyait le cœur lorsque j’avais vingt ans
Et que j’allais chantant les fleurs et le printemps !

Hélas, dans un linceul elle est là qui repose,
Elle a voulu qu’on mît dans sa tombe une rose
Qui fût un souvenir de son amour brisé,
Et c’est moi qui l’ai mise avec un long baiser :
Mais quand on eût cloué le lugubre cercueil,
Mon cœur a pour toujours pris l’immuable deuil !