Hymnes orphiques (Falconnet)



Anonyme (Pseudo-Orphée)
Traduit du grec ancien par Ernest Falconnet



ORPHÉE

HYMNES[1],

TRADUITES PAR M. ERNEST FALCONNET.


NOTICE SUR ORPHÉE.

Nous ne savons rien de précis sur Orphée : le problème de son existence n’est pas résolu, malgré les recherches et les nombreux écrits des savants. Le caractère sacré de ses poésies, qui reproduisent des idées à moitié platoniciennes et à moitié chrétiennes, a fait supposer que l’école d’Alexandrie aurait réuni et publié sous le nom d’Orphée des fragments primitifs. Le Périple des argonautes est une fable tellement commune aux peuples anciens, qu’il ne peut pas servir à déterminer la date du poète qui l’a chanté. S’il faut en croire Olympiodore, cité dans Photius, Hérodote aurait écrit une histoire d’Orphée ; mais les hymnes que nous allons traduire sont-elles de cet Orphée ?…


I. LE PARFUM DE LA DÉESSE QUI VEILLE AUX PORTES.
— LE STYRAX.

Écoute mes chants, ô vénérable déesse, toi qui protèges les couches des femmes, toi qui aimes les mystères de la génération ; protectrice du sexe féminin, déesse qui présides aux noces, salut. Tu es douce, tu es bonne, tu es agréable pour tous les hommes. Tu habites les édifices de tous les mortels et tu fréquentes leurs festins. Tu es invisible, mais tu veilles toujours à tous les enfantements. Tu prends pitié de ceux qui sont difficiles et tu te réjouis de ceux qui se multiplient. C'est toi qu’invoquent les femmes enceintes, toi qui peux apporter un allègement à leurs souffrances, car c’est toi qui toujours veilles sur la partie de la femme où cesse le sein. Ô Artémise bienveillante, de qui dépendent les heureuses délivrances, accorde-moi une agréable progéniture ; préside aux douleurs des femmes qui accouchent, et conserve-les comme les conserve Junon l’excellente protectrice.


II. LE PARFUM DE LA NUIT.

Je t’invoque, ô déesse qui engendres les dieux et les hommes. La nuit est le principe de toutes choses. Écoute-moi, grande déesse, tour à tour voilée d’obscurité ou couverte d’un brillant manteau d’étoiles. Tu aimes les lieux habités par le sommeil silencieux et par l’agréable paresse ; bonne déesse qui te plais aux festins, mère des songes ennemis de toutes les inquiétudes, et du repos la plus douce de toutes les choses. Amie de tous, précédée du crépuscule, tu habites tour à tour la terre et le ciel ; tu viens du Tartare et tu retournes à l’Orcus en chassant devant toi la lumière, car les lois éternelles t’y contraignent irrévocablement. Sois présente à nos chants, ô vénérable déesse aimée de tous, écoute les humbles prières de ceux qui te supplient ; déesse, viens à nous en fuyant les images incertaines du crépuscule.


III. PARFUM D’OURANOS. — L’ENCENS.

Ouranos, père de toutes choses, partie éternellement agissante du monde, principe et fin de tout l’univers, toi qui fais rouler la terre dans des cercles immenses, demeure des immortels qui tournes en tourbillonnant dans les sphères infinies, dieu céleste et terrestre qui gardes et qui voiles toutes choses, qui résumes en toi seul toutes les lois éternelles de la nature, père éternel, puissant, indomptable, changeant toujours de forme, protecteur universel, créateur de Saturne, le plus grand des dieux, viens à mes prières et accorde la vie au jeune enfant qui sert les mystères.


IV. PARFUM DE L’ÉTHER. — LE SAFRAN.


Flamme sacrée, qui veilles éternellement dans les palais élevés de Jupiter, portion toute-puissante des étoiles, du soleil et de la lune, Éther dominateur de toutes choses, ardeur vivante de tout ce qui respire, toi qui règnes dans les hauteurs azurées, noble élément du monde, fleur flamboyante, rayon radieux, je te supplie avec prière d’être pour moi innocent et tempéré.


V. PARFUM DU PRIMIGENIUS (DU PREMIER ÉLÉMENT GÉNÉRATEUR.)
— LA MYRRHE.


Je t’invoque, grand couple primigène, toi qui vogues dans les airs et qui te soutiens sur des ailes d’or, semence génitrice et féconde des dieux et des hommes, divinité célèbre et mémorable sur la terre primitive, noble germe des autres dieux, toi qui as éloigné de tous les yeux la profonde obscurité qui les aveuglait dans le principe, toi qui planes sur les murailles du monde, soutenu par tes ailes qui sont des signes favorables, toi qui répands la lumière et qui as pris de là le nom de Phanète (Lunus), dieu de la nuit, bienheureux immortel, sois-nous favorable, assiste aux sacrifices des prêtres, aux expiations universelles qu’ils te présentent.


VI. PARFUM DES ASTRES. — LES AROMATES.


Lumière flamboyante, signaux brillants du ciel, je vous invoque d’une chaste voix, vous et les génies du firmament arrondi, astres étincelants du monde, compagnons bien-aimés de la nuit, parcourant dans vos immenses orbites toutes les cavités du ciel, origine primitive de toutes choses, vous qui annoncez les destinées et indiquez les lois sévères de l’avenir ! flambeaux de la route du firmament indiquée aux premiers mortels, tribuns aériens du camp céleste, nation inquiète, toujours vague et voyageuse, nation nocturne, éparse sur le manteau sombre des nuits, flammes scintillantes, joyeuses et pleines de vigilance, je vous invoque pour les mystères sacrés de votre culte : faites briller une lueur favorable aux sacrifices par lesquels nous vous adorons.


VII. PARFUM DU SOLEIL. — L’ENCENS.


Ô dieu dont l’œil éternel embrasse tous les ouvrages, Titan illustre, lumière toute-puissante, lumière infatigable, miroir animé de tout ce qui respire, père du matin lorsque tu es sur la droite, et de la nuit quand tu arrives à gauche, modérateur du temps, traîné par quatre chevaux à la course retentissante ; torrent de feu, aimable divinité, achevant ta course par un rapide tourbillon ; conducteur favorable des hommes pieux et hostile aux méchants ; toi qui sur ta lyre fais entendre des sons harmonieux, maître des ouvrages qui réussissent, père des tempêtes, dieu tout-puissant, rayonnant et agile, œil du monde étoilé, qui meurs et revis chaque jour dans des flammes immortelles ; grand inquisiteur de la justice, maître du monde, fils de Jupiter, toujours présent pour les mortels, lumière de la vie, toi qui de ton fouet sifflant précipites la course de ton char attelé de quatre chevaux, nous te supplions, accorde une vie heureuse aux jeunes enfants qui se dévouent à tes mystères.


VIII. PARFUM DE LA LUNE. — LES AROMATES.


Ô reine puissante, Séléné, la plus illustre des vierges, lune vigilante, habitante des airs, compagne fidèle de la nuit, lune escortée de tes fidèles étoiles, tour à tour nouvelle et devenant plus vieille, toujours brillante ; mère des siècles, toi qui protèges tous les hommes, légère de sommeil, et présidant aux signes enflammés des cieux, amante de la joie aimable et de la paix, sois-nous favorable ; ô vierge splendide, brillante, étoilée, protège nos sacrifices.


IX, PARFUM DE LA NATURE. — LES AROMATES.


Nature toute-puissante, habile et sachant toutes choses, ouvrière majestueuse, reine superbe, victorieuse et invincible, vivante pour tous, la plus honorable, la plus magnifique de toutes les choses ; vierge née la première, vierge éternelle, force toute-puissante qui guides dans la nuit les étoiles des cieux, vierge dont les pieds rapides ne posent à terre que des traces légères ; toi qui ornes les cieux, fin infinie de toutes choses, commune à tous et inconnue dans tes secrètes profondeurs, née de toi-même sans père, illustre par tes vertus ; divinité merveilleuse et fleurie qui portes en toi toutes les divinités ; divinité qui produis et nourris tout, qui habites le ciel et la terre et qui imposes encore tes lois aux ondes toutes-puissantes, toujours redoutable aux méchants et toujours amie des justes ; reine toute-puissante, victorieuse, éternelle ; déesse des jeunes gens et des hommes ; père et mère de tous, nourricière bienfaisante ; toute-puissante et bienheureuse déesse, perfection de toutes choses, sagesse universelle qui te meus régulièrement dans l'univers ; honorable et majestueuse déesse qui prends toutes les formes, qui dictes des lois aux mortels et qui fais courber sous ton sceptre la tête des rois ; reine intrépide, dominatrice universelle, fleur de la vie éternelle, immortelle déesse, toi seule es tout, car toi seule produis toutes choses. Je te supplie, toi et les Saisons bienveillantes, de me donner la paix et la santé et d’accroître toutes choses.


X. PARFUM DE PAN. — TOUS LES ENCENS.


J’invoque Pan, substance universelle du monde, du ciel, de la mer profonde, de la terre aux formes variées et de la flamme impérissable. Ce ne sont là que des membres dispersés de Pan. Pan aux pieds de chèvre, dieu vagabond, maître des tempêtes, qui fais rouler les astres et dont la voix figure les concerts éternels du monde, dieu aimé des bouviers et des pasteurs qui affectionnent les claires fontaines, dieu rapide qui habites les collines, ami du son, dieu chéri des nymphes, dieu qui engendres toutes choses, puissance procréatrice de l'univers, habitant des antres, dieu irascible, armé de cornes de bouc par la volonté de Jupiter ; c’est sur toi que reposent les limites solides de la terre génératrice, les flots bruyants de la mer éternelle et l’océan qui enveloppe la terre de ses ondes salées ; c’est en toi que repose une portion de l’air et le feu, puissant élément de toutes choses, base de la flamme éternelle ; c’est à toi que sont soumis tous les divins éléments : tes ordres puissants changent les lois de la nature, et tu peux augmenter à ton gré le nombre des années de la vie des mortels. Père tout-puissant, père triomphateur, accepte ces libations ; permets que ma vie ait une fin juste et favorable, et éloigne des limites de la terre toutes les terreurs paniques.


XI. PARFUM D’HERCULE. — L’ENCENS.


Salut, père Titan, Hercule au cœur plein de courage, doué d’une force prodigieuse ; dieu invincible, aux vastes mains, habile aux combats les plus terribles, père du Temps, éternel et bienveillant, dieu aux formes changeantes, dieu sauvage, invoqué par d’innombrables prières, dominateur tout-puissant, au grand cœur, aux membres solides, divinité d’un augure favorable ; dieu


  1. Les hymnes d’Orphée sont plutôt des prières que des œuvres de poésie : il est probable qu’elles se chantaient dans les mystères sacrés, et qu’on présentait en même temps le parfum qui s’adressait à chaque divinité.