Humour et humoristes/M. Gazier

H. Simonis Empis (p. 189-191).

M. GAZIER


Court de jambes, les yeux clignotant derrière les lunettes, le ventre proéminent, M. Gazier, ancien élève de l’École normale, docteur ès lettres, monte les marches qui conduisent à la Sorbonne. Une tache rouge marque sa boutonnière, ses pantalons s’évasent et son derrière bat ses petits mollets.

M. Gazier professe à la Faculté : il prétend qu’il y enseigne la littérature française depuis ses origines jusqu’à nos jours : aimable fumisterie ! M. Gazier, quoique janséniste et grisonnant, apparaît comme un humoriste délicieux, tout simplement, et la littérature française ne sert que de matière à son humour.

Nul mieux que lui ne pratique en effet l’art subtil du pince-sans rire. Il a joué à M. de La Fontaine, le fabuliste si apprécié, un tour que Paul Masson eût regretté de n’avoir pas conçu : il a classé ses fables par ordre de difficulté : il y a les fables faciles, les fables de difficulté moyenne, les fables difficiles. Il y a joint un cours d’histoire naturelle, où, jaloux sans doute du célèbre inconnu qui inventa le langage des fleurs, il décrit les animaux par les vertus et les vices qu’ils représentent : le lion est l’emblème du courage militaire ; le sanglier l’emblème de la grossièreté. Il y a semé aussi quelques définitions qui resteront : « Les pigeons sont de beaux oiseaux qui se nourrissent de grains », et quelques détails pleins d’originalité : « Le renard ne peut pas grimper sur les arbres et chasser les moineaux comme le chat. » Il n’a pas oublié d’ailleurs de nous apprendre que le pigeon a 0m30 de long, la taupe 0m10 de taille, le vautour 1 mètre de haut. Je trouve exquise cette ironique pose à la stupidité.

Vraiment M. Gazier est passé maître en ce genre d’exercice. Il se délecte à dire d’un air très sérieux et très convaincu des pensées naïves et dénuées de sens. Il écrit : « Toute œuvre qui appartient à la littérature française a pour caractère essentiel d’être écrite en français », et « Il est permis de croire que V. Hugo vivra surtout comme poète lyrique », et « Ces deux auteurs, quoique du même pays, ne sont pas du même âge. » M. T. Bernard fit-il jamais mieux ?

J’eus l’honneur et la joie d’avoir pour maître M. Gazier au temps proche encore où je préparais des licences, et je souffris de voir qu’on ne le comprenait pas. On exigeait de lui des qualités de professeur. On ne saisissait pas qu’il appartenait à la noble famille des A. Allais et des P. Veber. Qu’il me permette, en témoignage de reconnaissance, de remettre toute chose au point, et de lui rendre ainsi sa place parmi les humoristes, ses frères.