Humoresques
Quelle heure est-il ? Et la cloche tinte : |
Le notaire, le cousin et le poète
Vous font un trio d’amoureux, ô très chère,
Et si parfois vous riez peut-être
Du rêveur qui vous adore comme pas un,
Vous le laissez simplement se morfondre
Pour tendre la main aux écus du notaire
Et la joue aux baisers du cousin :
Ainsi va le monde.
Et cependant que votre mari
Qui se croit assuré contre le pire
Promène sa faconde,
Vous l’encornez et chacun rit ;
Il n’y a que moi seul, très chère, qui soupire :
Ainsi va le monde.
Mon cœur est triste : En nonchalant déshabillé ; |
COMME IL VOUS PLAIRA
Et pour vous, jolies dames de France, Est-il fol ou mélancolique à votre guise Ce tendre coeur? En tout honneur d'ailleurs, Car quelle belle pense A barbe grise? Je connais qui me hait Et je connais qui m'aime, Mais suis-je trop fantasque et trop gai, Ou trop pensif à votre gré? Par ma foi, je le sais peu moi-même: Croyez donc ce que vous voudrez. LA PIE AU NID
Qui trouve en son logis visage renfrogné Va courtiser servante et pot à bière; Oyez, belles trop fières, Oyez ce qui vous pend au nez. Mais toi, chère Marion, tu es toute ambroisie, Et miel et friandise de haut prix Et femme assurément à point choisie Pour ton mauvais mari. AU LUXEMBOURG
Le soleil d'août brille: N'est-elle pas trop roide en somme Cette rue? Regardons plutôt l'herbe drue, La rose, la jonquille Et le géranium. Une jolie fille sourit Et surpris J'ai un peu d'émoi; Le fin jet d'eau verse une larme; Une jolie fille sourit Et le fantassin porte l'arme, Mais ce n'est pas pour moi. Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques, Plus je n'y voudrai passer: Mon coeur y fut trop blessé Et durement mis à sac; Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques. LA GAVOTTE
Le bourgeois obèse Du dessus dort Dans sa chambre Louis Seize; Beaux doigts de ma voisine, Rejouez encor, Rejouez pour moi Cette gavotte exquise D'_Armide_; Et pardonnez très chère au fol émoi D'un coeur si timide: Car ce soir j'imagine Que vous voici marquise Et m'accordant enfin votre joli corps: Le bourgeois obèse du dessus dort. LE LOUP-GAROU
Vieux coeur tu peux t'aventurer chez la bergère; C'est l'heure du loup-garou, Et le mari dort au coin de son feu; La lune rit sans bruit dans le beau soir bleu; Eh! soyons vite audacieux, Vieux coeur: c'est l'heure du loup-garou Et des amoureux. NOCTURNE PROVINCIAL
Il serait vraiment sage De rentrer, je crois: Je sens que j'ai le nez Tout gelé de froid; Un passant attardé se soulage Au coin de la rue abandonnée. Hein! est-ce que je m'enrhume? J'ai le poumon trop délicat Pour cette brume: Ah! chère qui restez tranquillement Derrière vos persiennes, Ne ferez-vous donc jamais cas De la tendre antienne Si pleine de poésie De votre pauvre amant Transi? PENDANT LA PLUIE
Et toi, tu bois, Cher bourgeois Strasbourgeois Qu'on voit au travers de la vitre close, Tu bois en riant un vieux vin de choix Et ton nez rougeoie. LE MENUET
On dirait qu'en un parc inventé de Watteau Les ingénus et les belles Florises Se confient tendrement d'inutiles propos, Et que l'écho plaintif des rires musicaux Se mêle à la mélodieuse surprise Des jets d'eau. Mélancolique et charmant et fantasque un peu Le menuet délicieux et rebelle, Le menuet de Mozart s'égrène encor; Il pleut des roses, il pleut Sous les doigts savants de mademoiselle: Monsieur Durand de deux oreilles complaisantes Écoute le jeu de sa fille Laure Et bat la mesure sur son ventre. Et cependant que la dernière réplique D'un rythme plus vif se marque, Madame ravie vers le Prétendant Rose et frais dans son faux-col blanc Et sa redingote en fleur, Glisse un oeil oblique, Et le menuet cette fois se brise Comme un jet d'eau sous la brise Au fond d'un parc. LA BELLE D'ARGENTEUIL
Mieux eut valu du reste audacieux indiscret Qu'oiseux discours: La chemise s'échancrait En molle fente; Le jupon était court Et la fille riait de sa gorge charmante. Mais la peur de quelque bleu gendarme, O rimeur, te retenait sans doute, Car tu es revenu sur la route Sans la belle maraîchère d'Argenteuil Et même je crois une pointe de larme A l'oeil. LE MERLE
Le vent frais du matin secouait Les feuilles et les roses Et pour écouter le délicat virtuose Tout se tenait coi. Pourtant un bouffon manquant à la poésie De cet amoureux alléluia, Vieux galant cramoisi, Un coq à son tour s'égosilla. Mais vous dormiez, très chère, et n'aviez nul souci De cette pluie De notes, non plus d'ailleurs que de celui Qui est à votre merci. JEAN GOSSART
Je ne regarde que la route qui poudroie Par la fenêtre de l'auberge; Je n'écoute que cet oiseau dans le bois: Jean Gossart, n'as-tu pas le roi? Ton nez s'allonge comme asperge. Mais que le clocher fin de la Landelle Se voie de partout, Et tes cornes aussi, Jean Gossart, que m'importe, Puisque l'infidèle M'a fermé pour ce soir sa porte Et que je n'ai plus de dame d'atout. LA PLUME D'AUTRUCHE
Jusques à quand te croiras-tu donc damoiseau, Pauvre homme au poil déjà tout gris; Faux départ: L'amour une fois encore est venu trop tôt Ou trop tard. BONNARD
Digérons: cette heure est vraiment Exquise; Un peu de rêve sous la lampe flotte Et je me grise De l'odeur de cette nuque en fleur; Madame joue un air ancien, Un air tendre et cajoleur De gavotte; Monsieur descend faire pisser le chien. Chère âme, voici l'instant propice, Puisque la bonne est sortie ell e aussi: Aimiez-vous de la sorte, ô Juliette ou Lucie Ou douce Bérénice? Car notre amour enfin ne connaît plus de bornes, Et que le diable perde ses cornes Si ma main partout ne se glisse ... Mais la clé grince: La tulipe d'effroi Meurt et s'effeuille; Prudent et sans plus attendre Je m'enfonce dans le fauteuil Et madame de ses beaux doigts minces Reprend innocemment ce motif d'autrefois, Cette gavotte adorable et tendre,-- De Philidor, je crois. LA BRETELLE CASSÉE
Si vous riez encore, Aminte, Je ne serai pas dupe; Je le dis à maints et maintes, Et pendu sois-je si je mens: L'astre le plus charmant Que j'aie vu, je le vis sous vos jupes ... Mais fi! de l'indiscret Et trêve à ces réalités Qu'en dévot j'adorais; La lune se lève: Mes belles dames, permettez Que j'accroche à sa corne dans ce soir d'été Tout mon rêve. MATINES
Où irons-nous? Le vent est d'est: n'entends-tu pas sonner les cloches? Le rideau de nuages se dénoue Et le brouillard dans la vallée s'effiloche. A Saint-Aubin, à Ons-en-Bray, A Espaubourg aussi, partout voici matines: Quel amoureux regret, Chère hypocrite, te retient donc sous la courtine? MADEMOISELLE ROSE
Ça pique et c'est délicieux Mademoiselle Rose, vous savez bien; Ça pique et ça met une larme aux yeux, Pour rien en somme, pour rien ... Autrefois c'était une fraîche rose Que je vous offrais, et cela aussi, Cela aussi, mademoiselle Rose, Mettait une larme claire entre vos cils. Mais maintenant vous avez bonnet et jupe A la mode ancienne: Hélas! nous sommes restés tous deux dupes De nos mutuelles antiennes. Et maintenant quand on cause, Et maintenant que voulez-vous qu'on dise? Une petite prise, allons, mademoiselle Rose, Une petite prise ... LE GARÇON MEUNIER
Je regarde en chemise à travers la vitre Le paysage obscurci; Ah! qui donc siffle ainsi une chanson au loin? Il me semble que le moulin Bat plus vite Et mon coeur aussi. Une fenêtre s'est ouverte à petit bruit: Belle meunière, est-ce la vôtre? La lune en rit, La lune haute Dans le vieux ciel couleur de taupe Et de souris. Votre bonhomme de mari trotte au grenier Et le gendarme dort comme un loir dans son lit; Le rat grignote, le chat joue Et seul en chemise et rêvant de vous, Je m'enrhume, ô très jolie: Mais où est le garçon meunier? SOUS LA CENDRE
Et moi aussi malgré La rose à jamais morte dans l'automne d'or Et que de plus en plus ce poil gris pousse, Je chante encore, Et comme un baladin qui fait danser un ours Sur le pré, Je traîne en souriant un coeur désespéré. LA CHAMADE
Ah! quel trictrac sentimental et tendre Se cache sous ce sein fleuri; Jamais Clitandre ni Cassandre. N'en sauront le prix. Mais moi, très chère Chaque soir j'essaie d'accorder mon âme A votre subtil sourire, Et très dévotement je vous révère, A l'égal de la dame De Tyr. LE CHEF D'ORCHESTRE
Il a cogné sur le pupitre à musique Son minuscule bâton d'ivoire; La contrebasse a rajusté ses bésicles Et les danseurs les roses de leurs habits noirs. Voici que les archets réveillés vont et viennent Pour jouer de vieux airs oubliés, Et les violons avec leurs danses anciennes Font courir les petits souliers. Les cavaliers se penchent un peu Sur les épaules émergeant des velours Et murmurent de tendres aveux Et des propos spécieux d'amour. Les tailles souples se ploient, Les mains se serrent plus doucement Et sous les flottantes cravates de soie Battent plus fort les coeurs des amants. Mais comme le chef d'orchestre comique et discret A cessé de gesticuler en mesure, Les petits souliers s'arrêtent à regret Et les couples s'en vont dans les embrasures. C'est l'heure où les amoureux demeurent songeant Et chuchotent tout bas dans l'ombre des croisées: Le chef d'orchestre en sa tabatière d'argent A repris du fin tabac d'Espagne à priser. VUILLARD
Tout autour de nous le souvenir traîne Ainsi qu'un chat maigre sur le plancher; Tout autour de nous le souvenir rôde Et l'antique marbre noir est jonché Des clairs pétales jaunes D'une rose. La nudité sournoise de ton cou charmant Et beau comme un frais bouquet Réveille un moment mon désir de vieux faune, Mais je me mens à moi-même Sans doute, ou je n'ose. Et je me verse simplement En Roméo trop fatigué Qui n'use de nul piment, Un peu plus de crème. LES AUDACIEUX
Que le jet d'eau mélancolique jette Au clair de lune ses volutes Tant qu'il voudra; Poussons la fenêtre Et prenons la belle en nos bras: C'est l'heure, messieurs, C'est l'heure ou jamais d'être Audacieux. Plus n'est besoin des cordes aux lucarnes Ni des airs langoureux de flûtes Dans la bise des carrefours: Voleurs d'amour N'ont point peur du gendarme! Voici les jolies roses dans le linge blanc; Il ne faut plus de flûtes, Ni de guitares, ni d'aveux tremblants, Car où sont les galants cérémonieux Que vous fûtes, Messieurs?... Froissons les jupes! L'EAU CLAIRE
Faire ce rêve: S'enivrer du parfum d'une rose brisée Et des deux lèvres Ouvertes pour le baiser. Vivre en somme d'amour et d'eau claire Tant qu'on aime, Puis s'endormir à jamais au son d'un vieil air Mélancolique de Bohème. Et dire que cela même est folie De demander si peu Et qu'il faudra mourir un jour sans sou ni jolie O mon Dieu!... SOUS LE BALCON
La lune dans la nue Met sa double corne; Un couple contre le mur orne Un peu plus un mari biscornu. Mais moi j'allonge en vain Sous le balcon un nez rougi De froid et non de vin: La belle en sa chambre a soufflé la bougie. LE TRÈFLE BLANC
Où est le temps où moi aussi Je faisais l'amoureux, Le temps de Berthe et de Lucie Et de la femme du marchand de Dreux; Où est le temps des coeurs tremblants; Et de ma barbe noire et de vos blonds cheveux, Où est le temps? Derrière la haie les galants s'en vont Et l'amour à leurs trousses sourit; La jeune herbe bleue tremble dans le vent Et moi, qui reste seul, je me morfonds A regarder le trèfle blanc Et tirer sans répit les poils gris De mon menton. BROUWER
Mon cher Brouwer, il me faudrait Pour décor propice Un de tes paysages hollandois Où l'on voit le cul rose de quelque bon drille; Mais ici je n'ai que prés et forêt, Avec là-bas un joli bouleau tout droit; Mon fusil brille Contre la barrière de bois Où mon chien pisse, Et je fais ce que fait le Roi. LE RETOUR
Je pousse la porte: Bon aubergiste me voici; La dinde est-elle bien farcie Et la servante accorte? Je m'assieds près de la croisée Humant l'odeur des fleurs avec celle des plats; Le chat ronronne, l'oie s'effare, Mais la commère n'est plus là Et je ne vois hélas! que l'image brisée Du fin peuplier dans l'eau de la mare. LE POMMIER TORDU
Il y a un vieil homme gris Près du feu; Ne soupire donc pas pour si peu: Le chat au grenier guette la souris. Il y a un oiseau qui chante sur la branche; Il y a un garçon qui siffle sur la route; Vieux mari, fais chauffer la soupe: Ta femme reviendra dimanche. LA PINTE VIDE
Pourtant le printemps tremble et dans l'air attiédi Traînent des souffles de bonheur et de lilas; Pourtant le vieil amour a passé là Jadis. Hélas! jeunesse est loin Et voici la pinte et la bourse vides; Il ne reste plus maintenant que ride Et chagrin. CHRONIQUES
DU TEMPS DE PHILIPPE VIII
A LA TERRASSE
Et tandis qu'un nuage flottant Au-dessus de Paris Filait dans l'espace, La brise fine du printemps Portait du Luxembourg jusqu'à notre terrasse L'odeur des marronniers fleuris. LE NAIN
«Est-ce toi, dis-je, ma douce Colombine, Fluette fée en robe à vertes dentelles, Ou toi, sire Arlequin de triste mine, Qui viens céans rallumer ta chandelle?» Mais ce n'était ni Colombine, ni son duc, Ni même quelque oiseau déplumé d'Edgar Poë: La porte s'ouvrit à mon nain caduc Qui avait une mitre pour chapeau. Il portait sous le bras quelque volume Énorme à reliure de parchemin, L'histoire de Krespel ou d'Ulalume Sans doute, à fermoir d'or et filet de carmin. Il le posa sur un livre d'André Gide; (C'était d'adorables _Chansons de Bilitis_); Il regarda narquois mon encrier vide; Ota sa mitre mirobolante et sortit. DEVANT L'OBÉLISQUE
Voire file jusqu'à Meudon Ou Saint-Cloud; Feuille morte au bois est mol édredon Et Madame n'a pas peur du loup. Le brouillard bleu de Seine argente les collines; Le paysage est exquis Comme un croquis De Stanislas Lépine. Déjà l'agile violoniste Frotte l'archet de colophane; Dans les yeux clairs mi-clos des femmes Un éclat singulier persiste. La cloche sonne Pour l'embarquement; Allez les belles et les amants: Sur le ponton ne reste-t-il personne? Clique amoureuse, adieu: mieux vaut laisser ici Tout seul devant l'obélisque Le birbe barbu, certes! mais trop triste Que je suis. LES TROIS ÉCUS
Ainsi s'en va la République, tout cloche: Que de fois hélas! que de fois Je n'ai eu qu'un écu en poche Quand il en fallait trois. LA FLEUR SÈCHE
Je rêvais doucement de celle Que tu sais bien et qui partit je ne sais où, Séduite sans doute par l'escarcelle D'un vieil amoureux radoteur et fou. Je regardais la lune au travers des branches D'un cerisier mort qu'on n'a pas abattu, Quand la bise, je crois, ou ma manche Tourna la page rongée par tes dents pointues. Est-ce le simple froissement du papier, Ou quelque autre mystérieuse cause, Qui te fit sauver ainsi, à pieds Légers, à pieds fourrés de bas gris et roses? Est-ce cela vraiment? Ou d'avoir vu la lumière Hésitante du jour qui se lève, Qui te fit fuir, chère souris coutumière, Comme mon rêve, comme mon rêve ... JEUX D'EAU
SUR L'AVENUE MONTSOURIS
Ma jolie voisine déjà levée A sa croisée paraît Et le coeur tendre qu'en vain j'offre Bat plus fort sous l'étoffe Vraiment trop mince du gilet: Aimerai-je de la sorte et sans halte Jusqu'au dernier souffle? Le jour devient couleur de craie Et cette belle qui par-dessus tout me plaît De sa fenêtre peut voir sur l'asphalte Le poète Klingsor avec sa boîte au lait Et ses pantoufles. FRANCIS JAMMES
Francis Jammes, dormez-vous encor? Le joli lièvre roux Essuie la fine pluie De ses moustaches Et le vieil âne à l'oeil humide tâche D'attraper enfin la fleur d'or Du pissenlit: Francis Jammes, Francis Jammes, dormez-vous? Il n'est plus un grelot de mule qui se taise Et ne fasse un concert féerique Sous l'accompagnement sourd des coups De trique; Il n'est plus un soulier du cordonnier d'Orthez Qui ne résonne sur le pavé; Ah! l'heure n'est plus de rêver Du cousin des Indes ou d'Amérique: Francis Jammes, Francis Jammes, dormez-vous? DU BOUT DE LA RUE DU BAC
Bateliers, bateliers, pourquoi donc partez-vous? Ce paysage ne peut-il suffire? Laissez le gouvernail et le souci Et vous, charmantes mains, laissez les clés; Le temps fera le ton de ces pierres plus doux, Mais je ne serai plus hélas! ici Pour regarder cette eau couler, Ni ma folle jeunesse s'enfuir. RÊVERIE D'AUTOMNE
Monsieur le professeur est assis Sur le banc vert du jardin anglais Et tourne ses pouces d'encre noircis Sur son gilet usé à ramages violets. L'automne mélancolique ce soir Commence à rouiller les feuilles sans sève: Monsieur le professeur les regarde choir Une à une, et rêve ... Monsieur le professeur a des lunettes d'or Sur son nez long d'une aune Et des fils d'argent dans ses cheveux jaunes Et multicolores. Et pourtant monsieur le professeur fut jeune homme Probablement, rose au jabot, sourire aux lèvres; Mais maintenant, monsieur le professeur rêve Et contemple le soir d'automne. Monsieur le professeur songe à madame Rose Sa ménagère au teint rosé de lilas; Monsieur le professeur rêve et pose Dans le creux de sa main son front las. Un espiègle tire son mouchoir à fleurs; Un air suranné d'épinette s'achève; Au fond du vieux jardin anglais le jet d'eau pleure: Monsieur le professeur rêve ... FRÉJOL
Charmant bourgeois Qui décampas du logis L'oeil tout en joie, Ton nez comme aubergine rougeoie Aux bougies. Le poétique clair de lune sur l'osier Peut luire et le rossignol gris s'égosiller, Tu t'en fiches: Fréjol et Frégoli sont sur l'affiche. Et cependant qu'un vieil alcool descend la pente De ton gosier à col crasseux, Madame au coeur tendre se penche Et sournoisement se grise de ce Que Fréjol chante. MADEMOISELLE DE MONTPENSIER
Hé! hé! la fine jambe que voici! Le bourgeois assis Vers elle glisse Une oeillade d'amour farcie; Ce hautboïste emplit les coeurs de poésie: Qu'en dites-vous, nourrice? Chut! le capitaine de musique s'assied Et la petite flûte s'est tue; Charmante épouse courroucée, Ne crains plus rien pour ma vertu: Je ne regarde que la statue De Mademoiselle de Montpensier. LE DÉFILÉ
La femme de l'adjoint se penche à la fenêtre Et son pauvre coeur bat comme un tambour; La femme de l'adjoint regarde tour à tour Les jeunes officiers paraître et disparaître. Soeur Anne, soeur Anne, ne vois-tu rien venir? La Margot t'a plumé comme un dindon charmant; Mais quoi, voici passé le régiment Et Madame est prête à s'évanouir: Où donc es-tu, lieutenant? MONSIEUR ANGOT
Avez-vous bien dormi, chère jolie? L'aubergiste déjà réclame notre écot; La lune est loin, le rossignol d'amour s'est tu Et Monsieur Angot ronfle dans son lit: Avez-vous bien dormi, chère jolie? Assurément il est pointu Le bonnet de coton de monsieur Angot. Votre coeur ce matin est-il triste ou léger? Faut-il que nous allions songer sous la charmilleOù le corbeau LE POULET AU BOUT DE LA FICELLE
Le bruit de la fusillade se fait si faible Qu'on ne l'entend plus qu'à peine; Brigadier Fricard et toi Bridaine, Toastons; Nul poème Ne vaut cette volaille entre ces trois bâtons. Et des buveurs de bière, foin! Le fin canon de France leur répond; Fricard, est-ce que la vie t'importune? Encore un peu de ce vieux vin De Mosell e exquis, Encore un peu de ce chapon, Puis nous dormirons sous la lune, Vous deux rêvant de blonde ou brune, Mais moi, de qui?... GOOSSENS
Et faisant tressaillir la trop sonore vitre, Avec un lointain roulement sourd, Le dernier autobus traverse l'avenue Montsouris. SUR LE QUAI
Surtout quand le poumon est en capilotade Comme le vôtre hélas! comme le mien aussi; Mais n'est-ce le moindre souci Auquel on s'attarde, Lorsqu'Amour, ce traître, bat le briquet? Paysage fin et mélancolique, Certes je t'ai toujours aimé, Avec tes chalands se berçant sur l'eau, Tes feuilles qui s'en vont au vent tourbillonnant, Tes vieilles maisons aux toits inégaux, Tes boîtes de bouquinistes fermées Et la boutique de musique De Monsieur Pugno,-- Mais maintenant?... MONSIEUR DE LA GANDARA
Dans la douceur de ce soir printanier Le vent léger transporte une odeur de lilas; Le sergent de ronde fait sonner ses clefs; Les couples s'isolent dans les allées Et monsieur de La Gandara qui s'attarde A contempler la couleur rose-thé Des balustrades, A son tour s'en va. De sorte qu'au fond du vieux parc déserté Où le fantassin de la République Veille et s'engourdit, Les belles reines de marbre, Droites et mélancoliques, Restent seules à rêver du temps jadis, Au clair de lune sous les arbres. L'OISEAU DE BOIS
La rose jaune de Fontenay Dans le verre agonise; Le bon bourgeois est en chemise Bougeoir en main et blanc bonnet De coton sur la tempe grise. Et tandis que l'oiseau lourd et merveilleux plane, Dans mon lit une fois encore je me tourne, Et comme au temps du vieil Haroun Je rêve d'une fine princesse persane Aux yeux obliques de velours. ENVOI
Le rossignol peut sangloter d'amour Et quelqu'un peut chanter tour à tour Sa peine, sa joie ou son doute: Personne n'écoute. Chacun me déboute: Qui donc aurait cure D'une bourse mince Et d'un coeur obscur, Hormis vous sans doute, Prince?
CHANSON DE BONNE HUMEUR
Savez-vous que la robe bleue Est froissée et le ruban blanc fripé? Courez vite chez le drapier, Même s'il vente, même s'il pleut: Courez donc, Monsieur. Mais du reste, de la dragée, du mimosa, Un autre se chargera mieux; Mais du reste, du baiser et cætera, Un autre se chargera: Bonjour Monsieur. LE TENDRE RAILLEUR
Que j'ai une larme au bout de mes cils Ou le coeur en joie, Que je me moque ou bien que j'aime, Que je me taise ou que j'écrive un poème, En quoi cela vous touche-t-il, En quoi? CHANSON DE MONSIEUR BENOIST
Qui peut savoir où le vent file? Bon courage, monsieur Benoist; Qui peut savoir où le vent file? Rêve de femme est plus subtil; Prends ta canne de bois Des îles. Que femme au retour crie ou danse, Bon courage, Monsieur Benoist; Que femme au retour crie ou danse, Prends ta pipe, Monsieur Benoist. Prends ta pipe de bois De France. CHANSON DE LA MERLUCHE
Certes l'eau de la cruche Ne vaut point chopine De vin du Rhin; Mais un liard vaut mieux que rien Et Margot dans un lit Vaut bien la plus jolie Dauphine. OÙ LE COQ A-T-IL LA PLUME?
Dans les doigts de la servante Qui l'arrachent au croupion bleu; Où le coq a-t-il la plume? L'eau dans la marmite chante Sur le feu. Où le coq a-t-il la plume? Sur le vieux volant de bois Qu'on jette jusqu'en haut Du toit; La cheminée fume Et la soupe bout sans bruit dans le pot: Où le coq a-t-il la plume? LE BOURGEOIS DE DREUX
Dinde en un plat creux Vaut dinde à travers champs; Que choisis-tu marchand? Les deux. Servante au joli cou Vaut bourse d'homme heureux; Que gardes-tu, grigou? Les deux. Et c'est ainsi que devant l'oignon cru Riaient la fille et le bourgeois de Dreux, A l'auberge des deux Écus. CHANSON DU ROI DE PRUSSE
Si le roi de Prusse l'avait voulu, Vieux baudet d'Espagne perclus, O chère vieille bourrique D'Andalousie, Tu serais aussi droit qu'un i Sous les coups de trique, Si le roi de Prusse l'avait voulu. Si le roi de Prusse l'avait voulu Lanturlu, Cher escargot gris Tu n'aurais plus d e cornes, Ni toi non plus Pauvre vieux mari Qui ris jaune, Si le roi de Prusse l'avait voulu. AU JOLI JEU DES FOURBERIES
Amour fait voir le noir blanc Comme liseron; Toujours les filles se prendront Aux becs des galants. Toujours les garçons seront pris Aux sourires des filles; Au joli jeu des fourberies, Tous les coeurs servent de quilles. Et moi tout grison que je sois, Je ne suis point guéri de la vieille folie Et je voudrais aimer une dernière fois: Toute douleur s'oublie Pour cette joie. BONJOUR OLIVIER
Bonjour Olivier: Le matin frais argente la colline Et l'herbe au soleil verdoie; L'écureuil sur le hêtre essuie Sa moustache fine Et le coq de bruyère a traversé le bois; Mais où est donc votre fusil? Chasseriez-vous autre gibier? La tendre femme du meunier En sa maison de farine Attend-elle votre arrivée? Courez vite: le mari S'en va sur son âne gris Le nez au vent et l'heureuse mine; Bonjour Olivier. QU'AS-TU DE JAUNE A TON CHAPEAU?
Et toi, mari, et toi, Qu'as-tu de jaune à ton chapeau? La plume claire d'un loriot, Ou quoi? A STRASBOURG EN FRANCE
Dans l'air assoupi Le clairon résonne: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas une pomme D'api De ton royaume. Sur le clocher fin Le coq s'égosille: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas une aiguille De pin De ton royaume. Le parler d'oïl Partout se chuchote: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas ma pelote De fil Pour ton royaume. A Strasbourg en France Damoiselle Lise danse Quand vient la cigogne avec l'hiver, Et maître Ulric emplit sa panse De bière, A Strasbourg en France. QUI EST GRIS?
Chère, ce soir sans lune, Entre chien et loup Est d'une poésie Assez bien choisie Pour ceux qu'importune Un jaloux: Chère, qu'en pensez-vous? A quoi bon ouvrir la lucarne? Qui met ainsi cornes au vent S'enrhume, crois-m'en, Le plus souvent; Amour ne chauffe sur son gril Que les amants; Rentre ton crâne Grigou charmant; A quoi bon ouvrir la lucarne: Tout est gris. LE COQUEBIN
Je tourne autour de votre coeur, Belle, mais je ne sais tourner la clé, Et le vieux mot fou sur ma lèvre meurt; Je tourne autour de votre coeur, Mais je n'ose parler. Je tourne autour de ton jupon Belle, belle, et je froisse le lacet brisé; Je tourne autour de ton jupon, Lison, Et n'ose oser. CHANSON DE LA TULIPE
As-tu vu la queue du diable La Ramée? Non? Alors à quoi bon Vous mettre toute une armée Pour la tirer comme un câble? Mais qui donc, pauvre homme Ou savant astronome, Mais qui donc en somme A lui-même vu ses cornes? Personne. RONDE DES RADIS GRIS
Et le merle que dit-il Dans sa cage de vieux fil De fer, Et la tourterelle blanche Dans le bois de la pervenche, Et le loriot jaune en l'air, Et le moineau sur la branche? Bonjour Madame, nous reviendrons dimanche. Bonjour Madame, où est votre mari? Il est dans son jardin qui cueille des radis, L'oseille verdoyante, aussi la chicorée, Et les oignons qui font pleurer Et puis les courges dont on rit; Mais le merle, qu'a-t-il dit? Bonjour Madame, nous reviendrons jeudi. LA STRASBOURGEOISE
Chère épouse Trop jalouse Où allez-vous donc ainsi? La servante Rit d'avance: Votre mari n'est pas ici. Et vous rose écolier Tout de noir habillé Où allez-vous donc ainsi? Madame hélas! vient de sortir: Amour ne conduit guère qu'à soupirs Et souci. LA POULE JAUNE
LES NIAIS
Qu'un nigaud à la lune confie Son frais amour d'une voix rauque, Ou qu'il s'enrhume dans la rue A faire le pied de grue, La fille s'en moque. Que le mari berné à la fin crie Contre la faible épouse tout à son aise, Qu'il appelle aux gendarmes à grand bruit, Ou qu'il se taise, Tout le monde en rit. CHANSON DU BOUT DE L'AN
Combien y aura-t-il de rides Creusées l'une après l'une, De cornes nouvelles, de bouteilles vides Et de rêves enfuis avec les vieilles lunes? Ah! rions-en: chanson vaut mieux que patenôtre; Un galant remplacera bien un galant Et toujours une folie chassera l'autre, D'un bout à l'autre bout de l'an. QUAND IL PLEUT A BLOIS
Quant il pleut à Blois Il fait sec à Dreux; La femme mûre embrasse un jeune gueux, Et le mari boit Sa coupe jusqu'à la lie; Qu'en dites-vous, Monsieur de la Mélancolie? En ce monde, mon Dieu, Rit-on trop ou trop peu? La cuisse la plus jolie Un jour est sèche comme pieu; La terre tourne comme elle peut; Qu'en dites-vous, Monsieur de la Mélancolie? CHRONIQUES DU CHAPERON
ET DE LA BRAGUETTE
LES BELLES DAMES DE PARIS
Les belles dames de Paris Du Pont-Neuf à la Concorde Ont de beaux visages poudrés de riz Et de mignonnes mains gantées de gris. Mais elles ont mieux Pour les galants audacieux, Elles ont mieux encore Que beaux habits et beaux yeux; Elles ont mieux que fraîches mines Malicieuses de souris: Elles ont de gracieux corps Sous les chemises fines; Elles ont cuisses et jambes jolies Et veloutées comme fleur ou fruit Dans leur lit, Les belles dames de Paris. LE CHAPERON
Chaperon est encor maigre sorcière A nez crochu, doigts effilés Et manteau fourré de renard, Qui tient les pucelages sous clé Et garde la vertu dans une souricière A l'abri des chats blancs ou noirs. Chaperon est petit chapeau rose ou bleu De satin ou de fin velours ouvré; Est aussi vieille gardeuse de pucelles: Entendez-le, Mes beaux messieurs et vous mes belles jouvencelles, Entendez-le comme vous voudrez. FRÈRE JACQUES
Et la Marion que fait-elle Pour que sa fenêtre soit encor fermée? Monsieur le vicaire est à l'autel: N'a-t-elle pas mis son fichu de dentelle Et pris son rameau de mai? Ah! Ah! voulez-vous qu'on dise: Frère Jacques couche avec la Marion Qui a la cuisse ronde et le pied mignon Plutôt que d'aller à l'église Faire tinter le carillon? Au revoir, au revoir, frère Jacques: Dormez ou faites le sourd, Tout le monde connaît les tours Que la Marion a dans son sac Pour retenir au lit les vieux braguards d'amour. L'OREILLER
Ni oreiller de duvet d'oie Ni lit de laine molle garni, Ni vieux fauteuil couvert de soie, Ni chaise à porteurs d'autrefois, Ni coussins de satin mauve, Ni le trône du prince de Bohême, Ni même, Je crois, Le carrosse de Louis Quatorze, Ne valent si précieux nid: Cuisse de femme est douce chose Et tour à tour délice de pauvre Ou joie de roi. LE SEIGNEUR DE HOCHEQUEUE
Et que sa bonne dame s'amuse à la besogne Autant que nonnain rusée De France ou de Gascogne Pour plaire au diable peut s'amuser, Entre son feu, des huîtres, une géline, Deux fioles et un pâté de Tours, Le vieux seigneur de Hochequeue dodeline Sa tête blanche sous son bonnet de velours. Et pendant que sa dame confesse ses péchés Au petit chapelain mignon dans l'oratoire, Et que l'échanson et la servante vont chercher Quelque fine bouteille à boire, Il appelle son lévrier par la porte ouverte Et cueille d'un geste négligent La dernière huître verte Qui baille à mourir dans un plat d'argent. LE LIT CHAUFFÉ
Au dehors le froid gèle le nez Des amoureux qu'on oublie Et qui font le pied de grue, Tandis que les cocus mal encapuchonnés Veillent dans la rue; Commère, il faut chauffer le lit. Ote ton corset que tes tétons brisent Et tes jarretières agrafées Qui laissent sur tes cuisses leur marque rougie Et moi je viendrai haut trousser ta chemise, Quand tu auras soufflé la bougie Et quand le lit sera chauffé. LES MUSICIENS GALANTS
Les barbons moroses s'encapuchonnent En leurs manteaux fourrés d'hermine Et les amoureux transis de Bourgogne Sous la bise font triste mine. Le froid pince aux cordes des guitares Les doigts des musiciens sous le balcon, Des musiciens venus trop tard, Et cramoisit leurs nez rubiconds. Remportez vos bouquets, messeigneurs; Colombine a ce soir soufflé sa chandelle: Peut-être aurez-vous demain sort meilleur Si son jaloux d'Arlequin n'est pas près d'elle. Et pendant que ce vieux fou de duc traîne Encor sa rapière d'un air méprisant, En son lit la vive et friande châtelaine Dépucèle son petit page de quinze ans. LE POSTILLON DE LONGJUMEAU
Bon postillon de Longjumeau Avec ce tronc de cône que tu inclines Sur ton oreille en guise de chapeau, Bon postillon de Longjumeau Arrête ta berline. Je veux monter dans ta guimbarde Et tu pourras fouetter ta haridelle, Car il me tarde D'être auprès de la belle Dont je suis l'amant fidèle. La route est fleurie et jolie à suivre; Fais carillonner tout le long l'argentine Sonnerie des grelots de cuivre, Et fais envoler la poussière fine Sous les roues de ta berline. A la croisée de son château m'attend celle Aux yeux d'or vert troublés d'émoi, Aux lèvres chères de jouvencelle; Bon postillon de Longjumeau, grimpe en selle Et vite, vite, emmène-moi. Galope et tu auras vingt beaux sols français, Bon postillon de Longjumeau, vingt ou trente, Et de plus quand ma mie ôtera son corset, Tu pourras toi aussi caresser la servante, D'une main leste, jusqu'où tu sais. LE MÉNÉTRIER
Quand le ménétrier des morts est passé Avec un tibia pour archet, Abbés papelards, mitrés et crossés, Pourvus de pécheresses et d'évêchés, Ont lampé leur dernier pichet Et sont vite allés se confesser. Et toi aussi, chère petite adorée, Tu as mis ta collerette de neige Et ta couronne de fiancée Pour suivre l'étrange cortège De danseurs et d'amoureuses au bout du pré. Quand le ménétrier des morts est passé. NOCTURNE
Échelles de corde Et douces escalades d'amour, C'est l'heure propice; Le veilleur qui siffle en faisant son tour Pisse Sans y voir goutte; Échelles de corde, Adroits rendez-vous Et balivernes qu'on écoute, C'est l'heure complice; Au gracieux drille un baiser s'accorde, Au gracieux drille on accorde tout. Mais sur le vieux fou Qui donne en vain des sérénades, La servante vide le pot de nuit, Et tandis que l'amoureux éconduit s'enfuit Et que la fille rit aux larmes, On entend au loin s'avancer la garde Au pas de parade Et chaque croisée vite est refermée; A la barbe des gendarmes C'est l'heure d'aimer. L'ESPAGNOL DE HOLLANDE
--Holà! maraud, pendard, bourrique, Coquin d'hôtelier, que fais-tu? Apporte-moi vite une pinte de bière Ou je vais caresser tes reins de vingt coups de trique. Hé! Hé! Marion venons ici; Vous devez être, pardieu, une drue commère A califourchon comme vous savez. Peuh! cette bière est amère: Ta bouche l'est-elle aussi? Ah! ne fais pas l'effarouchée; Tu seras moins prude chemise levée Et j'aurai, foi de Rodrigue Sanchez Un plaisir extrême A vaincre tes petites roueries Et faire cocu ce soir même Ton bélître de mari.-- Mais comme l'aubergiste s'est montré Sur la porte en sabots de paille Avec un bâton dans sa main serrée, Notre Espagnol a fait celui qui raille Et lâché la Marion aux cuisses malmenées En renfonçant sa tête dans son collet fourré Et cachant dans sa chope de grès L'aune de saucisse de son nez. DOM RUYS
Mais sans s'émouvoir de cette horde De mendiants, de guenilleux, de roués, De gratteurs de guitare et de traîneurs de corde, A la grêle d'injures qui pleuvait, Dom Ruys répondit par un coup fort bien trouvé Du plus neuf de ses trois chapeaux troués. De sorte qu'ayant tourné le coin de rue, Il put envoyer un sourire léger A cette infatigable grue De vieille duègne à douillettes lippes, Qui lui coulait une oeillade enragée De sa fenêtre où fleurissait une tulipe. BILLET
LE COCU
Et l'aubergiste qui joue aux dés avec lui Rit tout bas de le voir naïvement féru De la donzelle dont l'oeil noir reluit, Et triche comme un escroc En guignant sa bourse gonflée d'écus. Cependant que don Pedro Qui porte un bouquet de roses à sa rapière Vient mystérieusement du bout de la rue Pour caresser derrière une porte l'hôtelière Et faire ce baudet d'hôtelier cocu. LA QUERELLE
Très doucement le soir tombait Et noyait d'ombre la rue Où se croisaient injures et quolibets: --Tu finiras par le gibet. --Et toi par la vérole, vieille grue!-- Et c'est ainsi que jasaient deux filles du Christ, Ce soir là, par la bonne ville de Grenade, Et dans l'air parfumé d'orangers fleuris Ne se mêlait par instant à leurs cris Qu'un bruit lointain de sérénades ... LES DEUX GONDOLES
Holà! Luc et Gennaro, venez ici. Écoute, toi, Luc, J'ai deux mots à te dire à l'oreille. Prends en ta barque monseigneur le duc Et chavire un peu, par chance sans pareille Sans que personne en ait souci. Et toi, Gennaro, conduis-moi sans bruit. Par le pape, la Salviati, mon cher, Cette fine mouche, A la plus exquise chair D'Italie et si séduisante bouche, Que je jure de la baiser cette nuit! LE MAQUEREAU
Pour une nuit de ma maîtresse Avec un vieux fou dont la barbe est grise J'arrondis ma bourse de gentilhomme Et je me grise Comme Un évêque avec les filles que je caresse. Pour un coup de trique à ma maîtresse J'ai les beaux écus qu'elle subtilise, J'ai manteau de soie et bottes à revers, Et tous ces imbéciles d'alguazils Quand je viens à passer restent découverts Devant don Alfonso Gonzalez de Xérès. L'HEURE DU FAUNE
Bergère ou marquise, c'est l'heure du faune; Souriante et perverse et le coeur très tendre, Madame à dessein lève un peu trop haut Sa jupe, et ce cher grand nigaud De Clitandre Met enfin les mains partout; Géronte crève d'une quinte de toux Et le mari que personne n'attendait Rit jaune: Figaro vide le bidet. L'ATTENTE INUTILE
Ou préférez-vous bourse de velours Et garnie d'écus neufs à poignée? Vieux paillards sont là, vieux braguards charmés, Tout prêts à gentiment vous besogner: Voici votre tour D'aimer. Ah! jolie fille qu'attendez-vous ainsi? Profitez de l'heure; Beaux yeux un jour seront pleins de chassie, Dents branlantes et piquetées de trous; Vous serez vieille alors et toute en pleurs: Jolie fille, qu'attendez-vous? LE PRINTEMPS
Madame Juliette qui s'éveille Regarde ses lilas à la croisée, Regarde Monsieur son époux qui dort Le bonnet de coton sur l'oreille, Regarde sa cuisse exquise encor, Plus friande que cuisse de jouvencelle, Et rêve des maladroits baisers D'un coquebin naïf qu'on dépucèle. Le curé trousse sa servante Et le bedeau quelque commère, Et toi comme un ange charmant du Bon Dieu, Tu viens vers nous, Printemps, tout vêtu de vert De rose et de bleu. L'ANNEAU D'HANS CARVEL
Comme aux fabliaux d'amour d'autrefois Du gentil Boccace à Pise ou Sienne, Qui veut venir cueillir la rose au bois? On s'acoquine aux chers mignons minois Sous la jalousie ou sous la persienne, Et l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt. Joufflu Jean d'Anjou souffle en son hautbois Et joue une villanelle ancienne: Qui veut venir cueillir la rose au bois? Mais quel escholier juché sous un toit Qui n'ait eu folle bouche sur la sienne Et l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt? Et quelle aïeule à son rouet des rois Qui, filant son fuseau, ne se souvienne D'avoir aussi, cueillant la rose au bois, Mis l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt? L'AMOUREUX
Le feu flambe clair sous la soupe, Le feu de copeaux secs et de vieux bois, Mais j'ai tremblé tant au vent d'hiver sur la route Que je tremble encore, je crois; C'est si drôle l'amour, j'embrasse ma douce: --Marion n'as-tu pas fini d'écosser tes pois? La cuiller à pot a chu sur ma tête: --Vilain, t'as le nez tout gelé de froid Et la barbe trop raide! J'ai caché ma tête sous mon bras: --Marion, ma bonne Marion, arrête! Marion continue d'écosser tes pois.- LA MARGOT
Mais pied de fée est peu de chose Et votre moindre souci: Or la jambe est potelée et rose Et le reste aussi. Tous les coquebins s'en vont le soir songeant A sa douce chair exquise, Mais la bouche coûte un angelot d'argent Et le reste un château de marquise. Au corps d'un évêque elle vous glisse un diable A lui donner à jamais la berlue Et prend les moinillons à ses oeillades, Comme des moineaux à la glu. Je fus son amant aussi, messire: Si j'ai barbe trop dure et trop grise, Manteau de loques et doublure pire, J'eus pourpoint de velours de Venise. Nous avons rêvé tous les deux à la lune; J'étais son cavalier servant jadis: Elle a laissé l'oiseau sans une plume Et ma bourse sans un radis. Et maintenant riant de ma triste mine, Elle enjôle le bonhomme de Limours Dont l'habit de soie est fourré d'hermine Et le coeur fourré d'amour. LA MEUNIERE DU MOULIN A VENT
C'étaient trois petits fous de pucerons Qui fourrent le nez partout, Qui sautent de la hanche au genou rond, Et l'ont mordue le diable sait où. Dame Flore frotte ses yeux gonflés Et rouges comme des cerises De ses jolis doigts potelés Et se glisse hors du lit en chemise. Passe son jupon vert. S'assied dans le fauteuil branlant Et laisse un brin nu de jambe à découvert Pour mettre ses bas de fil blanc. Guère d'ailleurs ne se dépêche Mais regarde au carreau de papier collé Une araignée aller à la pêche Et prendre une mouche dans son filet. Puis ouvre sa fenêtre A l'aubade des mille pierrots Dont le gosier est plein de chansonnettes Et de bigarreaux. Met sa robe jaune à fleurs, achève Sa toilette villageoise du matin Et va traire sa chèvre Dans son broc d'étain. Appelle son chat moustaché De quatre poils comme un gendarme du roi: Les souris courent grignoter les fruits au plancher Et se sauvent en désarroi. Juin d'ailleurs fait mûrir d'autres poires Au jardin enclos de haies sur le talus, A l'ombre des ailes de vieil oiseau noir Du moulin vermoulu qui ne tourne plus. A la croisée dame Flore se montre Et cueille une jeune rose d'été Au rosier qui monte Entre les planches disjointes de l'étai. Dame Flore a maintenant sa cornette large De beau linge amidonné, Un bourgeon de rose au corsage, Un autre sur le nez. Elle bâte de beau cuir neuf et lustré Son baudet qui se blesse le dos, Qui chante la messe comme un curé Et tend ses oreilles comme un bedeau. Lui accroche deux paniers gris par l'anse: Met dans l'un des figues, des olives Et des prunes de Provence Et dans l'autre une oie de treize livres. Et juchée dignement sur son âne Comme une reine sur une mule au mors d'argent, Elle va vendre sa volaille et sa manne De fruits au marché de la Saint-Jean. Et tout le long du sentier elle rêve, Pendant que l'âne fait sauver les sauterelles, Les grenouilles et les lièvres, Au meunier de l'étang qui vient vers elle, Et qui, sous sa figure et ses habits de farine, Jalouse peut-être les trois pucerons savants Qui sautent comme des clowns et tambourinent Le réveil de la meunière du moulin à vent. LE CHASSEUR
Les lapins qui dansent la ronde au clair de lune Sont assis sur leur derrière en t'attendant; Baise ta Margot, baise ta brune, Vite, et va-t-en. Va-t-en dans le sentier des hêtres Et des bouleaux blancs, Pendant que ta femme ouvre sa fenêtre Au damoiseau galant. Qui retrousse sa moustache de ses doigts En fredonnant un air d'amour, Et qui porte une plume d'oiseau des bois A son chapeau mou. LES TROIS GARS DU VILLAGE
Ont trois petits chaperons De drap, de laine et de velours, Ont des boucles de cheveux blonds au front, Ont à la bouche des chansons d'amour. Les trois gars du village Entre les cornes de leur col blanc de chemise Ont les joues rasées comme des pages, Ont le nez rouge comme des cerises. Les trois gars naïfs des campagnes Ont des sabots trop lourds, Ont des chaussons de paille Et vont faire aux fillettes leur cour. Elles ont, elles, de gros bâtons Pour garder tour à tour, Leurs dindes, leurs canards ou leurs moutons, Mais ne gardent guère leur amour. Ont aussi trois petits bonnets ronds De toile, de dentelle et de lin, Qu'elles jetteront Ce soir, par dessus les moulins, Ou plutôt qu'elles mêleront En gentilles garcettes d'amour, Aux trois petits chaperons De drap, de laine et de velours. LE VIEIL HOMME
La femme baisse sa chemise lestement Et l'amant surpris Par la croisée file sans bruit: --Bonjour, bonjour, mon mari chéri, A t'attendre j'avais tant de tourment; Bonjour, bonjour, mon mari..... --Vieil homme, vieil homme, pourquoi soupirer, Vieil homme pourquoi te rider de souci? Il pleure dans ton coeur comme il pleut sur les prés; Jeunesse est aussi douce que vieillesse acide; Pour noyer ton chagrin, voici le pot de cidre: La vie est ainsi. |