Huit femmesChlendowski (p. 133-138).


X

La rencontre.


À l’heure où tout est mystère dans la campagne, où tout ce qui l’habite est porté à des impressions graves, un parc solitaire en apparence, déja presque voilé par le crépuscule, n’était pas entièrement désert. Des chasseurs le parcouraient, tandis qu’un accident de route venait de forcer, tout auprès, deux femmes à descendre de leur voiture.

Le postillon travaillait ardemment à pousser la roue endommagée pour amener l’équipage au petit pas des chevaux, jusqu’à la grande allée d’ormes du château féodal, qui par bonheur était le terme du voyage.

Durant ce temps, l’un des serviteurs de la suite des dames les aidait à gagner leur demeure par la petite porte du parc, dont il avait la clé sur lui. Or, ce parc attenait aux propriétés plus humbles de sir Bingley. Claudia le savait de retour auprès de lord Haverdale, son hôte convalescent, qui ne supportait les délices espérés de la chasse qu’avec le secours des voyages inquisitifs que l’infatigable Bingley consentait de faire chaque semaine à Londres.

Qui saura jamais l’espérance charitable, le plan réparateur, l’ardente diplomatie de femme fermentant alors sous le front bouillonnant de lady Alstone ? Car c’est encore lady Alstone qui soutient d’un bras ferme Fanelly silencieusement soumise au zèle agité de sa parente, qu’on aura sûrement reconnue à la petite porte du parc, où lady Galt est de retour avec elle.

Parmi les arbres moins touffus des sentiers tracés qu’elles suivaient alors, un homme apparut tout à coup. Il s’arrêta d’un mouvement si marqué qu’il fit lever de son côté la tête languissante de Fanelly. L’ombre de cet homme se projetait jusqu’à elle par le reflet encore rouge de l’horison sur lequel se découpait cette apparition, sombre comme une silhouette. Fanelly fut saisie d’épouvante, et dans la volonté de fuir le chasseur redoutable qu’elle venait de reconnaître, elle glissa sur la mousse humide et s’agenouilla sans tenter d’aller plus loin. Claudia se précipita vers elle.

— J’ai tout mérité ! je ne peux tout supporter, dit-elle éperdue à l’oreille de Claudia ; il y a une dette de sang entre Larry et moi. Je l’ai volé honteusement de tout son bonheur et j’ai jeté mon larcin dans la mer. Il aurait bien le droit de me tuer !… Mais je suis tuée ; Dieu m’achève !… Emmène-moi, cousine ; il ne fait pas assez nuit pour me cacher. Tâche qu’il ne me reconnaisse plus !

Haverdale, qui se soutenait tremblant sur son fusil, et qui, sans en croire ses yeux, contemplait cette pâle ressemblance de lady Galt, ne put retenir un cri sauvage de colère ou d’horreur qui perça l’ame de la fière coupable. Son corps défaillant s’affaissa, ses beaux traits s’immobilisèrent et se couvrirent de la blancheur de la mort.

— Pensez-vous qu’elle respire ? dit lord Haverdale en suivant Bingley qui les avait rejoint et qui cachait sur son épaule la figure de Fanelly presque morte.

Bingley, haletant sous le poids de la jeune femme évanouie, ne répondit pas ; il se dirigea vers la maison où il la remit aux soins de sa cousine et des femmes éplorées.

Le même soir, Haverdale qui ne voulait ni revoir Fanelly ni passer la nuit dans son voisinage, partit après avoir adressé cette courte prière à Bingley en se penchant vers lui du haut de son cheval :

— Puisqu’il est écrit, Bingley, que vous recevrez tous les contre-coups de ma destinée, veillez sur cette femme qui me reste odieuse, bien que j’en sois trop vengé. Ne la quittez que guérie ; après, venez me rejoindre en France près de mon père où je vais vous attendre. Là, j’aurai besoin de vous, Bingley ! Mais en France, comme partout, jurez-moi dès aujourd’hui que vous ne me rappellerez jamais le nom que je vais effacer de ma vie.

— Je ne vous le rappellerai jamais, répondit laconiquement Bingley, en lui serrant la main.