HOMMES ILLUSTRES
DE LA RENAISSANCE.

III.

MÉLANCTHON.[1]


XIV. — GUERRE DE RELIGION. — LE LIVRE INTÉRIM. — ILLYRIC ET OSIANDRE..

La dernière diète qui précéda la guerre de religion fut celle de Ratisbonne. Mélancthon avait dû recevoir des instructions pour s’y rendre ; mais l’électeur changea d’avis, sollicité, dit-on, par Luther, qui léguait en mourant ses défiances à ce prince. On craignait que les sentimens de Mélancthon sur la cène ne donnassent quelque avantage aux catholiques. Au reste, le rôle d’intermédiaire était fini. L’empereur avait résolu la guerre. Depuis que sa politique l’avait rapproché du pape, et qu’il avait acheté les subsides du saint-siége par l’approbation donnée aux décrets du concile de Trente, les protestans ne voulaient plus le reconnaître comme chef du corps germanique. Ils ne l’appelaient que Charles de Gand ou le prétendu empereur. Ceux de leurs princes qui passaient pour lui être le plus contraires, n’avaient pas voulu se rendre à la diète, craignant, disaient-ils, les desseins violens, et pour que la guerre ne les surprît pas éloignés de leurs états. Charles-Quint entra en campagne dans l’automne de 1546.

On voulut d’abord l’arrêter par des négociations. L’électeur de Saxe prit l’avis de ses théologiens. L’opinion de Mélancthon ne pouvait pas être douteuse ; il conseilla la rupture de la ligue protestante, et que les princes s’engageassent à ne troubler aucun évêque dans son gouvernement, et à ne lui imposer aucune charge nouvelle. Il était trop tard. Déjà Charles-Quint était maître sur le Danube et sur le Rhin. Les villes de la Bavière et de la Souabe, Strasbourg, Francfort-sur-le-Mein, Augsbourg, avaient fait leur soumission. L’archevêque de Cologne, Hermann, l’ami de Mélancthon, abandonnait ses états à son successeur catholique.

Charles-Quint fut un moment arrêté par les troubles de Gênes, par le soulèvement de la Bohême et de la Moravie, et par la nouvelle qu’un traité allait être conclu entre François Ier et les luthériens. Mais, François étant mort au milieu de ses projets, l’empereur se remit en campagne, et, dès le mois d’avril 1547, il était maître sur l’Elbe comme sur le Danube et sur le Rhin. L’électeur de Saxe, Jean Frédéric, fut battu et pris devant Muhlberg. Sibylle de Clèves, sa femme, après avoir défendu en homme Wittemberg, se rendit à l’empereur pour prix d’une commutation de la peine de mort, à laquelle avait été condamné l’électeur, en une prison perpétuelle. Charles-Quint donna les états du prince déchu à Maurice, d’une autre branche de la famille de Saxe, qui s’était fait son allié pour dépouiller Frédéric. Quant au landgrave de Hesse, voyant la Saxe conquise, il se rendit sans combattre. L’empereur le condamna, comme l’électeur, à une détention perpétuelle. Après quelques mois à peine, il ne restait plus rien de la ligue protestante.

Pendant cette guerre, Mélancthon s’était retiré à Zerbst, petite ville du duché d’Anhalt. Il ressentait dans son cœur tous les maux qui désolaient l’Allemagne. Wittemberg était occupé par une garnison impériale. La guerre avait dispersé cette douce confrérie, comme il appelait l’académie ; la plupart des professeurs s’étaient exilés : ce qui restait de cet enseignement naguère si florissant, avait été transporté à Iéna par les fils de Maurice. Mélancthon n’y suivit pas les professeurs : il revint à Wittemberg, pleurer en secret son prince légitime et prier Dieu pour sa délivrance.

Cette victoire, à laquelle le pape avait contribué par ses deniers, le brouilla de nouveau avec l’empereur. Celui-ci, quoiqu’il eût en réalité vaincu pour l’empire, avait néanmoins fait la guerre pour la religion, et, après avoir tiré de sa victoire tout le profit qu’il en avait espéré en argent et en soumission, il voulait, ou honorer la vraie cause, ou cacher le prétexte de la guerre, en continuant l’œuvre de la pacification religieuse. C’est dans ce but qu’il pressait le pape de continuer le concile de Trente ; mais le saint père temporisait, la pacification ne pouvant avoir lieu sans deux choses qui lui répugnaient également : une controverse avec les protestans, et l’arbitrage impérial. En conséquence, il avait fait décider par ses légats, sur un faux bruit de peste habilement exploité, que le concile serait transféré à Bologne. C’était un moyen, ou de l’avoir sous sa main, si tous les membres consentaient à la translation, ou de le dissoudre, s’il y avait dissentiment. Le premier vœu du pape était qu’il n’y eût pas de concile, dût-il même y être le maître ; le second était qu’il se tint le plus loin possible de l’Allemagne et de l’empereur. Il le transférait à Bologne, faute d’oser le dissoudre.

Mais la politique de Charles était que le concile restât assemblé, afin de ne pas s’affaiblir aux yeux des protestans qu’il avait fait consentir, le fer sous la gorge, à le reconnaître, et qu’il continuât de siéger à Trente, pour qu’il fût plus proche de ses armes. Aussi avait-il ordonné aux prélats impériaux de ne pas suivre les légats à Bologne, ce qui mit un schisme dans un concile institué pour établir l’unité. Après de vives récriminations de part et d’autre, le pape ne cédant point, Charles-Quint s’empara de la puissance spirituelle, et fit rédiger un formulaire de pacification. Ce formulaire devait régler l’état des églises d’Allemagne jusqu’à la reprise du concile, qu’il ajournait à la mort du pape, jugée imminente à cause de son grand âge. En attendant, les prélats particuliers avaient ordre de rester à Trente, pour qu’il n’y eût pas dissolution, et que les protestans ne se crussent pas dégagés du serment envers un concile qui eût cessé d’exister.

Le formulaire de l’empereur était l’œuvre de Jules Pflug, que la guerre avait rétabli sur son siége épiscopal, — de Helding, suffragant de l’archevêque de Mayence, — et de cet Islébius Agricola, dont on se rappelle les débats avec Mélancthon. Les deux premiers, catholiques, appartenaient à ce parti de modérés qui était si près de s’entendre avec les protestans de l’école de Mélancthon. Leur livre étant destiné à régler les choses jusqu’à la décision suprême du concile, reçut le titre d’Intérim, que chacun prit au mot, les uns sincèrement, les autres, en plus grand nombre, pour en faire la matière de plaisanteries. C’était un résumé de tous les articles soulevés par la réforme, et qui avaient été plutôt proposés qu’acceptés. Il ne satisfit personne, ni les protestans qui n’y voyaient plus que des ombres de leurs dogmes, ni les catholiques, quoiqu’on leur y eût laissé de quoi reprendre le tout.

Autour du vieux pape, les catholiques honnêtes s’indignèrent, disant que l’envoi d’un tel écrit insultait le saint-siége, et comparant Charles-Quint à Henri VIII. Mais le saint père ne s’en alarma point. Il prévit que ce moyen terme ne ferait, comme il arrive, qu’éloigner davantage ceux qu’il voulait rapprocher, et il se garda bien de désavouer avec éclat l’Intérim, pour n’y pas réconcilier les protestans. Il répondit vaguement à la prière qui lui avait été faite de l’examiner, et l’examina avec une lenteur calculée, pour lui laisser le temps de faire son effet.

L’empereur demeura quelque temps en Allemagne pour faire recevoir son livre. Il ne rencontra dans presque toutes les villes qu’une obéissance imparfaite et menaçante. L’ancien électeur de Saxe, Jean Frédéric, quoique prisonnier, et quoique Granvelle, au rapport de Sleidan[2], lui eût promis la liberté pour prix de son adhésion à l’Intérim, déclara que Dieu ni sa conscience ne lui permettaient d’y souscrire. Il y eut une petite ville qui supplia l’empereur de se contenter que les biens et les vies de ses citoyens fussent à lui, mais qu’il leur laissât leur conscience, ajoutant qu’il n’était pas de sa justice de leur faire accepter par force une confession de foi qu’il ne suivait pas lui-même[3]. Et, en effet, les doctrines imposées à l’Allemagne par Charles-Quint auraient été condamnées au feu dans ses états d’Espagne.

Bien que Charles eût défendu, sous les peines les plus sévères, d’écrire, d’enseigner et de prêcher contre l’Intérim, à peine eut-il quitté l’Allemagne, que le livre impérial fut assailli d’une multitude de réponses, tant protestantes que catholiques. Vainement Agricola, à qui Mélancthon avait paru au commencement un réformateur trop tiède, se mit à prêcher que l’Intérim ramenait l’âge d’or. On ne le crut pas, et on continua les attaques. Mélancthon lui-même, quoiqu’il n’en eût pas désapprouvé quelques articles, en fit des critiques qui faillirent lui coûter la liberté. L’empereur du moins le fit menacer, et il y eut un projet d’édit par lequel on devait appréhender Mélancthon, lui faire son procès et le mettre à mort. Le roi des Romains, Ferdinand, fit engager Maurice à l’éloigner, l’avertissant qu’il pourrait bien arriver que l’empereur lui écrivît de le livrer. Maurice répondit qu’il avait promis à Mélancthon protection et sûreté, qu’il avait besoin de lui pour conserver l’église et la discipline dans ses états ; toutefois il le tint quelque temps caché dans un monastère sur la Mulde.

Rentré à Wittemberg, Mélancthon apprit la mort de sa fille Anna, femme de Sabinus. L’habitude de gémir, de prévoir les malheurs, d’en souffrir d’avance, l’ancienneté de ses blessures, avaient affaibli sa sensibilité. Il est touchant néanmoins de le voir consoler Sabinus et lui offrir une amitié sans arrière-pensée. « Vos enfans, lui écrit-il, seront les miens. L’amour que j’ai eu pour ma fille, je le reporterai sur ses enfans. Envoyez-moi, ajoute-t-il, ou toutes vos filles, ou quelques-unes. Elles seront élevées, avec l’aide de Dieu, doucement et fidèlement comme leur sœur, à la connaissance de Dieu et aux devoirs de leur sexe. Dois-je les venir chercher moi-même, ou y envoyer un ami fidèle ? Je désire surtout que vous permettiez à Marthe de venir près de sa sœur. Les périls de la guerre ne m’effraient pas tellement que je ne souhaite de vivre au milieu de tous les miens[4]. »

Les dernières victoires de Charles-Quint, en opprimant tout le parti réformé, l’avaient empêché de s’apercevoir qu’il lui manquait un chef spirituel, depuis la mort de Luther. L’éloignement de ce prince, en réveillant avec la liberté les dissentimens qui en sont l’effet immédiat, fit sentir à ce parti le besoin d’un chef ; car les partis ont cet instinct contradictoire qu’en même temps qu’ils demandent l’extrême liberté pour chacun, ils veulent un chef pour commander à tous. Il n’y avait qu’un homme assez considérable pour remplir ce rôle ; c’était Mélancthon. Mais il n’y était appelé ni par ceux qui pensaient que la réforme était allée assez loin, ni à plus forte raison par ceux qui la voulaient radicale. Disons même qu’à cette époque il n’y avait plus aucun rôle qui lui convînt, et que son temps était fini comme réformateur. Mais ses écrits, son autorité, son école, subsistaient ; il continuait à enseigner, et il n’était guère plus possible de marcher sans lui qu’avec lui. Encore qu’il ne disputât la place à personne, et qu’attaqué de tous côtés il ne voulût ni se défendre ni se laisser défendre, toutefois il faisait obstacle par cette modération même, et par ce désir de dissimuler les divisions de la nouvelle église en ne donnant point l’éclat d’un schisme à ses griefs personnels. C’est sur lui que les hommes ardens du parti allaient se venger des humiliations de l’Intérim.

Parmi les obligations prescrites par ce livre, l’empereur avait insisté sur le rétablissement des cérémonies. Mélancthon, qui ne les avait jamais rejetées, en tant qu’elles ne contrariaient pas les nouveaux dogmes, s’était soumis à cet article et avait engagé publiquement quelques églises à s’y soumettre. Le premier effet du relâchement qui suivit le départ de Charles-Quint fut une révolte universelle contre les cérémonies. C’était, pour les hommes passionnés du parti, le point le plus considérable, précisément parce qu’il s’agissait là d’une manifestation extérieure, et qu’il leur paraissait bien plus important de régler ce qui se voit dans la religion que ce qui ne se voit pas. L’Intérim n’avait rien commandé de plus sensible. Les dogmes que l’empereur avait prétendu régler pouvaient lui échapper dans le for intérieur où chacun les tenait renfermés jusqu’au jour de la liberté, tandis que les pratiques extérieures lui livraient, au moins en apparence, la religion. Il avait exigé les cérémonies, dans le doute d’obtenir les dogmes ; mais les chefs du parti de la résistance n’en rejetaient que plus les cérémonies, qui, pour la multitude, finissent par tenir lieu du dogme, pour peu qu’on l’y habitue. C’est ce que Mélancthon ne pouvait comprendre, parce qu’ayant une religion de raison, dont il avait débattu depuis trente ans tous les articles, il pouvait être assuré personnellement contre l’effet des cérémonies, et exempt du danger d’être ramené à son insu par le rétablissement des pratiques extérieures à la religion même dont elles étaient une dépendance essentielle.

Sa tolérance à cet égard, quoique justifiée par les plus nobles motifs et renfermée dans les limites de la confession d’Augsbourg, pouvait compromettre la réforme. Il voulait qu’on laissât subsister les fêtes, l’ordre des leçons, la confession et l’absolution avant de recevoir le sacrement, l’ordination publique pour le ministère évangélique, les prières pour les noces et les discours pour les enterremens, les chants, enfin le surplis, si détesté par le parti extrême. Il conseillait qu’on ne combattît que sur les choses importantes, d’où l’évidence pût résulter pour tous les hommes de sens, même parmi ses adversaires ; mais qu’on ne risquât pas, pour des points indifférens, de rappeler la guerre, et de faire déserter les églises. « Point d’audace avant le combat, écrivait-il à ceux de Strasbourg, qui l’accusaient de rendre du cœur aux catholiques par sa faiblesse ; point de ce courage pour des choses inutiles, ordinairement suivi d’hésitation ou de rétractation dans le combat. De la facilité sur ces choses mais du courage, et tout le courage possible, en cas d’appel devant le magistrat pour abjurer la doctrine ou en reconnaître une autre. Sur ce point, il faut savoir préférer sa foi à sa vie et à la paix, moins nécessaires que la connaissance de la vérité. N’imitez pas ce martyr de Bâle, ajoutait-il, qui se fait brûler pour avoir mangé de la viande le vendredi, ni saint Laurent, qui subit le même supplice pour ne pas payer l’impôt à l’empereur Dèce. Le vrai culte de Dieu, c’est la foi, la prière, l’amour, l’espérance, la patience, la chasteté, la justice envers le prochain, et les autres vertus. Sans tout cela la liberté dans le vêtement et dans l’usage de la viande, et d’autres libertés du même genre, ne sont qu’une nouvelle police plus agréable aux hommes, parce qu’elle a moins d’obligations[5]. »

C’est là cette fameuse querelle des choses indifférentes (ἀδιάφορα) qui remua toute l’Allemagne et hâta la mort de Mélancthon. Le premier qui la souleva fut Flaccius Illyricus, théologien médiocre, qui n’a laissé ni un livre estimé ni même une erreur éclatante, mais doué d’assez d’audace et de talent pour défendre une cause qui pouvait se passer de haute théologie. Venu à Wittemberg en 1541, il y avait été accueilli par Mélancthon avec cette bonté célèbre dont presque tous les érudits d’Allemagne et tous les hommes de quelque espérance avaient reçu des marques. Il s’y était appliqué à l’étude de l’hébreu, avait reçu le titre de maître ès-arts, et s’était marié. Vers le temps de l’Intérim, si propice aux entreprises nouvelles, soit audace, soit instigation du dehors, ce que son caractère enveloppé ne permit pas de découvrir, il s’était mis à écrire, sous de faux noms, des libelles où il attaquait tous les esprits et toutes les opinions pacifiques. Il avait une manière particulière de capter la confiance : affectant un grand zèle, prodiguant les gémissemens, il parlait d’un commerce familier avec Dieu, qui se communiquait à lui dans ses extases[6]. Retiré à Magdebourg, la seule ville qui se fût ouvertement révoltée contre l’Intérim, il y répandit des écrits et des caricatures contre l’électeur, Mélancthon, le prince d’Anhalt, Major, et d’autres chefs du pays modéré, qu’il appelait intérimistes et adiaphoristes. Il criait que l’on corrompait la doctrine en rétablissant les cérémonies abolies, qu’il fallait plutôt déserter les églises et effrayer les princes par la crainte des séditions, que de rien rabattre des principes.

C’était la thèse populaire. Aussi Illyric, qui n’était pourtant qu’un nom, eut-il autour de lui un immense parti, formé de tous ceux qui avaient sur le cœur la défaite de l’Allemagne, et qui voulaient la venger de ces images où on la représentait enchaînée aux pieds de l’Espagne et de l’Italie. Ce parti voyait bien que la guerre n’était pas finie. Quoique suspect à l’électeur Maurice, il pénétrait, par cet instinct propre aux partis, la pensée de ce prince, qui inclinait vers la cause protestante, par esprit d’indépendance et pour se faire pardonner par la Saxe son usurpation. Du reste, ils ne discutaient rien, ne demandaient rien de nouveau, ne raffinaient sur rien, et on croyait les accuser victorieusement de ce vague même qui faisait leur force. Je n’ai pas peur d’un parti qui se pique de logique et qui raffine ; mais un parti qui ne se soucie pas de lier ses raisonnemens, et qui répond par des cris à ceux qui lui demandent des syllogismes, je m’en inquiète ou j’en espère, selon sa cause, et d’autant plus que ses prétentions sont plus vagues.

Illyric était poussé à la fois par les passions qu’il avait excitées, et le bruit qu’il avait fait, et par une jalousie ardente contre Mélancthon. Il le haïssait pour son savoir et pour son autorité sur les esprits éclairés, qu’il n’était pas de force à lui disputer. Dans ce premier rôle, qu’il avait conquis avec toutes sortes d’alliés, il était inquiet comme un usurpateur qui se sent inférieur à celui qu’il a dépossédé. Outre l’ingratitude pour les services qu’il en avait reçus, et qui s’augmentait pour s’étourdir, Illyric faisait à Mélancthon une guerre déloyale. Il lui prêtait des mots qui pouvaient mettre sa vie en péril, comme celui-ci : « qu’il fallait ne pas se séparer de l’église, dussent tous les anciens abus être rétablis. » Il se vantait d’avoir surpris dans ses entretiens des aveux de retour au catholicisme. Il parlait de rêves que Mélancthon lui aurait racontés, et il s’aveuglait sur son manque de foi en l’étalant. Il n’est pas étonnant qu’un parti qui avait pour chef un tel homme fût mêlé de toutes sortes de gens. C’est d’ailleurs ce qui arrive à tous les partis ardens, quelque vertu qu’ait leur chef. Ils sont et seront toujours suspects, parce qu’il leur faut se recruter de tous ceux que gêne le présent, dans ce qu’il a de bon comme dans ce qu’il a de mauvais.

À la faction d’Illyric vint s’en ajouter une autre, dont Osiandre était le chef ; mais l’ambition d’Osiandre était plus vaste. Illyric ne voulait que les conséquences extrêmes du luthéranisme ; Osiandre aspirait à être chef de doctrine et à innover dans le dogme. Il avait commencé par donner des leçons d’hébreu dans le couvent des Augustins à Nuremberg. Remarqué dès ce temps-là pour la vivacité de son esprit et l’étendue de son savoir, mais redouté pour sa rudesse et son orgueil, il fit admirer l’éloquence de ses attaques contre les superstitions des moines. Depuis lors, il avait toujours fait partie, à titre de théologien de Nuremberg, de toutes les députations que cette ville avait envoyées aux diètes.

Il avait une grande connaissance des langues, et du savoir sur toutes choses ; mais il gâtait ces dons excellens par beaucoup d’opiniâtreté, par un orgueil souffrant et envieux, et par des opinions extraordinaires qu’il couvait long-temps en lui et qu’il ne laissait pénétrer de personne. L’occasion venue, il les divulguait au hasard, sans retenue ni mesure, et son audace étonnait d’autant plus qu’elle avait été plus long-temps contrainte. Mélancthon l’accusait avec raison d’avoir assisté à toutes les délibérations d’Augsbourg, sans adhérer ni contredire, sans aider en rien ceux qui tenaient la plume, s’enveloppant d’un silence orgueilleux et défiant, et paraissant borner son ambition à ce qu’on s’inquiétât de sa réserve. Il avait été vingt ans sans s’ouvrir. Enfin il éclata, et laissa voir la prétention de réformer Luther lui-même.

À Nuremberg, le régime de l’Intérim le gênait, et d’ailleurs le parti modéré l’emportait. Il quitta cette ville et vint dans le Brandebourg, auprès d’Illyric et des autres, apportant une nouvelle interprétation de la justification, qu’il attribuait, non plus aux mérites du Christ, mais à la justice de Dieu. Ce fut la grande nouveauté qu’il introduisit dans la réforme ; mais cette nouveauté ne touchait que les théologiens, et il fallait faire la part de la multitude. Mélancthon et l’église saxonne lui en fournirent la matière. Il les attaqua par des écrits et des prêches dont la violence émut tout le Brandebourg, d’ailleurs plus porté aux excès d’opinion, la réforme y étant plus récente et sans discipline. « Il souffle sur moi de la Baltique des vents furieux, écrit Mélancthon à Camérarius. J’entends parler de menaces. Ce harangueur du peuple dit qu’il me coupera une veine d’où le sang jaillira sur toute l’Allemagne[7]. » Ceux de la confession d’Augsbourg exigeaient de tout aspirant au titre de professeur de théologie le serment qu’il confessait la doctrine présentée à Charles-Quint à la diète d’Augsbourg ; qu’avec l’aide de Dieu il y persévérerait, et qu’en cas de controverses nouvelles sur des points où des jugemens clairs n’auraient pas encore été portés, il en délibérerait avec les vieillards de l’église de Wittemberg et des villes alliées. Osiandre rejetait ce serment comme une tyrannie. Il parlait de bien d’autres dissentimens encore, et sur un ton menaçant, attaquant doublement la nouvelle église par ce qu’il disait et par ce qu’il affectait de taire.

Pourquoi un homme si éminent, de tant de savoir et d’éloquence, qui, à la diète de Marpurg (1529), avait émerveillé et charmé Luther et tous les autres théologiens, à qui ne manquait ni la fermeté ni la patience, qui sont parmi les premières qualités d’un chef de parti, n’eut-il que l’éclat d’un brouillon ? D’abord, ses plus belles années s’étaient passées sous Luther. Or, il n’y avait guère de chance à disputer à Luther le premier rang, et, en fait d’audace extravagante, Carlostadt et Zwingle n’avaient rien laissé à tenter. Luther mort, il fallait suivre avec la gloire toujours modeste d’un disciple, ou se distinguer par des folies. C’est la seule alternative des hommes de talent quand les révolutions sont consommées : ceux qui ne se contentent pas de la gloire de les assurer, ne trouvant plus rien de solide à faire triompher, et ne pouvant pas obéir, renchérissent sur le schisme et innovent en séditions.

Ce fut le sort d’Osiandre. Du reste, sa justification sans le Christ et sans les œuvres ne lui survécut que peu d’années. Elle causa quelques troubles à Nuremberg en 1555 ; mais, ce qui prouve combien ces troubles étaient peu profonds, c’est que ce fut assez de la douceur de Mélancthon pour les apaiser. Il y avait déjà trois ans qu’Osiandre s’était retiré du champ de bataille, selon la belle expression de son adversaire, annonçant sa mort ; et les honneurs même qu’on lui rendit, et qui furent, dit-on, extraordinaires, montrèrent bien qu’il s’agissait là d’une de ces renommées qui n’ont de fondement que dans la passion d’un jour, et non dans la raison générale.

Dans l’intervalle, la guerre avait éclaté entre Charles-Quint et Maurice, lequel eut cette gloire singulière, qu’après avoir aidé l’empereur à vaincre l’Allemagne protestante, il aida l’Allemagne protestante à vaincre l’empereur. On sait que Charles-Quint, poursuivi jusque dans Inspruck, s’échappa, non sans peine, par des passages inconnus des montagnes du Tyrol. La convention de Passaw rendit la liberté à Jean-Frédéric et au landgrave de Hesse, et mit les protestans sur le même pied que les catholiques.

L’Allemagne étant de nouveau maîtresse, et le parti protestant ayant vaincu par ses exagérés, Illyric et les siens revinrent à la charge contre Mélancthon. Ils agitèrent dans leurs conventicules de proscrire quelques-uns de ses livres. Enfin, à la diète de Worms, qui se tint en 1557, ils demandèrent qu’avant d’engager le débat avec les catholiques, il en fût ouvert un entre eux et les églises de la confession d’Augsbourg, représentées par Mélancthon. Les deux partis échangèrent en effet quelques discours sur les questions qu’on débattait depuis trente ans. « Ce premier engagement, dit Mélancthon, fut brillant et agréable[8]. » Il caressait encore ce rêve d’un grand débat solennel et définitif, et il n’avait pas cessé de croire à l’efficacité de la discussion. C’était l’erreur d’un homme qui y était sincère et qui y réussissait.

Pendant une suspension de cette diète, Mélancthon fut appelé à Heidelberg pour y constituer l’académie. C’est là que Camérarius vint lui apprendre la mort de sa femme. Leurs amis communs l’avaient chargé de ce soin. On avait espéré que le coup serait moins rude, si Mélancthon tenait cette nouvelle d’une bouche si chère. L’arrivée de Camérarius lui causa une joie si vive, que celui-ci n’osa pas d’abord la troubler, et qu’il le laissa s’engager en toute sécurité dans un de ces entretiens qu’il réservait pour son ami, et qui ne roulaient pas sur les matières théologiques. Le lendemain, Camérarius, craignant qu’il n’apprît d’un autre son malheur, et qu’il lui en voulût de ce silence, se décida à lui en parler. À cette nouvelle, Mélancthon ne s’échappa point en démonstrations violentes : il dit adieu à sa femme, en l’appelant par son nom, ajoutant qu’il ne serait pas long-temps à la suivre. Puis, s’enfermant avec son ami, il lui tint sur l’état des affaires, et sur l’avenir de l’Allemagne, des discours pleins de tristesse, et mêlés de prédictions que l’évènement ne démentit pas.

XV. — DERNIÈRES ANNÉES DE MÉLANCTHON.

Mélancthon ne devait pas être séparé long-temps de sa femme. Comme il croyait sa fin prochaine, il commençait à s’affecter moins des malheurs publics ou des siens, sentant que les douleurs longues et immodérées ne conviennent plus à l’homme que la mort va bientôt délivrer. Ses dernières années se passèrent dans ce calme sans indifférence, où il était arrivé après tant de peines d’esprit, soit par la raison, soit par l’épuisement. D’ailleurs, tous ses amis de son âge étaient morts : il avait vu disparaître successivement Luther, Cruciger, Jonas, Menius, Poméranus, l’électeur Jean-Frédéric, qui ne jouit pas long-temps de la liberté, Bucer, qui était allé finir en Angleterre une vie laborieuse et conduite avec habileté. Ces hommes éminens formaient la première génération de la réforme ; ils en avaient eu toutes les illusions et toute la bonne foi. Ceux qui venaient ensuite y mêlaient beaucoup d’intérêts divers et confus, outre cet orgueil propre aux héritiers immédiats d’une révolution, lesquels se piquent d’interpréter souverainement ce qu’ils n’ont pas fait, et se tournent contre la gloire de leurs pères pour relever la leur.

Les adversaires eux-mêmes étaient changés. Dans ces premières luttes du vieux catholicisme et de la réforme, on avait disputé des deux côtés, sinon avec la même bonne foi, du moins avec plus de bonne foi que de politique. On cherchait à mettre hors du débat quelques vérités évidentes qui saisissent les intelligences les plus simples. Ce fut toujours le but hautement déclaré de Mélancthon, et les scolastiques, quoique dans le commencement moins sincères, parce qu’ils étaient moins savans et moins habiles, n’avaient pas paru s’en proposer un autre. Mais depuis que la guerre, précédée ou suivie des intrigues, avait exalté, comme il arrive, la lâcheté et l’audace, la politique avait chassé la bonne foi. Les catholiques s’étaient habitués à compter sur l’empereur, et se mettaient moins en peine d’éclaircir des difficultés qui devaient être tranchées par son épée. Le rôle de Mélancthon était fini. Il n’y avait presque plus de disciples pour apprécier ce langage honnête, sans équivoque, sincère là même où la pensée était encore incertaine ; il n’y avait plus d’adversaires pour rendre les armes, au moins sur quelques points, à cette polémique si loyale qui arracha aux consciences plus d’une concession que les intérêts retirèrent ensuite.

Les Flacciens lui avaient rendu le séjour de Wittemberg assez difficile pour qu’une fois encore il parlât d’en sortir, et de chercher pour sa mort un exil plus hospitalier. Camérarius parle des désordres des Flacciens avec une tristesse que son obscurité, habituellement impénétrable, n’a pu nous dérober entièrement. La religion n’était guère que le prétexte dont se couvraient les jalousies et les haines privées, et les noms d’adiaphoristes, de majoristes[9], désignaient ceux qu’on n’osait appeler du nom trop éhonté d’ennemis. C’est un trait commun à toutes les révolutions, que ces haines personnelles qui, au moyen de noms généraux, parviennent à se donner pour complices toute une ville et quelquefois toute une nation.

Wittemberg souffrait de tous les maux que peuvent causer la plume et la parole, quand elles ont pour prétexte l’intérêt public, et pour motif l’intérêt particulier. La rage de la dispute avait gagné tout le monde : les disciples interpellaient les maîtres ; les écoliers offraient le débat public aux professeurs. Quelques-uns l’acceptèrent, contre le gré de Mélancthon, qui sentait qu’à se commettre ainsi on abaissait la dignité de l’enseignement. Pour les écrits, ils étaient innombrables, à cause de l’amour du bruit qui fait tant d’écrivains, et parce que le sujet y prêtait, la moindre équivoque en théologie fournissant aisément matière à des volumes. Camérarius n’y voyait qu’un remède, la censure, et il la demande honnêtement. Oui, s’il y avait des juges infaillibles. Mais c’est parce que les juges se trompent, qu’on a sagement fait, dans les temps modernes, de ne pas sacrifier le droit à l’erreur, la faculté à l’abus. On avait d’ailleurs, au temps de Camérarius, au moins une sorte de censure. Je vois un décret de l’académie qui interdit toute publication qui ne sera pas revêtue de l’approbation des quatre doyens des facultés et du recteur. Mélancthon lui-même paraît avoir été chargé, auprès de l’académie, des fonctions de rapporteur dans les affaires de ce genre. La censure n’était donc pas à trouver. Si elle ne réprimait rien, c’est peut-être que l’inutilité de la censure n’est guère moins ancienne que son existence.

Il n’est pas étonnant que cette confusion eût relâché la discipline académique. La plupart des jeunes gens avaient une religion fort tiède ; ils aimaient mieux disputer qu’assister avec recueillement aux lectures, à la prière, aux rits du nouvel évangile. La doctrine de la justification dans les œuvres avait produit ses fruits. « Pourquoi nous mettre un frein, disaient les étudians, puisque vous nous enseignez que le soin que nous prenons de gouverner nos actes extérieurs n’est pas la justice pour laquelle Dieu reçoit les hommes[10] ? » En d’autres termes : « À quoi bon nous gêner, puisque cette gêne ne nous doit pas être comptée ? » On les combattait par des subtilités. Mélancthon lui-même, qui est le plus souvent d’une clarté admirable, ne répondait rien de concluant. Il n’osait faire un pas de plus vers les œuvres, de peur d’affaiblir la doctrine de la justification par la foi, qui était la grande nouveauté des évangéliques, et la morale s’obscurcissait dans ces subtilités si impuissantes contre les passions.

Il n’y avait pas jusqu’aux enfans qui ne voulaient pas réciter de mémoire, bien loin qu’ils le pussent faire de cœur, le symbole des apôtres. Vainement on leur disait que cette récitation équivalait à une absolution. On parvenait à peine, même avec l’appât d’un si grand intérêt, à leur mettre dans la mémoire cette prière, si considérable dans la nouvelle doctrine, puisqu’elle contenait la formule même de la justification.

Au reste, la tiédeur dans les exercices de piété était le moindre de ces relâchemens. On reprochait aux élèves surtout la gloutonnerie, reproche très ancien en Allemagne. Seulement la table était alors plus turbulente qu’aujourd’hui. Les orgies se prolongeaient jusqu’à minuit, énormité pour le temps ; après quoi les jeunes gens se répandaient sur la place et parcouraient les rues de Wittemberg, criant et chantant à tue-tête, éveillant tout le monde, et faisant croire aux magistrats que l’ennemi était dans la ville. Un décret de l’académie leur ordonne d’être rentrés chez eux à huit heures. Si quelqu’un est appelé au-dehors par des affaires, qu’il les fasse en silence, et s’éclaire dans les rues avec une lanterne, pour qu’on le reconnaisse. Quiconque sera surpris armé et sans lanterne sera mis en prison. Un autre décret les menace d’une prison particulière plus dure que la prison scolastique. Le premier décret n’avait pas réussi. On continuait à sortir armé, et on battait le guet.

Plusieurs étudians avaient pour domestiques ces Scapins et ces Mascarilles dont la comédie a fait un type, mais qui ont été d’abord des personnages réels, héritiers des Daves de Rome. Il ne paraît pas d’ailleurs que la comédie les ait calomniés. Ils étaient larrons jusqu’à rompre les coffres et crocheter les portes, de complicité avec leurs maîtres, qui prenaient leur part de ces rapines ; ils soufflaient les discordes, excitaient les rixes, poussaient les moins braves à se battre, et fournissaient les armes ; ils entraînaient dans les orgies les jeunes gens sobres, et troublaient de leurs chants, de leur ivresse, de leurs espiégleries, les noces et toutes les réunions publiques[11].

Dans les faubourgs, des maraudeurs prenaient d’assaut les jardins et les vignes, et ils avaient des chambres où ils se cachaient pour manger leurs vols. Un décret leur défend de coucher hors de la ville. On leur fait un tableau des blessures qui les attendent, de la mort qu’ils risquent peut-être, outre les châtimens que leur réserve l’académie. Un autre décret parle de femmes perdues qui attiraient les jeunes gens dans les bois proches de la ville ou dans les bouges des faubourgs, et qui pénétraient dans l’intérieur de la ville sous des habits d’homme.

Enfin ils se faisaient accuser de modes outrées dans leur costume, et particulièrement dans la forme de leurs chapeaux. Les uns portaient des turbans à la manière turque, ce qui leur était reproché comme une imitation qui présageait des mœurs et un empire barbares. Les autres se couvraient de chapeaux à larges bords, dont on leur disait vainement, du haut des chaires académiques, qu’ils gênent la vue, qu’ils sont enlevés par les coups de vents, et que leur poids allourdit la tête et opprime l’esprit. Ceux-ci imitaient la coiffure militaire des cavaliers, ceux-là le bonnet de voyage, bigarrure qui étonnait beaucoup les étrangers et leur donnait une mauvaise opinion de la force du gouvernement académique.

Mais un mal plus grave, et contre lequel Mélancthon lutta avec plus de zèle que de succès, c’était l’impatience des jeunes gens d’arriver de plein saut aux professions lucratives sans passer par les études scolastiques. L’académie de Wittemberg suivait, à quelques changemens près, la même conduite que notre université, quoique dès ce temps-là il se trouvât, comme aujourd’hui, nombre d’inventeurs et de partisans des méthodes expéditives. On n’arrivait aux sciences spéciales et d’application, à la théologie, au droit, à la médecine, qu’après avoir été arrêté long-temps sur ce qu’on appelait la grammaire et la dialectique, c’est-à-dire les études de langue et la philosophie. À l’issue de ces premières études, on recevait le grade de bachelier. De là il fallait passer par la physique, les mathématiques, les éthiques, et recevoir le grade qui y était attaché, avant d’entrer dans l’enseignement d’application. Or, ces lenteurs si sagement calculées sur les progrès des facultés de l’enfant, de l’adolescent et du jeune homme, avaient comme aujourd’hui de nombreux contradicteurs. On attaquait l’usage de décerner des grades comme une routine et un empêchement. Les parens avaient hâte d’échapper aux dépenses de l’éducation littéraire, et poussaient leurs enfans aux professions lucratives, quoique la rétribution académique fût modique, les plus riches ne payant que quatre florins d’or et demi par année, les pauvres deux florins, et quelquefois rien. Pour les écoliers, outre le peu d’application de cet âge, qu’aucune méthode ne corrigera, mais qui suffit d’ailleurs à une étude très générale comme celle d’une langue, ils étaient impatiens d’aller où étaient l’influence, le bruit, la vie, c’est-à-dire à la médecine, au droit, qui menaient à la fortune, mais surtout à la théologie, par laquelle on arrivait à la faveur des princes. « Il nous naît, dit Cruciger, des théologiens comme des champignons[12]. » On apportait à ces études un chapeau à larges bords et un souverain mépris pour les études littéraires. Cruciger juge le mal si grand, qu’il demande l’intervention des magistrats et des princes pour empêcher ces professions sans instruction première, et cette nuée de théologiens, de jurisconsultes et de médecins improvisés.

Toutes ces difficultés, dont quelques-unes ne sont pas particulières au temps où vivait Mélancthon, mais dont les plus graves tenaient à l’esprit d’émancipation qui faisait le fonds de la réforme, étaient depuis long-temps au-dessus de ses forces et de son espérance. Qu’on y ajoute les embarras que donnait aux chefs de l’académie l’insuffisance ou le défaut de zèle de certains professeurs, la témérité de quelques-uns, lesquels déchiraient dans les querelles des Flacciens la robe académique, les inégalités des princes dans leurs dispositions pour les lettres, tour à tour protégées avec faste ou abandonnées comme une dépense de luxe dans les temps de guerre ; l’anarchie des familles que partageaient tant de contradictions et de schismes dans la même doctrine ; les embarras matériels et de police, les disettes, alors si fréquentes ; la peur des Turcs, et celle plus récente des Russes, qu’enfantait sourdement le nord ; enfin l’idée familière alors à tous les esprits éminens d’une prochaine dissolution du monde ; et l’on comprendra qu’un homme qui avait donné toute sa jeunesse et tout son âge mûr à la réforme, entrant dans la vieillesse avec des forces épuisées, et plus de considération que de puissance, vît venir avec quelque douceur la mort qui devait l’enlever à l’envie, au doute et à l’impuissance, à l’entrée d’une seconde carrière qui menaçait d’être plus laborieuse que la première. Parmi les biens immédiats des révolutions, lesquels sont en petit nombre, le plus grand peut-être, c’est qu’après avoir payé sa dette, on désire de mourir avant le découragement extrême et l’incrédulité.

XVI. — MORT DE MÉLANCTHON.

L’année 1560 trouva Mélancthon occupé de sa fin, et déjà touché de cette tristesse douce que donne à l’homme le mieux préparé l’approche solennelle de la mort. Depuis quelques mois, il priait Dieu tous les jours, à son lever, de lui adoucir ce passage. Mélancthon avait alors soixante-trois ans. C’était une année climatérique, où, dans ce temps-là, chacun se recueillait, s’attendant également à recommencer sa vie ou à la voir finir. Mélancthon en parlait souvent avec une piété mêlée de superstition, disant qu’il lui avait été prédit par un célèbre mathématicien et médecin, Jean Virgund, que les astres lui comptaient les années jusqu’à soixante-trois, mais que, passé ce nombre, ils ne parlaient plus. Il laissait voir par d’autres paroles qu’il ne se croyait pas loin de sa mort. Quand on lui parlait d’intrigues ourdies contre lui par ses ennemis : « Je ne les embarrasserai pas long-temps, disait-il, de mon opposition[13]. »

Il traversa pourtant sans maladie l’année climatérique ; mais c’était une opinion générale que les dangers de cette année étaient souvent différés à la suivante. On l’avait remarqué de Luther, mort trois mois après l’époque fatale, et les amis de Mélancthon n’étaient point rassurés par son air de santé. Lui-même n’en continua pas moins de prédire sa fin, et de s’y accoutumer. Son corps s’amaigrissait, et, quoiqu’il conservât la même capacité de travail, ses amis remarquaient qu’il perdait de sa facilité. Ce fut à son retour de Leipsick, où l’électeur de Saxe l’avait envoyé présider des examens, que Mélancthon sentit les premières atteintes du mal qui devait l’enlever. Il éprouva de vives douleurs dans la nuit du 7 avril. Peucer, son gendre et son médecin, effrayé des symptômes, fit écrire à Camérarius, avec lequel Mélancthon était lié depuis quarante ans d’une amitié si étroite, qu’il se hâtât de venir à tout évènement.

Le matin, dès le point du jour, Mélancthon voulut reprendre ses travaux ordinaires, pensant trouver encore ses forces ; mais, déjà frappé de cette faiblesse qui est le commencement de la mort, il écrivit d’une main tremblante à un de ses amis qu’apparemment Dieu voulait l’enlever au synode que les Flacciens allaient provoquer. Puis s’interrompant pour parler avec son gendre de sa maladie : « Si Dieu le veut ainsi, dit-il, je mourrai volontiers : puisse-t-il faire que mon départ soit joyeux ! » Il était fort inquiet d’une éclipse qui avait eu lieu dans l’équinoxe, et d’une conjonction de Mars et de Saturne. Il y avait vu d’ailleurs un présage de stérilité, et avait conseillé à l’académie de se pourvoir de blé pour une disette, ce qui fut fait.

Vers huit heures, il parla d’aller faire sa leçon de dialectique à l’académie. Comme on essayait de l’en détourner : « Je ne lirai qu’une petite demi-heure, » dit-il, et il sortit, appuyé sur les bras de deux élèves. Arrivé dans la salle des cours publics, il la trouva vide, car on l’avait trompé d’heure, dans l’espoir que, ne trouvant personne, il s’en reviendrait. Il hésita d’abord s’il ne prendrait pas l’heure d’un de ses collègues, alors absent ; mais l’auditoire manquant, il se fit reconduire chez lui. Là, se sentant mieux, et neuf heures ayant sonné, il témoigna le désir de retourner à l’académie. On avait pensé d’abord à faire afficher que le cours n’aurait pas lieu ; mais, sur la réflexion que cette contrariété pourrait le fatiguer plus que sa leçon, on le laissa monter dans sa chaire. Il parvint à parler environ un quart d’heure sur un texte de Grégoire de Nazianze, dissimulant sa faiblesse, et affectant d’élever la voix. Cet effort parut toutefois le ranimer ; il continua tout le jour et une partie du lendemain à dicter une histoire universelle qu’il avait déjà menée jusqu’à Charlemagne ; et le sénat de l’académie ayant été convoqué pour délibérer sur quelques rixes entre des jeunes gens, il s’y rendit, et prononça de graves paroles, conseillant des mesures mêlées de sévérité et de douceur.

De retour chez lui, il se remit à ses travaux. Il faisait imprimer alors un discours funèbre sur la mort de Philippe, duc de Stettin et de Poméranie. Ses amis craignaient d’y voir un présage, et lui-même allant au-devant de leurs pensées. « Je ne traite plus, leur dit-il, que des sujets funèbres. L’excellent prince à qui j’ai rendu cet hommage a été un Philippe. Quoi d’étrange que moi, un Philippe de la foule, je le suivisse ? »

Le 12 avril, qui était le jour de la Passion, il se leva, après une nuit sans sommeil, à quatre heures du matin et à six heures il alla faire sa leçon, selon la coutume des professeurs de célébrer dès le matin la mémoire de si grandes choses, et quoiqu’il ne le fît pas sans beaucoup de fatigue, même en santé. Ce fut, d’ailleurs, la dernière fois qu’il parla en public. Il rentra chez lui pour n’en plus sortir que mort, luttant contre les progrès du mal, tantôt assis, tantôt debout et se promenant dans sa bibliothèque. Il y eut un moment où, descendant l’escalier qui y conduisait, les forces lui manquèrent, et il s’assit sur une marche la tête appuyée sur le coude. C’est dans cette posture que Camérarius le trouva.

Le jour de Pâques, quoiqu’il pût à peine se tenir debout, il voulut, dès six heures, aller à l’académie faire sa leçon accoutumée sur la solennité du jour. Déjà, malgré la résistance de Camérarius, il avait revêtu sa robe, disant qu’il se contenterait de faire aux élèves quelques courtes réflexions, lorsque son fils, survenant, lui annonce que l’auditoire est désert. « Est-ce donc toi, dit Mélancthon avec impatience, qui as donné ordre aux élèves de se retirer ? » Ce que celui-ci ayant nié, Mélancthon se calma : « Pour qui ferais-je ma leçon, dit-il, s’il n’y a personne ? » Et quittant sa robe, il se mit à écrire des lettres.

Des affaires pressantes forçaient Camérarius de partir. On n’avait pas perdu toute espérance, les membres étant encore valides et la tête intacte. Un goûter d’adieu fut préparé, où devaient assister quelques amis ; il voulut les traiter avec du gibier que lui avait envoyé le prince d’Anhalt, et du vin du Rhin, qui lui était venu d’un autre don. Avant de se mettre à table, Camérarius et lui étant dans la bibliothèque, lui assis sur un escabeau, et plusieurs personnes debout vers la porte, il dit à son ami, comme dans un dernier adieu : « Mon cher Joachim, nous sommes liés depuis quarante ans d’une amitié vraie et réciproque, d’où ni l’un ni l’autre de nous n’a cherché à tirer profit, et nous avons été de bons pédagogues, chacun à notre place. J’ai la confiance que nos travaux ont été utiles à plusieurs. Que si Dieu a voulu mettre fin à mes jours, nous continuerons de nous aimer saintement dans l’autre vie. » Ensuite ils descendirent pour le goûter, où Mélancthon, après quelques discours touchans sur la mort édifiante d’une fille de Camérarius, fut pris d’une telle faiblesse, que celui-ci, effrayé, remit son départ au lendemain.

Le moment de la séparation arrivé, Mélancthon lui dit d’une voix triste : « Que Jésus-Christ, fils de Dieu, qui est assis à la droite de son père et qui dispense ses dons aux hommes ; te conserve, toi, les tiens et nous tous ! » Et il ajouta des complimens pour la femme de son ami. Camérarius monta à cheval et partit pour Leipsick.

Le même jour, Mélancthon parla de la folie de ceux qui nient que Jésus-Christ ait craint la mort. « Il la craignait d’autant plus, ajouta-t-il, qu’il connaissait mieux que nous ce que c’est que mourir. » Il revint sur cette mort de la fille de Camérarius, et sur la maladie qui l’avait enlevée, et qu’il comparait à la sienne, sauf sa faiblesse qu’il trouvait si grande et qu’il attribuait à une cause obscure. Et peu auparavant, étant couché : « Si ce n’est pas la mort, dit-il, c’est du moins un bien grand châtiment. » À la muraille où touchait son lit, était suspendue une carte d’Europe ; après l’avoir regardée avec des yeux fixes, il se tourna vers ceux qui le soignaient, et leur dit avec un sourire : « Virdung a lu dans les astres que je ferais naufrage dans la Baltique. Il a raison, je ne suis pas bien loin de cette mer. » Et, en effet, la partie de la carte où elle était figurée était la plus proche de son lit.

Le lendemain, ne pouvant souffrir aucune position à cause de son extrême faiblesse, il se fit placer sur une litière de voyage. Ceci s’appelle un lit de voyage, dit-il ; n’est-ce pas dans ce lit que je vais partir ? » Vers neuf heures, il appela Peucer : « Que vous semble, dit-il, de mon mal, et quelle espérance avez-vous ? Ne me dissimulez rien. — À Dieu appartient votre vie, répondit Peucer, et la longueur de vos jours. Nous les lui recommandons ; mais, puisque vous voulez que je vous dise la vérité, si je considère les causes physiques, votre état est loin d’être sans péril, car votre faiblesse est grande et s’accroît de moment en moment. — Je pense comme vous, dit Mélancthon, et je ne m’abuse pas sur cette faiblesse. » Et il pria qu’on cherchât dans ses papiers un projet de testament qu’il avait préparé, et dont le préambule était une profession de foi sur la religion. Comme on ne trouvait pas cet écrit, probablement dérobé par une de ces infidélités dont se plaignent tous les hommes publics de ce temps-là, il en dicta un autre où il donnait son sentiment sur les dissidences des protestans.

Le 19 avril, qui fut son dernier jour sur cette terre, après avoir tenu plusieurs discours à son gendre sur les malheurs de l’église, il parut dormir quelques instans d’un sommeil assez doux. Puis, se réveillant en sursaut, il pria Peucer de lui couper les cheveux, selon l’usage où il était de ne recevoir ce service que de lui, et se fit changer de linge, comme s’il eût été averti tout à coup du départ et qu’il voulût se tenir prêt. Peu après, il fut visité par des amis et des hôtes d’une ville voisine. Il s’entretint avec eux environ une demi-heure, avec quelque gaieté d’abord ; puis, ses pensées devenant sombres, il leur parla tristement des disputes qui déchiraient l’église ; et il ajouta : « Si je meurs, c’est un bienfait singulier de Dieu qui m’enlève à tous les maux dont nous sommes menacés. »

Vers midi, le pasteur et les professeurs de Wittemberg entrèrent dans sa chambre. Ne pouvant déjà plus parler, il demanda qu’on lui lût divers passages des livres sacrés qu’il aimait particulièrement. Cette lecture finie, il dit à haute voix « J’ai toujours dans l’esprit et en vue ce mot de Jean sur le fils de Dieu : le monde ne l’a pas reçu ; mais, à ceux qui l’ont reçu, il a donné le privilége de devenir enfans de Dieu. » Après quoi il remua les lèvres environ un quart d’heure, comme s’il eût continué intérieurement ses pieuses réflexions.

L’heure approchait où la plupart des professeurs allaient faire leur cours. Personne ne se sentant le courage de quitter, à ce moment suprême, l’ami qui allait leur échapper, on rédigea à la hâte, au nom de tous, un avis conçu en ces termes : « Très chers auditeurs, vous n’ignorez pas dans quelle sollicitude, quel chagrin et quelle crainte nous jette la maladie de notre vénéré précepteur et père, maître Philippe, et sans doute vous vous en affectez avec nous. Vous souffrirez donc que les leçons de cette après-midi n’aient pas lieu. Nous voulons vous prouver par là que telle est la force du mal que, si Dieu n’aide pas la nature, notre précepteur ne pourra pas résister plus long-temps. Nous vous exhortons à vous unir à nous, pour prier Dieu qu’il jette un regard de pitié sur cette misérable église et sur la jeunesse, et que, pour châtier notre ingratitude, il ne nous enlève pas, dans des temps si difficiles, le fidèle directeur de nos études. Employez à des prières ce temps de loisir, et implorez Dieu pour l’église et pour la santé de notre précepteur. »

Mais déjà Mélancthon luttait avec la mort. Il ne parlait plus que pour répondre, ayant les lèvres toujours en mouvement, comme s’il se fût hâté de recueillir dans sa mémoire toutes les promesses de l’autre vie. Son gendre lui demanda s’il voulait quelque chose « Rien, dit-il, que le ciel. » Et peu d’instans après, s’étant évanoui, comme on eut rappelé ses sens au moyen d’un cordial, il parut se ranimer et dit : « Pourquoi troublez-vous mon repos ? laissez-moi en paix jusqu’à la fin de ma vie, qui n’est pas loin. » Cependant tout le monde s’était agenouillé, et le pasteur lisait, parmi les passages des saintes Écritures, ceux qu’on savait qu’il avait particulièrement médités. Après cette lecture, on recommença les prières ; et Vitus, l’un de ses collègues, docteur en médecine et professeur de langue grecque, lui ayant demandé s’il comprenait tout ce qui venait de lui être lu, il répondit en allemand : Oui. Quelques minutes après, vers six heures du soir, pendant qu’on récitait le symbole des apôtres et l’oraison dominicale, il expira d’une fin si douce que, de tous ces yeux qui étaient attachés sur lui, aucun ne put surprendre l’instant du passage suprême.

Il avait vécu soixante-trois ans et autant de jours, et était mort à la même heure où il était venu au monde.

La nouvelle de sa mort amena toute la ville devant sa maison : étudians, étrangers, habitans de toutes les classes, demandaient à le voir avant qu’il fût mis dans le cercueil. Le corps resta exposé dans la bibliothèque, depuis le 20 avril au matin jusqu’au lendemain dans l’après-midi. Les plumes, et jusqu’aux débris de papier qui étaient répandus sur le plancher, furent enlevés. Sur le passage du convoi, des sanglots éclatèrent, parmi les femmes surtout, de qui Mélancthon s’était fait aimer, pour cette douceur et cette grace qui lui étaient particulières. Camérarius, arrivé le matin, n’eut pas la force d’entrer dans cette triste maison, au milieu des derniers préparatifs : il attendit que le cercueil fût fermé, et il le suivit jusqu’à l’église de la citadelle où le corps fut déposé à côté de celui de Luther. La mort avait réuni le disciple au maître, après une séparation de quatorze ans.

XVII. — MÉLANCTHON RÉFORMATEUR DANS LES LETTRES. — INFLUENCE DE LA RENAISSANCE SUR LA RÉFORME.

Mélancthon avait bien gagné l’éternel repos : il avait rempli, avec une gloire que lui seul ne connut pas, la double tâche de réformateur dans la religion et de réformateur dans les lettres. Nul ne mit à leur service un esprit plus pourvu des ressources particulières qu’elles réclamaient. Nul ne souffrit plus pour ces deux causes, lesquelles furent au commencement si étroitement liées : la réforme pénétrant partout où la renaissance avait ouvert les intelligences, et le même progrès éclairant les esprits et émancipant les consciences.

Mélancthon n’estima jamais de son immense savoir que ce qui pouvait en être compris du plus grand nombre. Quelquefois, pensant à la gloire des anciens écrits, il laissa échapper l’aveu qu’il eût pu faire des livres plus polis et plus agréables aux lecteurs[14]. Mais il ne se croyait pas le droit de se contenter, et sacrifiait volontiers ceux de ses dons naturels que le travail et la patience eussent perfectionnés, au besoin de faire paraître ses livres à temps et de les approprier à l’intelligence des lecteurs. À une époque où les livres étaient des actions, et les lettrés des chefs de parti, il n’était guère loisible de songer à la gloire des écrits durables. Pour Mélancthon, il ne pensa jamais à jouir de son esprit, et il ne fut et ne voulut être que pédagogue : assez semblable à Fénelon par ce nouveau trait, qu’il n’eut pas l’orgueil du génie, et qu’il ne trouva rien de plus beau que de faire des livres d’éducation.

On a vu Mélancthon se défendre, non par peur de la responsabilité, mais pour être vrai, d’avoir rien inventé en fait de dogmes. Il y revient souvent dans ses écrits. « Je n’ai bien appliqué, dit-il quelque part, toutes les forces de mon esprit et tous les efforts de ma volonté, qu’à expliquer avec clarté et précision de si grandes matières, et à donner à la jeunesse des opinions droites et modérées. Autant que je me connais, j’affirme avec vérité et en toute conscience que je n’ai jamais eu en vue que de servir le public[15]. » Les seules corrections qu’il fît à ses livres, étaient pour y mettre plus de cette netteté qui découvre les choses aux lecteurs les plus inattentifs, et non pour attirer les yeux sur l’écrivain. Sa conscience délicate et simple l’aidait beaucoup dans ce dessein : car il ne pouvait enseigner que ce qu’il croyait, et il ne pouvait croire que ce qu’il concevait nettement. Bossuet l’a surpris se contredisant, atténuant ou omettant selon le besoin. Le reproche est vrai ; mais c’est à nous de dire que ce ne fut jamais pour se tirer d’un embarras ou d’un danger personnel, ni par cette fragilité de la sagesse humaine qui peut faire que la constance même dans les opinions soit une faute. Mélancthon se dévouait à la concorde, qui fut toujours d’un plus grand prix à ses yeux que certaines conséquences d’un principe absolu. Les contradictions de Luther peuvent choquer, parce que c’est le plus souvent son orgueil qui donne un démenti à sa bonne foi, et qu’on croit voir un législateur qui s’excepte des lois qu’il a faites ; mais comment blâmer Mélancthon, lorsque, dans un intérêt commun et pressant, il ne souffre pas que ce qu’il a pu écrire soit un empêchement pour la paix, et qu’à la différence de Luther, la bonne foi de l’homme pacifique ne craint pas de démentir l’amour propre de l’écrivain ? Comment n’aimer pas cette habitude de ne tenir à ses idées qu’autant qu’elles peuvent servir au bien d’autrui ? et qui n’estimera que celui-là était le vrai disciple du Christ, qui faisait des dons supérieurs de son esprit comme l’appoint de toutes les opinions et de toutes les prétentions qu’il voulait accorder ?

Un esprit si pratique devait emprunter sa méthode aux anciens. Là, en effet, sont les plus beaux modèles de littérature appropriée. Les livres des anciens sont comme leur politique : celle-ci se faisait sur le Forum ou l’Agora, en plein jour, par la communication et la discussion. Les livres se faisaient comme la politique, en vue et avec le contrôle de tous. L’art des anciens n’est que la connaissance des routes les plus sûres et les plus directes pour arriver à l’intelligence d’autrui, et pour accommoder le génie aux esprits les plus ordinaires, sans le faire descendre. C’est aux anciens que Mélancthon prit ses plans, sa netteté dans l’exposition, l’art de grouper les preuves, de proportionner un sujet ; la clarté, cette lumière qui n’éclaire pas tout le monde au même degré, mais qui ne laisse personne dans l’obscurité ; le naturel de l’expression, qui n’est que le langage le plus général et le plus approprié : c’est à ces qualités qu’il dut cette puissance que tout le monde contesta et que tout le monde subit. La Confession d’Augsbourg, son plus beau livre comme théologien, est un ouvrage antique par la méthode. Or, ce livre lui a survécu et demeure encore. Vainement Luther l’affaiblit, d’abord par son refus de concours, tandis que Mélancthon l’écrivait, ensuite par ses désaveux, quand il parut ; vainement les sacramentaires et l’église de Strasbourg, par l’éclat de leurs réserves ; tous les exagérés, par la peur de ne pas demander assez ; tous les beaux-esprits, par le désir de se distinguer en se départant, s’agitèrent pour le discréditer : le livre résista. Il résista par sa méthode même, qui en avait exclu toutes les exagérations particulières de chacun des chefs, et n’y avait fait entrer de leurs sentimens que ce qui pouvait être consenti par tous et compris du public. Plus d’une fois, au début de certaines diètes, on parut s’entendre pour rejeter ce code, qu’on s’étonnait d’autant plus de subir, que l’auteur lui-même ne cherchait pas la domination. Les discussions s’ouvraient, soit sur les points qui n’y avaient pas été résolus, soit sur quelques-uns de ceux qu’il comprenait, mais que l’on posait dans d’autres termes, comme pour secouer au moins le joug de la rédaction consacrée ; mais bientôt les excès de l’interprétation ou du droit d’initiative de chacun ramenaient tous les disputeurs, comme à leur insu, au livre de Mélancthon ; de sorte que celui de tous les réformateurs qui paraissait avoir fait le plus de sacrifices, revenait par le fait de moins loin que tous les autres. À force de se dérober, Mélancthon avait fini par se faire suivre de tout le monde.

Les plus éclairés de ses contemporains appréciaient très bien sa position à cet égard. Ils le regardaient comme envoyé de Dieu, non moins manifestement que Luther, pour éclaircir la doctrine et l’assurer. Dans l’imagination populaire, Luther découvrait des terres nouvelles et les conquérait ; Mélancthon y mettait l’organisation et l’administration. Ces deux hommes étaient si nécessaires l’un à l’autre, que Luther, qui fut toujours le premier à s’en fatiguer et à vouloir rompre, ne gagna rien à se brouiller avec Mélancthon. Séparé du plus illustre de ses disciples, et du seul qui pût l’entendre sans être ébloui, le maître, au lieu de faire des conquêtes, n’eut que des aventures sans cause et sans effet. La parole de Luther toute seule soulevait des tempêtes dans la foule ; en passant par la bouche de Mélancthon, elle s’insinuait doucement dans les esprits, et y prenait racine.

L’influence que sa méthode lui donna en Allemagne, il l’eut en France, en Angleterre ; il l’eut en Italie, en Espagne, sur tous les esprits éclairés que l’inquisition et un air plus favorable au catholicisme n’empêchèrent pas de s’unir de vœux à l’Allemagne protestante. Cet art de trouver, au milieu de tant d’opinions extrêmes, une sorte d’esprit moyen où pussent se rencontrer toutes les intelligences, les unes comme à leur point d’arrivée, les autres comme à leur point de départ, lui donna une véritable importance diplomatique en Europe. Tant que les princes ne songèrent pas à tirer parti pour leur politique des questions religieuses, ou, plus tard, quand ils s’aperçurent que les embarras surpassaient le profit, ils pensèrent à se servir de Mélancthon. On s’exagéra même ce qu’il pouvait obtenir, chacun jugeant par soi l’effet que devaient produire sur les autres cette modération et cette clarté. Mais lui-même ne se laissa pas enivrer, et ne reçut jamais qu’avec hésitation cette médiation universelle, soit qu’il comprit que le débat ne resterait pas long-temps spéculatif, ou qu’il se souvînt trop du prix que lui avaient coûté ses succès à Augsbourg.

Si je ne craignais les opinions trop absolues dans une étude sur l’homme qui se fit une gloire immortelle en les évitant, et les airs de paradoxe en parlant d’un esprit qui les redouta comme des fautes contre la conscience, je dirais que Mélancthon fut la méthode vivante de la réforme. Et, comme il prit tous ses moyens dans les anciens, j’ajouterais, pour compléter ma pensée, que ce fut la renaissance qui fournit à la réforme sa méthode. Les preuves en sont manifestes, non-seulement pour ceux qui peuvent reconnaître sous la diversité des matières, et en l’absence de toute imitation visible, l’identité de méthode, mais encore pour ceux qui ne veulent se rendre qu’à des marques extérieures et matérielles. Tous les bons écrits théologiques du temps, et, parmi les meilleurs, ceux d’Érasme et de Mélancthon, sont pénétrés de l’esprit ancien. La plus belle qualité de ces écrits est l’emploi même de ses ressources les plus naturelles, de ses moyens les plus simples, appliqués à d’autres matières et à une autre cause : le défaut en est une certaine superstition qui allait jusqu’au plagiat. Ainsi dans les diètes, figurées à l’instar des assemblées antiques, l’orateur s’interrompt comme Démosthènes, pour faire lire par un secrétaire, imité du greffier athénien, les articles qui font l’objet de la discussion. L’art des orateurs est souvent confondu avec les expédiens des rhéteurs, et le grand goût des hommes de génie avec le goût puéril des écoles. Au lieu de s’en tenir à ce qui, dans l’esprit ancien, est conforme à l’esprit humain, on calquait jusqu’à ces circonstances de détail qui varient selon le temps et la forme des sociétés, et, dans un pays chrétien, on voulait avoir à la fois l’éloquence et la tribune antiques. Mais l’effet général n’en était pas moins excellent, et cette imitation servile de l’appareil antique n’y nuisait pas en aidant la raison humaine à retrouver ses voies par des images de ces temps admirables.

Ce serait pousser trop loin l’éloge que d’attribuer à Mélancthon tout seul l’honneur d’avoir appelé la renaissance au secours de la réforme. Luther, de son regard supérieur, avait bien vu le service qu’on pouvait tirer des lettres anciennes, et, avant de connaître Mélancthon, il les avait assez étudiées pour être, même en ce point, plus exercé qu’aucun de ses adversaires. Mais il ne sentait pas le besoin de s’y perfectionner, et s’enfonçait de plus en plus dans la théologie, si favorable à la subtilité de son esprit et à la hardiesse de son imagination. Érasme, et c’est sa gloire, avait toujours mêlé les études littéraires aux études théologiques, éditant de la même main les pères du christianisme et les auteurs profanes ; mais son goût, moins fin que celui de Mélancthon, le portait plutôt vers la négligence abondante des pères que vers la perfection des anciens. Ses écrits théologiques, outre leur indécision, tantôt calculée, tantôt sincère, ne sont piquans que par leurs railleries sur la grossièreté illettrée des moines. Il y manque la proportion, le plan, et cet art merveilleux des anciens, si c’est un art que de se conformer à l’esprit humain, de se rendre accessible à tout le monde, quoique à des degrés divers, et à chacun dans la mesure de son intelligence et de son savoir. Or, c’est cet art que retrouva Mélancthon, et qui, joint à sa sincérité en toutes circonstances, et à sa décision dans les choses essentielles, en fit le premier théologien de la réforme pour la propagation et l’enseignement de la doctrine.

Je crains qu’aux yeux de certaines personnes dont la foi peut être inquiète, ou l’orthodoxie intolérante, ce soit pour la renaissance un médiocre honneur d’avoir aidé la réforme. Mais j’avertirai ces personnes de prendre garde d’être plus catholiques que chrétiennes. Dans le temps que la réforme suscitait les anabaptistes de Munster, ou qu’elle partageait la France en deux pays ennemis, cette prévention était juste ; mais depuis que les armes sont rentrées dans le fourreau, qu’aucun pays n’est divisé par la religion, que dans les deux partis les hommes éclairés se sont réconciliés sur le terrain du christianisme, il ne faut pas craindre de faire honneur à l’esprit ancien de nous avoir ramené des derniers excès de la scolastique à l’intelligence savante et profonde du christianisme. Il ne faut pas craindre de glorifier Mélancthon en particulier pour y avoir tant contribué par sa plume comme par toutes les vertus du chrétien pratique.

Je dirai même aux catholiques, pour peu qu’ils consentent à ne l’être pas plus que Bossuet, que c’est la réforme qui a fait le catholicisme gallican, le catholicisme profond, savant et philosophique de ce grand homme. Aimeraient-ils donc mieux le temps où des professeurs de scolastique, à Paris, s’évertuaient à montrer à leurs élèves en quoi papam vidi diffère de vidi papam ; où un article portait que soutenir qu’ego currit est de bon latin, sent l’hérésie ; où un professeur de théologie expliquant un passage des livres sacrés dans lequel il est question d’un roi de Salem qui offre du pain et du vin, croyant que Salem voulait dire sel, s’étendit sur la nature et la force de ce condiment ? C’était le temps où les évêques faisaient la guerre aux lettres, comme à des semences d’hérésie. La réforme força ces catholiques, qui avaient oublié leurs livres, et étouffé sous je ne sais quel amas de sophisterie les dogmes de l’évangile, de revenir aux sources même de leur foi, et de l’apprendre pour mieux la défendre. Les premiers écrits de Luther, et plus tard les lumineux traités de Mélancthon, firent rougir Jean de Eck et les autres de n’être que diffus, et les forcèrent à être éloquens. L’homme ne peut rien conquérir ni conserver que par le combat. Quand il fallut apprendre l’hébreu pour tenir tête aux élèves de Reuchlin, et réfuter les écrits de Luther et de Mélancthon par leur propre méthode, il y eut un plus grand nombre de vrais catholiques qu’au temps où la scolastique régnait paisiblement sur toutes les contrées du continent européen. Les plus illustres catholiques sont contemporains des réformateurs. Pendant que Luther et Mélancthon remplissaient l’Europe occidentale de leurs écrits, le catholique Thomas Morus disputait comme un père de l’église romaine et mourait comme un martyr de l’église primitive. Plus tard, ne sont-ce pas les protestans de Hollande qui suscitèrent la polémique de Bossuet ? Les croyances disputées sont les seules qui soient profondes, outre que les mêmes combats qui renouvellent les esprits, renouvellent les caractères. Aux époques dont je viens de parler, les grandes vertus se trouvaient du même côté que les grands talens.

Au reste, il est temps que je quitte ce terrain, où je me sens mal assuré, ne pouvant rien affirmer avec autorité, ni exprimer de doutes utilement et avec convenance, et j’ai hâte de montrer dans Mélancthon le réformateur littéraire. Là du moins les contradictions sont moins à craindre, et ont peu de conséquence. Je n’y rencontrerai ni les protestans, pour interpréter sa modération par sa faiblesse de caractère plutôt que par l’excellence de son esprit ; ni les catholiques, pour l’accuser de n’avoir pas été modéré jusqu’à passer de leur côté. Les services qu’il a rendus à ce qui, sous le nom de philosophie, embrassait alors toute la science humaine, ne peuvent être ni contestés ni interprétés à mal, puisque, grace à Dieu, il n’y a pas un parti de l’ignorance et de la vie sauvage. Quiconque aime les lettres pour elles-mêmes, et en a goûté la douceur dans le commerce des grands écrivains de l’antiquité, honorera sans réserve l’homme qui a reçu dans sa patrie le titre de précepteur commun de l’Allemagne.

C’est le plus modeste des titres ou c’est l’un des plus grands, selon le théâtre où le précepteur donne ses leçons. Quand l’école se compose d’un grand peuple, il n’y en a pas de plus beau ni de plus à envier. Je ne trouve, dans l’histoire de ce temps-là, que Mélancthon qui en ait été honoré. C’est là en effet sa gloire très particulière, qu’à côté de ceux qui exhumaient les monumens de l’antiquité, et étaient souvent éblouis eux-mêmes par le flambeau qu’ils rallumaient, Mélancthon faisait arriver jusqu’aux petits enfans quelques lueurs de la sagesse antique.

Il fut pour les lettres ce qu’il avait été pour la réforme ; il n’imagina rien, il appropria ce qui avait été fait. Pourquoi lui donnerais-je une gloire à laquelle il s’est refusé ? La grande pensée de la réforme comme de la renaissance, c’est le retour aux sources même. Or, Luther pour la réforme, pour la renaissance l’Italie tout entière, et en Allemagne, Érasme et Reuchlin, avaient rouvert les livres. Mais pendant que Luther s’enivrait de la nouveauté de ses interprétations, et qu’Érasme écrivait d’agréables livres pour les lettrés de l’Europe, Mélancthon mettait en catéchisme la théologie nouvelle, et faisait des grammaires pour apprendre aux enfans à lire les anciens.

Dans les lettres comme dans la religion, il ne recherchait que la gloire d’approprier les choses à l’entendement de la jeunesse. Mais tandis qu’il ne croyait et qu’il ne voulait être que pédagogue, se défendant de tout autre titre avec la modestie chrétienne, il réformait toutes les parties de l’enseignement public. Il faisait, pour la philosophie proprement dite, pour l’enseignement des langues, pour la jurisprudence, pour la médecine, pour les sciences physiques, ce que Luther avait fait pour la théologie : il les séparait de cette fausse science qui, dans l’ignorance où l’on était de la véritable, était née du souvenir vague et obscur qui en était demeuré, et avait fini par s’y substituer et en usurper le nom.

Avant lui, la scolastique était partout. J’entends par là ce mélange grossier de toutes les sciences les plus distinctes et ce raffinement inoui qui retenait dans la spéculation stérile celles que, plus tard, la méthode devait mêler à la vie pratique. La philosophie, par exemple, était confondue avec la religion, ou plutôt c’était un amalgame de la tradition corrompue d’Aristote avec la tradition non moins corrompue du christianisme. De là l’indignation de Luther, et, dans le commencement, celle de Mélancthon contre Aristote, comme s’il eût été complice de cette confusion. Et de là, par contre-coup, l’attachement des scolastiques, dont cette confusion favorisait l’ignorance et la sophisterie, pour ce même Aristote, qui leur était presque plus Dieu que Jésus-Christ. Le moyen-âge avait désappris les livres, mais il avait retenu les grands noms ; et son respect pour Aristote était d’autant plus superstitieux que, ne pouvant le connaître par ses écrits, il l’avait fait à son image. Toutes les vanités et toutes les ignorances étaient intéressées à la perpétuité de son règne.

L’espèce de science qui s’enseignait généralement dans les écoles, sous le nom de dialectique, consistait en commentaires des diverses parties de l’Organum d’Aristote, défigurées et mutilées dans des traductions latines. Les professeurs de dialectique, ne sachant point les langues originales, et n’étant point exercés à écrire, ajoutaient leur propre obscurité à toutes celles de la matière, et se contentaient d’étonner leurs auditeurs par des artifices où toutes les forces du raisonnement étaient employées à surprendre et à égarer la raison. Le prédécesseur de Mélancthon à Wittemberg, un certain Tartaretus, passait, dit Vitus Winshemius, pour un dieu[16], tant il avait poussé loin l’art d’embarrasser les questions et de les résoudre par des moyens surprenans. On qualifiait les plus habiles en ce genre d’irréfragables, de très illuminés, d’angéliques, de séraphiques ; les éloges étant, comme il arrive, d’autant plus exagérés que la science était moins solide. Mais l’admiration suscitait des critiques non moins passionnées, et ces disputes, sur ce misérable terrain d’équivoques et d’arguties, finirent plus d’une fois par des coups.

En arrivant à Wittemberg, Mélancthon y trouva cette dialectique florissante, et les réalistes et les nominaux qui continuaient d’y disputer, quoique Luther les eût fort surpris en apportant une bien autre matière de disputes que celle qui les tenait divisés. Mélancthon se plaça entre eux comme arbitre, condamna les deux partis, et leur demanda de réunir leurs forces pour rechercher en commun la vérité dans ces livres qu’ils citaient et qu’ils n’avaient pas lus. En même temps il leur mit dans les mains une grammaire latine et une grammaire grecque, et il rétablit la paix entre tous ces docteurs en en faisant ses écoliers.

Quant à la dialectique, il alla en chercher la définition dans Cicéron, qui lui fournit le programme même de ses leçons. « La dialectique, dit ce grand homme, c’est cette science qui enseigne à distribuer un tout en ses diverses parties, à découvrir par la définition ce qui est caché, à éclaircir par l’interprétation ce qui est obscur, à voir les équivoques, et à les résoudre par d’habiles distinctions, à posséder enfin une règle certaine pour juger le vrai ou le faux, et pour savoir si une conséquence est bien ou mal déduite de son principe[17]. » Mélancthon étudia les formes du raisonnement dans le plus serré et le plus vif des logiciens, dans Démosthènes. Puis, faisant un choix de tous les préceptes de l’art antique, et renouvelant le raisonnement lui-même, il appliqua cet instrument réparé à des questions qui touchaient à la conduite même de l’homme et aux plus grands intérêts de son temps. Il fit succéder, dans son auditoire, à une curiosité stérile, l’attention et la réflexion ; il intéressa aux vérités essentielles ceux que son prédécesseur Tartaretus amusait par des jeux de paroles. Bientôt le dieu dont parle Vitus fut traité par les nouveaux lettrés, comme les saints l’étaient par les réformateurs, et il courut plus d’une épigramme grecque ou latine, où l’on jouait sur la ressemblance de son nom avec le nom du Tartare, dont il avait, disait-on, répandu les ténèbres sur les pensées d’Aristote.

Cet art, dont Cicéron raconte que le grand jurisconsulte Scévola s’en aida pour débrouiller la jurisprudence, n’est que la méthode même de tout esprit bien fait ; et la chose existait avant le nom. C’est l’arme défensive de l’homme vivant en société. Étendez-la aux actions, c’est la morale. Il n’y a de sûreté dans la conduite, il n’y a de solidité dans le jugement que par la dialectique. Le moyen-âge, n’en ayant pas la réalité, en avait adoré l’ombre. Il languit dans une sorte d’ébahissement devant les merveilleux tours de cet art équivoque, qui n’avait ni son fondement naturel, qui est l’étude des langues, ni sa matière, qui est la vie pratique et contentieuse. Mélancthon les lui rendit, et il rétablit l’empire de la vraie dialectique dans toutes les branches des connaissances humaines, dans les lettres et les sciences morales où elle garda son nom, comme dans les sciences physiques, où elle devait prendre le nom d’analyse.

Avant lui, la jurisprudence était une science obscure et captieuse, formée, comme la philosophie aristotélique, de quelques traditions confuses des monumens. On en avait fait l’art de résoudre des questions de ce genre : Quand Lazare fut ressuscité, son testament demeura-t-il valable ? Et cette autre : Un âne, voulant boire, s’approche d’un fleuve ; mais, trouvant l’eau du bord ou trop bourbeuse ou en trop petite quantité, il monte dans une barque qu’on avait amarrée là, afin de boire plus près du courant. La barque se détache, est emportée sur des écueils où elle se brise et où l’âne se noie. Procès entre le meunier qui accuse la barque d’avoir fait périr son âne, et le pêcheur, qui accuse l’âne du naufrage de sa barque. Qui a raison, qui a tort, du pêcheur ou du meunier[18] ? Voilà pour la théorie. Quant à la pratique, les lois et les jugemens étaient la proie de quelques agens d’affaires, qui profitaient de l’incertitude des traditions et de l’ignorance des juges, pour embrouiller les causes et semer les procès. Quoique Mélancthon ne fût pas jurisconsulte, il avait étudié les lois romaines, et y avait retrouvé cette sagesse écrite dont on dit qu’elles sont le recueil. Il y renvoya les jurisconsultes ; et, après avoir montré les sources et rétabli la théorie, il demanda que les lois et les jugemens fussent arrachés des mains des sycophantes et remis aux hommes de savoir et de probité. Les catholiques soutenaient cette jurisprudence à la fois puérile et meurtrière, d’abord comme une des pièces du vieil édifice, ensuite sous le prétexte qu’un état chrétien ne devait pas être régi dans le civil par des lois païennes. Mélancthon les combattit par des raisons profondes, faisant, dès ce temps-là, entre le citoyen dans ses rapports avec l’état, et l’homme dans ses rapports avec Dieu, cette distinction protectrice qui a valu à notre législation d’être qualifiée d’athée, apparemment parce qu’elle a cessé de se croire dieu.

Cette même méthode, il la conseilla dans l’étude de la médecine, de la physique, de l’astronomie, des mathématiques, de la géographie, matières sur lesquelles il était allé fort au-delà du savoir de son temps. Si la diversité de ses travaux, et surtout l’application de chaque jour que lui demanda la théologie, ne lui laissèrent pas le temps d’inventer dans ces diverses sciences, il y mit du moins la méthode, c’est-à-dire la parole qui féconde le chaos. Les hommes exercés en chacune de ces sciences trouveraient sans doute bien des erreurs dans ce qu’il en a écrit ; et si les médecins l’admiraient pour avoir attaqué l’empirisme, les astronomes pourraient sourire de son penchant pour l’astrologie judiciaire ; mais tous lui reconnaîtraient le même mérite qui est d’avoir compris la dignité de leur science et de leur avoir montré le vrai chemin. Qu’en même temps qu’il rendait au monde moderne ce service si décisif, l’imitation, l’imperfection de la science qui se trompait sur les faits acquis et qui se cherchait elle-même à la lumière de la méthode retrouvée, qu’une imagination vive dans un corps languissant, l’aient quelquefois retenu dans le chemin battu, en quoi sa gloire d’avoir montré le nouveau en est-elle diminuée ? La force de l’esprit humain est la même à toutes les époques : c’est l’emploi et la méthode seulement qui font les grands siècles et les siècles sans gloire. Dieu n’abaisse pas certaines générations au-dessous du niveau qu’il a marqué à l’homme, et ce qu’on dit en morale, que le mal coûte autant d’efforts que le bien, peut se dire des choses de l’esprit : l’erreur n’en demande guère moins que la vérité. Gorgias n’est pas de beaucoup inférieur à Socrate par la subtilité de son esprit : ce qui fait la différence, c’est que Socrate ne se servait du sien que comme d’un instrument pour découvrir la vérité, et le ramenait toujours vers sa conscience, comme au foyer où il puisait ses forces, au lieu que Gorgias faisait de son esprit la vérité même, et manquait de conscience. Si quelqu’un d’autorité eût dit à Tartaretus, ce dieu de l’équivoque et des ambages : Portez cette subtilité dans l’étude des monumens, cherchez la doctrine aristotélique dans Aristote, et dans cette doctrine le sens pratique ; au lieu d’un nom oublié, il eût peut-être laissé un nom durable.

Si les savans peuvent trouver, dans les écrits scientifiques de Mélancthon, des illusions parmi beaucoup de vues justes et fécondes, les lettres peuvent accepter sans restriction ses théories littéraires. C’est la tradition et le grand goût. J’oppose ce grand goût à cette recherche puérile d’une sorte de perfection dans l’art d’écrire, indépendante du but pour lequel on écrit, du caractère et des mœurs de l’écrivain. C’est ce petit goût qui, dans les pensées, s’attache plus à celles qui ne sont qu’ingénieuses, qu’à celles qui sont vraies et qui servent à la conduite de la vie, et, dans les mots, plus à la grammaire qu’au génie des langues. Mélancthon conçut les lettres comme la religion : les unes doivent gouverner les actions dans la vie civile, comme l’autre doit gouverner la conscience dans les choses de foi. Il ne voulut rien d’académique, rien qui ne fût donné qu’à l’esprit. Pour lui, les poètes, les orateurs, les historiens, étaient d’admirables précepteurs qui nous apprennent par des voies agréables à distinguer le bien du mal, le vrai du faux, à être tolérans, réservés, pacifiques, à nous défendre et, s’il le faut, à nous sacrifier. Dans ses charmans avis aux étudians, il ne manquait guère de dire quels rapports les leçons qu’il allait faire avaient avec la vie pratique. Il y a toujours deux choses dans son cours : la matière du cours et le but. La matière, c’est quelque auteur ou partie d’un auteur ancien ; le but, c’est une application déterminée, soit à la vie pratique en général, soit, en certaines circonstances, à des évènemens contemporains qui pouvaient exiger des étudians une conduite particulière. Mélancthon n’aurait pas imaginé de faire un cours, pour n’y montrer que son esprit, ou pour n’y faire que les affaires de son ambition.

Et au sujet de ces avis développés, que le professeur adressait en son nom aux étudians, en prose et quelquefois en vers, que l’on me permette, si ce n’est pas une superstition de mon sujet, de les préférer à ces programmes placardés aux murs de la Sorbonne, où il n’y a ni vers ni prose, mais des titres, des noms, et les jours et heures des cours. Ces communications entre le professeur et les élèves étaient toujours utiles, et, dans certains cas, touchantes. Mélancthon n’eût pas manqué à une leçon sans en faire savoir le motif : parlant de sa santé, de ses fatigues, si l’empêchement venait de là ; et, en aucun cas, ne se faisant seul juge du motif ou de l’obstacle qui le forçait à remettre son cours au lendemain.

Il est vrai que le talent du professeur était pour beaucoup dans le charme et l’intérêt de ces avis : car j’en vois plusieurs qui sont écrits par Mélancthon pour ses collègues ; et c’est peut-être ce qui justifie les programmes. C’est une invention de l’esprit d’égalité : elle nivelle tout le monde ; elle met Tartaretus au même rang que Mélancthon.

Je ne regrette guère moins cet autre usage de recommander aux élèves, sous la même forme, les bons livres qui se publiaient. Il y a des exemples de ces avis, où Mélancthon les invite tout naïvement à acheter ces livres. « L’ouvrage se vend, dit-il d’un traité de saint Augustin, chez l’imprimeur Joseph. J’invite les étudians à l’acheter et à le lire, par amour pour l’antiquité, dont l’étude convient à des gens d’esprit[19]. » D’autres fois, je le vois invitant les étudians à suivre les leçons de quelque professeur dont l’enseignement a pu les effrayer par l’aridité des matières. Il leur recommande le professeur, et il leur donne une idée sommaire du cours et du profit qu’ils pourront y trouver. Ainsi, à propos d’un traité d’arithmétique que doit expliquer Jean Fischer « Il y a, dit-il, beaucoup de mérite et d’utilité à posséder cette science, qui est d’un si grand usage dans la vie, et qui ouvre la voie à la connaissance des mouvemens célestes. Celui même qui ne sait que médiocrement l’arithmétique est en possession d’un art qui peut le rendre propre à diverses fonctions et lui être d’un grand secours. Il ne faut donc pas le négliger, car il est de sa nature le premier des arts, la connaissance des nombres étant la première lumière de l’esprit[20]. »

Outre ces avis directs, Mélancthon s’adressait souvent aux étudians et au public, dans des préfaces qu’il mettait en tête des auteurs anciens, écrites, soit par lui, soit par ses amis. La vraie critique n’a rien changé aux jugemens que Mélancthon y porte sur les auteurs. Le XVIIe siècle les a adoptés ; le XVIIIe siècle s’y est rangé, malgré la légèreté de ses opinions et de son savoir en ce qui regarde les anciens ; et, de nos jours, la seule nouveauté solide à laquelle on puisse prétendre, c’est d’y revenir.

Ces communications si naïves entre le maître et les élèves, cette vie ouverte à tous et sans murailles, cette intelligence où chacun allait puiser, cette plume universelle, font de Mélancthon un génie très original par tout ce qu’il fit pour ne point s’appartenir. Tous les grands hommes ne sont grands que par le besoin qu’on a d’eux ; mais il n’en est guère qui, après avoir servi leur siècle dans la première moitié de leur carrière, ne s’en servent, dans la seconde, pour se perpétuer dans une sorte de royauté solitaire et stérile. Mélancthon servit tout le monde jusqu’à la fin, et il fut d’autant plus grand, qu’alors que les hommes supérieurs commencent à s’imposer, il continua toujours à se donner. Toutefois, comme nul ne peut échapper au commandement, s’il y est désigné par la supériorité de son esprit, Mélancthon fut puissant à force de refuser le pouvoir. Comme recteur ou comme professeur, il gouverna l’académie qui gouvernait elle-même la ville, et la vue de cette figure douce et souffrante, que lui prêtent les gravures du temps, animée par le courage du devoir, suffit plus d’une fois pour dissiper des séditions.

Qu’on imagine maintenant ce qui put se former d’élèves et de maîtres distingués, pendant un enseignement de quarante années, à la voix si persuasive et par les écrits si naturels et si pratiques de ce grand homme ; qu’on songe à ces académies qu’il fut appelé à organiser sur le modèle de celle de Wittemberg ; à tant de professeurs choisis par lui, sur la demande de toutes les villes de l’Allemagne, lesquels y répandirent sa méthode après l’avoir apprise de lui ; qu’on ajoute à ce nombre l’immense multitude d’étudians qui, à divers degrés, furent touchés par cet esprit supérieur, et gardèrent des marques d’un enseignement d’autant plus efficace qu’il était plus général et on s’expliquera ce titre glorieux de précepteur commun de l’Allemagne qui lui fut décerné par son siècle, et que les siècles suivans ne lui ont pas ôté.

Il fut aussi, à certains égards, le précepteur de la France, quoiqu’il n’y ait pas enseigné de sa personne. Calvin, par qui se formaient nos meilleurs esprits de ce temps-là, s’était formé par la méthode de Mélancthon. Nos étudians apprenaient le latin dans ses grammaires. J’ai sous les yeux un exemplaire de ses institutions de rhétorique, « bien autrement traitées qu’auparavant, » dit le libraire François Regnault, et qui porte la date de 1529. Dès 1526, cette rhétorique était populaire dans nos écoles[21]. Ses écrits de théologie, très lus et très admirés, formaient le goût de ceux même dont ils ne changeaient pas la foi. Je n’y trouve rien d’essentiel qui ne fasse partie du fond même de l’esprit français, ni aucune qualité de composition et de style qui ne soit obligatoire pour nos écrivains. Si l’influence de Mélancthon fut directe, quelle reconnaissance ne devons-nous pas à ce grand homme ? Si, ce qui ne le diminuerait point, l’esprit français n’a fait que suivre la même voie que l’esprit de Mélancthon, par ses propres forces, mais non toutefois sans le connaître, je le vénérerais encore pour cette fraternité avec nos grands écrivains, et comme me confirmant dans l’excellence de leur art et dans la légitimité de leurs doctrines.

Qui peut apprécier tout ce que cet esprit si admirablement tempéré, vif sans témérité, facile sans relâchement, éloquent sans déclamation, toujours et en toutes matières solide et vrai, dut faire entendre, dans un enseignement de quarante années, de choses sensées, nobles, fructueuses ? Qui peut connaître, si ce n’est Dieu, tout ce que fit germer, dans les esprits qui se formèrent sous sa discipline, cette semence choisie, tout ce qui partit de ce foyer pour se répandre autour de lui et dans toute l’Europe ? Il reste un curieux témoignage de ce qu’était son enseignement à Wittemberg : c’est le partage qu’en firent ses collègues après sa mort. Il n’en fallut pas moins de quatre pour suffire à cet héritage, « en attendant, dit l’académie, qu’on trouvât un homme, s’il en existait, qui pût reprendre le fardeau tout entier[22]. » Vitus Ortelius, docteur en médecine, qui enseignait depuis quarante ans l’éloquence et la langue grecque, se chargea des cours de dialectique et d’expliquer Euripide à la place de Mélancthon. C’étaient quatre leçons par semaine. Il promit en outre aux élèves qui commençaient l’étude du grec de leur enseigner une fois par semaine la grammaire de Mélancthon. Paul Eberus, pasteur, quoique chargé du gouvernement de l’église de Wittemberg, consentit à remplacer Mélancthon, deux jours par semaine, pour la leçon de théologie, et le dimanche dans cette leçon du matin qu’on se souvient que Mélancthon appropriait à la solennité du jour. Pierre Vincent eut à expliquer les éthiques d’Aristote, tous les mercredis. Enfin Peucer, le gendre de Mélancthon, fut chargé de continuer à dicter la chronique, ou histoire universelle, que Mélancthon avait menée jusqu’à Charlemagne.

« Nous avons distribué de telle sorte, dit ce dernier, dans son discours d’ouverture, les travaux interrompus par sa mort, que le fardeau qu’il a porté sur les épaules et soutenu avec les forces d’Atlas, nous nous le sommes partagé entre plusieurs, réunissant nos efforts et nos conseils, pour prévenir la chute de cette école qui a subsisté et prospéré par lui. » Et il ajoute : « C’est pour empêcher que dans ce malheur public vous ne perdiez courage, et ne désespériez du sort des études, que nous avons résolu de poursuivre et de presser les travaux abandonnés par lui, et de donner tous nos soins pour assurer par la diligence, l’assiduité, la fidélité au devoir, ce que nous ne pourrions obtenir par le talent, l’expérience, l’abondance et la variété des connaissances. » Dans cet écrit sur les changemens qui vont avoir lieu dans les cours, l’académie de Wittemberg est comparée au navire Argo et Mélancthon au pilote Typhis. Mais la douleur y est si vraie, qu’elle perce à travers ces souvenirs de la mythologie antique, d’ailleurs si particuliers à ce temps, où les sentimens les plus profonds ne pouvaient s’exprimer d’une manière générale qu’avec des images et des tours empruntés à des langues mortes.

Le même professeur, dont il fallait partager l’héritage entre quatre de ses collègues, écrivit pendant le même espace de temps, outre tant de traités, de pièces diplomatiques, d’ouvrages de théologie, de préfaces, un nombre immense de lettres, quelquefois jusqu’à douze en un jour, dont beaucoup avaient l’étendue d’un traité. Cette modération admirable attirait à lui, de tous les points de l’Europe, tous ceux qui voulaient se recueillir avant de se décider, se connaître avant de disposer d’eux ; et tous les yeux qu’éblouissait l’éclat de Luther se tournaient vers cette lumière douce et égale qui pénétrait les consciences sans les troubler. Les hommes passionnés, pour qui les idées nouvelles n’étaient qu’une occasion de se déchaîner avec impunité, attendaient le signal de Luther, et souvent le devançaient. Mélancthon avait autour de lui tous ceux qui cherchaient la vérité pour elle-même, ou pour régler sur ses enseignemens leur vie intérieure ; tous ceux qui voulaient moins un maître qu’un directeur de conscience, et aimaient mieux se donner librement que se laisser conquérir ; tous ceux qui avaient besoin de conseils, soit pour la conduite de leur conscience dans les choses de la foi, soit pour celle de leur esprit dans les choses de l’intelligence. Et ce n’est pas une médiocre gloire pour la modération, qu’elle ait donné plus de travail à Mélancthon, qu’à Luther le gouvernement de tant de passions qui offraient d’être ses auxiliaires, sans lui dire et peut-être sans savoir elles-mêmes jusqu’où elles comptaient le servir.

Tel fut Mélancthon dans sa double tâche de réformateur de la religion et des lettres. Une vie si laborieuse, un si rude passage sur la terre, tant d’oubli de soi-même et de dévouement à tous, ont réconcilié tout le monde à cette grande mémoire. Les catholiques ne lui sont pas sévères, car Bossuet lui-même l’a aimé, et n’a pas pu voir impunément tant de douceur et de lumières. Les protestans continuent de le suspecter, mais ils ont cessé de le haïr. Quant à ceux qui cultivent ce qu’il appelait la philosophie, comment ne seraient-ils pas justes pour lui ? Il a déchiffré pour eux le champ de la science et de l’art, et l’a arrosé de ses sueurs ; il a aidé plus que nul autre à nous faire arriver où nous sommes ; et, si ce n’était déjà plus le mieux, aucun exemple ne serait plus propre que le sien à nous y ramener.


Nisard.
  1. Voyez les livraisons des 1er et 15 octobre.
  2. Livre XXI.
  3. Fra Paolo, liv. III.
  4. Lettres, col. 184.
  5. Lettres, liv. I, col. 82.
  6. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. VI. Discours de George Major.
  7. Corp. ref., tom. III.
  8. Lettres, liv. I, 85, 86.
  9. C’est-à-dire de partisans de la tolérance sur les choses indifférentes, de disciplines de Major, qui était lui-même de l’école de Mélancthon.
  10. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. IV.
  11. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. VII.
  12. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. I.
  13. Orationes, epitaphia et scripta quæ edita sunt de morte Philippi Melancthonis, Wittemberg, 1561.
  14. Epist. Ph. Mel. de seipso, et de editione prima scriptorum suorum.
  15. Epist. IX, lib. II.
  16. Discours prononcé à l’académie de Wittemberg, après la mort de Melanchthon.
  17. Brutus, XLI, traduction de M. Burnouf.
  18. Oratio Melanchonis de legibus
  19. Corp. ref., no 3236
  20. Ibid., no 3036.
  21. Gotschedii or. ad memor. Communis Germaniæ proeceptoris Philip. Mel.
  22. Scriptum publice propositum de ordine aliquot lectionum publicarum constituto, post pium et felicem obitum D. Philippi Melancthonis.