Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 34

Charpentier (p. 176-182).
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XXXIV

En 1828, paraît le Yéhon Teikin wôra Correspondances traitant du jardin de famille, un des plus parfaits livres, illustrés par Hokousaï et gravés par Yégawa Tomékiti : trois volumes, où les compositions d’Hokousaï, prenant tantôt le milieu, tantôt le haut de la page, sont encastrées dans une ancienne écriture d’une grasse calligraphie, admirablement rendue par le graveur calligraphe Bountidô.

C’est l’ancienne éducation intellectuelle du Japon, faite dans la maison paternelle, et pas dans les écoles. Et ce livre, où le mot tei veut dire jardin, et le mot kin éducation, nous fait connaître un traité, dont le texte écrit en langage courant, usité dans les correspondances journalières a pour but de donner une éducation morale aux enfants dans la famille, même pendant qu’ils jouent au jardin.

L’intérêt de ces volumes, où une illustration, toute moderne, et sans rapport avec le texte, est intercalée au milieu de cette écriture du xive siècle, c’est surtout la représentation des industries et des métiers du pays.

Voici une cuisine : la cuisine officielle du souverain, où les cuisiniers ne peuvent toucher à rien qu’avec des baguettes ; voici l’atelier d’un sculpteur, sculptant une chimère colossale ; voici deux planches de forgerons, dans l’une desquelles, un vieux ciseleur, aux lourdes besicles, est en train d’entailler une garde de sabre ; voici une teinturerie, avec le teinturier aux bras teints jusqu’à la saignée ; voici des brodeurs, brodant la soie étendue sur un châssis ; voici les métiers à tisser de la ville et de la campagne ; voici la faiseuse de chapeaux de paille, et la faiseuse de papier à l’usage domestique ; voici le fabricant de parapluies, voici le faiseur de petites boîtes en lames de bois roulées ; voici le peintre de kakémonos ; voici le sculpteur spécialiste des statues et statuettes de Bouddha, voici le diseur de bonne aventure offrant de la rue à des femmes dans leur intérieur, son petit faisceau de cinquante baguettes, révélatrices de bonne ou mauvaise chance de leur vie ; voici enfin la boutique du libraire, avec l’annonce des derniers livres.

Et dans cette représentation des industries et des métiers, une merveille que le d’après nature des attitudes, la vérité des mouvements, l’attentionnement des hommes et des femmes à la chose qu’ils font, et la tranquillité calme de l’application pour les besognes délicates, et la violence des anatomies pour l’effort des gros ouvrages.

Dans le second volume c’est le fabricant de nattes, tatami ; c’est le modeleur de théières en métal ; c’est le chandelier, à la main enduisant de cire une tige de bambou, qu’on retire ; c’est le vendeur d’huile ; c’est un entrepôt de saké ; c’est un marchand de légumes frais ; c’est un marchand de légumes secs ; c’est un préparateur de plantes marines comme l’aonori, le kombou, et qu’on mange bouilli, grillé ou séché ; c’est une faiseuse de filets ; c’est un séchoir de pieuvres, dont la chair séchée sert à faire des soupes très délicates.

Le troisième volume contient un très petit nombre de planches d’industries. Il n’y a guère qu’un tourneur de meules avec lesquelles on blanchit le riz ; un broyeur de thé en poudre, pour le genre de cérémonie, dite Tchanoyu, et se divisant en Koïtoha et Mattcha ; un faiseur de macaronis de sarrasin, représenté à côté des figures comiques de deux avaleurs de macaroni, tout à la joie gloutonne de leur occupation. Et parmi ces industries, un industriel particulier, un conteur d’histoires, jouant un peu les personnages qu’il met en scène, et toujours entouré d’un nombreux public de gens qui ne savent pas lire, et ainsi que dans nos feuilletons, arrêtant son récit au moment le plus intéressant, et faisant revenir les gens, avec la suite à demain.

Plusieurs planches sont consacrées à la célébration de légumes phénoménaux de certaines provinces du Japon. Ici une rave de la province d’Ohmi qu’il faut deux hommes pour porter, là une pousse de bambou de la province de Iyo, qui a l’air d’un mât de navire, plus loin encore, deux navets gigantesques de la province Owari, enfin un petasite de Akita, cette petite plante grande comme une laitue, qui sert dans l’image qui la représente, de parasol à un homme et à une femme.

Et dans les trois volumes, mêlées aux planches représentant des métiers et des industries, des planches de toutes sortes : l’audience d’un daïmio ; une rue de Yédo ; un intérieur d’un temple bouddhique ; une salle de tribunal avec les trois juges sur une estrade, et le public assis à terre ; le frappement sur un taï en bois pour annoncer un service religieux ; la récolte des kaki ; la pêche au cormoran ; et encore des planches, comme les quatre classes de la société japonaise : le guerrier, le paysan, l’ouvrier, le marchand, la dernière classe dans cette société aristocratique.

Mais de toutes ces images, les plus charmantes sont des sortes de culs-de-lampe, représentant celle-ci, une femme vue de dos à sa toilette qui se met une épingle dans les cheveux devant un miroir reflétant sa figure, abaissée avec le plus gracieux mouvement de cou, et l’abandon derrière elle d’une main tenant un écran ; et celle-là, formée tout simplement du groupement d’une chimère, de deux peignes, d’une coupe à saké, d’une pipe, d’une fleur.

Le premier volume est publié en 1828, le second en 1848, le troisième est sans date, mais tous les dessins sont de 1828.

Le baron de Hubner, dans sa Promenade autour du monde, raconte qu’à Odawara, après le repas dans la grande maison de thé de la ville, un homme s’est présenté, porteur d’une boîte, divisée en quatre compartiments, contenant du sable rouge, bleu, noir, blanc, et qui, en le jetant sur le plancher, comme un cultivateur jette la semence, dessinait et peignait à la fois des fleurs, des oiseaux, et à la fin, — au milieu des rires bruyants des hommes et des femmes, des sujets érotiques, dignes de la Chambre secrète de Pompéi.

En 1828, un livre qui est, pour ainsi dire, le manuel de cet art, mais pour les femmes, et sans aucun modèle obscène, paraissait sous ce titre : Bongwa hitori keiko, Étude par soi-même du dessin sur plateau, par Mme Tsukihana Yei, avec une illustration, due pour la plus grande part, à Hokousaï.

La première planche représente, à côté de boîtes de sables de différentes couleurs, deux jeunes femmes accroupies par terre, devant un plateau : l’une, une cuiller à la main, l’autre, une planchette, toutes deux en train de composer un tableau.

Et l’album contient, représentés en deux couleurs, — une couleur grisâtre, une couleur rougeâtre, — d’abord des motifs élémentaires, comme une tige de bambou, une fleur d’iris, des lapins éclairés par la lune, puis des motifs plus compliqués, comme une tortue, un faisan doré, un paon. Et dans le texte, de petits croquetons donnent la figuration de la planchette, de la cuiller, et la manière, dont la main doit les tenir, et laisser tomber le sable.