Histoire populaire du Christianisme/VIe siècle
SIXIÈME SIÈCLE.
ers la trentième année du Ve siècle, tandis que les Vandales envahissaient l’Afrique, saint Augustin écrivait :
« L’Église et le clergé d’Afrique sont livrés à la débauche et à la crapule. On commet toute espèce d’impuretés, on s’enivre dans les cimetières, sur les tombeaux des martyrs et en leur honneur. »
Nous ne devons donc pas nous étonner que, depuis Genserik, tous les rois Vandales, conquérants Ariens et les plus violents d’entre les Barbares, sauf les Franks, aient presque anéanti le Catholicisme africain, jusqu’à l’arrivée de Bélisaire. Il n’en fut pas de même en Italie, où les mœurs n’étaient pas meilleures, mais que possédaient les Goths plus civilisés et plus doux. Ainsi, en 501, le roi Théodorik apaisa, en réunissant un Concile catholique, la querelle qui s’était élevée entre le pape Symmaque et son concurrent le diacre Laurent. Le dogme consubstantialiste fut enseigné et professé ouvertement, et les conquérants n’intervinrent que pour pacifier les troubles qu’excitait l’ambition des évêques, mais sans jamais attenter à leur liberté de conscience.
Les Catholiques reconnaissants citent même comme un très-beau trait de Théodorik l’atrocité abominable que voici : le roi Goth avait en très-grande amitié un jeune diacre consubstantialiste qui, pour plaire à son maître, embrassa l’Arianisme ; mais Théodorik, Arien très-convaincu cependant, lui coupa la tête de ses propres mains, sous prétexte qu’un homme infidèle à ce qu’il croyait être son Dieu ne pouvait être fidèle à son ami.
En 503, un Concile réuni à Rome par Symmaque décida pour la première fois, sur la proposition du diacre Ennodius, que le Saint-Siège rend impeccables ceux qui y montent et qui sont ainsi prédestinés à devenir saints.
En 507, le Frank catholique Khlodowig conquit l’Aquitaine sur Alarik, afin, disent les historiens ecclésiastiques, de détruire l’Arianisme dans les Gaules. Il est plus probable que le désir du pillage fut la cause première de l’expédition ; mais les évêques Gaulois mettaient à juste titre les intérêts de la foi bien au-dessus des scrupules ordinaires, et ils sanctifiaient ainsi la ruse, l’iniquité et la violence, puisque les convoitises des Barbares aidaient de cette façon au triomphe de la vérité.
Le pape Symmaque mourut le 19 juillet 514, sous Théodorik. Hormisdas lui succéda.
Il y eut en Espagne, vers 517, un Concile dont le trente-deuxième canon défend à la veuve d’un prêtre ou d’un diacre de se remarier.
En 525, Théodorik, qui laissait une pleine liberté aux Catholiques italiens, envoya le pape Jean, successeur de Hormisdas, demander à Justin, Empereur d’Orient, qu’il cessât d’opprimer les Ariens Orientaux, sous peine de représailles contre les consubstantialistes d’Italie. Le cardinal Baronius nous apprend que le saint évêque Jean, tout en feignant de remplir sa mission, excita de toutes ses forces, dans un louable esprit d’orthodoxie, la colère de l’Empereur grec contre les hérétiques. Théodorik, peu satisfait, fit emprisonner Jean, dès le retour de celui-ci ; mais le châtiment du roi Goth ne devait pas tarder, car il est incontestable qu’un solitaire des îles Lipari vit, quatre-vingt-dix jours après, l’âme de Théodorik précipitée dans le volcan par les papes Symmaque et Jean.
Le pape Jean mourut en prison, le 25 mai 526. Félix III lui succéda.
L’ordre des Bénédictins fut fondé, au mont Cassin, en 529, par saint Benoît. De tous les ordres religieux, celui des Bénédictins fut le plus utile. On lui doit, depuis le VIe siècle, de très-remarquables travaux d’histoire civile et ecclésiastique, entre autres la collection des histoires de France.
Le pape Félix III mourut, le 12 octobre, 529. Boniface II lui succéda.
En 530, l’empereur Justinien, qui était fort orthodoxe, confisqua les biens de tous ceux qui passaient pour païens ou hérétiques. Or, tout l’Orient, à cette époque, était peuplé d’hérétiques, les uns tenant pour Eutychès, les autres pour Nestorius, d’autres enfin pour une multitude de doctrines mixtes. Ce fut une abondante ressource pour le trésor impérial. Remarquons d’ailleurs que Justinien, fanatique et ignare au point de ne pouvoir écrire son nom, d’après l’historien Procope, était fidèle à l’opinion de saint Augustin qui avait déclaré que les infidèles et les hérétiques ne possédaient qu’injustement. Le même docteur avait écrit aussi : « La persécution des impies contre l’Église est injuste, mais celle de l’Église contre les impies est juste. » Or, s’il était permis à Justinien de prendre la vie des impies, à plus forte raison pouvait-il confisquer leurs biens, et c’est ce qu’il fit.
Le pape Boniface II mourut en décembre 531. Il avait désigné pour son successeur le diacre Vigile, mais les évêques élurent Jean II qui mourut le 26 avril 535. Agapet lui succéda et mourut un an après à Constantinople. Silvère fut élu par la protection du roi goth Théodahat ; mais, Bélisaire ayant pris Rome, le diacre Vigile fit chasser Silvère qu’on relégua en Lycie. Ce Vigile, pour se ménager l’appui de l’impératrice Théodora qui était Eutychienne, embrassa pour le moment cette hérésie, de sorte que le cardinal Baronius lui donne les noms de loup dévorant, de voleur et d’Antéchrist, ce qui n’empêche pas que, Justinien ayant renvoyé Silvère à Rome, le pape Vigile envoya son concurrent en exil à l’île de Palmérie où saint Silvère fut soumis à la faim et à toutes sortes de tourments. Enfin Vigile le fit égorger par deux sicaires en 540.
Telles étaient les mœurs évangéliques des papes au VIe siècle et fort longtemps après, comme nous le verrons.
Le pape Vigile mourut le 10 janvier 555, à Syracuse. Pélage lui succéda.
En 553, le Concile général de Constantinople avait décrété qu’on pouvait anathématiser ceux qui étaient morts dans la communion de l’Église. Ce fut le prétexte de grands troubles en Italie. Beaucoup d’évêques, entre autres Paulin d’Aquilée et Vitalis de Milan, s’opposèrent à l’acceptation du cinquième Concile général. Pour les contraindre autrement que par l’excommunication qui n’était pas assez efficace, le pape Pélage s’adressa à l’eunuque Narsès qui commandait les armées grecques en Italie : « Ne ménagez rien, écrivait-il, ne craignez pas d’être appelé persécuteur ; il n’y a que les schismatiques qui persécutent. Nos rigueurs à nous seront de la pure bienveillance. »
Les évêques, insensibles à la bienveillance de Pélage et de Narsès, les excommunièrent tous deux dans un Concile réuni en 558.
Le pape Pélage mourut le 2 mars 559. Jean III lui succéda.
Vers 568, les Lombards étant entrés en Italie, les dissensions furent momentanément absorbées par le trouble général, de sorte que, le pape Jean III étant mort le 13 juillet 572, le Saint-Siège resta vacant dix mois. Benoît Ier fut élu le 16 mai 573. Celui-ci mourut le 31 juillet 577, et Pélage II lui succéda.
Les évêques schismatiques devinrent alors si puissants sous la protection des Lombards, qu’ils se réunirent malgré Pélage II et condamnèrent solennellement le cinquième Concile général de Constantinople. Le pape eut recours à Smaragdus, Exarque de Ravenne, qui, à force de mauvais traitements, contraignit deux évêques, Élie et son successeur Sévère, de se rétracter. L’écrivain Paul Diacre suppose, à ce propos, que Pélage était légitimement possédé du Diable.
En 579, le Concile de Châlons-sur-Saône déposa deux évêques, Salonius d’Embrun et Sagittaire de Gap. C’étaient deux frères. Ils furent condamnés tous deux pour homicides et adultères. Il est probable qu’ils n’eussent été ni accusés ni condamnés pour si peu ; mais, le roi Gontran l’ayant voulu, cela fut fait.
Ce même Gontran fit décider, en 585, par un Concile qu’il réunit à Mâcon, que tout laïque serait tenu désormais de saluer les prêtres, moines et diacres qu’il rencontrerait. Il paraît que les laïques se dispensaient de rendre cet hommage aux ecclésiastiques.
Le pape Pélage mourut le 8 février 590. Le diacre Grégoire, depuis saint Grégoire le Grand, lui succéda.
Ce grand pape fit abattre les statues, les arcs de triomphe et autres monuments de l’ancienne Rome. Il brûla la bibliothèque Palatine fondée par Auguste et tous les exemplaires de Tite-Live qu’il put découvrir. Aucun des conquérants Barbares qui s’étaient emparés de l’Italie ne fit plus de mal que lui à l’intelligence humaine. Il n’était pas non plus très-doux pour les schismatiques. « Quelque vertueux que puisse être un schismatique, dit-il dans une lettre à Secundinus, brûler éternellement est le seul lot qu’il ait à attendre. »
Jean le Jeûneur, évêque de Constantinople, ayant pris le titre d’évêque universel, Grégoire écrivit contre cette prétention en faisant remarquer que le titre d’évêque universel réduisait tous les évêchés à un seul ; que lui, Grégoire, rejetait bien loin, en ce qui le concernait, un honneur qui diminuerait les honneurs, les droits et la dignité de ses frères, attendu que rien n’était plus contraire à l’Évangile et aux canons ; et qu’il fallait conclure de cette prétention de Jean le Jeûneur que le règne de l’Antéchrist était proche : Propinqua jam Antechristi esse tempora.
Les successeurs de saint Grégoire le Grand n’ont point partagé son opinion.
Fin du sixième siècle.