Histoire populaire du Christianisme/Ier siècle
HISTOIRE POPULAIRE
DU
CHRISTIANISME
PREMIER SIÈCLE.
’an 33 de la naissance de Jésus-Christ, après l’Ascension, saint Pierre réunit à Jérusalem les cent vingt disciples, afin de donner un successeur à Judas qui s’était pendu de désespoir. Le sort désigna Matthias. Saint Jean Chrysostôme blâma plus tard les Apôtres d’avoir employé ce mode d’élection. Cependant, il voulut bien les excuser, attendu qu’ils n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit. Celui-ci descendit sur eux, le jour de la Pentecôte, et ils parlèrent aussitôt toutes les langues. Ce miracle leur permit de prêcher l’Évangile aux nations étrangères, car le patois syro-chaldaïque dont ils se servaient n’y eût pas suffi.
En ce temps-là, d’après le livre des Actes, un magicien, nommé Simon, reçut le baptême, à Samarie, des mains de saint Philippe. Immédiatement, il déclara qu’il était la Vertu de Dieu. Il allait de ville en ville, accompagné d’une courtisane qui était sa pensée incarnée et par laquelle il avait créé les Anges et les Puissances. Cette doctrine lui attira de nombreux disciples. Néanmoins, les facultés merveilleuses dont il était doué ne lui suffirent pas, car il voulut acheter de saint Pierre et de saint Jean le pouvoir de conférer le Saint-Esprit. Les Apôtres s’y étant refusés, Simon persista dans les prodiges qu’il opérait, mais uniquement à l’aide de sa science magique, ce qui était bien différent. L’Église a donné depuis le nom de simonie au trafic des choses saintes.
Dans l’intervalle, le pharisien Saül, qui persécutait cruellement les disciples du Christ, fut frappé d’une lumière soudaine sur le chemin de Damas, renversé et aveuglé. Une voix lui dit : « Pourquoi me persécutes-tu ? » Ces paroles le convertirent instantanément. Il reçut le baptême des mains d’Ananias et prit le nom de Paul.
Saint Paul devint l’Apôtre des Gentils. L’Église lui attribue des épîtres célèbres adressées à divers peuples et à diverses personnes sur des questions de foi et de discipline. Ce fut un grand voyageur et un grand organisateur. Il nous apprend qu’ayant été ravi au troisième ciel, il y fut initié à des secrets qui ne peuvent être révélés, de sorte qu’on les a toujours ignorés.
Vers l’an 41, l’empereur Claude venant de succéder à Caligula, saint Pierre se rendit à Rome afin d’y établir le Saint-Siège. L’Église enseigne qu’il y résida vingt-cinq ans. On s’est permis d’émettre quelques doutes sur l’authenticité de ce fait, sous prétexte que le livre des Actes n’en dit rien, d’une part, et que, d’autre part, le chef des Apôtres, d’après les historiens ecclésiastiques, ouvrit en personne le Concile de Jérusalem, en 50 ou 51 de l’Ère chrétienne. On ne réfute pas de telles objections. Il est infiniment plus important de croire que saint Pierre vint fonder la papauté à Rome et gouverna en effet l’Église sans interruption jusqu’à sa mort. Sa présence au Concile de Jérusalem n’en est pas moins indubitable, ainsi que le prouve la célèbre contestation qui s’éleva entre lui et saint Paul, au sujet des rites prescrits par Moïse, et dont le nouvel Apôtre demandait l’abolition. Le Concile décida que la circoncision et les autres observances judaïques seraient désormais rejetées, et sa déclaration commença par ces paroles : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous.
Peut-être serait-il légitime de s’étonner que le premier pape infaillible, de qui procèdent tous les autres papes également infaillibles, se fût trompé dans une question de foi, au point de reconnaître publiquement son tort, si Origène, Tertullien et saint Jean Chrysostôme, ne nous affirmaient que cette contestation ne pouvait être qu’une simple feinte des deux Apôtres, afin d’arracher par ruse les Juifs à la loi de Moïse.
Le cardinal Baronius eût mieux fait, plus tard, quand il examina cette grave question dans ses Annales ecclésiastiques, de s’en tenir à l’explication lumineuse que lui fournissaient Origène, Tertullien et saint Jean Chrysostôme, que de s’enfermer dans un dilemme auquel il lui est imposible d’échapper malgré ses louables efforts : « Il faut nécessairement, dit-il, que Pierre fût coupable si Paul avait raison de le trouver répréhensible, ou que Paul fût coupable s’il avait tort de reprendre Pierre. Il faut donc que Pierre ait péché ou que Paul ait menti. »
Voilà où l’abus de la logique entraîne ce savant cardinal. Ceci prouve qu’il ne faut jamais raisonner en de telles matières, car le poète Dante fait dire au Diable : « Et moi aussi je suis logicien ! »
Nous nous permettrons, en dernier lieu, de faire remarquer cette singularité que le prince des Apôtres, le premier chef de l’Église catholique, c’est-à-dire universelle, voulut restreindre au seul peuple juif l’enseignement de la vérité. Sans doute il renonça à son erreur, mais beaucoup de Juifs récemment convertis persistèrent à croire que l’Évangile ne devait être prêché, selon la parole du maître, qu’aux brebis égarées du troupeau d’Israël ; de sorte qu’il y eut en ce temps-là deux écoles, celle de saint Paul et celle de saint Pierre. Il entrait dans les desseins de la Providence que la contestation qui s’engagea entre les deux Apôtres fût une feinte, et que cette feinte n’atteignît pas le but qu’ils s’étaient proposé.
Ce premier Concile fut présidé par le frère de Jésus, saint Jacques, évêque de Jérusalem, qui, d’après saint Épiphane, fut martyrisé à l’âge de quatre-vingt-seize ans, encore vierge, ne s’étant jamais coupé les cheveux et ne s’étant jamais baigné. Selon toutes les probabilités, l’expression consacrée : « Mourir en odeur de sainteté » fait allusion à cette coutume pieuse de saint Jacques.
En 65, parut la secte hérétique des Nicolaïtes. Ils se disaient disciples de Nicolas, un des sept diacres de l’Église de Jérusalem, qui avait l’habitude d’enseigner, ainsi que nous l’apprend saint Clément d’Alexandrie, qu’il fallait exercer la chair. Il entendait par là qu’il fallait la mortifier et la dompter. Ses disciples crurent qu’il leur ordonnait d’en abuser dans un tout autre sens ; ce qu’ils firent par suite du respect erroné qu’ils professaient pour la maxime de leur maître.
Le 29 juin, an 66, dans la douzième année du règne de Néron, saint Pierre et saint Paul furent martyrisés à Rome, l’un crucifié la tête en bas, l’autre décapité en sa qualité de citoyen romain. Saint Lin succéda à saint Pierre.
N’oublions pas de rappeler un dernier miracle opéré par le prince des Apôtres avant son martyre.
Les pères et les historiens du IVe siècle affirment que Simon le Magicien, étant venu à Rome, engagea une lutte de prodiges avec saint Pierre, en présence de Néron et du peuple romain. Tandis qu’il planait dans le ciel aux acclamations de la foule, saint Pierre le précipita d’en haut par une courte prière, et Simon mourut de sa chute. « Ce fait incontestable, dit l’abbé Guyot, dans son Dictionnaire des Hérésies, témoigne de l’attention de la Providence à fournir aux hommes les moyens de découvrir l’erreur et de s’en déprendre. » Cette réflexion prodigieuse de l’abbé Guyot est très-édifiante et nous dispense de tout commentaire.
Le pape saint Lin mourut le 23 septembre, an 67. Saint Clément lui succéda.
L’hérésie des Ébionites se manifesta vers 72, deux ans après la prise et le sac de Jérusalem par Titus. Le mot ébion signifie pauvre en hébreu. Les Ébionites étaient des juifs chrétiens attachés à la loi de Moïse. Ils niaient la divinité de Jésus et enseignaient qu’il s’était élevé par sa vertu au titre purement nominal de Fils de Dieu, de sorte que les écrivains ecclésiastiques en conclurent qu’ils étaient polygames et qu’ils se livraient aux plus honteuses débauches. Les personnes privées des lumières de la foi ne pensent pas que la conséquence soit inévitable, mais elles se trompent évidemment. L’hérésie des Ébionites offre une grande analogie avec celle de Cérinthe d’Antioche, chrétien judaïsant, contemporain des Apôtres, partisan de la circoncision et des observances de la Loi. En outre, celui-ci croyait que Dieu avait créé l’univers non par lui-même, mais par l’intermédiaire d’Esprits plus ou moins parfaits. Le dieu juif Iahvèh, était un de ces Esprits. Quant à Jésus, ce n’était qu’un homme doué d’une sagesse et d’une sainteté très-supérieures à celles des autres hommes. Enfin, Jésus avait souffert parce que le Christ qui était descendu sur lui sous la forme d’une colombe l’avait quitté au moment de la Passion, car le Christ, étant Dieu, ne pouvait souffrir.
Cette doctrine de Cérinthe fut réfutée victorieusement par les lettres attribuées à saint Jean, et dans lesquelles il est écrit que celui qui prétend que Jésus n’est pas le Christ est l’Antéchrist. L’argument était sans réplique.
Le pape saint Clément abdiqua le 3 décembre, an 76. Saint Clet lui succéda le 16 février, an 77, et mourut le 26 avril, an 83. Saint Anaclet fut élu le 7 septembre, an 84.
L’apôtre saint Jean, auteur du quatrième Évangile évidemment composé, disent les libres penseurs, par un Juif platonicien d’Alexandrie, étant à Rome, vers l’an 95, sous le règne de Domitien, fut plongé dans une chaudière d’huile bouillante près de la Porte Latine. Il en sortit sain et sauf pour être exilé dans l’île de Pathmos où il écrivit l’Apocalypse.
Que saint Jean soit sorti miraculeusement, sain et sauf, de l’huile bouillante, rien de plus simple ; mais qu’il y ait été plongé, sous le règne de Domitien, près de la Porte Latine, voilà le fait douteux, car aucun historien romain n’en a jamais parlé. Quant à l’Apocalypse, les Chrétiens du IIe siècle, si nous en croyons saint Denys d’Alexandrie, affirmaient que ce livre extraordinaire et merveilleusement obscur était de l’hérésiarque Cérinthe. Depuis, l’Église a décidé qu’il était l’œuvre de saint Jean et que l’Apôtre l’avait écrit sous l’inspiration du Saint-Esprit.
Le pape saint Anaclet mourut le 13 juillet, an 96. Saint Évariste lui succéda.
L’Apôtre saint Jean mourut le 27 décembre, an 100, âgé de cent ans, sous le règne de Trajan.
Fin du premier siècle.