Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 25

Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 146_Ch25-150_Ch26).

XXV. Arbres particuliers à l’Amérique Septentrionale.

Il a preſque tous les arbres qui ſont naturels au nôtre. Il en a de propres à lui ſeul, entre autres l’érable & le cirier.

Celui-ci, ainſi nommé à cauſe de ſon produit, eſt un arbriſſeau rameux, tortu, aſſez irrégulier, qui ſe plaît dans un ſol humide. Auſſi ne s’éloigne-t-il guère de la mer ou des grands fleuves. Ses feuilles, diſposées alternativement, ſont étroites, entières ou dentelées, toujours couvertes de petits points dorés preſqu’imperceptibles. Il porte des fleurs mâles & des fleurs femelles ſur deux individus différens. Les premières forment des chatons, dont chaque écaille porte ſix étamines. Les ſecondes, diſposées de même ſur les jeunes rameaux, ont, au lieu d’étamines, un ovaire ſurmonté de deux ſtyles, qui devient une coque très-petite, dure, ſphérique, recouverte d’une ſubſtance grenue, blanche & onctueuſe. Ces fruits, dont l’aſſemblage a l’apparence d’une grappe, ſont raſſemblés à la fin de l’automne & jetés dans l’eau bouillante. La ſubſtance, dont ils ſont enduits ſe détache, ſurnage & s’enlève avec une écumoire. Lorſqu’elle eſt figée, elle eſt communément d’un verd ſale. On la fait fondre une ſeconde fois pour la purifier ; Elle devient alors tranſparente & d’un verd agréable.

Cette matière, mitoyenne entre le ſuif & la cire, pour la conſiſtance & la qualité, tenoit lieu de l’une & de l’autre aux premiers Européens qui abordèrent dans ces contrées. Le prix en a fait diminuer l’uſage, depuis que les animaux ſe ſont multipliés. Cependant, comme elle brûle plus lentement que le ſuif, qu’elle eſt moins ſujette à ſe fondre, & qu’elle n’en a pas l’odeur déſagréable, elle obtient toujours la préférence par-tout où l’on peut s’en procurer, ſans la payer trop cher. Mêlée avec un quart de ſuif, elle brûle beaucoup mieux. Cette propriété n’eſt pas la ſeule. On en compoſe d’excellent ſavon & de bons emplâtres pour les bleſſures. On s’en ſert même pour cacheter. L’érable ne mérite pas moins d’attention que le cirier, puiſqu’on l’appelle l’arbre à ſucre.

Élevé par la nature, près des ruiſſeaux & dans des lieux humides, cet arbre croît juſqu’à la hauteur du chêne. Son tronc droit & cylindrique, eſt revêtu d’une écorce aſſez fine. Ses rameaux, toujours opposés, ſe couvrent de feuilles qui ont la même diſpoſition, & ſont blanchâtres en-deſſous, découpées en cinq lobes aigus. Ces fleurs, raſſemblées en bouquets, ont un calice à cinq diviſions chargé d’autant de pétales & de huit étamines qui avortent quelquefois. Leur centre eſt occupé par le piſtil qui devient un fruit composé de deux capſules comprimées & réunies par le bas, écartées & ailées par le haut, remplies d’une ſeule graine.

On fait, dans le mois de mars, au bas du tronc de l’érable, une inciſion de la profondeur de deux ou trois pouces. Un tuyau, qu’on insère dans la plaie, reçoit le ſuc qui coule, & le conduit dans un vaſe placé pour le recueillir. La liqueur des jeunes arbres eſt ſi abondante, qu’en une demi-heure elle remplit une bouteille de deux livres. Les vieux en donnent moins, mais de beaucoup meilleure. L’arbre ne veut qu’une inciſion ou deux, au plus : une plus grande perte l’épuiſe & l’énerve. S’il s’évacue par trois ou quatre tuyaux, il dépérit fort vite.

Sa liqueur eſt un ſuc naturellement mielleux. Pour l’amener à l’état du ſucre, on la fait évaporer par l’action du feu, juſqu’à ce qu’elle ait acquis la conſiſtance d’un ſirop épais. On la verſe enſuite dans des moules de terre, ou d’écorce de bouleau. Le ſirop, ſe durcit en ſe refroidiſſant, & ſe change en un ſucre roux, preſque tranſparent & aſſez agréable. Pour lui communiquer de la blancheur, on y mêle quelquefois, en le fabriquant, un peu de farine de froment : mais cette préparation altère toujours ſon goût. Ce ſucre ſert au même uſage que celui des cannes : mais pour en avoir une livre, il ne faut pas moins de dix-huit ou vingt livres de liqueur. Ainſi le commerce n’en tirera jamais un grand profit. Le miel eſt le ſucre des ſauvages de nos landes ; l’érable eſt le ſucre des ſauvages de l’Amérique. La nature a par-tout ſes douceurs ; elle a partout ſes merveilles.