Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 6

VI. Diminution des avantages que l’Angleterre retiroit de ſes iſles. Quelle en fut la cauſe.

Malgré ces pirateries paſſagères, que le calme de la paix faiſoit toujours ceſſer, les travaux s’accrurent de plus en plus dans les iſles Angloiſes. Toutes les productions propres à l’Amérique y obtinrent de nouveaux ſoins : mais les riches propriétaires s’attachèrent plus particulièrement au ſucre, dont le débit augmentoit chaque jour dans l’Europe entière. Cette proſpérité duroit depuis un demi-ſiècle, lorſque les eſprits attentifs s’aperçurent que les exportations ſe ralentiſſoient. On crut alors aſſez généralement que les colonies étoient usées. Le sénat de la nation adopta lui-même ce préjugé, ſans conſidérer que ſi le ſol n’avoit plus cette fécondité particulière aux campagnes nouvellement défrichées, il lui reſtoit toujours le degré de fertilité que la terre perd rarement, à moins que des fléaux & des écarts de la nature ne changent ſa ſubſtance. La vérité ne tarda pas à ſe faire jour. Il fallut reconnoitre que les marchés étrangers ſe fermoient peu-à-peu pour la Grande-Bretagne, & ne s’ouvriroient bientôt que pour la France.

Cet empire qui, par ſes avantages naturels & le génie actif de ſes habitans, devroit être le premier à tout entreprendre, s’eſt long-tems trouvé, par les entraves de ſon gouvernement, un des derniers à s’inſtruire de ſes intérêts. Il reçut d’abord ſon ſucre des Anglois. Enſuite, il en cultiva pour ſes uſages ; puis pour vendre, juſqu’à ce que les gênes de tous les genres l’euſſent réduit à ſes ſeuls beſoins. Ce ne fut qu’en 1716 que ſes iſles recommencèrent à approviſionner les autres nations. La qualité ſupérieure de leur ſol ; l’avantage d’exploiter des terres neuves ; l’économie forcée de leurs cultivateurs encore pauvres : tout ſe réuniſſoit pour les mettre en état d’offrir leur production à un prix plus bas que les colonies rivales. D’ailleurs elle étoit meilleure. Auſſi à meſure qu’elle ſe multiplioit, celle qu’autrefois on recherchoit ſi fort, étoit-elle repouſſée dans tous les marchés. Vers l’an 1740, le ſucre des plantations Françoiſes ſe trouva ſuffiſant pour l’approviſionnement général ; & à cette époque, les Anglois ſe virent réduits à ne cultiver que pour leurs beſoins. Ils étoient encore très-bornés au commencement du ſiècle : mais l’uſage du thé & d’autres nouveaux goûts en ont prodigieuſement augmenté la conſommation.