Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 14

XIV. S. Chriſtophe, d’abord partagé entre les Anglois & les François, reſte à la Grande-Bretagne.

Saint-Chriſtophe fut le berceau de toutes les colonies Angloiſes & Françoiſes du Nouveau-Monde. Les deux nations y arrivèrent le même jour, en 1625. Elles ſe partagèrent l’iſle ; elles ſignèrent une neutralité perpétuelle ; elles ſe promirent des ſecours mutuels contre l’ennemi commun : c’étoit l’Eſpagnol qui, depuis un ſiècle, envahiſſoit ou troubloit l’un & l’autre hémiſphères. Malheureuſement, par une convention peu réfléchie, on avoir laiſſé en commun la chaſſe, la pêche, les bois, les rades, les ſalines. Cet arrangement mêloit trop des hommes qui ne pouvoient s’aimer ; & la jalouſie diviſa bientôt ceux qu’un intérêt momentané avoit unis. Cette funeſte paſſion enfantoit tous les jours des querelles, des combats, des dévaſtations : mais c’étoient des animoſités particulières, dont les gouvernemens reſpectifs ne s’occupoient pas.

Des cauſes plus graves ayant, en 1666, allumé entre les métropoles des guerres qui remplirent preſque ſans interruption le reſte du ſiècle, leurs ſujets de Saint-Chriſtophe ſe battirent avec un acharnement qu’on ne retrouvoit pas ailleurs. Tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, ils ſe chaſſoient tour-à-tour de leurs plantations. Cette alternative, ſi long-tems balancée, de ſuccès & de diſgrâces, finit, en 1702, par l’expulſion des François auxquels le traité d’Utrech ôta tout eſpoir de retour.

Ce ſacrifice devoit peu coûter à un peuple qui ne s’étoit jamais sérieuſement occupé du ſoin de faire naître des productions ſur ſon domaine. La population s’y réduiſoit à ſix cens ſoixante-ſept blancs de tout âge & de tout ſexe, à vingt-neuf noirs libres, à ſix cens cinquante-neuf eſclaves. Cent cinquante-ſept chevaux, deux cens ſoixante-cinq bêtes à corne, formoient ſes troupeaux. Elle ne cultivoit qu’un peu de coton & d’indigo ; elle n’avoit qu’une ſucrerie.