Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIII/Chapitre 45

XLV. Liaiſons de S. Domingue avec les nations étrangères.

Indépendamment des immenſes productions que la colonie envoie à ſa métropole & qui peuvent au moins augmenter d’un tiers, elle en livre quelques foibles portions à ſon indolent voiſin. C’eſt avec du ſucre, du tafia, & ſur-tout avec les boiſſons & les manufactures de l’Europe, qu’elle paie ce que la partie Eſpagnole de Saint-Domingue lui fournit de porc & de bœuf fumés, de bois, de cuirs, de chevaux & de bêtes à corne pour ſes ateliers ou ſes boucheries ; qu’elle s’approprie tout l’argent envoyé des mines du Mexique dans cet ancien établiſſement. La cour de Madrid a cherché à diminuer la vivacité de cette liaiſon, en proſcrivant les marchandiſes étrangères dans ſa poſſeſſion, & en chargeant de droits exceſſifs les beſtiaux qui en ſortiroient. Ce règlement vicieux n’a eu d’autre effet que de mettre de la gêne dans ces échanges qui, pour l’intérêt des deux peuples, auroient dû continuer avec liberté. C’eſt ſur-tout dans cette partie du Nouveau-Monde que le beſoin l’emporte ſur l’antipathie de caractère, & que l’uniformité du climat étouffe ce germe de diviſion.

Les Hollandois de Curaçao envahiſſent une grande partie du commerce de la colonie Françoiſe, durant les guerres où ils ne ſont pas engagés : mais ils y enlèvent auſſi quelques denrées durant la paix. C’eſt avec des productions des Indes Orientales, c’eſt avec des lettres-de-change, qu’ils entretiennent ces foibles liaiſons.

Celles des Jamaïcains avec Saint-Domingue ſont beaucoup plus conſidérables. Les douze ou treize mille eſclaves que portent annuellement à la colonie les navigateurs François, ne l’empêchent pas d’en recevoir quatre ou cinq mille des Anglois. Les derniers lui coûtent un ſixième de moins que les autres, & ſont payés avec du coton, ſur-tout avec de l’indigo, accepté à plus haut prix que par le commerce national. Ces interlopes l’introduiſent dans leur patrie comme une production des iſles Britanniques, & reçoivent une gratification de douze ſols par livre.

Cependant, c’eſt avec l’Amérique Septentrionale que Saint-Domingue entretient une communication plus ſuivie & plus néceſſaire. Dans des calamités prenantes, les navires de cette vaſte contrée du Nouveau-Monde ſont admis dans toutes les rades, & ſeulement au môle Saint-Nicolas, dans les tems ordinaires. Des bois de conſtruction, des légumes, des beſtiaux, des farines, du poiſſon ſalé, forment leurs cargaiſons. Ils enlèvent publiquement vingt-cinq on trente mille barriques de ſirop, & en fraude toutes les denrées qu’on peut ou qu’on veut leur livrer.