Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VII/Chapitre 19

XIX. Courte deſcription du nouveau royaume de Grenade.

Derrière les côtes très-étendues, dont nous venons de parler, & dans l’intérieur des terres, eſt ce que les Eſpagnols appellent le nouveau royaume de Grenade. Il a une étendue prodigieuſe. Son climat eſt plus ou moins humide, plus ou moins froid, plus ou moins chaud, plus ou moins tempéré, ſelon la direction des branches des Cordelières qui en coupent les différentes parties. Peu de ces montagnes ſont ſuſceptibles de culture : mais la plupart des plaines, la plupart des vallées qui les séparent offrent un ſol fertile.

Même avant la conquête, le pays étoit fort peu habité. Au milieu des ſauvages qui le parcouroient, s’étoit cependant formée une nation qui avoit une religion, un gouvernement, une culture ; & qui, quoiqu’inférieure aux Mexicains & aux Péruviens s’étoit élevée beaucoup au-deſſus de tous les autres peuples de l’Amérique. Ni l’hiſtoire, ni la tradition ne nous apprennent comment avoit été créé cet état : mais on doit croire qu’il a exiſté, quoiqu’il ne reſte aucune trace de ſa civiliſation.

Ce royaume, s’il eſt permis de ſe ſervir de cette expreſſion, ſe nommoit Bogota. Benalcazar, qui commandoit à Quito l’attaqua en 1526 du côté du Sud, & Queſada, qui avoit débarqué à Sainte-Marthe, l’attaqua du côté du Nord. Des hommes unis entre eux, accoutumés à combattre enſemble, conduits par un chef abſolu : ces hommes devoient faire & firent en effet quelque réſiſtance ; mais il fallut enfin céder à la valeur, aux armes, & à la diſcipline de l’Europe. Les deux capitaines Eſpagnols eurent la gloire, puiſqu’on veut que c’en ſoit une, d’ajouter une grande poſſeſſion à celles dont leurs ſouverains s’étoient laiſſés ſurcharger dans cet autre hémiſphère. Avec le tems, les provinces plus ou moins éloignées de ce centre, ſe ſoumirent en partie. Nous diſons en partie, parce que l’organiſation du pays eſt telle qu’il ne fut jamais poſſible d’en ſubjuguer tous les habitans, & que ceux d’entre eux qui avoient reçu des fers les briſoient auſſi-tôt qu’ils avoient le courage de le bien vouloir. Il n’eſt pas même ſans quelque vraiſemblance que la plupart auroient pris cette détermination, ſi on les eût aſſujettis à ces travaux deſtructeurs qui ont causé tant de ravages dans les autres parties du Nouveau-Monde.