Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 23

XXIII. Hiſtoire des mines d’or trouvées dans le Bréſil. Manière de les exploiter.

La connoiſſance des mines d’or, dans cette partie du Nouveau-Monde, remonte à des tems plus éloignés qu’on ne le croit généralement. Des 1577, les Pauliſtes en découvrirent près de la montagne de Jaguara : mais la mort déſaſtreuſe du roi Sébaſtien fit bientôt oublier une ſource de richeſſes, dont l’état ni les citoyens n’avoient juſqu’alors tiré aucun avantage.

Les hauteurs de Jacobina, dans le diſtrict de Rio-das-Velhas, offrirent encore inutilement, en 1588, de nouvelles mines. Philippe II, déterminé à contenir par la misère des peuples qui ſupportoient trop impatiemment le joug Eſpagnol, n’en voulut pas permettre l’exploitation. S’il parut y conſentir, en 1603, ce fut avec la réſolution de l’empêcher ; & ſes lâches ſucceſſeurs adoptèrent ſa tyrannique politique.

L’heureuſe révolution, qui, en 1640, déchargea le Portugal des fers qu’il portait, fut ſuivie de guerres longues & opiniâtres. Durant cette violente criſe, la nation ne s’occupa que de la défenſe de ſa liberté, & le miniſtère que du ſoin de trouver des reſſources qui lui manquoient continuellement.

On commençoit à ſonder les plaies de la monarchie, à penſer à ſon amélioration, lorſque le haſard offrit, en 1699, à quelques hommes entreprenans de grands tréſors dans la province de Minas-Geraes. Ces dons, d’une nature libérale, ne furent plus rejetés ; & trois ans après, la cour de Liſbonne forma les établiſſemens néceſſaires pour les mettre à profit. Sabara, Riodas-Mortes, Cachoeira, Paracatu, Do-Carmo, Rio-das-Velhas, Rio-Doce, Ouro-Preto, ſont les lieux de ce gouvernement où l’on a ſucceſſivement trouvé de l’or & où l’on en ramaſſe encore aujourd’hui.

Les mines de Goyas ne furent découvertes qu’en 1726. San-Felix, Meia-Ponta, O Fanado, Mocambo, Natividade ſont les diſtricts où elles ſont ſituées.

L’an 1735 en offrit de nouvelles dans la province de Matto-Groſſo, à Saint-Vincent, à Chapada, à Sainte-Anne, à Cuiaba, à Araès.

Hors de ces trois contrées, appelées par excellence la région des mines, on exploite dans le gouvernement de Bahia celles de Jacobina & de Rio-das-Contas ; & dans le gouvernement de Saint-Paul celles de Parnagua & de Tibogy. Ni les unes ni les autres ne ſont abondantes.

Dans cette partie du Nouveau-Monde, l’extraction de l’or n’eſt ni dangereuſe ni fort pénible. Quelquefois, il ſe trouve à la ſuperficie du ſol, & c’eſt le plus pur. Souvent on creuſe juſqu’à trois ou quatre braſſes, & rarement au-delà. Une couche de terre ſablonneuſe, connue dans le pays ſous le nom de Saibro, avertit alors communément les mineurs qu’il ſeroit inutile de fouiller à une plus grande profondeur. Quoiqu’en général les veines ſuivies & qui ont une direction conſtante ſoient les plus riches, on a obſervé que c’étoient les eſpaces dont la ſurface étoit la plus parſemée de cryſtaux, qui donnoient une plus grande abondance d’or. Il exiſte en plus groſſes parties ſur les montagnes & les collines ſtériles ou pierreuſes que dans les vallées ou ſur les bords des rivières. Mais dans quelque endroit qu’on l’ait ramaſſé, il eſt au ſortir de la mine de vingt-trois karats & demi, à moins qu’il ne ſoit mêlé de ſoufre, d’argent, de fer ou de mercure, ce qui n’eſt commun qu’à Goyas & à Araès.

Tout homme qui découvre une mine doit avertir le gouvernement. La veine eſt-elle jugée de peu d’importance par les gens de l’art chargés de l’examiner, on l’abandonne toujours au public. Si elle eſt déclarée riche, le fiſc s’en réſerve une partie. Le commandant en a une autre. La troiſième eſt pour l’intendant ; & l’on en aſſure deux à l’auteur de la découverte. Le reſte eſt partagé à tous les mineurs du diſtrict, ſelon l’étendue de leurs facultés, arbitrées par le nombre de leurs eſclaves. Les conteſtations, que cette eſpèce de propriété peut faire naître, ſont du reſſort de l’intendant : mais il eſt permis d’appeler de ſes arrêts à la cour ſuprême, établie à Liſbonne, ſous le nom de conſeil d’Outremer.

Les obligations des mineurs ſe réduiſent à livrer au roi le cinquième de l’or, que des opérations plus ou moins heureuſes leur rendent. Ce quint fut autrefois conſidérable, & il paſſa 9 000 000 liv. chaque année, depuis 1728 juſqu’en 1734. On l’a vu diminuer par degrés. Actuellement le produit annuel de Minas-Geraes n’eſt que de 18 750 000 livres ; de Goyas que de 4 687 500 livres ; de Matto-Groſſo que de 1 312 500 livres ; de Bahia & de Saint-Paul réunis que de 1 562 500 liv. C’eſt en tout 25 312 500 livres dont il revient au gouvernement 5 062 500 livres. Son droit pour la fabrication de l’or en eſpèces lui donne 1 647 500 livres, & à raiſon de deux pour cent, il retire 393 000 livres pour le tranſport que font ſes vaiſſeaux de tout l’or qui appartient au commerce ; de ſorte que ſur 25 312 500 livres que rendent les mines, le miniſtère en prend 7 103 000 livres, il obtiendroit même quelque choſe de plus, s’il ne ſortoit tous les ans en fraude environ 600 000 livres qui ne paient pas les deux dernières impoſitions.

On ne fait pas monter à plus de 20 000 000 de livres les métaux qui circulent habituellement dans le Bréſil.

Les premiers écrivains politiques, qui portèrent leur attention ſur les découvertes faites dans cette région du Nouveau-Monde, ne craignirent pas de prédire, que les prix de l’or de l’argent ſe rapprocheroient. L’expérience de tous les pays & de tous les âges leur avoit appris que, quoiqu’il eût toujours fallu pluſieurs onces d’argent pour une once d’or, parce que les mines de l’un ont été conſtamment plus communes que celles de l’autre, la proportion entre ces métaux avoit varié, dans chaque pays, ſuivant leur abondance reſpective.

Dans le Japon, la proportion de l’or à l’argent eſt comme un à huit ; à la Chine, comme un à dix ; dans les autres parties de l’Inde, comme un à onze, à douze, à treize, à quatorze, à meſure qu’elles approchent de l’Occident.

L’Europe offre des variations ſemblables. Dans l’ancienne Grèce, l’or étoit à l’argent comme un à treize. Lorſque le produit de toutes les mines de l’univers fut porté à Rome, maîtreſſe du monde, la proportion d’un à dix fut la plus conſtante. Elle s’éleva d’un à treize ſous Tibère. On trouve des variations ſans nombre & ſans meſure, dans les tems de barbarie. Enfin, lorſque Colomb pénétra dans le Nouveau-Monde, l’or étoit, à l’égard de l’argent, au-deſſous d’un à douze.

La quantité de ces métaux, qu’on porta du Mexique & du Pérou, ne les rendit pas ſeulement plus communs ; elle hauſſa encore la valeur de l’or contre l’argent, qui ſe trouva plus abondant dans ces contrées. L’Eſpagne, qui étoit le juge naturel de la proportion, la fixa comme un à ſeize dans ſes monnoies ; & ſon ſyſtême, avec quelques légères différences, fut adopté par toute l’Europe.

Ce ſyſtème exiſte encore, ſans qu’on ſoit en droit de blâmer les ſpéculateurs qui avoient annoncé qu’il devoit changer. Si l’or, depuis que le Bréſil en fournit beaucoup, n’a baiſſé que peu dans les marchés & n’a point du tout baiſſé dans les monnoies ; c’eſt par des circonſtances particulières qui ne détruiſent point le principe. Un luxe nouveau en a fait beaucoup employer en bijoux, en dorures, & a empêché l’or de diminuer de prix autant qu’il le devoit faire naturellement, s’il ne fût pas arrivé de changement dans nos uſages. C’eſt le même luxe qui a ſoutenu le prix des diamans ; quoiqu’ils ſoient devenus plus communs.